Rapports de la France avec Madagascar

Rapports de la France avec Madagascar
Revue des Deux Mondes2e période, tome 47 (p. 675-711).
RAPPORTS
DE LA
FRANCE AVEC MADAGASCAR

Naguère encore une étude sur Madagascar aurait eu exclusivement pour objet la richesse agricole, le commerce, les mœurs, enfin tous les élémens qui peuvent servir de base à une œuvre de colonisation dans la grande île africaine. L’intérêt principal eût été dans l’examen du système qui pouvait assurer le succès, sur cette terre lointaine, d’une entreprise tout à la fois industrielle et financière, des moyens de lutter avec avantage contre le climat, de surmonter d’autres obstacles nés de l’organisation politique d’un pays encore à demi barbare. Aujourd’hui nous voici brusquement reportés fort en arrière d’une perspective pareille. Pour bien juger de la conduite que nous avons à tenir après les terribles événemens de Tananarive, il nous faut jeter un regard rétrospectif sur tout le passé, rassembler nos souvenirs et reprendre dans tout ce qu’elles ont eu de caractéristique les relations que la France a entretenues soit avec les Hovas, maîtres actuels de l’île de Madagascar, soit avec les populations qu’ils ont soumises à leur joug. Cette partie de notre tâche nous sera facilitée par des publications antérieures trop peu connues, auxquelles nous aurons souvent recours, et par de nombreux documens que des travaux administratifs ont mis en notre possession.

Une telle étude, même dans ce qui se rapporte à des faits déjà anciens, touche aux questions présentes plus directement qu’on ne serait d’abord tenté de le croire. C’est un spectacle instructif à plus d’un égard pour notre pays que celui de tentatives si nombreuses échouant tour à tour par trop de timidité ou par trop d’audace, de tant de projets conçus sans réflexion, sans une appréciation exacte des difficultés à combattre. Et ce qui doit malheureusement nous y frapper le plus, c’est le manque d’esprit de suite chez ceux qui étaient chargés de l’exécution de ces plans, c’est la disproportion des moyens employés et des résultats obtenus. Cependant cette histoire des tâtonnemens de notre politique à Madagascar peut aussi faire comprendre à qui voudra la lire attentivement qu’une sorte de lien se forme et se resserre de plus en plus entre les destinées de cette contrée et le mouvement des intérêts français. Une grave et triste question se pose donc : n’y a-t-il pas là un de ces mille théâtres offerts à notre activité, à notre influence pacifique, et où notre esprit guerrier n’intervient trop souvent que pour retarder l’ouverture de relations vraiment fécondes? Il suffit d’indiquer cette question pour donner à un exposé de nos rapports avec Madagascar depuis Louis XIV jusqu’à nos jours sa vraie signification.


I

L’île de Madagascar fut découverte en 1506 par Fernan Juarez, qui, à la tête d’une escadre portugaise de huit vaisseaux, fut jeté sur ses côtes par une tempête[1]. Malgré les rapports les plus favorables sur la richesse de cette terre et sur les mœurs de la population, le roi Emmanuel de Portugal se contenta d’envoyer quelques explorateurs prendre une connaissance exacte du pays et y organiser un établissement de traite. Les opérations des Portugais à cette époque consistèrent uniquement dans l’achat et l’exportation de quelques esclaves et dans un essai de propagande religieuse. Quelques prêtres vinrent s’établir dans leurs comptoirs, mais ils n’obtinrent aucun succès et furent massacrés par les indigènes. Quoique au XVIe siècle l’attention des gouvernemens européens fût puissamment attirée par les conquêtes récentes de l’Espagne et du Portugal en Amérique et dans l’Inde, plusieurs années s’écoulèrent avant que l’un d’eux songeât à s’occuper de Madagascar. Cependant l’étendue, la fertilité du sol, les ports spacieux et sûrs dont cette île est pourvue, surtout sa position près de la côte orientale d’Afrique, dont elle n’est séparée que par le canal de Mozambique, à l’entrée de l’Océan-Indien, et non loin de la Mer-Rouge, ne pouvaient manquer d’éveiller l’ambition de quelqu’une des grandes puissances maritimes et de provoquer ses entreprises. Cette puissance fut la France.

Quelques années avant que son gouvernement prît cette œuvre en main, des négociais français, hardis pionniers des mers comme ces armateurs de Dieppe qui ont posé les fondemens de nos premiers établissemens coloniaux, envoyèrent des bâtimens à Madagascar; mais leur expédition ne fut pas heureuse. En 1642, la Société d’Orient fut créée sous le patronage du cardinal de Richelieu, chef et surintendant-général de la marine, navigation et commerce de France. Elle était dirigée par le capitaine de vaisseau Rigault. Cette société obtint des lettres patentes qui lui furent confirmées par Louis XIV le 20 septembre de l’année suivante. Le gouvernement lui concédait l’île de Madagascar et les îles adjacentes « pour y ériger colonies et commerce, et en prendre possession au nom de sa majesté très chrétienne. » Par suite de cette concession, M. de Pronis, agent de la Société d’Orient, se rendit sur les lieux à la tête d’une expédition, et occupa, au nom du roi de France, l’île Sainte-Marie, la baie d’Antongil, et s’établit à Manghasia. En 1644, il plaça des postes à Galemboule, Fénériffe et à Manahar, et transporta le siège de son principal établissement sur la presqu’île de Thonlangaf, où il construisit le fort Dauphin. Par ce système de postes, il dominait entièrement la côte orientale de Madagascar.

Tous les documens qui nous restent de cette première entreprise nous font un triste tableau de la conduite des chefs. M. de Pronis était un homme dur, violent et sans mœurs ; il donnait à ses subordonnés l’exemple de tous les excès, et, par ses rapines et ses mauvais traitemens, justifia trop bien la haine implacable des populations sauvages qu’il voulut soumettre à sa domination. Son impéritie égalait seule son immoralité. Il s’établit dans les lieux les plus insalubres; il commença les opérations militaires les plus périlleuses au milieu de l’hivernage; il prodigua l’or et le sang de la France dans des guerres sans motif contre les naturels ou pour les causes les plus injustes; il se livra aux dissipations les plus scandaleuses, et suscita autour de lui des querelles intérieures qui entravèrent tous ses mouvemens. M. de Flacourt, qui fut envoyé pour rétablir les affaires de la société, si gravement compromises, dit dans un de ses rapports « qu’il a trouvé les approvisionnemens gaspillés par les chefs de l’entreprise, et que les malheureux Français étaient le plus souvent, tantôt sans riz et ne mangeant que de la viande, tantôt sans viande et ne mangeant que du riz. »

M. de Flacourt arriva au fort Dauphin avec le titre de commandant-général de Madagascar; il entreprit de soumettre l’île tout entière à la domination de la France et de forcer les populations à lui payer un tribut. Cette prétention donna naissance à une guerre longue et terrible, qui n’amena qu’une soumission plus apparente que réelle de la part des naturels. M. de Flacourt était un homme énergique et doué de grandes ressources d’esprit. Il aurait pu réussir, s’il avait été secondé par la métropole. Loin de là, abandonné à lui-même, il passa plusieurs années sans recevoir aucun secours de la compagnie, sans appui du gouvernement; il s’épuisa en efforts pour contenir tout à la fois les indigènes, toujours prêts à se révolter, et ses propres nationaux, aigris par les souffrances et les privations. M. de Flacourt revint en France pour réclamer l’assistance du gouvernement. Ce fut alors qu’il suggéra au maréchal de La Meilleraye l’idée de prendre l’entreprise à son compte. Le crédit du maréchal était grand. Il obtint sans peine la rétrocession des droits de la Société d’Orient. Plusieurs commandans furent successivement envoyés au nom du maréchal de La Meilleraye au fort Dauphin; mais leur injustice et leur cupidité ne firent qu’augmenter la haine des naturels contre les Français[2], et notre établissement, dépourvu de vivres et d’approvisionnemens, fut bientôt conduit à deux doigts de sa ruine.

C’est dans cette situation désespérée que le duc de Mazarin, fils du maréchal de La Meilleraye, céda ses droits à une nouvelle compagnie moyennant la somme insignifiante de 20,000 francs. Cette compagnie dut son existence à l’initiative de Colbert. En 1664, la paix venait d’être conclue, et le grand ministre voulait la rendre glorieuse et féconde par les conquêtes du commerce. La nouvelle société, sous ce puissant patronage, prit le titre de compagnie orientale, et le ministre parvint à lui assurer, avec le concours du roi, des princes du sang et des plus grands seigneurs, un fonds de 15 millions[3], ressource considérable à cette époque. » Le fort Dauphin fut choisi pour être le chef-lieu de cette France orientale, car c’est ainsi que, dans l’enthousiasme qui présidait aux premiers travaux de la nouvelle compagnie, on désignait Madagascar.

M. de Beausse y fut envoyé en 1665 en qualité de gouverneurgénéral pour le roi et la compagnie et de président du conseil. Il mourut dans la même année. Rien n’avait été négligé de la part du gouvernement du roi pour donner une grande action à son représentant dans ces parages. Le marquis de Mondevergue y arriva avec le titre « d’amiral et de lieutenant-général de toutes les troupes françaises de terre et de mer au-delà de la ligne équinoxiale. » Quatre vaisseaux portèrent à Madagascar des prêtres, des chirurgiens, des ouvriers de toute profession, avec quatre compagnies d’infanterie. Ce grand appareil semblait promettre de grands résultats. C’est au contraire un échec complet que recueille de cette entreprise si solennellement préparée l’histoire de nos efforts sur Madagascar. Nous ne raconterons pas en détail les fautes qui furent commises, les actes coupables et les folies qui en peu de temps dévorèrent tant de ressources accumulées. « La compagnie royale, lisons-nous dans un tableau fort exact de nos premières relations avec Madagascar[4], avait mal dirigé ses opérations, mal choisi ses postes et ses agens. Elle ne tarda pas à chanceler malgré ses énormes ressources. Ces ressources elles-mêmes, si considérables, si abondantes, furent une cause indirecte de ruine dans un temps où les entreprises commerciales étaient si peu formées à la balance de leurs revenus et de leurs dépenses, où ces colossales expéditions financières étaient confiées la plupart du temps à des aventuriers sans pudeur, à des gentilshommes ruinés, peu habitués les uns et les autres au maniement des capitaux qui leur étaient confiés pour le bien de la France. Le gaspillage s’était installé dès l’origine au sein de la compagnie. Les millions du roi, les millions de la France, au lieu de concourir au grand but politique qui les réclamait, entretinrent et alimentèrent pendant quelque temps les plus odieuses dilapidations. Il fallut renoncer aux espérances les plus légitimes. Notre premier établissement sérieux et de grandes proportions fut compromis de la manière la plus désastreuse. Si l’on ajoute à ces causes déjà si tristes d’autres fermens de dissolution, on verra qu’en dehors du gaspillage financier, cette grande entreprise était sourdement minée par plusieurs autres sujets de ruine, dont un seul eût suffi pour la perdre : c’était la mésintelligence des chefs de la colonie, les hostilités fréquentes des naturels, la détestable administration intérieure, et enfin la discorde qui divisa bientôt les directeurs de la compagnie elle-même. Malgré un secours de 2 millions qu’elle reçut en 1668 du roi de France, la compagnie, jetée par les causes que nous venons d’énumérer dans les plus graves embarras, fut obligée de faire en 1670 remise de ses droits sur Madagascar entre les mains de sa majesté. »

Malgré cet avortement de notre entreprise, nos droits de souveraineté furent sauvegardés avec une religieuse persistance. Louis XIV ne cessa pas un instant de considérer l’île de Madagascar comme appartenant au domaine de la couronne, auquel un arrêt du conseil d’état de juin 1686 la réunit solennellement dans les termes suivans : « Tout considéré, sa majesté étant dans son conseil, vu la renonciation faite par la compagnie des Indes orientales à la propriété et seigneurie de l’île de Madagascar, que sa majesté a agréée et approuvée, a réuni et réunit à son domaine ladite île de Madagascar, forts et habitations en dépendant, pour sa majesté en disposer en toute propriété, seigneurie et justice[5]. »

Les intentions de la France ne se manifestèrent pas seulement par ces actes. Aussitôt la remise au domaine de la couronne des droits sur Madagascar, dix vaisseaux, sous les ordres de M. de La Haye, viennent mouiller dans les eaux de la grande île. Le commandant de cette force navale, muni des pleins pouvoirs du roi, s’établit au fort Dauphin, pour y exercer l’autorité du roi de France; mais, bientôt dégoûté, M. de La Haye reprend la mer avec ses vaisseaux, et ne laisse plus derrière lui, pour représenter la France, que le commandant Charmagou et Lacaze, agent civil, deux Français qui avaient en toutes circonstances noblement maintenu l’honneur de notre drapeau. Malheureusement ils moururent peu de temps après. M. Labretsche, gendre de M. Charmagou, hérita du commandement; mais, sentant son incapacité, il s’effraya des difficultés qui l’entouraient : il prit le parti de s’embarquer nuitamment avec sa famille, pour se soustraire à un complot des naturels qui devait éclater dans la nuit de Noël (du 24 au 25 décembre 1671). Les Français, abandonnés par leur chef, furent massacrés; quelques-uns seulement parvinrent à se sauver dans des chaloupes et à rejoindre le bâtiment sur lequel le commandant Labretsche s’était réfugié[6].

Une période assez longue s’écoule (de 1670 à 1750) sans que nous trouvions aucune trace dans les documens officiels d’un acte caractéristique de notre politique relativement à Madagascar. Des navires français continuèrent à fréquenter les ports de la côte orientale de cette île, mais à leurs risques et périls, et sans aucune protection d’un établissement à terre. Toutefois le gouvernement français, n’entendant pas laisser prescrire ses droits, renouvela souvent ses déclarations de souveraineté sur Madagascar, comme annexe de la couronne, et recommanda au gouverneur de l’Ile-de-France d’entretenir des relations suivies avec la grande île africaine en y maintenant quelques agens civils et militaires. C’est ainsi qu’en 1733, M. de Cossigny, ingénieur de l’Ile-de-France, fut envoyé à la baie d’Antongil pour y former un établissement; mais l’insalubrité du lieu fit renoncer à ce projet. M. de La Bourdonnais, en se rendant au secours de nos possessions de l’Inde en 1745, relâcha aussi dans cette même baie d’Antongil, et y trouva les moyens nécessaires pour réparer les avaries de son escadre.

Dans les années qui suivirent, quelques cessions de territoire nous furent faites par les chefs de la côte, par exemple l’île Sainte-Marie, où nous établîmes un poste qui fut massacré un an après. A Fanzahere, cédé à M. de Modave, nous n’eûmes pas plus de succès[7]. Au milieu de cette agitation stérile se détache en relief un épisode d’un caractère tout particulier, et qui exerce encore son influence sur les imaginations quand il est question de Madagascar. Nous voulons parler de l’intervention du baron Beniowski dans les affaires de cette île : Beniowski, personnage hybride, mi-nature de héros, mi-nature d’aventurier. Sans nous laisser attirer par le côté romanesque de son histoire, nous en détacherons la partie dans laquelle intervint le gouvernement français.

Évadé des prisons du Kamtschatka, Beniowski, après avoir erré à l’aventure, relâcha à l’Ile-de-France. Là son imagination s’exalta au récit des merveilles qu’on racontait de l’île de Madagascar, et tout aussitôt il conçut le projet de la coloniser; mais il ne réussit pas à inspirer confiance aux autorités de l’Ile-de-France. Il se rendit dans la métropole, parvint à se faire présenter au roi et à exposer ses plans aux ministres. Il fut écouté, et peu à peu communiqua au gouvernement une partie de l’enthousiasme qui l’animait. On lui donna le commandement d’une expédition considérable pour aller mettre ses projets à exécution. Il emmenait avec lui des volontaires de toute nation, des noirs et des blancs des deux sexes et de diverses professions. Il aborda en 1773 à la baie d’Antongil, prit solennellement possession de l’île de Madagascar et se déclara gouverneur-général au nom du roi de France. Rien n’égale l’activité qu’il déploie alors. Il assoit le chef-lieu de son établissement au fond de la baie d’Antongil, sur la rive droite et à l’embouchure de la rivière Thianbalan, et lui donne le nom de Louisbourg. Ce point était bien choisi à cause de la sûreté du port et de la proximité de la mer. Malheureusement là, comme sur les autres parties de la côte, l’insalubrité était grande. La langue de terre sur laquelle Beniowski venait de s’établir était couverte de marécages et noyée, pendant six mois de l’année, par les hautes marées de l’hivernage[8].

Cet obstacle n’arrête pas Beniowski, dont le plan est de rallier à lui quelques tribus favorablement disposées pour les étrangers, de leur fournir des armes, de les enrégimenter, de les discipliner, de leur faire sentir une autorité ferme, mais bienveillante, afin de s’en servir pour dominer toutes les autres populations de l’île. Il ouvre des routes pour assurer ses mouvemens ; il entoure son principal établissement de fortifications qui le préservent de toute surprise ; il relie entre eux des postes fortifiés et les échelonne très avant dans l’intérieur des terres. Il s’empare successivement d’Angoutzy, de l’île Marosse, de Fénériff, de Foulpointe, de Tamatave et de Manahar. Tout en ralliant ou contenant les indigènes, il empêche les navires marchands de faire la traite des esclaves, dont le gouvernement s’est réservé le monopole, et oblige ceux qui veulent trafiquer à le faire avec des marchandises et non avec des piastres, afin de donner ouverture à un commerce d’échange. Avec l’aide des naturels, Beniowski travaille à tracer des routes et à creuser des canaux. Il envoie dans l’intérieur des agens habiles pour provoquer des traités d’alliance et démontrer aux chefs du pays l’intérêt qu’ils ont à vivre en bonne intelligence avec lui. Il acquiert bientôt un si grand ascendant qu’il est pris pour arbitre par les populations qui sont en guerre les unes contre les autres. Cependant de puissantes tribus restaient en dehors de son autorité. Elles s’effraient de son pouvoir et se liguent entre elles pour obliger Beniowski à quitter la grande terre ; mais celui-ci, grâce à son habile politique, avait déjà réuni assez de forces pour résister à cette coalition. Les chefs des tribus malates du sud lui étaient complètement dévoués. Il se met à leur tête, livre plusieurs combats, et poursuit ses ennemis jusqu’à ce que, définitivement vaincus, ils lui demandent la paix.

Beniowski, fertile en expédiens, plein de sang-froid dans le danger, adroit à tirer parti de toutes les circonstances, savait même exploiter l’ignorance et la crédulité de ces populations barbares. C’est ainsi que, menacé par le fusil d’un mutin qui allait tirer sur lui à bout portant, il s’écrie dans la langue du pays : « Coquin, ton arme ne partira pas! » Le hasard ayant confirmé cette prédiction, tous les naturels épouvantés s’enfuirent, convaincus que Beniowski était un être surnaturel. De même il laissait ou faisait répandre le bruit par une vieille Malgache ramenée de l’Ile-de-France que, vendue avec la fille de Rimini, le dernier chef suprême de la province de Manahar, elle reconnaissait en Beniowski le fils de cette princesse, et par conséquent l’héritier de la dignité souveraine. Ce conte eut sur ce peuple superstitieux toute l’influence d’une légende nationale; les chefs eux-mêmes voulurent proclamer roi le prétendu descendant de Rimini.

Quel instrument puissant qu’un homme tel que Beniowski, si la France avait su s’en servir! Mais l’administration de l’Ile-de-France ne cessa pas de le contrarier et de lui susciter des difficultés. Elle ne voulait rien laisser à son initiative et prétendait qu’il relevait de son autorité. Beniowski lui répondait inutilement en produisant ses instructions, d’après lesquelles il n’avait de compte à rendre qu’au ministre. Ce débat fut soumis à M. de Sartiges, ministre de la marine, qui le résolut en faveur de Beniowski. Cette décision ne fit qu’irriter l’administration de l’Ile-de-France, qui redoubla d’hostilité contre l’entreprise. Beniowski, ne se sentant plus appuyé par la mère-patrie, se fit déclarer roi de Madagascar. Les chefs du pays, préparés par les fables de la vieille Malgache et par des prédictions habilement répandues dans l’île, se réunirent dans un kabar (assemblée générale)! le 17 septembre 1776 et élevèrent Beniowski à la dignité d’ampan-zaka-bé (chef suprême). Tous les princes et rois de la côte orientale, depuis le camp d’Ambre jusqu’au cap Sainte-Marie, composaient cette assemblée, où plus de cinquante mille Malgaches se prosternèrent devant leur nouveau souverain.

Cependant Beniowski ne se prêta à son nouveau rôle qu’après s’être démis régulièrement de ses fonctions de gouverneur-général entre les mains des commissaires envoyés par le gouverneur de l’Ile-de-France et en avoir retiré un certificat constatant la régularité de son administration. Il voulait certainement, au moyen de sa nouvelle dignité, qui le mettait hors de pair vis-à-vis des chefs indigènes, se dégager de tout lien avec l’Ile-de-France et asseoir sur toute l’île de Madagascar-la puissance française. C’est ainsi qu’avec la constitution qu’il donna à ses peuples, son premier acte fut de proposer un traité d’alliance et de commerce avec la France. Il voulut même partir pour négocier ce traité, malgré les remontrances de ses partisans qui lui annonçaient que par cette démarche il courait à sa perte. Beniowski revint en France. Il eut des conférences avec les membres du gouvernement, mais il ne put dissiper les préventions que les rapports de l’Ile-de-France avaient excitées contre lui. Dégoûté, il alla porter ses projets aux autres cours de l’Europe, et après une propagande inutile qui dura plusieurs années il partit pour Nossibé, où les chefs malgaches accoururent avec un enthousiasme et un dévouement que n’avait pu affaiblir une absence de huit années. Nous ne le suivrons pas dans la nouvelle tentative qu’il fit en 1786 à Angoutzy, où il voulut fonder un établissement pour son compte et celui de quelques particuliers. Il n’était plus le représentant de notre gouvernement, et les autorités de l’Ile-de-France pouvaient satisfaire leurs ressentimens contre lui. Elles envoyèrent une expédition contre Beniowski, qui, au lieu des honneurs et des récompenses qu’il avait mérités, reçut la mort dans un combat d’une main française[9].

Si nous nous sommes arrêté sur cette intervention du baron Beniowski dans nos relations avec Madagascar, c’est que nous avons reconnu en lui les traits du génie colonisateur. Il était de la race des Clive et des Hastings, de ces chefs intrépides chez qui de grandes vertus se combinent avec de grands vices, combinaison peut-être indispensable pour dominer des populations barbares et superstitieuses. La France aurait pu, en soutenant et en encourageant Beniowski, établir définitivement sa souveraineté sur Madagascar ; mais, distraite par la guerre d’Amérique, elle laissa cet homme énergique épuiser dans un effort stérile ses grandes facultés et d’immenses ressources.


II

Après l’abandon des établissemens fondés par Beniowski dans la baie d’Antongil, la France n’eut plus qu’un commerce de traite avec Madagascar, et se borna à y conserver, sous la protection d’un agent commercial et d’un petit nombre de soldats, quelques postes pour assurer l’approvisionnement en riz, en bœufs et en salaisons de nos colonies de l’Ile-de-France et de Bourbon. Pendant les guerres de l’empire, ces postes se concentrèrent à Tamatave. En 1810, les îles de France et de Bourbon tombèrent aux mains des Anglais, et en 1811 Tamatave se rendit à une division anglaise. Les forts que nous avions élevés furent détruits, et les vainqueurs, décimés par les fièvres, abandonnèrent bientôt le pays aux indigènes.

Telle était la situation quand fut signé le traité de Paris le 30 mai 1814. Ce traité nous rendait nos droits sur Madagascar, car l’article 8 stipulait la restitution des établissemens de tout genre que nous possédions hors de l’Europe avant 1792, à l’exception de certaines possessions au nombre desquelles ne figure pas l’île africaine ; mais, cet article portant en même temps cession à la Grande-Bretagne de l’Ile-de-France et de ses dépendances, quelques personnes prétendirent que cette cession comprenait les établissemens de Madagascar, comme ayant été rangés parmi les dépendances de l’Ile-de-France antérieurement à 1792. Sir Robert Farquhar, alors gouverneur de Maurice, soutint vivement cette opinion.

Cette interprétation erronée du traité de Paris donna lieu à un échange de notes entre les cours de France et d’Angleterre. Cependant le gouvernement anglais reconnut que la prétention élevée par son représentant, sir Robert Farquhar, n’était nullement fondée, et il ordonna à ce fonctionnaire de remettre immédiatement à l’administration de Bourbon les établissemens que le gouvernement français possédait sur les côtes de l’île de Madagascar avant l’année 1792[10]. A la suite de cette rétrocession, le ministre de la marine nomma une commission pour examiner quel parti la France pouvait tirer de ses anciennes possessions de Madagascar. Cette commission proposa de fonder un établissement colonial sur la côte orientale « pour étendre les relations de notre commerce, donner une plus grande activité à notre navigation, ouvrir des débouchés aux produits de l’agriculture et de l’industrie, et fournir des moyens d’existence à l’excédant de la population du royaume, qui commençait à prendre un accroissement inquiétant pour l’avenir[11]! »

Le plan consistait à s’établir d’abord dans l’île de Sainte-Marie, séparée de la grande terre par un bras de mer très étroit, et qui possède une belle rade, d’un accès facile en tout temps, puis, aussitôt que ce premier établissement serait consolidé, à occuper le port de Tintingue, situé en face de Sainte-Marie, sur le littoral de la grande île, et susceptible de devenir un grand arsenal maritime, à s’avancer de là et à s’étendre dans l’intérieur au fur et à mesure que les moyens de colonisation seraient assurés, à employer à la culture les naturels, en les traitant soit comme esclaves, soit comme des engagés auxquels l’affranchissement serait donné après quatorze ans de service, et auxquels on réserverait une part dans la distribution des terres.

Avant de mettre ce plan à exécution, M. le comte Mole, devenu ministre de la marine, fit explorer la côte orientale de Madagascar. Parmi les explorateurs figurait M. le baron de Mackau, alors capitaine de frégate. Tamatave, Foulpointe, Sainte-Marie, Tintingue et tout le littoral furent visités. La commission d’exploration prit même possession solennellement, en présence des chefs du pays, réunis en kabar, de Tintingue et de Sainte-Marie. Plus tard Saint-Luce et le fort Dauphin furent réoccupés et reçurent une garnison française. Cependant les dures expériences que nous avions faites ne devaient point nous servir. L’expédition de 1821, qui suivit l’exploration dont nous venons de parler, ne fut pas conduite plus prudemment que les précédentes. Elle arriva pendant la mauvaise saison ; on était en plein hivernage. Les maladies attaquèrent les Français avant qu’ils eussent construit les bâtimens .qui devaient leur servir d’abri. La mortalité fut si grande qu’ils durent renoncer à l’occupation de Tintingue, base de toutes leurs opérations. Ils restèrent à Sainte-Marie et se bornèrent à recevoir en kabar à la Pointe-Larré des déclarations d’obéissance au roi de France de la part de plusieurs chefs de la côte est.

Cependant le gouverneur de l’Ile-de-France se préparait à susciter à notre expédition les plus graves embarras. Sir Robert Farquhar était un de ces agens que l’Angleterre trouve toujours à son service, qui s’inspirent de leur patriotisme, prennent résolument l’initiative d’une politique qu’ils jugent utile aux intérêts de leur pays, sauf à se laisser désavouer quand, pour des considérations supérieures, leur gouvernement juge avantageux de le faire. Après les ordres qu’il avait reçus de ne pas considérer comme dépendance de la colonie de Maurice les établissemens français de Madagascar, sir Robert Farquhar imagina d’infirmer les droits de la France par une souveraineté de fait. Il rencontra dans Radama un instrument merveilleusement propre à seconder son dessein.

En 1813, Radama avait succédé à son père, roi des Hovas, qui avait soumis successivement par les armes plusieurs peuplades voisines et grossi le nombre de ses sujets. Radama, actif et ferme, avait l’ambition d’agrandir encore ses états par de nouvelles conquêtes. Sir Robert Farquhar le choisit pour en faire le pivot de toute sa politique contre la France. Il lui envoie un agent de la Grande-Bretagne nommé Hastié, qu’il a initié à ses plus secrètes pensées. Il lui donne pour mission d’entretenir Radama dans le désir d’être seul souverain de la grande île, d’avoir des ports, une armée, peut-être même une marine. Ces vues ne pouvaient manquer de flatter les sentimens du roi des Hovas. Hastié, pour assurer son succès, était chargé de riches présens, et pouvait promettre des subsides à l’allié de l’Angleterre[12]. Bientôt des officiers anglais vont rejoindre Hastié, qui les fait accueillir par Radama pour organiser et instruire ses troupes; puis viennent des missionnaires qui, en répandant les préceptes de la Bible, propagent la politique du gouverneur de Maurice. Il fallait toutefois une sanction éclatante à ces habiles manœuvres. Sir Robert Farquhar la trouva dans un traité qu’il fit signer à Radama pour la suppression de la traite des noirs, traité dans lequel Radama figure comme roi de Madagascar. Sous prétexte de l’indemniser des sacrifices qu’il fait, mais bien plutôt pour le tenir sous la dépendance de l’Angleterre, ce même traité alloue à Radama une pension annuelle de 60,000 piastres.

Après cet acte, sir Robert Farquhar ne craint pas de démasquer son dessein. En novembre 1821, il envoie à Sainte-Marie un bâtiment de guerre demander à quel titre nous y sommes installés et quels sont nos projets sur Madagascar. Le commandant répond qu’il est là par les ordres du roi de France, que tout le littoral oriental de Madagascar appartient à sa couronne, et qu’il proteste à l’avance contre toute atteinte qui serait portée à ces droits. C’était l’occasion que cherchait sir Robert Farquhar de proclamer la politique qu’il venait de faire triompher à Émyrne. En conséquence il déclare qu’il « ne considère Madagascar que comme une puissance indépendante actuellement unie avec le roi d’Angleterre par des traités d’alliance et d’amitié, et sur le littoral de laquelle aucune nation n’avait de droits de propriété, hors ceux que cette puissance serait disposée à admettre, — que cette puissance avait notifié au gouvernement de Maurice et au commandant des forces navales britanniques dans ces mers qu’elle ne reconnaissait de droits de propriété à aucune nation européenne[13]. »

Radama, fort de l’appui que lui donnait une pareille déclaration, veut rendre effective sa souveraineté sur toute l’île; guidé par Hastié et aidé par les officiers anglais, sans égard pour les protestations de notre commandant à Sainte-Marie, il marche à la tête d’une armée qui, grossissant chaque jour, atteint le chiffre de cinquante mille hommes sur la Pointe-Larré, s’empare de Tintingue, qu’il incendie, soumet à sa puissance tous les chefs qui s’étaient prononcés pour nous, pille les approvisionnemens de notre établissement de Sainte-Marie, puis, pour mettre le comble à notre humiliation, pénètre au fort Dauphin, fait prisonnier l’officier français qui y commande, abat outrageusement notre drapeau, et force la garnison à se réfugier sur un îlot voisin.

Passons vite sur les événemens qui s’accomplirent de 1820 à 1826, sous l’influence anglaise et par l’entremise de Radama. Il serait trop long de raconter en détail la tactique mise en œuvre par nos rivaux pour miner notre autorité, et trop triste d’insister sur le peu de vigilance que nous mîmes à déjouer leurs manœuvres. Notre situation devint telle que, pour faire subsister notre petit établissement de Sainte-Marie, nous fûmes obligés de payer une sorte de tribut, sous la forme de droits de douane, à ceux qui nous avaient expulsés de la grande île dont nous nous disions les souverains. Enfin en 1826 le gouvernement métropolitain, averti de cet état de choses, résolut de tirer une vengeance exemplaire des insultes faites à notre honneur national. Vers la même époque, un événement considérable s’était produit à Madagascar. Radama était mort à l’âge de trente-sept ans. Ses héritiers directs et ceux de ses parens qui pouvaient prétendre à lui succéder avaient été égorgés, et la faction qui avait commis ces meurtres avait appelé au trône Ranavalo, une des femmes de Radama. Une certaine hésitation se manifestait en ce moment dans l’attitude du peuple hova. Une portion voulait changer la forme du gouvernement, abandonner les conquêtes de Radama et entretenir des rapports réguliers avec les étrangers; l’autre, subjuguée par la faction militaire qui avait proclamé Ranavalo, voulait la domination générale sur toutes les tribus de l’île et la continuation du système précédent. Cette partie du peuple l’emporta et exigea de la nouvelle reine le serment de ne jamais consentir aucune cession du territoire de Madagascar aux étrangers.

L’expédition qui partit des ports de France, placée sous les ordres du commandant Gourbeyre, se composait de deux frégates, de deux corvettes et de deux bricks, et devait rallier quelques bâtimens de nos stations du Brésil et de Bourbon. Elle avait ses équipages complets sur le pied de guerre, deux compagnies de Yoloffs[14] et les garnisons de Bourbon et de Sainte-Marie comme troupe de débarquement. L’expédition se présenta d’abord à Tamatave, où elle essaya d’entrer en pourparlers avec les chefs représentans de la reine, puis débarqua à Tintingue, où elle se fortifia. Sommé par les gens de la reine d’expliquer les motifs de cette attitude, le commandant Gourbeyre répondit en invoquant nos droits et en annonçant qu’il irait prochainement à Tamatave exiger le redressement de nos griefs. La division en effet se rendit bientôt à Tamatave, détruisit ses forts et chassa les Hdvas, qui les occupaient. De là M. Gourbeyre se dirigea sur Foulpointe; mais, après avoir délogé l’ennemi des batteries qu’il avait élevées, nos troupes mises à terre furent assaillies par une décharge à mitraille de plusieurs pièces de canon, et malgré le courage de leurs chefs ramenées en grand désordre jusqu’au rivage. Il fallait réparer cet échec. A cet effet, le commandant Gourbeyre se dirigea sur la Pointe-Larré, d’où les Hovas menaçaient tout à la fois nos établissemens de Tintingue et de Sainte-Marie. Après un combat acharné, dans lequel les canonniers ennemis se firent tuer sur leurs pièces, le pavillon français fut arboré sur le fort ruiné des Hovas.

Il aurait fallu poursuivre ces succès pour qu’ils ne demeurassent pas stériles. Malheureusement nos moyens militaires étaient trop limités; les vivres de nos navires étaient épuisés, nos équipages et nos troupes étaient décimés par les maladies, et l’hivernage allait commencer ses ravages habituels. M. Gourbeyre prit quelques dispositions pour mettre Tintingue et Sainte-Marie en état de défense, puis revint à Bourbon pour réunir les moyens d’entreprendre une seconde campagne ; mais le ministère de la marine ne voulut pas s’engager plus avant dans la voie des hostilités. M. de Chabrol, qui le dirigeait, donna des instructions au gouverneur de Bourbon pour que la politique française changeât complètement d’attitude à l’égard des Hovas[15]. Sans craindre de prendre le rôle de vaincu, le gouvernement français envoya plusieurs agens à Tananarive pour offrir la paix; mais ils ne furent pas même reçus. M. le prince de Polignac, dans une lettre à la reine Ranavalo, n’hésita point à lui demander son alliance, à lui promettre de la part de sa majesté très chrétienne de lui fournir abondamment des armes et des munitions, des subsides, des officiers instructeurs pour discipliner ses troupes, à la seule condition de nous accorder le droit de fonder de grands établissemens dans la baie de Saint-Augustin, dans celle de Diego-Suarez et dans deux ou trois autres ports de l’île[16]. Nous voilà donc, après la proclamation si souvent répétée de nos droits de souveraineté, après plusieurs entreprises à main armée, réduits à demander ou plutôt à solliciter du souverain de fait la permission d’occuper quelques points de la côte, et nous lui offrons en retour de lui payer une sorte de redevance! Ces propositions, si peu dignes de la France, n’étaient pas même accueillies, et la reine Ranavalo, fidèle à son serment, ne voulait entendre parler d’aucune cession de territoire.

Tels étaient nos rapports avec Madagascar quand éclata la révolution de 1830. Le nouveau gouvernement pensa que l’insalubrité ne permettait pas de conserver Tintingue, où la moitié de la garnison française avait déjà succombé; il ordonna l’abandon de ce poste[17]. En même temps les troupes et les bâtimens qui avaient servi lors de la dernière expédition rentrèrent en France, et le gouverneur de Bourbon reçut l’ordre de s’abstenir désormais de discuter la question de souveraineté, pour s’appliquer à rétablir sur le meilleur pied les relations commerciales avec Madagascar.

Jusqu’à présent, nous n’avons vu se produire dans notre politique que l’action du pouvoir exécutif; nous entrons dans une période où celle des chambres va exercer sa part d’influence. Le gouvernement du roi Louis-Philippe avait à faire face à de nombreuses difficultés. Il savait le mauvais vouloir de quelques-unes des puissances européennes, mauvais vouloir que provoquait son origine; il avait à satisfaire aux dépenses et aux nécessités que lui imposait l’héritage glorieux, mais onéreux de la conquête de l’Algérie; pour ne pas s’affaiblir devant l’Europe, pour être toujours prêt à faire ce que l’honneur et la politique lui commandaient, il lui importait d’avoir en toute occasion disponibles sous sa main les forces de terre et de mer. Le gouvernement de 1830 avait le sentiment de cette situation, et les chambres le partageaient. On se décida en conséquence à prendre vis-à-vis de Madagascar une attitude d’expectative; mais pour que cette attitude ne fût pas considérée comme un abandon de nos intérêts, elle fut accompagnée de certains actes qui dessinaient notre politique. On se fit céder par la reine des Sakalaves les îles de Nossi-Bé et de Nossi-Cumba dans le canal de Mozambique et à quelques kilomètres seulement de la côte, et tous les droits de souveraineté sur le littoral occidental de Madagascar. On obtint aussi, par un traité passé avec le sultan Andian-Souli, la possession de Mayotte, la plus importante de ces acquisitions[18].

Le nouveau plan consistait à enserrer la grande île dans une ceinture de stations où flotterait notre pavillon et où nous donnerions protection et refuge aux populations qui tenteraient de secouer le joug des Hovas. Ces petits établissemens, outre l’avantage d’assurer l’approvisionnement alimentaire en riz et en bétail de notre colonie de Bourbon, devaient inspirer confiance à nos alliés les Betsimsaracs, les Batanimènes, les Sakalaves, destinés un jour à nous servir d’auxiliaires, si nous voulions revendiquer nos droits sur Madagascar. Mayotte avait une valeur particulière. Non-seulement elle pouvait concourir à la réalisation de nos vues, mais de plus elle nous offrait la possibilité de créer un port de refuge à nos navires de commerce et à nos escadres au moyen d’une belle rade, qu’il était facile de défendre avec quelques travaux de fortification.

Cet état d’observation fut maintenu jusqu’en 1844; mais à cette époque survint un événement qui nous obligea de nous en départir. Une petite colonie de commerçans français et anglais, succursale en quelque sorte de Maurice et de Bourbon, s’était établie sur la côte est de Madagascar. Tamatave était le centre de ses affaires. Ces traitans respectaient les lois du pays et restaient étrangers aux querelles locales, afin de ne causer aucun ombrage au gouvernement soupçonneux de la reine Ranavalo. Ils avaient acquis des emplacemens plus ou moins importans et créé des comptoirs. Rien ne faisait prévoir un changement dans nos rapports avec les agens de Ranavalo, lorsque sans motif, sans aucun prétexte même déguisé, le gouverneur de Tamatave notifia aux traitans l’ordre de quitter le territoire dans le délai de quinze jours, à moins de se soumettre à une loi de la reine qui les obligeait de livrer leurs propriétés, de prendre le rang et le costume de la dernière classe de la population, de faire des corvées, d’être astreints à l’épreuve du tanguin en cas de délit, enfin de se soumettre à toutes les coutumes barbares du vasselage malgache. Contre une pareille menace, les traitans réclamèrent la protection des gouverneurs de Maurice et de Bourbon. Les gouverneurs répondirent à cet appel. Le capitaine de vaisseau Romain-Desfossés[19] avec le Berceau et la Zélée, le Commodore Kelly sur la frégate anglaise Conway, se présentèrent devant Tamatave. Ils demandèrent un sursis d’un an à l’exécution de la mesure. L’officier anglais invoqua les traités d’amitié qui existaient entre le gouvernement d’Émyrne et celui de la Grande-Bretagne : rien ne put ébranler la résolution des Hovas. Il fallut donc recourir à la force.

Les bâtimens ouvrirent leur feu contre le fort de Tamatave, qui répondit avec énergie. Au bout de deux heures, le feu de l’ennemi se ralentit. Alors des canots, formés sur une ligne, débarquèrent, malgré des décharges à mitraille, des soldats et des matelots des deux nations. L’assaut étant ordonné, ils s’élancèrent sous le feu des batteries, et en peu de temps se rendirent maîtres des ouvrages extérieurs; mais le grand fort restait à prendre : pour s’en emparer, il fallait de l’artillerie de siège, car les canons dont on disposait ne pouvaient rien contre une maçonnerie aussi solide. Les Anglais et les Français, après un feu de mousqueterie bien nourri dirigé sur les embrasures et sur les servans des pièces, reconnurent l’inutilité de leurs attaques et l’impossibilité de pénétrer dans le fort. Leurs chefs les rallièrent sous la protection des bâtimens, et bientôt les ramenèrent à bord. Les Hovas, restés maîtres de la position, quoiqu’ils eussent perdu beaucoup de monde, proclamèrent leur victoire contre la France et l’Angleterre réunies. En signe de triomphe, ils étalèrent sur la plage, à la vue des équipages qui appareillaient pour retourner à Maurice et à Bourbon, les têtes des Anglais et des Français tombés sur le champ de bataille.

Ainsi donc cette opération militaire, quoique conduite avec vigueur et prudence par le commandant Romain-Desfossés, n’aboutissait, faute de moyens, qu’à un résultat insuffisant. Dès que cet événement fut connu en France, on jugea qu’une répression vigoureuse devait être infligée aux Hovas pour rétablir le prestige de nos armes. Le ministre de la marine organisa une expédition sur de très larges bases : trois mille deux cents combattans appartenant aux armes de l’infanterie, de l’artillerie et du génie, joints à des équipages de ligne, composaient les troupes de débarquement. La force navale qui appuyait l’expédition comprenait deux vaisseaux, deux frégates et des bâtimens de transport. Le commandement des forces de terre était confié au général Duvivier, qui avait acquis en Algérie une grande réputation d’énergie et d’habileté, celui des forces navales au capitaine de vaisseau Romain-Desfossés, qui avait à venger ses compagnons d’armes tués à Tamatave. Les instructions qui leur étaient remises indiquaient en termes précis le but que se proposait le gouvernement français. « Attaquer les Hovas à la côte orientale de Madagascar, où leur domination est principalement établie, où de récentes agressions, incomplètement vengées, nous appellent surtout à agir, détruire les ouvrages fortifiés élevés sur cette côte et frapper nos ennemis dans ces retraites où une longue impunité leur fait voir un sûr abri, tel est le but militaire que se propose le gouvernement. Vous ne perdrez pas de vue, général, ajoutait-on, que, pour donner à la France cette satisfaction d’honneur, la seule que vous ayez mission d’obtenir, pour la lui donner complète, il faut que chacun des coups que vous porterez soit décisif, que chaque combat soit pour nous un succès, pour les Hovas une défaite, une déroute manifeste[20].» Dans des instructions plus confidentielles encore, le ministre de la marine insistait sur ce point, que la France ne se proposait aucune occupation, aucune conquête, pas même la restauration de ses anciens établissemens.

Le département de la marine avait entouré d’un profond mystère tous les préparatifs de l’expédition. La curiosité du public, mal satisfaite, se plut à soupçonner les plus vastes projets, et le monde politique à craindre que le gouvernement ne voulût engager les forces et les finances du pays dans une entreprise téméraire. C’est dans cette disposition d’esprit que le débat sur les affaires de Madagascar fut porté à la tribune dans la discussion de l’adresse à l’ouverture de la session de 1846. Que ceux qui veulent savoir comment un gouvernement de libre discussion empêche les expéditions lointaines, lorsqu’elles ne sont pas commandées par un intérêt sérieux du pays, relisent avec attention la mémorable discussion qui s’éleva en cette circonstance.

L’opposition se recruta sur tous les bancs de la chambre. Les objections néanmoins étaient d’une nature diverse. Les uns condamnaient l’expédition, parce que les renseignemens fournis pour la justifier étaient insuffisans. Cette lacune faisait supposer des vues secrètes qu’on n’osait pas laisser entrevoir; probablement il ne s’agissait pas, comme le disait le gouvernement, de protéger nos traitans et nos petits établissemens aux alentours de Madagascar, mais de faire la conquête de la grande île africaine; c’était une manière de soustraire au contrôle législatif une politique dangereuse, compromettante pour nos finances. D’autres allaient plus loin, et dénonçaient tout un plan de conquête en produisant les pièces à l’appui. C’était une adresse au roi du conseil-général de Bourbon, qui demandait en termes exprès que la France se chargeât de la colonisation de Madagascar. Le combat de Tamatave n’était qu’une sorte d’introduction de la question; maintenant, en invoquant l’honneur national, la colonie se promettait bien d’entraîner la métropole à suivre l’entreprise jusqu’au bout. En résumé, on plaçait le gouvernement dans un dilemme. On lui disait : Les forces que vous avez réunies s’empareront des positions de la côte de Madagascar; que ferez-vous alors? Si vous évacuez, ce sera la répétition de tous les coups sans portée que nous avons si souvent dirigés contre cette contrée lointaine; si vous restez, vous exposez vos matelots et vos soldats à une immolation sans gloire dont se chargera l’implacable climat de ces côtes inhospitalières. Voilà le beau résultat d’un duel d’honneur que vous acceptez de la reine Ranavalo, comme si notre honneur pouvait être engagé avec elle[21] !

Toutefois, si les argumens variaient, les conclusions étaient les mêmes : les orateurs qui blâmaient l’expédition s’appuyaient sur des motifs différens, mais tous demandaient que les droits de souveraineté de la France sur Madagascar fussent scrupuleusement maintenus[22]. Un des organes importans de l’opposition d’alors, M. Billault, formula même cette double pensée dans un amendement qui fut introduit dans l’adresse, et qui était ainsi conçu : « La France n’abandonne aucun de ses droits. Elle ne se refuse à aucun des sacrifices que lui imposent des intérêts aussi graves; mais elle attend de la prudence de son gouvernement qu’il ne s’engage pas sans la nécessité la plus absolue dans de lointaines et onéreuses expéditions. » Cette rédaction fut votée à une immense majorité, M. Billault ayant déclaré qu’il n’en faisait pas l’objet d’un blâme indirect contre le cabinet. Le ministère se le tint pour dit : l’expédition fut abandonnée. Il y avait une autre satisfaction à donner à la chambre : c’était d’empêcher une action isolée de la part de l’Angleterre, qui pourrait mettre en doute les droits de la France sur Madagascar. Le cabinet de Paris s’empressa de s’en expliquer avec celui de Londres. Lord Aberdeen, qui dirigeait la politique étrangère de la Grande-Bretagne, ne fit aucune difficulté de donner l’assurance à M. Guizot que des instructions allaient être immédiatement transmises au gouverneur de Maurice et au commandant des forces navales pour ordonner positivement de s’abstenir de toute démonstration contre Madagascar[23].

Cet épisode de notre histoire parlementaire est-il la preuve que les grandes choses sont impossibles sous un régime de discussion ? Il est très vrai que le gouvernement représentatif ne se montre pas disposé à sacrifier le présent à l’avenir, qu’il n’a pas les coudées franches pour engager au loin les finances et les forces du pays, comme les gouvernemens absolus; il est très vrai qu’il est plus lent, plus circonspect, parce qu’à chaque instant il faut qu’il justifie ses actes et dégage sa responsabilité. Néanmoins ces conditions font sa force, car par elles il associe à ses résolutions la nation tout entière; il agit non pas sous le mobile d’une pensée qui reste individuelle, quelque souveraine qu’elle soit, mais sous l’impulsion d’un sentiment public. L’histoire aussi témoigne qu’en fait de grandeur cette forme de gouvernement ne craint aucune comparaison.

A partir de ce moment, la France reprit à Madagascar sa politique d’observation.


III

Depuis cette époque jusqu’à la mort de la reine Ranavalo, survenue en août 1861, nos rapports avec la grande île africaine se sont maintenus dans une sorte de régularité paisible. Les Hovas ne commirent pendant cette période qu’un seul acte d’hostilité : en 1849, ils dirigèrent une expédition contre notre établissement de Nossi-Bé; mais ils furent vivement repoussés. Une sorte de tolérance s’était même peu à peu introduite dans la politique du gouvernement d’Émyrne[24] à l’égard des étrangers. Assuré que la France avait abandonné ses projets de conquête, puis, subissant l’influence plus ou moins directe de quelques Européens qui avaient réussi à inspirer confiance à la reine, il laissait dormir la terrible loi contre les étrangers. Quelques Français conduits par l’esprit d’aventure ou par leurs intérêts, tels que MM. Delastelle, de Rontaunay, Laborde, avaient préparé cet heureux changement. M. Laborde, particulièrement appelé par la reine pour établir une manufacture d’armes, ne s’était pas borné à fondre des pièces d’artillerie ; il avait aussi établi des hauts-fourneaux pour la fonte des minerais de fer, créé une verrerie et une belle magnanerie. Patient et ingénieux, il était parvenu à transformer les soldats hovas en maçons, en tailleurs de pierre, en charpentiers; il leur avait appris à faire de la chaux, des briques, des charpentes et de la menuiserie[25].

Le calme dont profitaient ainsi les étrangers était dû à l’énergie que la reine déployait dans le gouvernement intérieur de l’île; mais cette énergie était poussée souvent jusqu’à la cruauté. Le règne de Ranavalo fut sanglant. Sa tyrannie s’exerça sans merci contre les populations qui avaient, en maintes circonstances, tenté de reconquérir leur autonomie. Au moindre signe d’insubordination, elle recourait aux plus terribles répressions, et l’idée du châtiment glaçait de terreur toutes les tribus. Quand la reine mourut, elle laissa deux partis en présence au milieu d’une population terrifiée. A la tête de l’un était son fils Rakoto, à qui elle témoignait une grande tendresse. Ce prince, d’un caractère bienveillant et facile, porté par instinct plus que par raison aux actes de générosité et animé de sentimens humains, ralliait à lui tous ceux qui désiraient la fin du régime despotique. Les étrangers qui étaient parvenus à se faire tolérer à Tananarive, les quelques missionnaires méthodistes et catholiques qui y résidaient, recevaient des marques de sa protection et mettaient en lui leur espoir. Un Français, M. Lambert, chez qui les sentimens de la nationalité avaient conservé toute leur énergie, vivait dans l’intimité du prince et se servait de son crédit pour l’amener à inaugurer, au moment de son avènement au trône, une politique de civilisation et de progrès tout à l’avantage de la France[26].

Un neveu de la reine, Ramboasalam, était le chef de l’autre parti; il prétendait au trône en attaquant la légitimité de la naissance de Rakoto[27]. Il était soutenu par tous ceux que leurs préjugés ou leur intérêt attachaient au maintien du règne de la terreur. Il avait associé à ses projets le principal ministre de Ranavalo et comptait sur son concours pour s’emparer des rênes du gouvernement à la mort de la reine. Ces espérances furent trompées; des dispositions militaires prises avec une grande énergie assurèrent le triomphe de Rakoto, qui monta sur le trône sous le nom de Radama II.

Le nouveau souverain n’abusa pas de la victoire, même contre ses ennemis. Il se contenta d’exiler son cousin Ramboasalam et l’ancien ministre, qui avaient tenté de lui disputer l’héritage royal. Le nouveau règne s’annonça de la manière la plus favorable. Le tanguin fut aboli[28]. Les Européens furent appelés et accueillis avec faveur. Le roi témoigna le désir de voir augmenter le nombre des écoles des missionnaires et des prêtres, et les chrétiens en petit nombre qu’on comptait parmi ses sujets purent se croire désormais en repos. M. Lambert, exilé sous le règne précédent à la suite d’un complot qui avait pour but d’obtenir par la force l’abdication de la reine en faveur de son fils, reprenait une position considérable auprès du nouveau souverain, et en usait pour nouer des rapports étroits et d’un intérêt mutuellement avantageux entre la France et sa patrie d’adoption. Il était évident que Radama II voulait ouvrir son pays à la civilisation. Ces symptômes devaient fixer l’attention des deux grandes puissances maritimes. Le gouverneur de Maurice s’empressa d’envoyer une mission à Tananarive pour complimenter Radama à l’occasion de son avènement au trône. Quelques mois après, M. le baron Brossard de Corbigny remplissait une mission semblable au nom du gouvernement français. Enfin, dans le courant de l’année 1862, le couronnement de Radama eut lieu avec une certaine solennité, et le commandant Dupré y assista comme représentant de la France.

Sur ces entrefaites, M. Lambert, qui était en possession de la confiance du roi, vint en France. Il vit l’empereur Napoléon III et ses ministres ; il leur fit connaître les dispositions favorables du nouveau souverain de Madagascar; il montra Radama animé du désir de donner accès dans ses états à tous les progrès de la civilisation, et en témoignage il produisit les concessions agricoles, industrielles et commerciales que le jeune prince avait mises en ses mains. Les tendances du roi étaient telles que rien ne paraissait plus facile que de lui faire demander le protectorat de la France. Le gouvernement français accueillit ces communications avec un vif intérêt; cependant il ne voulut en user que dans une certaine mesure. Au lieu du protectorat qu’il aurait pu obtenir, il chargea le commandant Dupré de négocier un traité d’amitié et de commerce, et au lieu d’une exploitation directe des privilèges accordés à M. Lambert, il provoqua la formation d’une compagnie qui, sous son patronage, devait s’en charger.

Le traité d’amitié et de commerce fut signé le 2 septembre 1861. Loin de nous être fait assurer par cet acte quelques immunités particulières et exceptionnelles, nous y avons inséré la clause suivante : « Tous les avantages résultant du présent traité d’amitié et de commerce seront étendus de plein droit et sans traité particulier à toutes les nations qui en réclameront le bénéfice. » Ainsi la France appelle toutes les puissances maritimes au partage des immunités que nos précédens et l’influence qu’exercent quelques-uns de nos compatriotes à Tananarive auraient pu l’autoriser à conserver exclusivement pour elle. Rien de plus libéral, rien de plus généreux, et c’est là un changement radical de notre situation dans les affaires de Madagascar.

Les détails historiques où nous avons cru devoir entrer au début de cette étude ont prouvé que, depuis Louis XIV jusqu’à ce jour, la France n’a cessé d’invoquer ses droits de souveraineté sur cette île. A des intervalles plus ou moins longs, elle a fait des actes pour exercer ou constater ces droits; dans la dernière période, comprise entre 1830 et 1848, elle a très solennellement, à plusieurs reprises, fait réserve de ces mêmes droits. Il faut donc examiner ce que valait cette revendication.

En droit des gens pas plus qu’en droit civil, nul ne peut se faire un titre à soi-même. La découverte, la conquête, les traités, sont des actes dans lesquels une nation puise son droit sur un territoire. Lorsque les nations européennes, au XVe et au XVIe siècle, se lancèrent sur les mers pour agrandir leurs états et acquérir de nouvelles possessions, il fut admis qu’elles avaient un droit sur les terres que leurs navigateurs découvraient; mais ce droit n’était pas absolu : il fallait, pour qu’il eût sa valeur, qu’elles témoignassent de leur intention d’en user par un commencement d’occupation, par une sorte de prise de possession[29]. Ainsi les Portugais, qui avaient découvert Madagascar, auraient pu, arguant de leur antériorité, arborer leur pavillon sur l’île, y fonder un établissement, et s’en déclarer souverains. Ils ne le firent pas, et leur abstention permit à la France de venir après eux faire acte de souveraineté sur cette terre. Cependant, pour que la France eût elle-même à l’égard des autres puissances un droit de propriété incontestable, elle dut appuyer sa déclaration de propriété sur un acte matériel. C’est ce qu’elle fit sous Louis XIV en occupant plusieurs points du littoral. On comprend la nécessité de l’occupation pour valider le droit; si cette condition n’était pas remplie, les nations pourraient, moyennant quelques signes extérieurs, se constituer des propriétés sur tous les points du globe sans utilité pour elles, et seulement pour empêcher d’autres d’en profiter. Le droit des gens ne reconnaît la propriété et la souveraineté d’une nation que sur les pays qu’elle occupe réellement et de fait, dans lesquels elle a formé un établissement et dont elle tire un usage actuel. «En effet, remarque Vattel, lorsque des navigateurs ont rencontré des pays déserts dans lesquels ceux des autres nations avaient dressé en passant quelques monumens pour marquer leur prise de possession, ils ne se sont pas plus mis en peine de cette vaine cérémonie que de la disposition des papes, qui partagèrent une grande partie du monde entre les couronnes de Castille et de Portugal. »

Ces droits, comme tous les droits, ont pour corollaires des obligations qui y correspondent. Il faut que la puissance qui se dit souveraine d’un pays se montre en état non-seulement de s’y faire respecter, mais de faire respecter les tiers qui peuvent être en relations avec lui. Supposons des actes de violence, des pillages accomplis dans ces contrées : à qui s’adresseront les intérêts lésés? à qui demanderont-ils réparation des dommages qu’ils auront éprouvés? Contre qui s’exerceront les représailles ou les châtimens que ces actes rendront nécessaires? Si satisfaction ne leur est pas donnée, si dans le pays il ne se trouve pas une représentation officielle et responsable de la souveraineté, si le prétendu souverain n’y occupe pas une position matérielle qui permette de s’en rapporter à lui pour réparer les torts causés et en prévenir le retour, il va de soi que le pays peut être considéré comme vacant, et que les tiers lésés se feront justice à eux-mêmes sans tenir aucun compte de cette souveraineté, plus nominale que réelle.

Nous avons à certaines époques, on l’a vu, rempli à Madagascar la condition nécessaire à l’affirmation de nos droits; mais depuis 1830, c’est-à-dire depuis plus de trente ans, la France ne possède pas un pouce de terrain dans l’île de Madagascar. Néanmoins, lors de la discussion de 1846 à la chambre des députés, plusieurs orateurs soutinrent que notre position au sujet de la grande île africaine était absolument la même que celle de l’Angleterre à l’égard de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande, la même que celle de la Hollande à Sumatra. C’était une erreur. L’Angleterre, il est vrai, n’occupe que quelques points de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande, la Hollande n’a pas absorbé dans sa domination l’autorité de tous les chefs de la grande île de l’archipel asiatique, et cependant aucune puissance européenne ne songe à contester leurs droits de souveraineté sur ces immenses possessions. Pourquoi? C’est que dans ces possessions, quelque éloignées qu’elles soient, l’Angleterre et la Hollande déploient les signes les plus manifestes de leur souveraineté. Elles n’y ont pas seulement arboré leur drapeau : elles y ont constitué des autorités qui les représentent et qui relèvent directement de leur couronne; elles y entretiennent des forces nationales et y exercent leur pouvoir d’une manière assez efficace pour qu’à l’intérieur comme à l’extérieur nul n’ignore qu’elles y règnent. Que des déprédations se commettent sur les côtes de ces îles, c’est aux gouvernemens de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas que les réclamations sont adressées ; ce sont eux qui se chargent de la réparation ou de la répression. Qu’il s’agisse de règlemens maritimes, de dispositions douanières pour assurer le traitement équitable de leurs nationaux ou de leurs intérêts commerciaux, les états européens ne songent pas à traiter avec les chefs des tribus barbares ou avec les rajas qui exercent encore dans ces contrées une autorité plus ou moins étendue, mais ils entrent en négociation avec les gouvernemens anglais et hollandais, qui les couvrent de leur souveraineté.

Tel n’était pas notre rôle à Madagascar. Nous n’occupions, il faut le répéter, aucun point du territoire. Non-seulement nous n’y exercions aucun des droits de la souveraineté, mais encore nous avions laissé Radama Ier se proclamer souverain de l’île entière et y agir en cette qualité à l’intérieur et à l’extérieur. Nous n’avions pas même protesté quand l’Angleterre, au lieu de s’adresser à nous, s’était adressée à Radama Ier et avait conclu avec lui, comme roi de Madagascar, un traité pour la suppression de la traite des noirs. L’idée ne nous était pas même venue à l’esprit de soutenir qu’une pareille convention, qui touchait à la culture et à l’exploitation du pays dont nous nous disions les souverains, ne pouvait être faite qu’avec nous. Et plus tard, lorsque les Anglais avaient eu à venger leurs griefs, loin de nous en reconnaître responsables, nous nous étions considérés victimes comme eux de l’odieuse tyrannie des Hovas, et nous nous étions associés à eux pour obtenir en commun la réparation qui nous était due. Supposons que l’Angleterre eût agi seule, et que, poussant les représailles aussi énergiquement qu’elle a l’habitude de le faire, elle eût exigé du gouvernement d’Émyrne pour désarmer, à défaut d’un dédommagement pécuniaire, une cession de territoire : la France aurait-elle pu légitimement s’y opposer ? Oui, moyennant un conflit, car avec la guerre on peut tout en politique; mais en droit strict la France n’aurait rien eu à objecter à cette déclaration de l’Angleterre, qu’elle n’avait pas trouvé à Madagascar d’autre pouvoir que celui des Hovas.

Que valaient donc ces réserves si souvent répétées au sujet de Madagascar? Ce que vaut la menace éventuelle d’une grande nation quand elle l’articule aux yeux du monde entier. Pour Madagascar comme pour les puissances maritimes, c’était un avertissement, une déclaration de notre intention de reprendre à un moment donné, lorsque nous jugerions les circonstances favorables, l’exécution de nos projets d’occupation. Malgré la forme solennelle du langage, ce n’était rien de plus. Cette question de droit est d’ailleurs tranchée aujourd’hui par le traité d’amitié et de commerce du 2 septembre 1861. Par cet acte, où Radama II est intervenu comme roi de Madagascar, nous avons reconnu sans restriction sa souveraineté sur toute l’île. A la suite de cette reconnaissance, deux consuls ont été accrédités auprès de lui, — l’un qui réside à Tananarive, l’autre à Tamatave, — qui n’exercent leurs fonctions qu’en vertu d’un exequatur délivré par le souverain réel.


IV

Depuis, une révolution a éclaté dans laquelle Radama a péri sous les coups du parti hostile au progrès. La nouvelle de cette révolution est arrivée en France au moment où le commandant Dupré portait à Tananarive la ratification du traité[30]. On imaginerait difficilement un drame plus horrible que la mort de Radama II. C’est une sombre scène du moyen âge dont, à notre grand étonnement, nous nous trouvons les contemporains.

Plusieurs semaines avant la catastrophe, d’étranges symptômes l’annonçaient. On voyait courir par les rues de Tananarive des individus en proie à des hallucinations réelles ou feintes, et dont les gestes et les convulsions étaient un objet de terreur pour la foule. La reine Ranavalo leur apparaissait et leur ordonnait d’empêcher l’envahissement des chrétiens. Tout était mis en jeu : c’était la religion du pays, la mémoire de ses rois les plus vénérés, les coutumes et les traditions les plus sacrées du peuple, les tombeaux et les monumens de son culte qui allaient disparaître, si le nouveau gouvernement n’était pas arrêté dans ses tendances criminelles. Ce mouvement était provoqué par les prêtres des idoles et quelques chefs qui voulaient ressaisir le pouvoir.

Les actes de Radama étaient faits pour développer ces fermens de révolution. Par indifférence plutôt que par un juste sentiment de tolérance, il avait frappé d’une amende égale les provocations que les prêtres des idoles et les chrétiens s’adressaient réciproquement; il s’était entouré d’une garde de jeunes gens (les menamaso), ses favoris, auxquels il livrait les hauts emplois et les grades les plus élevés. Cet entourage affectait le plus grand mépris pour les anciens usages, et, au lieu de procéder à de sages réformes, abusait de son pouvoir pour commettre des exactions et satisfaire jusque dans le palais du roi des goûts de débauche. Radama, par les faveurs dont il les comblait, assumait sur lui la haine et l’impopularité qu’excitaient ces jeunes gens. Il était considéré comme leur chef; il semblait les encourager dans leurs désordres, leur donner une part de sa puissance en retour des plaisirs et des excès de tout genre auxquels ils l’avaient associé. Enfin il mit le comble à ces folies en promulguant une loi qui autorisait le duel et même le combat de tribu à tribu, de village à village, sans autre formalité que le consentement des deux parties. C’était légaliser la guerre civile. Le peuple s’en indigna, et les ennemis de Radama attisèrent tous ces ressentimens pour assurer leur triomphe.

Le 8 mai, le lendemain où cette loi d’anarchie est rendue, une grande agitation règne à Tananarive. Les grands chefs des Hovas et les principaux officiers de l’armée vont en députation auprès du roi et le somment, au nom du peuple, de révoquer la loi. Le roi hésite : il promet de se rendre à ce vœu, puis, revenant sur sa parole, sous le vain prétexte qu’on veut attenter à son autorité, il déclare péremptoirement que la loi sera maintenue envers et contre tous. La députation se retire pour annoncer au peuple qu’il n’a plus d’autre recours que celui des armes. Le soir, la ville est en pleine insurrection; les habitans s’arment, et la maison du premier ministre devient le centre du mouvement. Là, le plan de la révolution est arrêté. On dresse une liste de proscription qui comprend les favoris du roi; on lance des détachemens de troupes à la poursuite des coupables, avec l’ordre de les enlever au besoin de la demeure royale; on veut contraindre le roi à remettre l’autorité publique dans des mains plus respectables.

Toutes les révolutions prennent, même chez les peuples les plus civilisés, le caractère d’un acte de force et de violence. Qu’on juge de ce qu’elles doivent être chez ces peuples barbares dont les passions ont conservé toute leur énergie native ! Nous ne retracerons pas le tableau sanglant de la révolution de Madagascar. Le roi est sommé plusieurs fois de révoquer la loi qui a motivé le soulèvement; il s’y refuse. Le peuple, excité par cette résistance, enflammé par des orateurs qui le haranguent, se dirige en armes contre le palais. Il le cerne, pousse des cris de mort. Ce n’est plus le retrait de la loi qu’il lui faut, c’est la vie des menamaso. Déjà onze sont tombés sous ses coups; ce n’est pas assez, il veut que le roi lui livre ceux qui se sont réfugiés auprès de lui. Radama s’indigne d’une pareille proposition. Alors les meneurs semblent vouloir entrer en compromis avec lui; on lui offre de conserver la vie sauve à ses favoris, mais pour les tenir aux fers à perpétuité. Il s’y refuse encore. Bientôt la reine intervient dans les pourparlers et promet au nom du roi de livrer les coupables à la condition qu’on leur épargnera la vie. Ils sont remis en effet aux mains des chefs de l’insurrection au milieu des cris de mort de la foule. Cependant toute la nuit le palais reste entouré par des hommes armés. Pourquoi continuent-ils le siège de la demeure royale ? N’ont-ils pas obtenu ce qu’ils demandaient? Le lendemain, une terrible réponse est faite à ces questions. Pendant la nuit, les chefs de la révolution avaient pénétré dans le palais, et Radama périssait étranglé de leurs mains. Telle a été la fin de ce malheureux prince. Il a régné trop peu de temps pour qu’on puisse se faire de lui une opinion bien exacte. Cependant on peut dire qu’il avait des instincts généreux, une aversion très prononcée pour la tyrannie que sa mère avait exercée, qu’il était enclin par goût aux usages européens, et qu’il aurait ouvert ses états aux lumières de la civilisation. Il manquait toutefois de la persévérance et de la fermeté nécessaires à un souverain réformateur. Sa vie, amollie par les plaisirs, sa mobilité d’humeur, qui livrait le pouvoir à ses caprices et aux caprices de son entourage, le rendaient peu propre à remplir le rôle du tsar Pierre Ier, que ses amis européens avaient rêvé pour lui.

La reine Rabodo, qui a succédé à Radama II, maintiendra-t-elle le traité ratifié en 1861, ou le désavouera-t-elle sous l’influence de la faction qui l’a appelée au trône? Dans le cas où le traité serait déclaré non avenu, la France pourrait-elle reprendre son ancienne position et contester la souveraineté de la reine? D’après ce qui vient d’être dit, on voit que la France ne gagnerait pas grand’chose à reprendre sa position antérieure : aussi est-ce sans regret que nous ajoutons que cela ne lui serait pas possible. Nous avons reconnu au roi de Madagascar la qualité nécessaire pour traiter avec nous de tous les intérêts de l’île; de ce que lui ou ses successeurs n’observent pas les engagemens contractés, il n’en résulte pas qu’ils perdent cette qualité et qu’on ait le droit désormais de la leur dénier. La France pourra réclamer par voie amiable ou coercitive l’exécution du traité, elle pourra chercher dans des représailles un dédommagement du tort qui lui sera fait, et, une fois la guerre engagée, conquérir par la force la souveraineté qu’elle a reconnue dans la personne de Radama II ; mais jusque-là il y aura pour toutes les puissances maritimes, de l’aveu de la France, un roi de Madagascar tout à fait indépendant.

En toute hypothèse, il faut croire qu’instruit par un triste passé notre gouvernement ne recourra pas aux expéditions militaires. On a vu demeurer sans effet toutes les opérations tentées sur le littoral. Brûler des villages, renverser des forts, c’est là un témoignage bien inutile de notre puissance. Les Hovas, sur leur plateau au milieu de l’île, sont à l’abri de nos coups, et attendent avec confiance que nos vivres épuisés et les ravages de la maladie nous forcent à évacuer le pays comme des vaincus. Atteindre les Hovas au cœur même de leur puissance, à Tananarive, est la seule chose sérieuse qui puisse être faite ; mais qu’on songe aux difficultés. On n’arrive à Tananarive qu’en gravissant successivement une série de montagnes étagées comme des degrés et coupées dans leurs interstices par des lacs et des rivières. Du point du littoral le plus rapproché, Tamatave, à Émyme, la distance est de 400 kilomètres, et pour être franchie elle exige quinze jours de marche. On traverse des forêts immenses où les arbrisseaux qui croissent sous les grands arbres et des haies de plantes sauvages opposent à chaque pas des obstacles presque insurmontables. Il faut monter et descendre des sentiers glissans, embarrassés de racines, de troncs d’arbres et de fragmens de rochers. On rencontre des champs de riz inondés d’où s’exhalent des miasmes qui empestent l’air, et le matin il s’élève du fond des vallées de lourds brouillards qui entretiennent l’insalubrité. Avant d’arriver au pays d’Angave, dont Tananarive est le chef-lieu, il faut gravir des mamelons couronnés de petits forts : un ennemi qui s’y logerait y serait inexpugnable. Tous les villages dans cette province sont entourés de fossés taillés à pic, de 2 à 3 mètres de profondeur et de largeur ; ils ont un mur d’enceinte, et souvent à une certaine distance d’autres fossés pour servir probablement de chemins couverts à leurs défenseurs. Enfin, sur le plateau de Tananarive, d’une étendue de 50 lieues du nord au sud-est et de 35 lieues de l’est à l’ouest, se trouvent les Hovas dans des camps retranchés. C’est de là qu’ils dirigent leurs expéditions contre les tribus qui veulent se soustraire à leur domination.

L’air est plus sain, dit-on, à Tananarive que sur les côtes. Toutefois M. Brossard de Corbigny, Mme Ida Pfeiffer et même le commandant Dupré, dans sa dernière mission, y ont été atteints des fièvres du pays, qui causent le délire et attaquent le cerveau. Ce sont là, on le voit, de bien grands obstacles à la conquête. Assurément nos soldats sont capables de surmonter bien des difficultés; mais au prix de quels sacrifices faudrait-il payer la conquête de Madagascar? Que d’hommes et de millions! Il ne s’agirait pas d’envoyer quelques milliers de soldats : les Hovas sont un peuple guerrier; il faudrait employer à les vaincre une armée, la ravitailler, l’entretenir et constamment remplir les vides qui se feraient dans ses rangs. Il est plus sage de renoncer à toute idée de conquête sur la grande île africaine. Excités par quelques témérités heureuses, sachons résister à la tentation. Lancés dans une sorte d’intervention permanente dans l’extrême Orient, obligés d’organiser et de faire vivre un nouveau gouvernement au Mexique, appelés à donner une utilité pratique à notre occupation de la Basse-Cochinchine, il est temps de montrer que nous sommes maîtres de nous et que nous ne cédons pas toujours aux entraînemens militaires. Les puissances jalouses de la grandeur et de l’influence de la France pourraient seules désirer la voir s’engager dans une pareille entreprise. La situation doit être acceptée telle qu’elle est. La France a conclu un traité d’amitié et de commerce avec le gouvernement de Madagascar; une compagnie existe pour exploiter les ressources de cette grande île. Ce sont là deux instrumens puissans pour satisfaire une ambition légitime.

La durée du traité d’amitié et de commerce n’est point limitée. Il est dit dans l’article 1er : « Il y aura paix constante et amitié perpétuelle entre sa majesté l’empereur des Français, ses héritiers et successeurs d’une part, et sa majesté le roi de Madagascar, ses héritiers et successeurs d’autre part, et les sujets des deux états, sans exception de personnes, ni de lieux. » Depuis la sanglante révolution d’Emyrne, on a pu croire que le gouvernement sorti de cette révolution réagirait contre la politique de Radama II, et cette opinion ne semble que trop fondée, si l’on tient compte du caractère bien connu et des premiers actes des chefs de l’insurrection victorieuse. Leur premier soin a été de faire déclarer par la reine Rabodo le règne de Radama II nul et comme non avenu. Cependant cette déclaration de nullité, qu’ils peuvent appliquer à leurs affaires intérieures, songent-ils à l’étendre aux affaires extérieures? Ils ont acquis assez de tact politique dans leurs rapports avec les missionnaires pour savoir que lorsque Radama II a traité avec des puissances étrangères, ce n’est point un simple engagement personnel qu’il a pris, et que l’état même se trouve lié par la parole du souverain. Eux-mêmes l’ont reconnu, s’il est vrai, comme on l’a d’abord assuré, que le nouveau gouvernement de Madagascar ait déclaré que les traités seraient respectés, qu’on laisserait « subsister les relations d’affaires avec les Français et les Anglais. » Or que le traité dont M. le commandant Dupré porte la ratification à la reine soit mis à exécution et observé dans ses principales dispositions, comme nous pouvons l’exiger raisonnablement d’un gouvernement et d’une population à demi civilisés, et la France obtiendra des résultats plus certains et moins coûteux que tous ceux qu’elle pourrait espérer des chances de la guerre. Ce traité permet aux sujets des deux pays d’entrer, de résider, de circuler, de commercer dans l’autre pays, en se conformant à ses lois; ils y jouiront respectivement de tous les privilèges, immunités, avantages, accordés dans ce pays aux sujets de la nation la plus favorisée. Les sujets français auront la faculté de pratiquer ouvertement leur religion. Les missionnaires pourront librement prêcher, enseigner, construire des églises, séminaires, écoles, hôpitaux, où ils le jugeront convenable, en se conformant aux lois. Les Français auront le droit d’acheter, de vendre, de prendre à bail, de mettre en culture et en exploitation des terres, maisons, magasins, dans les états du roi de Madagascar. Les autorités locales n’interviendront pas dans les contestations entre Français ou entre Français et autres sujets chrétiens. Le consul seul en connaîtra. Enfin il est une clause qu’il est bon de signaler plus particulièrement : c’est celle qui assure aide et protection, pour l’accomplissement de leur mission, aux Français qui voyageront dans l’intérêt de la science, tels que géographes, naturalistes, ingénieurs et autres[31]. En retour, le gouvernement de l’empereur s’engage, de son côté, à fournir au roi de Madagascar les instructeurs militaires, les ingénieurs civils, conducteurs de travaux, qui lui seront demandés. De pareilles stipulations ouvrent la voie à des conquêtes pacifiques qui valent mieux, à notre sens, que celles qu’on pourrait attendre du succès de nos armes.

A la suite de la conclusion de ce traité, et en quelque sorte pour lui donner toute son efficacité, une compagnie s’est formée pour mettre en valeur les concessions faites par Radama à M. Lambert. Cette compagnie a pris le titre de Compagnie de Madagascar, foncière, industrielle et commerciale[32]. Constituée avec l’autorisation du roi de Madagascar, elle a pour but l’exploitation des mines, des forêts, des terrains situés sur les côtes et dans l’intérieur. Elle a le privilège exclusif de cette exploitation et la propriété des terres inoccupées qu’elle choisira sur le littoral et dans l’intérieur du pays pour être mises en culture. Les produits de cette exploitation jouiront du privilège de libre exportation, sans droits de sortie, et les propriétés de la compagnie seront exemptes d’impôts. Le fonds social est fixé à 50 millions; mais, par une sage réserve, il n’a été créé tout d’abord que 6,000 actions de 500 fr., réparties entre les fondateurs, avec l’interdiction de les mettre en circulation jusqu’à nouvel ordre. Avant d’appeler le public à participer à son entreprise, la compagnie a voulu apprécier par elle-même et aux risques et périls de ceux qui étaient à sa tête les chances de succès qu’elle pouvait avoir. Elle a mieux aimé conserver intacte sa responsabilité que bénéficier des primes que la notoriété financière de ses membres et la protection officiellement déclarée du gouvernement semblaient lui assurer. Elle a fait partir sur le vaisseau qui portait le commandant Dupré une commission d’ingénieurs des ponts et chaussées, d’ingénieurs dés mines, d’agriculteurs, de savans, chargée d’explorer le territoire de Madagascar et d’étudier sur place l’œuvre de colonisation qu’il s’agit d’accomplir. Cette commission serait-elle obligée de revenir sans avoir rempli sa tâche? Ce que l’on connaît de la situation du nouveau gouvernement et du caractère même des Hovas permet de croire qu’il n’en sera pas ainsi. La reine Ranavalo elle-même, malgré les mesures les plus tyranniques, n’a pu maintenir dans les dernières années de son règne les prohibitions contre les étrangers. L’influence civilisatrice s’est comme infiltrée dans son gouvernement. Des missionnaires avaient réussi à pénétrer jusque dans sa cour, et des entreprises industrielles et agricoles dirigées par des Français s’étaient constituées avec sa participation. Ce mouvement, né sous son règne et malgré les obstacles qu’elle lui suscitait, ne s’arrêtera plus, on peut hardiment le prédire, quels que soient les accidens qui paraîtront devoir le suspendre. Notre confiance à cet égard se fonde sur une particularité des mœurs et du caractère des Hovas. Depuis le souverain jusqu’au plus humble de ses sujets, ils ont tous un goût très prononcé pour le commerce, qui se traduit actuellement en une grossière cupidité. Chez eux, aucun employé civil, aucun militaire n’est salarié. Il faut que ceux qui servent administrativement ou dans l’armée pourvoient par eux-mêmes à leur existence et à celle de leur famille. Aussi les uns cultivent la terre, les autres, et c’est le plus grand nombre, se livrent à une sorte de troque des produits du sol ou se chargent de les faire transporter sur le littoral. Les chefs qui commandent sur les côtes touchent la part la plus considérable de ce trafic et y emploient les troupes sous leurs ordres. Le gouvernement lui-même, tout en proclamant la prohibition du commerce avec les étrangers, y dérogeait à chaque instant pour s’assurer des revenus au moyen de droits de douane. La reine se relâchait de ses rigueurs quand elle voyait son trésor vide.

La compagnie a tenu compte de cette situation. Elle a voulu intéresser le roi à son œuvre, non pas d’une manière indirecte, par l’effet des travaux qu’elle accomplira dans le pays, mais directement et par une redevance qu’elle lui paiera. Les statuts stipulent que 10 pour 100 des bénéfices nets réalisés appartiendront au souverain de Madagascar. C’est une chaîne d’or qui lie le nouveau gouvernement au succès de l’entreprise, et son avidité l’empêchera, selon toute apparence, de la briser. Peut-être bien ne maintiendra-t-il pas toutes les concessions faites par Radama, peut-être voudra-t-il en reprendre quelques-unes qui semblent aliéner les droits de la souveraineté ; elles pourront être modifiées, restreintes, subordonnées à de nouvelles conditions, mais elles subsisteront en principe et fourniront un aliment suffisant pour une entreprise considérable.

Enfin faut-il croire que la politique anglaise, qui n’aurait pas été étrangère, dit-on, aux terribles scènes qui ont accompagné l’avènement de la reine Rabodo, poursuivra sa victoire, et tiendra à faire avorter les projets de la compagnie? C’est encore là une opinion qui ne résiste pas à l’examen. Par de vieilles habitudes d’esprit que justifient des souvenirs dont notre histoire est remplie, on a en France la préoccupation de la jalousie de l’Angleterre. On y est persuadé que tous nos pas sont observés par elle avec une inquiétude ombrageuse, que, lorsqu’elle voit la France sur le point d’obtenir un succès, un agrandissement d’influence ou de territoire, elle se dispose à nous contrecarrer, à miner le terrain sous nos pieds, à nous susciter mille obstacles. C’est une erreur et un anachronisme. Oui, il y a encore quelque trente ans, quand la Grande-Bretagne avait foi dans son système colonial, elle préférait être seule à posséder de grands établissemens maritimes; elle voulait se réserver au loin de vastes marchés, et la compétition d’une autre puissance lui était une cause de soucis; mais depuis qu’elle a pu constater les immenses résultats que son commerce et son industrie ont retirés de la séparation de ses anciennes possessions de l’Amérique du Nord, depuis qu’elle a mis en pratique les principes de la liberté commerciale et profité de ses merveilleuses conséquences, toutes ses opinions à ce sujet se sont complètement modifiées. Pourvu que, comme le fait la France, les établissemens qui se fondent soient basés sur des institutions plus avancées, qu’ils introduisent dans les pays encore barbares les progrès de la civilisation, qu’ils y développent les germes de richesse, d’industrie et de commerce qui s’y trouvent enfouis, loin d’être inquiète d’une pareille conquête, l’Angleterre y applaudit. Pour elle aujourd’hui, toute contrée conquise à la civilisation est un débouché ouvert au commerce et à l’industrie, et elle est certaine à l’avance d’être parmi les nations modernes celle qui en tirera le plus grand profit. On rencontre, il est vrai, presque partout des missionnaires anglais comme Pritchard et William Ellis, qui nous suscitent des difficultés et se posent en adversaires systématiques de l’influence française; mais, qu’on ne s’y trompe pas, leur zèle, la plupart du temps plus mercantile que religieux, plus religieux que politique, n’est plus d’accord avec les vues et les intentions de leur gouvernement. Le champ est vaste d’ailleurs à Madagascar, et, sans se heurter, les nations peuvent y trouver de quoi satisfaire leur ambition commerciale. Cette grande île, placée sur la route du cap de Bonne-Espérance à la Mer-Rouge, au golfe Persique, à l’Hindoustan, qui commande la côte orientale d’Afrique et le canal de Mozambique, offre une escale utile à tous les navires qui parcourent ces. mers. Cette position géographique, déjà si favorable, est destinée à acquérir une bien plus grande importance par l’ouverture de l’isthme de Suez.

Jusqu’à présent, les importations à Madagascar ont été très restreintes. Elles consistent en quelques toiles bleues et blanches de l’Inde, en étoffes peintes des manufactures anglaises et françaises, en aracks provenant des distilleries de Maurice et de Bourbon, en bijouterie commune, en quincaillerie et mercerie, enfin en armes et munitions de guerre. Les exportations se sont composées de bestiaux et de riz nécessaires à l’approvisionnement de Maurice et de Bourbon, de salaisons pour le ravitaillement de nos navires marchands et des bâtimens de la marine militaire, de gomme copale et d’écaille de tortue. Mais ce mouvement commercial s’accroîtrait bien vite par les goûts et les besoins nouveaux que le contact avec les Européens ferait naître dans la population indigène, par la mise en valeur de terres actuellement abandonnées, par la culture de plantes d’une valeur commerciale, telles que l’indigotier, le cotonnier, la canne à sucre, qui croissent spontanément dans cette terre africaine, par l’exploitation du tabac, du cacao, des arbres à épices, par les essences de bois propres aux constructions navales ou à l’ébénisterie qui s’y trouvent en très grande abondance. Toutefois c’est surtout le règne minéral qui a fixé d’abord l’attention de la nouvelle compagnie. Le sol de Madagascar est parsemé de granits mêlés de fer oxydé, qu’on trouve aussi en sillons. D’après des analyses faites avec soin, c’est un minerai analogue à celui de Suède, si renommé par sa qualité exceptionnelle. On rencontre aussi à Madagascar de l’étain en filons et en sables, du mercure, soit à l’état liquide, soit à l’état de vermillon natif, du cuivre et du plomb argentifère très riche et d’une très grande pureté, et déjà employé avec succès par M. Laborde. De toutes ces sources de richesse, la plus féconde néanmoins serait celle de gisemens houillers. On en a découvert un aux environs de Bavatou-Bé, près de la baie de Passandava. Des échantillons examinés au laboratoire ont donné un rendement en coke de 55 pour 100 et en gaz combustible de 45 pour 100. Ce serait là pour la compagnie le germe d’une immense prospérité, si elle appliquait les procédés d’extraction perfectionnés à l’exploitation de ce charbon minéral, car elle aurait pour tributaires les usines à sucre de Maurice et de Bourbon et les navires à vapeur de toutes les nations qui parcourent l’Océan-Indien.

L’hydrographie de Madagascar présente des conditions aussi favorables. Des rivières sillonnent l’intérieur des terres, et sur tout le littoral des ports ouvrent des baies spacieuses aux navires qui viennent se ravitailler, ou se livrer à des opérations commerciales. Si ceux de la partie orientale que nous avons occupés, tels que Tamatave, Foulpointe, Tintingue, sont par leur insalubrité peu propices à l’établissement de comptoirs, on assure qu’il n’en est pas de même de ceux de la côte nord. Bembetock, chef-lieu des Sakalaves, cette population qui s’est toujours montrée amie des Français, Vohemarou, avec sa baie de 6 à 700 mètres de longueur et de 3 à 400 de largeur, offriraient de très bonnes conditions pour y fonder des établissemens. De tous les ports du littoral, le plus digne de fixer l’attention est celui de Diego-Juarez, situé dans le nord-ouest de Madagascar. Des rivières qui se jettent dans la baie lui ouvrent de précieuses communications avec l’intérieur des terres ; il offre un bassin dans lequel des escadres nombreuses pourraient trouver un sur abri moyennant quelques travaux de fortification peu considérables. Il a en outre l’avantage de posséder une source d’eau douce dans son voisinage. Ce port fut exploré en 1832 d’après les ordres de l’amiral de Rigny, et de l’étude à laquelle se livra un officier très distingué il résulte qu’il est doté de conditions exceptionnellement favorables pour devenir le chef-lieu d’une grande entreprise de colonisation[33].

Ce ne sont là, nous en convenons, que des vues dont la réalisation peut se faire longtemps attendre. Aujourd’hui même rien n’autorise à croire que la révolution d’Émyrne ait déroulé toutes ses conséquences. Que M. le commandant Dupré ne puisse pas remplir pacifiquement sa mission, qu’au lieu d’être reçu en ami il le soit en ennemi, que, porteur du traité ratifié par l’empereur des Français, il se voie interdire par la reine l’entrée du territoire malgache, qu’en un mot le nouveau gouvernement refuse de se reconnaître lié par les engagemens de Radama II, quelle sera la position de la France, quelle conduite devra-t-elle adopter? C’est une éventualité qu’il faut savoir envisager.

Comme nous l’avons déjà dit, la reine est obligée par le traité qu’a signé son prédécesseur. En ne le maintenant pas après qu’il a été ratifié par l’empereur des Français, elle manque au devoir le plus sacré de sa couronne et fait une injure grave au souverain qui a daigné négocier avec le gouvernement d’Émyrne; mais cet acte irrévérencieux, qui serait de la part d’une puissance respectable un outrage digne de la colère d’une grande nation, de qui émane-t-il? D’un chef de hordes à demi barbares que nous avons été peut-être trop pressés d’élever, par les rapports que nous avons noués avec lui, au-dessus de sa position, qu’est lui-même dominé par les passions grossières et les superstitions de son peuple. Agirons-nous vis-à-vis de lui comme vis-à-vis d’un ennemi qui à l’insulte peut ajouter des hostilités redoutables? Lui ferons-nous l’honneur d’armer en guerre pour lui apprendre le respect du droit des gens, qu’il ne connaît pas, qu’il n’est pas en état d’observer? S’il est une conclusion à tirer des incidens militaires et politiques dont nous avons essayé de montrer l’enchaînement, c’est que la France doit régler désormais son attitude à l’égard des Hovas sur l’estime qu’elle fait de leur gouvernement, et ne consulter dans ses relations hostiles ou pacifiques avec eux que son propre intérêt.

Il faut donc le déclarer bien haut, une sage politique et un devoir d’humanité nous conseillent également de nous abstenir de toute expédition sur le territoire de Madagascar. En reprenant toutefois cette attitude expectante, qui fut adoptée en 1846 et maintenue jusqu’à la mort de la reine Ranavalo, on en peut mieux indiquer la signification. Il est possible de la concilier avec quelques actes, qui ne seront que de légitimes représailles. Ainsi nos rapports seraient rompus non pas avec l’île de Madagascar, mais avec le gouvernement d’Émyrne. Il serait aisé au contraire de nouer des relations bienveillantes avec les populations du littoral, qui ne demandent pas mieux que de continuer à fournir des approvisionnemens alimentaires à notre colonie de la Réunion; nous leur témoignerions d’autant plus de sympathie qu’elles seraient plus disposées à secouer le joug des Hovas. Non-seulement elles recevraient de nous un appui moral dans toutes les tentatives qu’elles voudraient faire pour recouvrer leur indépendance, mais une assistance plus efficace, qui se traduirait en fourniture d’armes, en munitions de guerre, en secours matériels de toute sorte. Nous ferions plus encore : nous leur assurerions un refuge sur notre territoire, et à l’abri du pavillon français dans nos établissemens si heureusement placés de Nossi-Bé, de Nossi-Cumba, de Sainte-Marie et de Mayotte, destinés dès leur origine à la réalisation d’une pareille politique, nous rallierions bien vite autour de nous les Sakalaves, les Betsimsaracs, les Batanimènes, populations de la côte qui ont toujours été animées des meilleurs sentimens pour nous et d’une haine profonde contre les Hovas, leurs oppresseurs. Leur soulèvement entraînerait celui d’autres tribus de l’intérieur, et progressivement nous arriverions au moyen de ces auxiliaires, recrutés dans le pays même, à menacer dans sa capitale le gouvernement d’Émyrne.

Ce plan a été plusieurs fois esquissé, mais jamais on ne l’a complètement exécuté. Il est, dans sa conception première, celui de Beniowski ; on le trouve formulé dans les propositions souvent renouvelées des gouverneurs de Bourbon, des hommes qui se sont le plus sérieusement occupés de nos intérêts à Madagascar. Il s’appuie aussi sur les expériences les plus éclatantes, et sur les témoignages nombreux que fournit l’histoire des colonies les plus célèbres du globe. Ce n’est jamais directement que les peuples civilisés ont implanté leur pouvoir sur une terre encore plongée dans la barbarie; jamais ils n’ont songé à engager une lutte corps à corps avec l’ignorance, la férocité, les superstitions des peuplades sauvages : ils ont pris à leur service des instrumens analogues aux résistances et aux obstacles qu’ils avaient à vaincre ; ils ont ménagé autant qu’ils ont pu la susceptibilité de la civilisation au moyen d’intermédiaires qui s’interposaient entre elle et ses ennemis. Dupleix et lord Clive tour à tour, quand ils ont voulu asseoir la puissance de leur pays sur l’immense territoire de l’Inde, n’ont pas eu la folle prétention d’accomplir leur œuvre avec la poignée d’Européens qui se groupaient autour d’eux; mais, hommes d’état en même temps qu’énergiques capitaines, ils recrutaient sous leur protection de nombreuses populations indigènes qu’ils opposaient à d’autres forces locales, et dont ils se servaient, grâce à de savantes combinaisons, pour dominer le pays tout entier. C’est une politique semblable que nous devons pratiquer à Madagascar. Avec quelque peu de patience et d’habileté, nous pouvons compter sur un plein succès. Nous serons aidés par le mécontentement des peuplades opprimées, par les divisions qui règnent à Émyrne même, car, s’il y a un parti victorieux en ce moment qui veut rétablir le système d’exclusion contre les Européens, il y a aussi un parti vaincu et qui n’a pas encore perdu confiance. Agissons donc avec fermeté et persévérance dans cette voie que l’expérience et l’humanité s’accordent à nous montrer comme la meilleure; le jour viendra où nous pourrons faire prévaloir de nouveau notre nom et nos intérêts sur cette terre africaine appelée, il y a deux siècles, la France orientale.


HENRI GALOS.

  1. L’amiral portugais Tristan d’Acunha a eu la bonne fortune d’être célébré comme l’auteur de cette découverte par le grand poète Camoëns dans les Lusiades. La vérité est cependant que l’amiral ne vint que quelques mois après Fernan Juarez faire l’hydrographie de l’île. Tous les auteurs sont d’accord sur ce point historique.
  2. Mémoire inédit de M. Bedier, commissaire-ordonnateur à Bourbon, 1834.
  3. L’édit que Louis XIV rendit à cette occasion au mois d’août 1664 s’exprime ainsi : «Nous avons donné, concédé et octroyé, donnons, concédons et octroyons à ladite compagnie l’île de Madagascar ou Saint-Laurent (*), avec les îles circonvoisines, forts et habitations qui peuvent y avoir été construits par nos sujets, et en tant que besoin est, nous avons subrogé ladite compagnie à celle ci-devant pour ladite île de Madagascar, pour en jouir par ladite compagnie à perpétuité, en toute propriété, seigneurie et justice. »
    (*) Les Portugais avaient donné ce nom à l’Ile, parce que, dit-on, ils l’avaient découverte le jour de la Saint-Laurent.
  4. Voyez l’intéressant ouvrage de M. Macé-Descartes, Histoire et géographie de Madagascar.
  5. Ces droits sont consacrés à nouveau dans les édits de mai 1719, juillet 1720 et juin 1725.
  6. Mémoire manuscrit inédit de M. Bedier, commissaire-ordonnateur à Bourbon, 1834.
  7. Ces cessions furent faites à Louis XIV dans les formes les plus solennelles par Beti, reine de Foulpointe et des autres pays de la côte est de Madagascar.
  8. La saison où les fièvres ont le caractère le plus pernicieux est celle de l’hivernage, c’est-à-dire la saison chaude. Pendant cette période de temps, qui dure de novembre en avril, des pluies très abondantes et les débordemens des rivières transforment en marécages toutes les terres basses du littoral, et par l’évaporation, rendue très active sous l’influence alternative ou simultanée de la pluie et d’une température élevée, l’air s’imprègne de miasmes morbides que dégagent ces marécages. D’après des relevés statistiques, on peut évaluer de 50 à 60 pour 100 les décès parmi les Européens causés par l’insalubrité du climat. Les naturels eux-mêmes ne sont pas épargnés. (Mémoire manuscrit inédit de M. Bedier.)
  9. La plupart des faits que nous venons de rapporter sont extraits des mémoires de Beniowski, publiés à Londres en 1790. Ils ont été traduits et édités à Paria en 1791. 2 vol. in-8o.
  10. Lettre de lord Bathurst à sir R. Farquhar, datée du Colonial office le 18 octobre 1816. Dans une dépêche du 31 décembre 1810 adressée au commandant pour le roi à Bourbon, M. le vicomte Dubouchage, alors ministre de la marine, en chargeant ce fonctionnaire d’entrer en négociations avec le gouverneur de Maurice pour la rétrocession de Madagascar, lui prescrit de demander la restitution pure et simple de l’île de Madagascar comme ayant été laissée à la France en toute propriété par le traité du 30 mai 1814.
  11. Mémoire présenté par M. Forestier, conseiller d’état, vice-président du comité de la marine, 20 mai 1817.
  12. D’après un rapport à la chambre des communes du 10 juillet 1823, les dépenses pour Madagascar du gouvernement de Maurice, de 1813 à 1826, s’élèvent à 1,540,000 fr.
  13. Voyez Précis sur les établissemens français formés à Madagascar, publié en 1836 par ordre de l’amiral Duperré.
  14. Soldats noirs du Sénégal rachetés par l’administration et déclarés libres moyennant un engagement de quatorze ans.
  15. Précis sur les établissemens français de Madagascar, publié par le ministre de la marine, p. 601.
  16. Histoire et Géographie de Madagascar, par Macé-Descartes. — Times, 12 mai 1845.
  17. Le fort de Tintingue fut évacué et livré aux flammes le 5 juillet 1831.
  18. Ce traité fut ratifié par une décision du gouvernement français le 10 février 1843. Mayotte est la plus au sud et la plus à l’est des îles Comores, à 54 lieues marines de Nossi-Bé et à 300 lieues de Bourbon. La superficie de Mayotte est de plus de 30,000 hectares, non compris les territoires de plusieurs îles qui en dépendent.
  19. Aujourd’hui amiral.
  20. Instructions préparées pour le général Duvivier.
  21. Ces argumens sont résumés dans le discours de M. Jules de Lasteyrie, qui exerça une influence décisive sur le vote de la chambre.
  22. M. Berryer se fit un devoir tout particulier de réclamer une réserve, expresse en faveur de nos droits.
  23. Dépêche de l’amiral de Mackau au capitaine de vaisseau Romain-Desfossés (février 1846).
  24. Le nom d’Émyrne, qui revient souvent dans ce récit, est celui d’une rivière qui passe près de la résidence royale.
  25. Relation de la mission du capitaine de frégate Brassard de Corbigny (Revue maritime et coloniale, juillet 1862).
  26. On assure que le prince et M. Lambert étaient liés l’un à l’autre par le serment du sang. On appelle serment du sang à Madagascar l’engagement que prennent deux personnes de s’aider réciproquement pendant la durée de leur existence et de se considérer comme si elles avaient une origine commune. Dans un cas pressant ou de nécessité, l’un des frères de serment a le droit de disposer des biens de l’autre sans que celui-ci puisse s’en plaindre.
  27. Rakoto était né deux ans après la mort de Radama Ier, dont la reine le disait fils en invoquant une fable acceptée par la superstition de ses sujets.
  28. C’est le nom donné à une sorte de jugement de Dieu auquel on soumettais ceux qui étaient accusés d’un crime dont la preuve était difficile à fournir. Les prévenus devaient avaler une amande vénéneuse. Ils étaient reconnus innocens lorsqu’ils résistaient à ce poison.
  29. Les plus grandes autorités, telles que Vattel, Pinheiro-Ferreira, Pufendorf, sont d’accord pour soutenir cette doctrine. (Voyez Vattel, Du Droit des gens, liv. Ier. ch. XVIII, édition de M. Pradié-Fodéré.)
  30. Voyez au Moniteur du 7 juillet 1863 la lettre de notre consul, M. Laborde, à M. le ministre des affaires étrangères.
  31. Ce traité a été publié dans la Revue maritime et coloniale, août 1863.
  32. Cette compagnie s’est recrutée parmi les hommes les plus éminens du monde financier. M. le baron de Richemond, sénateur, a été nommé par décret impérial gouverneur de la société de Madagascar.
  33. Mission de la corvette la Nièvre.