Rapport sur le prix Bonfils


RAPPORT
SUR
LE PRIX BONFILS

Lu en séance publique, au nom d’une Commission spéciale[1]


Par M. CHAUTARD.




Un seul mémoire a été adressé, cette année, à l’Académie pour le Concours de chimie appliquée aux usages industriels, institué par la libéralité de M. P. Bonfils. Son auteur est M. Fabre-Volpilière, actuellement pharmacien de la Maison centrale de Clairvaux, mais qui s’est longtemps occupé de chimie technologique. Il a pour titre : Exposé des Manipulations diverses qu’on fait subir à la Racine de Garance pour la rendre propre aux Industries de la Teinture et des Toiles peintes, ainsi qu’à l’Art de la Peinture. Ce sujet, par son importance, rentrait complètement dans les conditions du programme. La garance, en effet, est une matière tinctoriale d’autant plus précieuse pour nous qu’elle est un produit de notre sol ; tandis que la plupart des autres principes colorants nous rendent tributaires de l’étranger. Un autre de ses avantages est de fournir des teints solides et de se prêter merveilleusement aux applications les plus diverses. Les teinturiers emploient la garance pour teindre en rouge le lin, le coton et la laine. On peut, du reste, en variant les mordants en obtenir d’autres nuances, telles que le violet et même le noir. Les fabricants de toiles peintes par impression utilisent aussi la garance, soit seule, soit mélangée à d’autres matières tinctoriales. Enfin, on en obtient des laques fort estimées dans la peinture à l’huile ou au pastel.

Pour se prêter à des applications aussi variées, la racine de garance doit nécessairement subir des manipulations nombreuses, auxquelles la science sert de guide. D’abord, le principe colorant dans lequel réside toute sa valeur, n’y existe point tout formé, et ne prend naissance que par une oxydation ménagée au contact de l’air. De plus, il ne s’en trouve dans la plante qu’une proportion très-faible, relativement aux matières étrangères dans lesquelles il est, en quelque sorte, disséminé, et dont plusieurs mettent plus ou moins obstacle, soit à la fixation de la couleur sur les tissus, soit aux modifications de nuances qu’on veut lui faire subir. De là des procédés nombreux qui ont pour but, tantôt d’éliminer et même d’utiliser une partie de ces principes étrangers, en les convertissant en alcool, tantôt de les détruire par l’intervention de réactifs puissants, à l’action desquels la matière colorante a le privilége d’échapper. On est même parvenu, par de savantes combinaisons, à obtenir, sous le nom d’alizarine, le principe colorant de la garance dans un grand état de pureté, sous forme de belles aiguilles d’un jaune orangé, susceptibles de se volatiliser sans résidu appréciable.

Cet aperçu rapide des traitements divers que l’industrie des couleurs fait subir à la garance, indique suffisamment les services que peut être appelé à lui rendre un travail qui, mettant à contribution les recherches publiées sur ce sujet tant en France qu’à l’étranger, les expose d’une manière méthodique, en les accompagnant d’une critique basée sur des connaissances sérieuses et sur une expérience prolongée.

Plus que personne, M. Fabre-Volpilière était en situation de rendre ce service à l’industrie. Né dans le pays même où fut importé, vers le milieu du dernier siècle, la graine de garance, il a d’abord fait de sa culture agricole l’objet de ses observations. Plus tard il a occupé, tant en France qu’en Espagne, des positions industrielles qui lui ont facilité les moyens de suivre sa plante de prédilection, depuis l’état de racine vivante jusqu’à celui de produit manipulé.

C’est donc le fruit de ses recherches persévérantes et de son expérience personnelle, qu’il a exposé dans le mémoire que l’Académie avait à apprécier. Malheureusement, à ce travail, recommandable à tant d’autres égards, manquait un mérite textuellement exigé dans notre programme, savoir : l’énoncé de quelque découverte nouvelle, n’ayant encore été récompensée dans aucun concours. Or, comme l’auteur le reconnaît lui-même dans sa préface, son Mémoire est moins une œuvre de science qu’un travail de vulgarisation. Aussi l’Académie a-t-elle le regret de ne pouvoir lui accorder qu’une mention honorable.

  1. Commissaires : MM. Soyer-Willemet, Nicklès, Chautard, Forthomme ; Blondlot, rapporteur.