Rapport de Lord Durham/02

LE BAS-CANADA.

La place saillante que les dissensions du Bas-Canada ont, depuis quelques années, occupé aux yeux de la législature Impériale, l’état alarmant du mal indiqué ou occasionné par l’insurrection récente, et la nécessité absolue d’appliquer mes premiers efforts au rétablissement d’un gouvernement libre et régulier dans cette colonie particulière, dans laquelle il était entièrement suspendu, dirigèrent nécessairement mes premières recherches vers la province dont le gouvernement local avait été mis entre mes mains. La suspension de la constitution me procura un avantage essentiel sur mes prédécesseurs dans la conduite de mes enquêtes ; elle me soulagea non seulement du fardeau de discussions continuelles avec les corps législatifs, mais elle me permit de tourner mon attention des griefs allégués aux vrais griefs de la province ; de laisser de côté ces sujets de constitution temporaire qui par accident, ou par les intérêts et les passions des partis avaient pris une importance qui ne leur appartenait pas ; et sans égards pour les représentations des parties consentantes, de travailler à me rendre maître de la condition réelle du peuple et des vraies causes de la désaffection et de la souffrance. Ce fut aussi un grand avantage pour moi sous un rapport que les affaires ordinaires du gouvernement de la province fussent réunies aux fonctions de mon enquête. La routine des affaires administratives journalières mit devant moi sous un jour saillant et familier le fonctionnement des institutions dont j’étais appelé à juger. La condition du peuple, le système par lequel il était gouverné, me furent ainsi rendus familiers, et je me fus bientôt convaincu qu’il me fallait chercher dans la composition même de la société, et dans les institutions fondamentales du gouvernement, les causes du mal constant et étendu que j’apercevais.

Les discussions prolongées et diverses qui avaient existé pendant quelques années entre les partis opposés dans la colonie, et les représentations qui avaient circulé en Angleterre, avaient produit dans mon esprit, comme dans la plupart des esprits en Angleterre, une idée très erronée des parties litigantes au Bas-Canada. La querelle qu’on m’envoyait régler, avait été une querelle entre le gouvernement exécutif et la branche populaire de la législature. Cette dernière avait, en apparence, lutté pour les droits populaires et le gouvernement libre. Le gouvernement exécutif avait défendu la prérogative de la couronne, et les institutions qui, en conformité avec les principes de la constitution britannique, avaient été établies comme des contrepoids à l'exercice sans frein du pouvoir populaire. Quoique, dans le cours de la dispute, il avait été donné des indications de l’existence de dissensions, encore plus profondes et plus formidables qu’aucune de celles qui proviennent de causes simplement politiques, je m’étais encore imaginé, de concert avec la plupart de mes compatriotes que la source primitive et constante du mal devait se trouver dans les vices des institutions politiques des provinces ; qu’une réforme de la constitution, ou peut-être seulement l’introduction d’une pratique plus saine dans l’administration du gouvernement, feraient disparaître toutes les causes de la dispute et des plaintes. Cette opinion fut raffermie par le fait bien connu que les dissensions politiques qui avaient produit leurs plus formidables résultats dans cette province, avaient pris une forme semblable, quoique plus douce, dans les colonies voisines ; et que la tranquillité de chacune des provinces de l’Amérique Septentrionale était sujette à être constamment troublée par les collisions entre l’exécutif et les représentant du peuple. Les constitutions de ces colonies, les caractères officiels, et les positions des parties contendantes, les objets voués de la dispute, et les principes généraux avancés de chaque côté, étaient si semblables, que je dus concourir à l’opinion très générale que cette querelle commune était le résultat de quelque défaut commun dans les institutions presque identiques de ces provinces. Je la regardai comme une de ces disputes analogues à celles avec lesquelles l’histoire et l’expérience nous ont rendus si familiers en Europe, une dispute entre un peuple qui demande une extension de privilèges populaires, d’un côté, et de l’autre un exécutif qui défend le pouvoir qu’il concevait nécessaire pour le maintien de l’ordre. Je supposai que ma principale besogne serait de déterminer jusqu’à quel point chaque parti pouvait avoir droit, ou lequel était dans le tort ; de trouver quelque moyen de faire disparaître les défauts qui avaient occasionné la collision ; et de rétablir dans les pouvoirs constitutionnels une balance qui pourrait assurer le fonctionnement libre et paisible de la machine du gouvernement.

Dans une dépêche que j’adressai le 9 août dernier, au principal secrétare d’état de Votre Majesté pour les colonies, j’entrai dans de menus détails sur les impressions qu’avait produites sur mon esprit l’état de choses qui existait dans le Bas-Canada : je reconnais que l’expérience que j’ai acquise par ma résidence, a complètement changé mes idées sur l’influence relative des causes qui avaient été assignées aux maux existants. Je n’en suis pas venu, il est vrai, à croire que les institutions du Bas-Canada étaient moins défectueuses que je ne les avais supposées d’abord. Par suite des circonstances particulières dans lesquelles j’étais placé, j’ai pu faire des observations assez parfaites pour me convaincre qu’il avait existé dans la constitution de la province, dans la balance des pouvoirs politiques, dans l’esprit et la pratique de l’administration dans chaque département du gouvernement, des défauts qui étaient tout-à-fait suffisants pour expliquer en grande partie la mal-administration et le mécontentement. La même observation m’a aussi convaincu qu’il existait une cause beaucoup plus profonde et plus effective des dissensions particulières et désastreuses de cette province — une cause qui pénétrait au-dessous de ses institutions politiques dans son état social — une cause que ne pourrait enlever aucune réforme de constitution ou des lois qui laisseraient les éléments de la société dans le même état, mais qui doit être ôtée avant d’attendre du succès d’aucune tentative pour remédier aux maux de cette malheureuse province. Je m’attendais à trouver une contestation entre un gouvernement et un peuple : je trouvai deux nations se faisant la guerre au sein d’un seul état ; je trouva une lutte non de principes, mais de races ; et je m’aperçus que ce serait en vain qu’on essaierait aucune amélioration dans les lois ou les institutions, avant d’avoir réussi à terminer la haine mortelle qui divise maintenant les habitants du Bas-Canada en divisions hostiles de Français et d’Anglais.

Je me flatterais vainement de pouvoir par aucune description que j’en ferais, de donner à Votre Majesté une idée de l’animosité de ces races telle que mon expérience personnelle me l’a présentée. L’heureuse absence de tous sentiments d’hostilité nationale parmi nous, rend difficile pour nous de comprendre l’intensité de la haine que la différence de langage, de lois et d’usages, crée entre ceux qui habitent le même village, et sont citoyens du même état. Nous somme prêts à croire que le vrai motif de la querelle est quelque autre chose ; et que la différence de race a légèrement et occasionnellement aggravé les dissensions, que nous attribuons à quelque cause plus ordinaire. L’expérience d’un état de société, aussi malheureusement divisé que l’est celui du Bas-Canada, conduit à une opinion exactement contraire. Sa haine nationale tombe sous les sens mêmes, d’une manière irrésistible et palpable, comme l’origine ou l’essence de toute querelle qui divise la société ; on découvre que des dissensions qui paraissent avoir une autre origine, ne sont que des formes de cette constante et générale animosité ; et que toute dispute est dans l’origine une dispute de Français et d’Anglais, ou le devient avant d’avoir fourni sa carrière.

Les mécontentemens politiques, auxquels le système vicieux du gouvernement n’a donné que trop de cause, ont pendant longtemps caché et modifié l’influence de la querelle nationale. On a maintenu que l’origine ne peut avoir que peu d’effet à diviser le pays, en autant que des individus de chaque race se sont constamment rangés du côté du gouvernement, ou se sont trouvés unis à guider l’assemblée dans ses attaques contre les abus allégués ; que les noms de quelques-uns des chefs les plus marquants de la rébellion marquent leur origine Anglaise, tandis que ceux d’appuis les plus impopulaires du gouvernement dénotent leur origine Française ; et qu’on a vu les représentans, sinon d’une majorité actuelle (comme on l’a avancé occasionnellement,) au moins d’une bonne proportion de la population purement Anglaise, voter constamment avec la majorité de l’Assemblée contre ce qu’on appelait le parti Britannique. Des causes temporaires et locales ont sans aucun doute, jusqu’à un certain point, produit de tels résultats. L’hostilité nationale n’a pris son influence permanente que depuis quelques années, et elle ne s’est pas montrée partout à la fois. Pendant qu’elle se montrait depuis longtemps dans les cités de Québec et de Montréal, où les chefs et les masses des races rivales vinrent plus promptement en collision, les habitants des townships de l’Est, éloignés de tout contact personnel avec les Français, et ceux du district au dessous de Québec, qui éprouvaient peu d’intervention de la part des Anglais, continuèrent jusqu’à une époque très récente à entretenir des sentiments comparativement amicaux envers les races opposées. Mais c’est là une distinction qui s’est malheureusement, d’année en année, montrée plus fortement, et qui s’est répandue de plus en plus. L’un après l’autre les anciens chefs Anglais de l’Assemblée se sont séparés de la majorité, et se sont attachés au parti qui supportait le gouvernement britannique contre elle. Chaque élection des townships ajoutait à la minorité Anglaise. D’un autre côté, d’année en année, malgré les diverses influences qu’un gouvernement peut exercer, et qu’aucun peuple au monde n’est plus susceptible d’éprouver que les Canadiens Français ; malgré les motifs additionnels de prudence et de patriotisme qui détournent les hommes timides ou calmes d’agir avec un parti, qui compromet clairement la tranquillité publique par la violence de sa conduite, le nombre des Canadiens Français, sur lesquels le gouvernement pouvait compter, a diminué par l’influence de ces associations qui les ont entraînés dans les rangs de ceux qui leur étaient liés par le sang. Depuis le recours aux armes les deux races se sont distinctement et complètement rangées l’une contre l’autre. Aucune partie de la population Anglaise n’a hésité de prendre les armes à la défense du gouvernement ; à une seule exception près, il n’a été permis à aucune partie de la population Canadienne de le faire, même lorsque quelques-uns disaient que leur loyauté les portait à le faire. L’exaspération ainsi produite s’est étendue sur la totalité de chaque race. Les plus juste et les plus sensés d’entre les Anglais, ceux dont la politique fut toujours des plus libérales, ceux qui avaient toujours été pour la politique la plus modérée dans les disputes provinciales, paraissent depuis ce moment avoir pris parti contre les Français, avec autant de résolutions, sinon de chaleur, que le reste de leurs compatriotes, et avoir concouru à la détermination de ne plus se soumettre à une majorité Française. Quelques exceptions marquent l’existence de la règle générale de l’hostilité nationale plutôt qu’elles ne militent contre elle. Un petit nombre de Français, distingués par des vues larges et modérées, condamnent encore les préjugés nationaux et la violence ruineuse de leurs compatriotes, tandis qu’ils résistent à ce qu’ils considèrent les prétentions violentes et injustes d’une minorité, et s’efforcent de former un parti moyen entre les deux extrêmes. Une grande partie du clergé catholique, quelques-uns des principaux propriétaires des familles seigneuriales, et quelques-uns de ceux qui sont influencés par d’anciennes connexions de parti, appuient le gouvernement contre la violence révolutionnaire. Très peu de personnes d’origine Anglaise (pas plus, peut-être, de cinquante sur la totalité), continuent encore à agir avec le parti qu’ils épousèrent dans l’origine. Ceux qui affectent de former un parti moyen n’exercent aucune influence sur les extrêmes en contention ; et ceux qui font cause commune avec la nation dont leur naissance les distingue, sont regardés par leurs compatriotes avec une haine aggravée comme étant des renégats de leur race ; tandis qu’ils n’obtiennent que d’affection, de confiance et d’estime réels de ceux auxquels peu ils se sont joints.

Les fondements de la querelle qui sont communément alléguée paraissent, après investigation, avoir peu de chose à faire avec ses causes réelles ; et l’observateur qui s’est imaginé que les démonstrations et professions publiques des partis, l’ont mis en possession de leurs vrais motifs et vues, est surpris de trouver, après avoir observé les choses de plus près, combien il a été trompé par les fausses couleurs sous lesquelles ils ont été dans l’habitude de combattre. Il n’est pas, à la vérité, surprenant que chaque parti ait pratiqué, en ce cas, plus que les fraudes ordinaires de langage, par lesquelles les factions dans tous les pays cherchent à s’assurer la sympathie des autres sociétés. Une querelle basée sur le simple fondement d’animosités nationales parait si révoltant aux notions de bon sens et de charité qui règnent dans le monde civilisé, que les partis qui sentent une telle passion avec le plus de force et s’y livrent le plus ouvertement, prennent beaucoup de soin de se classer sous toutes autres dénominations, que celles qui désigneraient correctement leurs objets et leurs sentiment. Les Canadiens-Français ont essayé de cacher leur hostilité contre l’influence de l’émigration Anglaise, et l’introduction des institutions Britanniques, sous le déguisement d’une guerre contre le gouvernement et ses appuis, qu’ils représentaient être un petit nœud de dépendants corrompus et insolents ; étant une majorité, ils ont invoqué les principes du contrôle populaire et de la démocratie, et ont appelé avec assez d’effet aux sympathies des politiques libéraux de toutes les parties du monde. Les Anglais voyant leurs adversaires en collision avec le gouvernement, ont élevé le cri de la loyauté et de l’attachement à la connexion britannique et dénoncé les vues républicaines des Français, qu’ils désignent, ou plutôt qu’ils avaient coutume de désigner sous l’appellation de radicaux. Ainsi les Français ont été regardés comme le parti démocratique, combattant pour la réforme ; et les Anglais comme une minorité conservative, protégeant la connexion menacée avec la Couronne Britannique et l’autorité suprême de l’Empire. Il y a de la vérité dans cette notion, sous le rapport des moyens par lesquels chaque parti essayait d’effectuer ses propres idées de gouvernement. La majorité Française émettait les doctrines les plus démocratiques sur les droits d’une majorité numérique. La minorité Anglaise profita de la protection de la prérogative, et s’allia avec toutes celles des institutions coloniales, qui mettaient le petit nombre en état de résister au grand nombre. Mais lorsque l’on regarde aux objets de chaque parti, l’analogie avec notre propre politique paraît se perdre, sinon complètement renversé ; les Français paraissent avoir employé leurs armes démocratiques pour des fins conservatives, plutôt que pour celles du mouvement libéral et éclairé ; et les sympathies des amis de la réforme se portent naturellement du côté de la saine amélioration que la minorité Anglaise essaya en vain d’introduire dans les lois vieillies de la Province.

Cependant même sur les questions qui avaient été récemment les sujets saillants de dispute entre les deux partis, il est difficile de croire que l’hostilité des races était l’effet, et non la cause, de la pertinacité de l’insistance ou de la résistance à l’égard des réformes désirées.

Les Anglais se plaignaient du refus de l’assemblée d’établir des bureaux d’enregistrement, et de commuer la tenues féodale ; et cependant ce fut parmi les chefs anglais les plus habiles et les plus influents que je trouvai quelques-uns des adversaires des deux réformes proposées. Les chefs des Français s’empressaient de désavouer chez eux toute hostilité à ces réformes. Plusieurs d’entre eux représentèrent la répugnance que l’assemblée avait montrée à s’occuper de ces questions, comme le résultat de l’influence extra ordinaire que M.  Papineau exerçait sur ce corps ; on expliquait son opposition par quelques préjugés particuliers d’éducation et de pratique professionnelle, que peu de ses compatriotes partageaient avec lui ; on démit que même son influence n’aurait pas empêché ces questions d’être favorablement accueillies par l’assemblée si elle se fut jamais réunie ; et je reçus des assurances de dispositions favorables à leur égard, qui, je dois le dire, étaient beaucoup en contradiction avec la répugnance que les notabilités du parti montrèrent à coopérer avec moi dans les tentatives que je fis subséquemment pour effectuer ces mêmes objets. En même temps que les principaux hommes du parti français se rendaient ainsi sujets à l’imputation d’une opposition timide ou rétrécie à ces améliorations, la masse de la population française, qui souffre immédiatement des abus du système seigneurial, montra sous toutes les formes possibles, son hostilité à l’état de choses que leurs chefs avaient maintenu avec tant d’obstination. Il y a tout lieu de croire qu’un grand nombre des paysans qui combattirent à St-Denis et à St-Charles, s’imaginèrent que le principal résultat du succès, serait l’abolition des dîmes et des charges féodales ; et dans la déclaration d’indépendance que le Dr  Robert Nelson émana, deux des objets de l’insurrection étaient énoncés être l’abolition des tenures féodales et l’établissement de bureaux d’enregistrement. Lorsque je remarque ces inconstances de conduites parmi les adversaires et les approbateurs de ces réformes ; lorsque je considère que leur acquisition était empêchée par le moyen des censitaires, les personnes plus intéressées à leurs succès, et qu’elles n’étaient pas demandées avec plus d’insistance par les artisans et les ouvriers de cette race dont les intérêts individuels n’auraient guère tiré beaucoup d’avantage direct de leur succès, je ne puis que penser que plusieurs et des adversaires et des partisans, s’embarrassaient moins des mesures elles-mêmes, que de l’instrument que leur agitation donnait à leur hostilité nationale ; que l’assemblée résista à ces changements principalement parce que les Anglais les désiraient ; et que l’ardeur avec laquelle plusieurs des Anglais les demandaient était stimulée par l’opposition qu’elles rencontraient chez les Français.

Je ne trouvai pas non plus l’esprit qui animait chaque parti du tout plus en harmonie avec les représentations courantes en ce pays que leurs objets ne le paraissaient, jugées d’après les idées anglaises, ou plutôt européennes de législation réformative. Une population entièrement inéduquée et singulièrement inerte, prêtant une obéissance implicite à des chefs qui la gouvernent par l’influence d’une confiance aveugle et d’étroits préjugés nationaux, cela s’accordait très peu avec la ressemblance qu’on avait découverte avec cette vigoureuse démocratie qui fit la révolution américaine. Encore moins pus-je découvrir dans la population anglaise ces serviles instruments d’une petite clique officielle, ou de quelques marchands fiers de leur bourse, selon que leurs adversaires les avaient dépeints. J’ai trouvé que la masse de la population anglaise, consistant de robustes fermiers et d’humbles artisans, composait une démocratie très indépendante, pas très maniable, et quelques fois un peu turbulente. Quoiqu’ils professent constamment une loyauté un peu extravagante et des doctrines de haute prérogative, je les ai trouvés très déterminés à maintenir dans leurs propres personnes un grand respect pour les droits populaires, et singulièrement disposés à presser l’accomplissement de leurs désirs par les moyens les plus forts de pression constitutionnelle sur le gouvernement. Je trouvai que la plus forte hostilité régnait entre eux et les Canadiens ; et cette hostilité, comme on pouvait s’y attendre, très fortement développée parmi les plus humbles et les plus grossiers du corps. Entre eux et le petit nœud d’officiels, dont l’influence a été représentée comme si formidable, je ne trouvai aucune sympathie quelconque ; et il faut dire en justice pour ce corps d’officiers, qu’on a tant assaillis comme les ennemis du peuple canadien, que, quoique je ne puisse guère excuser l’influence injurieuse du système d’administration, qu’ils étaient appelés à mettre exécution, les membres des plus anciennes et des puissantes familles furent, de tous les Anglais du pays, ceux chez qui je trouvai généralement plus de sympathie et plus de bienveillance envers la population française. Je ne pus donc croire que cette animosité n’était que celle qui subsiste entre une oligarchie officielle et un peuple : et encore, je fus amené à la conviction que la contestation, qui avait été représentée comme une dispute de classes, était de fait une querelle de races.

Quelque peu disposés que nous soyons à attribuer les maux d’un pays lié avec nous à une cause aussi fatale à sa tranquillité, et qui semble si difficile à faire disparaître, il ne faut pas une très longue ni très laborieuse considération de la position et du caractère relatifs de ces races pour nous convaincre de leur invincible hostilité l’une envers l’autre. Il est à peine possible de concevoir les descendants d’aucune des grandes nations européennes aussi différents les uns des autres en caractère et en humeur, plus totalement séparés les uns des autres par le langage, les lois et les manières de vivre, ou placées dans des circonstances plus propres à produire de la mésintelligence, de la jalousie, et de la haine réciproque. Pour concevoir l’incompatibilité des deux races en Canadas il ne suffit pas que nous nous représentions une société composée en proportions égales de Français et d’Anglais. Il faut considérer quelle toile de Français et d’Anglais sont ceux qui sont mis en contact, en quelles proportions ils se rencontrent.

Les institutions de France, pendant la colonisation du Canada, étaient, peut-être, plus que celles d’aucune autre nation européenne, propres à réprimer l’intelligence et la liberté dans la grande masse du peuple. Ces institutions suivirent le colon canadien à travers l’Atlantique. Le même despotisme central, mal organisé, stationnaire et répressif s’étendit sur lui.[1] Non-seulement on ne lui donna aucune voix dans le gouvernement de la province, ou dans le choix de ses gouvernants, mais il ne lui fut seulement pas permis de s’associer avec ses voisins pour la régie de ses affaires municipales, que l’autorité négligeait tous le prétexte de régie. Il obtenait ses terres dans une tenure singulièrement calculée pour avancer son bien-être immédiat, et pour entraver son désir d’améliorer sa condition ; il fut placé à la fois dans une vie de travail constant et uniforme, de grand bien-être matériel et de dépendance féodale. L’autorité ecclésiastique à laquelle il avait été accoutumé, établit ses institutions autour de lui, et le prêtre continua à exercer sur lui son ancienne influence. Il ne fut fait aucune provision générale pour l’éducation ; et comme la nécessité n’en était pas appréciée, le colon ne fit aucun effort pour réparer la négligence de son gouvernement. Nous ne devons pas être surpris, sous de telles circonstances, une race d’hommes habitués aux travaux incessants d’une rude et grossière agriculture, et habituellement enclins aux jouissances sociales, rassemblés ensemble en communauté rurales, occupant des portions d’un sol tout entier disponible, suffisantes pour pourvoir chaque famille de jouissances matérielle, bien au-delà de leurs anciens moyens, ou presque de leurs conceptions ; qu’ils ne firent aucun progrès au-delà des premiers pas dans l’aisance, que la bonté du sol leur prodiguait absolument : que sous les mêmes institutions ils demeurèrent le même peuple inéduqué, inactif et stationnaire. Le long des rives alluviales du Saint-Laurent et de ses tributaires, ils ont défriché deux ou trois bandes de terre, les ont cultivées d’après la plus mauvaise méthode de petite culture, et établi une série de villages continus, qui donnent au pays en seigneuries l’apparence d’une rue sans fin. Outre les cités qui étaient les sièges du gouvernement, il ne fut pas établi de villes ; les étoffes grossières du pays se fabriquèrent et se fabriquent encore dans la chaumière par la famille de l’habitant ; et une portion insignifiante de la population tirait sa subsistance du commerce à peine visible de la province. Toute l’énergie qui existait parmi la population fut employée dans le commerce des pelleteries et dans les occupations de la chasse, qu’eux et leurs descendants ont poussés jusqu’au delà des montagnes Rocheuses et monopolisent encore, en grande partie, dans toute la vallée du Mississippi. La masse de la société montra dans le Nouveau-Monde tous les traits caractéristiques des paysans d’Europe. La société était dense ; et même les besoins et la pauvreté que le trop plein de la population occasionne dans le Vieux-Monde, ne furent pas tout-à-fait inconnus ici. Ils tiennent aux anciens préjugés, aux anciennes coutumes et aux anciennes lois, non par aucun lui font seulement de leurs heureux effets, mais avec la ténacité aveugle d’un peuple sans instruction et stationnaire. Ils ne furent pas non plus sans les vertus d’une vie simple et industrieuse, où sans celles que d’un commun accord on attribue à la nation dont ils sortent. Les tentatives qui dans les autres états de sociétés, conduisent aux offenses contre la propriété, et les passions qui poussent à la violence, étaient peu connues parmi eux. Ils sont doux et bienveillants, frugale, industrieux et honnêtes, très-sociables, gais et hospitaliers, et se distinguent par une courtoisie et une vraie politesse qui règnent dans toutes les classes de la société. La conquête n’a opéré chez-eux que bien peu de changement. Les classes plus élevées, et les habitants des villes ont adopté quelques usages et quelques sentiment anglais ; mais la négligence constante du gouvernement britannique laissa la masse du peuple sans aucune des institutions qui les auraient élevés en liberté et en civilisation. Il les a laissés sans éducation et sans les institutions du gouvernement local populaire (local self-government) qui auraient assimilé leur caractère et leurs habitudes, de la meilleure et de la plus facile manière, à ceux de l’empire dont ils devinrent partie. Ils sont restés une société vieille et stationnaire dans un monde nouveau et progressif. Ils ressemblent plutôt aux Français des provinces sous l’ancien régime.

Je ne puis passer sur ce sujet sans appeler une attention particulière à une particularité dans la condition sociale de ce peuple, dont à mon avis on n’a pas encore eu convenablement apprécier l’important rapport avec les troubles du Bas-Canada. Les circonstances d’un pays nouveau et inculte, l’opération des lois françaises sur l’hérédité, et l’absence de tout moyen d’accumulation par le commerce ou les manufactures, ont produit une égalité remarquable de fortunes et de conditions. Il n’y a que quelques familles seigneuriales qui possèdent de grandes propriétés, qui cependant ne sont pas souvent très-profitables ; la classe qui dépend uniquement du salaire journalier est très petite ; la masse de la population se compose des gens laborieux de la campagne, communément appelés habitants, et leurs parents sont engagés dans d’autres occupations. Il est impossible d’exagérer le manque d’éducation parmi les habitants ; il n’a jamais été pourvu à leur éducation, et ils sont presque universellement dénués des qualifications mêmes de la lecture et de l’écriture. Il est venu à ma connaissance que sur un grand nombre de petits garçons et filles assemblés à la porte de la maison d’école de St. Thomas, tous, à l’exception de trois, admirent, après informations prises, qu’ils ne savaient pas lire. Cependant les enfants de cette grande paroisse vont à l’école régulièrement, et font actuellement usage de livres. Ils tiennent leur catéchisme à la main comme s’ils lisaient, tandis qu’ils ne font qu’en répéter le contenu qu’ils savent par cœur. L’assertion commune, cependant, que toutes les classes de Canadiens sont également ignorantes, est parfaitement erronée ; car je ne connais aucun peuple chez lequel il est mieux pourvu en plus hautes branches de l’éducation élémentaire, ou chez lequel cette éducation est réellement étendue dans une plus grande proportion eu égard à la population. La piété et la bienveillance des premiers possesseurs du pays fondèrent dans les séminaires qui existent dans différentes parties de la province, des institutions dont les fonds et l’activité sont depuis long-temps dirigés vers l’avancement de l’éducation. Ces corps ont établi des séminaires et des collèges dans les cités et sur d’autres points centraux. L’éducation donnée dans ces établissements ressemble beaucoup à celle qui est donnée dans les écoles publiques anglaises, quoiqu’elle soit un peu plus variée. Elle est entièrement entre les mains du Clergé catholique. Le nombre de pupilles dans ces établissements est estimé ensemble à environ un mille ; et ils renvoient chaque année, autant que j’ai pu m’en assurer, entre deux et trois cents jeunes gens ainsi instruits. Presque tous sont membres de la famille de quelque habitant, dont l’intelligence plus prompte que celle de ses frères ont induit son père ou le curé de la paroisse à le choisir pour l’envoyer au séminaire. Ces jeunes gens possédant un degré d’instruction incommensurablement supérieur à celui de leurs familles, ont naturellement de l’aversion pour ce qu’ils regardent comme descendant aux humbles occupations de leurs parents. Quelques-uns se mettent prêtres ; mais comme les professions militaires et navales sont fermées aux colons, la plus grande partie ne peuvent trouver de position convenable à l’idée qu’ils ont de leurs propres qualifications que dans les professions savantes d’avocat, notaire et chirurgien. Comme de là il résulte que ces professions sont grandement encombrées, de nous trouvons chaque village du Bas-Canada rempli de notaires et chirurgiens, avec peu de pratique pour occuper leur attention, et vivant parmi leurs propres familles, ou toujours au milieu de la même classe exactement. Ainsi les personnes qui ont le plus d’éducation dans chaque village appartiennent aux mêmes familles et au même rang primitif dans la société, que les habitants illettrés que j’ai décrits. Ils leur sont liés par tous les souvenirs de l’enfance, et les liens du sang. La plus parfaite égalité règne toujours dans leurs relations, et le supérieur en éducation n’est séparé par aucune barrière d’usage ou d’orgueil ou d’intérêts distincts, des paysans extrêmement ignorants dont il est environné. Il réunit donc les influences de connaissances supérieures et d’égalité sociale, et exerce sur la masse un pouvoir que ne possède, je crois, la classe instruite d’aucune portion du monde. C’est à ce singulier état de choses que j’attribue l’influence extraordinaire des démagogues canadiens. La population la plus ignorante partout investie de pouvoir politique est ainsi placée entre les mains d’un petit corps d’hommes instruits dans lesquels elle repose une confiance que pouvaient seules produire une telle connexion domestique et une telle communauté d’intérêts. Le gouvernement n’a jamais acquis ni cherché à acquérir de l’influence sur la masse des personnes par laquelle la population agricole est menée. Ses membres ont été jetés dans l’opposition par le système d’exclusion qui a long-temps régné dans la colonie, et c’est par leur agence que les meneurs de l’assemblée ont pu jusqu’à présent faire mouvoir comme une seule masse dans quelque direction qu’ils jugeraient à propos la simple et docile population du pays. Le gouvernement en négligeant entièrement l’éducation a ainsi contribué, plus qu’aucune autre cause, à rendre ce peuple ingouvernable, et à investir l’agitateur du pouvoir dont il se sait contre les lois et la tranquillité publique.

Parmi ce peuple l’émigration a, ces dernières années, jeté une population anglaise présentant par des traits caractéristiques qui nous sont familiers, comme ceux de l’esprit d’entreprise qui anime une certaine classe de nos concitoyens. Des circonstances particulières, dès le commencement du régime colonial, exclurent les natifs canadiens du pourvoir, et mirent les emplois de confiance et de profit aux mains d’étrangers d’origine anglaise. La même classe de personnes remplit aussi les plus hautes fonctions judiciaires. Les fonctionnaires du gouvernement civil et les officiers de l’armée formèrent une espèce de classe privilégiée qui occupa le premier rang dans la société, et en exclut la portion la plus distinguée des canadiens d’origine française, de même qu’elle les écarta du gouvernement de leur propre pays. Ce n’est que depuis peu d’années, ainsi que l’ont affirmé des personnes qui connaissaient bien le pays, que cette société de fonctionnaires civils militaires a cessé de prendre envers la classe la plus distinguée des Canadiens, ce ton et ces airs exclusifs, plus révoltants pour un peuple remarquable par sa susceptibilité et sa politesse, que le monopole du pouvoir et du lucre ; et encore ce favoritisme national n’a t-il pris fin, qu’après que des plaintes fréquentes et des débats haineux ont eu allumé des passions que des concessions n’ont pu éteindre. Les races étaient devenues ennemies, quand une justice trop tardive a été obtenue par la force ; et même alors, le Gouvernement a trouvé moyen d’exercer son patronage envers les Canadiens, d’une manière presque aussi offensive pour eux que l’exclusion qui avait précédé.

Peu de temps après la conquête, une autre classe d’émigrés anglais commença à entrer dans la Province. La quantité immense des produits d’exportation attira au Canada les capitaux anglais, à quoi contribuèrent encore les avantages procurés au commerce par la facilité naturelle des communications intérieures. L’ancien commerce du pays fut conduit sur une plus grande et plus profitable échelle ; de nouvelles sources d’industrie furent exploitées. Les capitalistes anglais, d’habitudes régulières et actives, écartèrent des branches les plus lucratives de l’industrie leurs compétiteurs inactifs et insouciants de race française ; mais cependant on ne peut pas dire que, par rapport au commerce et aux manufactures du pays, les Anglais aient été un obstacle pour les anciens Colons ; puisqu’ils ont créé des occupations et des moyens de lucre inconnus jusqu’alors. Un petit nombre cependant des anciens colons ont souffert de la concurrence anglaise. Mais tous ont ressenti plus vivement l’accroissement d’une classe d’étrangers qui parraissaient devoir concentrer entre leurs mains les richesses du pays, et dont le faste et l’influence éclipsaient ceux qui avaient ci-devant occupé le premier rang dans le pays. Les progrès de l’intrusion anglaise ne se sont pas seulement bornés au commerce. Par degrés, ils ont acquis de grandes étendues de terres ; et ne se sont pas bornée à acquérir les propriétés incultes et éloignées des Townships. Le riche capitaliste a employé son argent à l’acquisition de propriétés seigneuriales ; et l’on estime qu’aujourd’hui la bonne moitié des meilleurs seigneuries appartient à des propriétaires anglais. La tenure seigneuriale est si opposée à nos notions de droit de propriété, que le nouveau seigneur, sans vouloir, sans songer à faire une injustice, a en quelques occasions exercé ses droits d’une manière qui paraîtrait tout-à-fait juste dans ce pays-ci, mais que l’habitant canadien regarde avec raison comme oppressive. L’acquéreur anglais avait également raison de se plaindre de l’incertitude inattendue des lois qui rendaient ses droits de propriété précaires et des effets de ce système de tenure qui rendent les aliénations ou les améliorations difficiles. Mais une cause d’excitation plus grande que celle de la mutation des grandes propriétés a surgi de la compétition du cultivateur anglais avec le cultivateur français. Le cultivateur anglais a emporté avec lui l’expérience et les usages du système d’agriculture le plus perfectionné qu’il y ait au monde. Il s’est établi dans les Townships qui avoisinent les seigneuries, et cultivant un sol nouveau d’après des procédés améliorés, il a soutenu une concurrence avantageuse contre le sol usé et la routine de cultivateur canadien. Il s’est même quelquefois établi sur la ferme que le Canadien avait abandonnée, et a par son industrie trouvé des sources de fortune là où son prédécesseur s’était appauvri. L’ascendant qu’un injuste favoritisme a contribué à donner aux Anglais dans le gouvernement et le judiciaire, ils se sont assurés par leur énergie supérieure, leur adresse et leurs capitaux dans toutes les branches d’industrie. Ils ont développé les ressources du pays, ils ont construit ou amélioré les moyens de communication, ils ont créé le commerce intérieur et extérieur. Tout le commerce en gros, une grande partie du commerce de détail, les fermes les plus profitables et les plus florissantes sont maintenant entre les mains de cette minorité numérique de la Province.

Dans le Bas-Canada, la classe ouvrière vivant de gages, quoique comparativement considérable pour le continent Américain, est suivant nos idées peu nombreuse. La compétition entre les origines dans cette classe ne s’est manifestée que bien récemment, et encore cela ne se borne-t-il qu’aux cités. La plus grande partie de la classe ouvrière est d’origine française et est dans l’emploi des capitalistes anglais. La classe la plus expérimentée des artisans se compose généralement d’Anglais. Mais dans le cours des occupations plus matérielles, les Canadiens défendent bien le terrain contre la rivalité anglaise. L’émigration qui a eu lieu, il y a quelques années, a introduit dans le pays, une classe qui est entrée en une compétition plus directe avec les Canadiens Français par rapport à quelques-unes de leurs occupations dans les villes, mais les individus qui ont souffert de cette compétition sont peu nombreux. Je ne crois pas que les animosités qui existent entre les classes ouvrières des deux origines soient une conséquence nécessaire de l’opposition d’intérêt, ou de la jalousie qu’excitent les succès de la main d’œuvre britannique. Les préjugés nationaux exercent naturellement la plus grande influence sur la classe la plus illettrée ; la différence du langage est un obstacle plus difficilement surmonté ; les différences des usages et manières sont moins bien appréciés. Les ouvriers que l’émigration a introduits dans le pays comptaient parmi eux nombre de personnes ignorantes, turbulentes et démoralisées, dont la conduite et les manières révoltaient vraisemblablement les natifs mieux disciplinés et plus policés, de la même classe. La classe ouvrière se range d’ordinaire du côté de celle de ses compatriotes les mieux instruits et les plus riches. Une fois engagés dans la lutte, les passions de ces hommes étaient moins restreintes par l’éducation et la prudence ; et maintenant les hostilités nationales existent avec une fureur inouïe parmi ceux que des intérêts réels semblaient devoir le moins mettre en collision.

Les deux races ainsi distinctes ont été placées dans une même société sous des circonstances qui devaient nécessairement produire dans leurs rapports, une collision. D’abord la différence du langage les tenait séparée. Ce n’est nulle part une vertu du peuple anglais de supporter avec tolérance des manières, des usages ou des lois qui lui sont étrangères ; accoutumé à former une haute opinion de sa propre supériorité, il ne s’occupe point de cacher aux autres son mépris et son aversion pour leurs usages. Les Anglais ont trouvé dans les Canadiens Français une somme égale d’orgueil national : orgueil susceptible mais inactif qui dispose ce peuple moins à ressentir une insulte qu’à se tenir éloigné de ceux qui voudraient les tenir dans l’abaissement. Les Français ne pouvaient s’empêcher d’apercevoir la supériorité de l’esprit d’entreprise des Anglais. Ils ne pouvaient point se cacher leurs succès dans toutes les entreprises dans lesquelles ils venaient en contact, et la supériorité constante qu’ils acquéraient chaque jour. Ils regardèrent leurs rivaux avec alarme, avec jalousie, et finalement avec haine. Les Anglais les payaient de mépris, et ce mépris dégénéra bientôt en haine. Les Français se plaignaient de l’arrogance et de l’injustice des Anglais ; les Anglais reprochaient aux Français les vices d’un peuple faible et conquis ; ils les accusaient de bassesse et de perfidie. L’entière défiance que chacune des deux races a ainsi appris à concevoir des intentions de l’autre, a été la cause qu’elles ont toujours mis les plus mauvaises interprétations sur les démarches les plus innocentes ; qu’elles ont toujours mal jugé des discours, des faits et des intentions de l’une et de l’autre ; qu’elles se sont attribuées les desseins les plus odieux et qu’elles ont rejeté toutes propositions de bienveillance ou de justice comme couvrant des projets secrets de perfidie ou de malignité.

La religion ne formait aucun bien de rapprochement ou d’union. C’est en effet un caractère admirable de la société canadienne qu’on n’y trouvera aucune discrétion religieuse. L’intolérance de secte y est non seulement réprimée, mais elle y semble à peine influencer l’esprit de l’homme. Mais quoique la prudence et la libéralité des deux parties aient empêché ce germe fertile d’animosité, d’envenimer leurs querelles, la différence de religion a cependant eu l’effet de les tenir éloignés l’un de l’autre. Ils ont eu leurs prêtres séparés ; ils ne se sont même pas trouvés souvent réunis dans une même Église.

Ils n’ont point eu d’éducation commune qui ait tendu à faire disparaître ou diminuer les différence d’origine et de langage. Les associations de jeunesse, les amusements de l’enfance et les études qui modifient le caractère de l’âge virile sont distinctes, totalement différentes. À Montréal et à Québec il y a des écoles Anglaises et des écoles Françaises. Les élèves des unes et des autres sont accoutumés à se battre nation contre nation ; et les querelles qui ont lieu entre les enfans dans les rues présentent souvent une division en deux camps, composés d’un côté d’Anglais et de l’autre de Français.

Comme ils sont instruits séparément, leurs études sont aussi bien différentes, la littérature familière aux uns et aux autres, est celle de leur langue particulière ; et les idées que les hommes puisent dans les livres leurs viennent des sources toutes différentes. La diversité du langage à cet égard produit des effets bien autres que ceux qu’elle a dans le rapport habituel des deux races. Ceux qui ont réfléchi sur l’influence du langage, sur la pensée, devront concevoir combien des hommes qui parlent un langage différent, enclins à penser différemment ; et ceux qui sont familiers avec la littérature française savent que la même opinion sera exprimée par un auteur anglais et un auteur français contemporain, non seulement dans des termes différents, mais dans un style ni dissemblable qu’il indiquera une manière de voir et de penser différente. Cette disparité est très frappante dans le Bas-Canada ; elle n’existe pas seulement dans les livres les plus en réputation qui, comme de raison, sont ceux des grands écrivains de France et d’Angleterre et lesquels servent à former l’esprit des races respectives, mais peut s’observer dans les écrits que publie journellement la presse coloniale. Les articles des Gazettes de l’une ou de l’autre race sont écrits dans un style aussi différent que celui des journalistes de France et d’Angleterre l’est à présent, et les argumens qui portent la conviction dans l’esprit des uns paraissent entièrement inintelligibles à celui des autres.

La différence du langage produit encore des malentendus plus funestes encore que ceux qu’elle produit par rapport aux opinions ; de là résulte l’accroissement d’animosités nationales, fruit des fausses représentations des événements de chaque jour, peinte sous des couleurs toutes différentes. Les fausses expositions des faits politiques sont un des inconvéniens de la liberté de la presse dans un pays libre ; mais chez une nation où l’on parle un même langage ceux qui reçoivent le mensonge d’un côté ont généralement le moyen d’apprendre la vérité de l’autre. Dans le Bas-Canada où les papiers anglais et français sont l’organe d’opinions opposées et où il n’y a que peu de personnes qui puissent avec facilité lire les deux langues, ceux auxquels on adresse le mensonge sont rarement en état de profiter du moyen de le corriger. Il est difficile d’imaginer la perversité avec laquelle on distribue habituellement les fausses représentations et les erreurs grossières auxquelles, on donne cours parmi le peuple ; c’est ainsi qu’ils vivent dans un monde de fallacieuses représentations où chaque parti est en arrêt contre l’autre, non seulement par la diversité des sentiments et des opinions, mais par la croyance qu’ils mettent dans une série de faits entièrement opposés.

Les différences qui résultent d’abord de la différence de l’éducation et du langage ne sont nullement adoucies, par les rapporta de la vie civile ; les affaires et les occupations ne produisent point entre les deux races des relations d’amitié et de coopérations, mais ne les placent face à face que dans une attitude de rivalité. Une émulation louable a dernièrement induit les Français à s’élancer dans une carrière ci-devant occupée par les Anglais, et à essayer de lutter de compétition avec eux dans le commerce, mais il est beaucoup à regretter que cet effort n’ait eu lieu que lorsque les animosités nationales avaient atteint leur plus haut degré d’irritation, et que la compétition ait été conduite de manière à augmenter les jalousies pré existantes. L’établissement de la Banque du Peuple par des Capitalistes Français est un événement que l’on peut regarder comme un indice satisfaisant du réveil de l’énergie commerciale de la population française, et c’est pourquoi il est beaucoup à regretter que le succès de cette nouvelle entreprise ait été uniformément propagé au moyen d’appels directes et illibéraux à des sentiments de races et de nationalités. Des Canadiens Français ont construit des bateaux à vapeur pour lutter contre le monopole dont une association combinée de Capitalistes Anglais avaient joui sur le Saint Laurent, et quoique petits et quelque peu confortables qu’ils fussent, ils ont été encouragés à cause de leur supériorité, sous les rapports essentiels de la sûreté et de la célérité ; mais l’on ne considérait pas que cela fut suffisant pour assurer leur succès ; des appels constants étaient faits aux sentiments nationaux de la population française, pour un encouragement exclusif de la ligne Française, et je me rappelle qu’un journal français annonçait avec satisfaction que le jour précédent, les bateaux à vapeur français de Québec et de La Prairie étaient arrivés à Montréal avec un grand nombre de passagers, tandis que les vaisseaux anglais n’en avaient que peu. D’un autre côté les Anglais en appelaient aux mêmes sentiments, et étaient dans l’habitude d’appliquer aux bateaux canadiens les épithètes de « Radicaux, » de « Rebelles » et de « Déloyaux. » L’introduction de cette espèce de favoritisme national dans cette ligne d’affaires a produit un effet particulièrement pernicieux, en ce qu’il a encore isolé les deux races dans les occasions peu nombreuse où ils avaient ci-devant coutume de se rencontrer. Il est rare qu’ils se réunissent ensemble dans les cafés des villes : les hôtels principaux sont exclusivement visités par des Anglais et des touristes étrangers ; tandis que les Français se voient d’ordinaire chez les uns et les autres, ou dans des maisons de pension où ils ne rencontrent que peu d’Anglais.

Leurs amusements non plus ne les mettent pas davantage en contact. Il n’a jamais existé de commerce social entre les deux races, si ce n’est chez les hautes classes, et il est maintenant presque détruit. Je n’ai entendu parler que d’une maison à Québec où les deux races se rencontraient sur un assez bon pied d’égalités et d’amitié, et c’est ce qu’on regardait comme un exemple singulier de bonsens de la part du Monsieur auquel elle appartient. Au commencement de l’administration de Lord Aylmer, M. Papineau, Orateur de la Chambre d’Assemblée, invita sa Seigneurie chez lui. On comprit généralement que cela était donné comme une marque de confiance et de bon vouloir envers le Gouverneur, et de disposition à la conciliation. Ce dîner fut donné sur une grande échelle, et il y avait un grand nombre, et de ce nombre de convives comme j’en ai été informé par un Monsieur qui était présent, il n’y avait que lui et un autre d’Anglais, outre le Gouverneur et sa suite. En effet, la différence des usages chez les deux races rend presque impossibles les relations générales de société.

Un singulier exemple incompatibilité nationale tomba à ma connaissance, dans une tentative que je fis pour l’avancement d’une entreprise, dans laquelle on disait que les Français prenaient beaucoup d’intérêt. J’acceptai la charge de Président de la société d’Agriculture du District de Québec et j’assistai à l’exhibition qui précéda la distribution des prix. Je trouvai alors que les cultivateurs Français ne voulaient pas concourir même sur ce terrain neutre avec les Anglais. Il fut donné des prix distincts aux deux races, dans presque tous les départements ; et les concours au labourage nationaux se poursuivirent dans deux champs séparés et éloignés.

Tel étant leur commerce social, on ne doit pas s’attendre à ce que les animosités des deux races puissent souvent s’adoucir par la formation de connexions domestiques. Pendant la première période de la possession de la colonie par les Anglais, les alliances entre des personnes des deux races n’étaient nullement rares. Maintenant ces alliances sont très peu fréquentes, et encore n’ont-elles lieu que dans quelques familles françaises, qui par la politique et presque par la nationalité sont séparées de la masse de leurs concitoyens. Je pourrais rapporter une foule de légères particularités de la société canadienne pour démontrer ce sentiment général et invétéré de division entre les deux races ; mais rien, et cela sentira un peu le paradoxe, rien, dis-je, ne prouve mieux l’entière séparation des deux races, que le petit nombre, et l’absence presque entière, de rencontres personnelles entre les individus de l’une et de l’autre race. Les différents de ce genre n’ont lieu presque qu’entre les gens du peuple, et il est rare qu’ils dégénèrent en actes de violence. Quand aux autres classes, les fréquentations sociales sont si rétrécies, que les plus acharnés ou les plus susceptibles antagonistes ne se rencontrent jamais dans un même salon. Il est venu à ma connaissance qu’un Monsieur, qui avait été pendant quelques années un des plus actifs et des plus chauds meneurs parmi la population anglaise, ne s’était jamais rencontré privément avec des Canadiens Français de la même classe que lui, lorsqu’il en rencontra quelques uns à table sur l’invitation de personnes attachées à ma mission, lesquelles étaient dans l’habitude de se lier également avec les Français et les Anglais. Il n’y a par conséquent aucunes discussions personnelles sur la politique. Les occasions de difficultés ne se rencontrent jamais, et pour quereller il faut le faire si publiquement où tellement de propos délibérés, que la prudence empêche les individus de se faire entr’eux des querelles, qui finiraient probablement par des luttes générales et sanglantes entre les masses. Les appréhensions mutuelles préviennent les disputes et les démêlés personnels, même parmi les gens du peuple ; les Français connaissent et redoutent la force physique supérieure des Anglais dans les villes ; et là même les Anglais évitent d’user de leur pouvoir, craignant les représailles qu’on pourrait exercer contre leurs compatriotes épars dans les établissemens ruraux.

Ce sentiment de tolérance réciproque va si loin qu’il produit un calme apparent par rapport aux affaires publiques, propre à embarrasser un étranger qui a entendu parler beaucoup des animosités qui règnent dans la Province. On n’y en aperçoit aucune trace dans les assemblées publiques ; elles ont lieu de tout côté, dans des moments d’agitation, sans troubles, et presque sans division d’opinions. Le fait est que les deux partis en sont venus à un entendement tacite de ne point se heurter dans ces occasions ; chacun des deux partis sachant qu’il serait toujours en son pouvoir d’empêcher ces assemblées. Le parti anglais par conséquent a ses assemblées, et le parti français les siennes ; et ni l’un ni l’autre ne se nuisent. Les adresses de félicitation que j’ai reçues en diverses occasions indiquaient la même séparation, dans une matière sur laquelle l’esprit de parti semblait devoir peu s’exercer, ou du moins se tenir caché par calcul ou par bienséance. J’ai reçu des mêmes localités des adresses françaises et des adresses anglaises, et je n’ai jamais vu les deux races se réunir, si ce n’est dans peu d’occasions où j’ai rencontré les noms de deux ou trois individus isolés, qui se trouvaient vivre parmi des personne de l’autre origine. Les deux partis ne s’unissent pour aucun objet public ; ils ne peuvent pas même s’accorder pour des institutions de charité. La seule occasion publique où ils se rencontrent est dans les corps de Jury ; et l’obstruction entière de la justice en est le résultat.

Les hostilités qui règnent ainsi dans toute la société s’envenimaient depuis quelque temps avant d’avoir pris l’aspect imposant qu’elles ont pris dans la politique du pays. De pareils sentiments dans la société devaient nécessairement produire une lutte à mort dans la politique. Les Français voyaient avec jalousie l’influence politique d’une classe étrangère qui s’accroissait tous les jours, pour laquelle ils n’avaient que de l’aversion et qu’ils redoutaient ; les Anglais fortunés étaient irrités que leurs propriété leur donnaient point de l’influence sur les Français qui étaient dans leur dépendance, et qui suivaient la bannière des meneurs de leur origine ; et les fermiers et les commerçants d’origine britannique ne tardèrent pas à se fatiguer d’être frappés d’une nullité complète au milieu d’une population en majorité, dont ils méprisaient l’ignorance et dont les vues et la conduite politiques étaient si différentes de leurs notions sur la théorie et la pratique d’un Gouvernement populaire. On ne peut pour un moment hésiter à accorder aux Anglais une supériorité de connaissances politiques et pratiques. La grande masse de la population canadienne, incapable de lire et d’écrire, et qui n’a pu acquérir dans le peu d’institutions que le pays possède même les élémens d’une éducation politique, était décidemment inférieure aux émigrés anglais, dont la plus grande partie avait reçu une assez bonne éducation, et qui avaient été accoutumés dans leur pays à prendre une part active dans les affaires publiques d’une nature ou d’une autre. Quant aux classes éclairées, la supériorité n’est pas si générale ni si apparente ; en vérité, d’après les informations que j’ai pu recueillir, je suis porté à croire que la plus grande portion de raffinement, d’idées spéculatives, et de connaissances qui s’acquièrent dans les livres, doit se trouver, à quelques exceptions ballantes près, du côté des Français. Mais je n’hésite pas à déclarer, même avec beaucoup d’assurance, que les circonstances dans lesquelles se sont trouvés placés les Anglais dans le Bas-Canada, usant de l’éducation politique qu’ils avaient déjà reçue, ont fait acquérir à leurs chefs une sagacité pratique, un tact et une énergie dans les affaires politiques qui, je dois l’avouer, eu égard, suivant moi, au vice des institutions locales, manquaient d’une manière déplorable aux partisans français. Il était impossible qu’une race qui se sentait supérieure par l’activité et les connaissances politiques, supportât avec patience la domination d’une majorité qu’elle ne pouvait respecter. Quand et par quelle cause particulière les hostilités entre cette majorité et cette minorité, qui devaient nécessairement entrer en collision, ont-elles pris un caractère de première importance, cela est difficile à dire. Les hostilités existantes entre l’assemblée et le Gouvernement avaient depuis longtemps donné lien à des attaques, de la part des partisans populaires, contre la nation à laquelle appartenait ce Gouvernement. L’on dit que les appels à l’orgueil national des Français et à leurs animosités devinrent plus directs et plus généraux lors du projet manqué d’unir le Haut et le Bas-Canada, en 1822 ; projet que les meneurs de l’assemblée envisagèrent ou représentèrent comme une attaque dirigée contre les institutions de leur pays. Les sentimens haineux des Anglais furent aigrie par les dénonciations que, subséquemment à cette époque, ils furent dans l’habitude d’entendre faire contre eux. Ils avaient, sans doute, quelque sympathie pour les membres du gouvernement provincial de leur origine ; et leurs sentiments d’attachement pour la connexion de la Colonie avec la Grande-Bretagne n’en furent que plus excités par les procédés de l’assemblée, qui semblaient devoir mettre en danger cette connexion. Mais les abus du Gouvernement colonial donnaient tant de motifs à l’opposition, que les représentants des deux races continuèrent pendant longtemps à se réunir contre le système existant.

Et comme la masse de la population anglaise, fixée dans les Townships et sur les bords de l’Outaouais n’avait que peu de rapports personnels avec la population française, je suis porté à croire que cela aurait pu durer plus longtemps, jusqu’à ce que les distinctions nationales eussent pris un caractère de gravité supérieure à toutes autres considérations, si l’assemblée ne se fut mise en collision avec toute la population anglaise par son système d’améliorations intérieures, et par sa politique relativement aux lois surannées et défectueuses du pays, lesquelles gênaient les aliénations foncières, et la formation des associations commerciales.

La population anglaise, composée d’émigrés entreprenants, regardaient les Provinces américaines comme un vaste champ d’exploitation et de commerce, et conformément aux idées communes des Anglo-Saxons de ce continent, elle pensait que le devoir principal du gouvernement était de promouvoir par tous les moyens législatifs et administratifs possibles, l’augmentation de la population et l’accumulation de la propriété ; elle trouva les lois concernant la propriété extrêmement gênantes pour les aliénations, qui, dans un pays nouveau, sont absolument nécessaire aux défrichements et aux améliorations ; elle trouva les communications intérieures dans le plus déplorable état, et le manque d’institutions locales et municipales lui rendait nécessaire de s’adresser à l’assemblée pour chaque chemin, pont ou autre ouvrage public dont on avait besoin ; elle désira former des compagnies pour établir des Banques, construire des chemins de fer et des canaux et obtenir les pouvoirs nécessaires pour effectuer ces entreprises avec ses capitaux. Et comme la chose la plus essentielle pour l’amélioration du pays, elle désirera qu’une grande partie du revenu fût employée à compléter cette grande chaîne de travaux publics, aux moyens desquels on projetait de rendre le Saint-Laurent et l’Outaouais navigables dans toute leur étendue.

Sans aller aussi loin que d’accuser l’assemblée d’un dessein prémédité d’entraver l’établissement et l’amélioration du Bas-Canada, on ne peut nier qu’elle voyait avec jalousie et défiance l’augmentation et la prospérité d’une race qu’elle regardait comme étrangère et ennemie ; elle regardait la Province comme le patrimoine du peuple de son origine, comme un pays, non pas à établir, mais comme déjà établi ; et au lieu de législater d’après l’esprit Américain, et de pouvoir d’abord pour la population future du pays, son objet principal fut, conformément à l’esprit de la législation qui prévaut dans l’ancien monde, de mettre en sûreté et de conserver les intérêts et les sentimens des anciens colons, auxquels elle considérait les nouveaux venus comme subordonnés ; elle refusa de charger le pays de nouvelles taxes pour subvenir aux dépenses des améliorations requises, et refusa aussi d’appliquer à cet objet les fonds déjà destinés à d’autres fins. L’amélioration du Port de Montréal a été suspendue par suite d’antipathies politiques contre un des premiers marchands anglais qui avait été le plus actif des commissaires, et aux soins duquel le plus admirable succès était dû. Il est juste de dire que quelques-uns des travaux autorisés et encouragés par l’assemblée furent entrepris sur une échelle sage et modérée, et terminés et mis en opération d’une manière satisfaisante. Quant à d’autres, comme les grandes voies de communications dont j’ai parlé plus haut, l’assemblée montra une grande répugnance à les encourager ou même à les permettre. Il est vrai qu’elle avait des objections bien fondées contre le plan sur lequel la législature du Haut-Canada avait commencé ces travaux, et contre la manière dont on s’y était pris, mais les Anglais se plaignaient que l’assemblée, au lieu de profiter de l’expérience qu’elle aurait pu tirer de là, ne semblait profiter de ces objections que comme d’un prétexte pour ne rien faire. Les applications pour des banques, chemins de fer et canaux furent mise de côté jusqu’à ce que des mesures générales eussent été adoptées par rapport à ces entreprises, mais ces mesures générales ainsi promises ne vinrent jamais, et les entreprises particulières furent paralysées. L’établissement de bureaux d’enregistrement fut refusé sur le motif prétendu de leur incompatibilité avec les Institutions françaises de la province, et les membres influents de l’assemblée ne préparaient aucune mesure pour obtenir ce but désirable d’une manière moins subversive. On conserva la tenure féodale comme un moyen juste et facile de coloniser un nouveau pays ; l’assurance donnée par un comité de l’assemblée qu’on prendrait quelques mesures pour écarter quelques-uns des inconvénients les plus nuisibles de la tenure seigneuriale n’eût aucun résultat pratique ; et les entreprises des Anglais continuèrent d’être entravées par le système insuffisant et suranné des lois du pays. Dans les décisions de l’assemblée dans ses discussions, et dans les motifs apparents de sa conduite, les Anglais apercevaient l’indice du désir de prévenir l’émigration et les progrès de leur race. Une mesure, tendant à imposer une taxe sur les émigrés, quoique recommandée par le Gouvernement Impérial, et supportée de l’exemple des États voisins, qui donnent le plus grand encouragement à l’émigration, fut traitée dans l’assemblée d’après des motifs qui donnèrent justement lieu de soupçonner l’intention de fermer l’entrée à toute émigration Anglaise ci-après ; et l’industrie Anglaise fut ainsi arrêtée par cette conduite de l’assemblée. Quelques districts, particulièrement les Townships de l’Est où il n’y a pas de Français, souffrirent beaucoup du refus des améliorations nécessaires ; et les habitans d’origine anglaise regardèrent généralement la politique de l’assemblée comme un plan de prévenir l’émigration, d’arrêter les progrès de la richesse britannique, et de rendre précaires les propriétés qu’ils avaient déjà acquises dans le Bas-Canada.

L’assemblée, dont ils se plaignaient ainsi, et sur le compte de laquelle ils entretenaient de sérieuses appréhensions, était aussi en même temps en collision avec l’Exécutif. Le parti en pouvoir, et qui au moyen du Conseil Législatif tenait l’assemblée en échec, profita avec joie des mécontentemens de cette puissante et énergique minorité, pour lui offrir sa protection, et lui promettre l’obtention de ses vues. C’est ainsi que par des motifs et pour des objets bien différents se cimenta cette alliance étrange de la population anglaise et des officiels contre un ennemi commun. Les Anglais demandaient des réformes et des mesures libérales à l’assemblée, qui les leur refusait, tandis qu’elle demandait d’autres mesures libérales et d’autres réformes au Gouvernement Exécutif. L’assemblée se plaignait de l’usage oppressif du pouvoir de la part de l’Exécutif ; de leur côté les Anglais se plaignaient de ce qu’étant en minorité, la majorité française usait de son pouvoir pour les opprimer. Ainsi une démocratie entreprenante et éclairée était forcée, par son besoin de mesures libérales, joint à l’antipathie nationale, de faire cause commune avec un gouvernement qui était aux prises avec la majorité sur la question des droits populaires. La lutte a commencé par une collision entra l’Exécutif et la majorité française ; et, comme la population anglaise se rallia autour du gouvernement, dont elle épousa la cause, en prenant le titre de loyale, les causes des difficultés furent naturellement jugées plus simples qu’elles ne l’étaient ; l’étendue de la division qui existait, dans le Bas-Canada, le nombre et la nature des combattant rangés de chaque côté, et la cause irrémédiable des difficultés échappèrent à l’observation publique.

La tentative révolutionnaire du parti Français de mettre à effet ses vues politiques, par un appel aux armes, a eu l’effet de mettre aux prises dans une lutte armée ces deux races hostiles. Je ne m’arrêterai pas à décrire les tristes scènes qui ont eu lieu dans le cours de la contestation, où les passions haineuses se sont déchaînées sans entraves dans le cours de l’insurrection ou après sa suppression. Il est aisé de concevoir combien les maux, que j’ai décrits comme existants ci-devant, ont été aggravés par la guerre ; combien la terreur et la vengeance ont nourri dans chacune des deux populations une haine invétérée et irréconciliable pour l’autre, et pour les institutions du pays. La population française qui avait pendant quelque temps exercé un grand pouvoir et un pouvoir croissant par l’intermédiaire de l’assemblée, a vu toutes ses espérances inopinément réduites au néant. Sa force physique qu’elle avait prônée, mise à l’épreuve, a été reconnue inefficace. L’espérance de voir revivre son premier ascendant sous une constitution semblable à celle qui lui a été enlevée, a presque cessé d’exister. Privés de toute participation dans le gouvernement actuel de leur pays, les colons français rappellent en silence le souvenir de leurs compatriotes tombés, de leurs villages détruits, de leurs propriétés ruinées, de leur ascendant perdu et de leur nationalité humiliée. Ils attribuent ces maux au gouvernement et aux Anglais, et nourrissent contre le premier et les seconds une haine égale et éternelle. De leur côté les Anglais n’ont point oublié dans leur triomphe la terreur qui les saisit, lorsqu’ils se virent environnés d’une majorité en insurrection, et les incidens qui ont semblé seuls les sauver de l’entière domination de leurs antagonistes. Ils voient qu’ils ne sont encore qu’une minorité au milieu d’un peuple ennemi et organisé ; ils craignent constamment de secrètes conspirations et des desseins perfides ; et leur seul espoir de sûreté semble reposer sur le plan systématique de tenir les Français dans la consternation et dans l’impossibilité de remuer, et d’empêcher jamais une majorité de cette origine de dominer dans la législature de la province. Je décris en termes énergiques les sentimens qui m’ont semblé animer chaque portion de la population ; et le tableau que je trace ressemble si peu à l’état de chose avec lequel le peuple de ce pays est familier, que plusieurs croiront que tout ceci est l’œuvre de l’imagination ; mais je suis assuré que tous ceux qui ont vu l’état de la société en Canada durant l’année dernière, rendront témoignage, de l’exactitude et de la modération de la description que j’en ai fait. Je n’exagère pas plus la durée inévitable de ces animosités que leur intensité. Jamais la présente génération des Canadiens Français ne se soumettra avec loyauté à un gouvernement britannique ; jamais la population anglaise ne souffrira l’autorité d’une chambre d’assemblée dans laquelle les Français auront ou même disputeront une majorité.

Ce n’est pas seulement le fonctionnement du gouvernement représentatif que les présentes dispositions des deux races mettent hors de question ; toute institution qui demande pour son efficacité la confiance dans la masse du peuple, ou la coopération de ses différentes classes, est en pratique suspendue dans le Bas-Canada. La milice dont ont dépendu jusqu’à présent la principale défense de la province contre les ennemis étrangers, et l’exécution d’un bon nombre de fonctions de police intérieure, est dans une désorganisation complète. La réunion de cette force serait dans quelques districts, l’occasion de querelles entre les races, et dans la plus grande partie du pays, essayer de l’armer ou de l’employer, serait tout simplement armer les ennemis du gouvernement. Le cours de la justice est entièrement obstrué par la même cause et on ne peut compter sur une décision juste dans aucune cause politique ; même le banc judiciaire est, dans l’opinion des deux races, divisé en deux sections hostiles de Français et d’Anglais, de l’une ni de l’autre desquelles la masse du parti hostile n’attend aucune justice. La partialité des grands et petits Jurys est une matière de certitude, chaque race compte sur les votes de ses compatriotes pour la faire échapper intacte à la justice, et le mode de récusation permet une telle exclusion du parti hostile, que le délinquant français peut s’assurer d’un Jury favorable, et l’Anglais espérer d’en avoir un, et par conséquent un verdict d’acquittement. Cet état de choses, et l’impunité qui en résulte pour les offenses politiques, sont distinctement admis des deux côtés. Le procès des meurtriers de Chartrand a placé cette disposition des Jurés français sous un jour des plus frappant ; les notes du juge en chef en cette cause ont été par moi transmises au secrétaire d’état, et leur lecture convaincra tout homme candide et bien pensant, qu’un lâche et cruel assassinat commis sans une seule circonstance provocatrice ou palliative, fut prouvé par des témoignages dont personne n’a jamais prétendu douter, contre les prisonniers, que néanmoins le Jury acquitta. La presse française avait très instamment et honteusement inculqué, avant le procès, le devoir de rendre ce verdict déshonnête ; on a dit que les Jurés avaient été tenus pendant quelque temps auparavant entre les mains de partisans zélés, chargés non-seulement d’influencer leur inclination, mais de stimuler leur courage ; le grand nombre des chefs du parti qui étaient présents au procès fut supposé avoir été rassemblé pour la môme fin ; et il est notoire que l’acquittement fut célébré à des banquets publics, auxquels les Jurés furent invités pour qu’ils fussent remerciés de leur verdict.

Mais l’influence de cette animosité n’arrête pas seulement le cours de la justice dans les affaires politiques. Un exemple de cette nature a dernièrement eu lieu à Québec. Une personne avait été indictée et poursuivie dans un terme précédent, pour une offense qui compromettait sérieusement son caractère moral, l’accusation avait été supportée par un témoin, que le jury considéra comme parjure et l’accusé fut acquitté. Ayant raison de croire que le témoin avait été suborné par un voisin, ce dernier fut indicté pour subornation de parjure, et le témoin en question, qui avait comparu en premier lieu fut amené pour prouver la fausseté de son premier témoignage, et qu’il avait été suborné par le dernier accusé. La preuve de subornation paraissait n’être supportée que par ce témoin, le jury différa d’opinion, une partie croyant la culpabilité de l’accusé suffisamment établie, et l’autre partie refusant de croire le témoignage donné par celui qui avait été produit pour prouver son propre parjure. Ceci était une différence d’opinion qui pouvait arriver dans tout corps de jurés ; mais comme toutes les parties étaient d’origine française, et comme il n’y avait rien dans cette affaire qui pût la faire considérer comme ayant aucun rapport à la politique, il paraîtra singulier, que le jury étant composé également de Français et d’Anglais, tous les Français furent d’un côté et les Anglais de l’autre. Après une longue discussion le jury vint en cour, et déclara qu’il était incapable de s’accorder ; et le Foreman ayant été informé qu’ils devaient s’accorder, répondit qu’ils étaient également divisés entre Français et Anglais et que par conséquent ils ne pouvaient s’accorder ; après avoir été renfermés pendant douze heures, ils furent déchargés sans rendre un verdict : ainsi dans un cas même où il n’y avait aucune question de parti ou d’origine, l’animosité des races paraît cependant s’être présentée comme une barrière insurmontable à l’administration impartiale de la justice.

Dans un tel état de sentiments, la marche du gouvernement civil est suspendue sans espérance. Il ne peut y avoir aucune confiance dans les institutions existantes ou de sûreté pour les personnes et les propriétés. On ne doit pas être surpris que cet état de choses ait détruit la tranquillité et le bonheur des familles, qu’il ait déprécié la valeur des propriétés et qu’il ait dû arrêter les améliorations et l’établissement du pays. La baisse alarmante dans la valeur des biens-fonds m’a été prouvée par quelques-uns des principaux propriétaires de la Province. La diminution continuelle et progressive des revenus, quoiqu’elle puisse être, jusqu’à un certain point, attribuée à d’autres causes, indique une diminution dans la richesse du pays. Le principal commerce d’exportation de la province, le commerce des bois, n’a pas souffert ; mais au lieu d’exporter du grain, la province est maintenant obligée d’en importer pour sa propre consommation. L’émigration qui pendant un temps a été si considérable, a grandement diminué. En 1832 le nombre des émigrés qui sont débarqués an port de Québec, se monte à 52 000, en 1837 il n’a été qu’un peu plus de 22 000, et en 1838 il ne s’est pas monté à 5000. Le manque de sûreté commence à se faire fortement sentir par les habitans loyaux des seigneuries, tellement que beaucoup d’entre eux sont forcés, par la crainte ou le besoin, d’abandonner leurs occupations, et de chercher un refuge dans les villes. Si cet état de choses continue, les capitalistes les plus entreprenants et les plus riches de la province seront en peu de temps chassés de dessus leurs propriétés acquises par leur industrie.

Il ne paraît pas non plus y avoir la plus petite chance de mettre fin aux animosités existantes pendant la présente génération. Les passions enflammés pendant un aussi long temps ne peuvent promptement être calmées. L’état de l’éducation que j’ai mentionné comme plaçant les paysans entièrement à la merci des agitateurs, l’absence totale d’aucune autorité organisée pour contrecarrer cette influence nuisible, et l’affaiblissement sérieux de l’influence du clergé dans le district de Montréal, concourent A mettre le gouvernement dans l’impossibilité de ramener à de meilleurs sentiments la population française. Il est même impossible d’imprimer sur un peuple dans cette situation, la crainte salutaire du pouvoir de la Grande-Bretagne, que la présence d’une grande force militaire dans la province devrait produire. J’ai été informé par de si nombreux témoins et si dignes de foi, que je ne puis douter de ce qu’ils m’ont rapporté, que les paysans ignoraient généralement qu’une force considérable avait été envoyée dans le pays dans le courant de l’été dernier. Les gazettes qui circulent parmi eux les avaient informés que la Grande-Bretagne n’avait aucune troupe d’envoyer et que dans le but de faite impression sur l’esprit des habitants des campagnes, on faisait faire aux mêmes régiments des marches et contre-marches d’un côté et d’autre, dans les différentes directions pour leur faire croire que c’étaient des forces nouvellement arrivées.

Ces insinuations furent répandues parmi le peuple par les agitateurs de chaque village ; et je n’ai aucun doute que la masse des habitants croyait vraiment que le gouvernement voulait leur en imposer par cette espèce de fraude. C’est une population avec laquelle l’autorité n’a aucun moyen de s’expliquer. Il est même difficile de s’assurer quel degré d’influence les anciens meneurs du parti Français possèdent maintenant. Le nom de M. Papineau est encore chéri par le peuple ; et l’idée courante est, qu’à un jour fixé, il retournera en Canada à la tête d’une armée considérable et qu’il rétablira la nation canadienne. Mais il y a des grandes raisons de douter, si on ne se sert pas de son nom comme d’un mot de ralliement, et si le peuple ne marche pas entièrement contre ses conseils et sa politique ; et s’ils ne sont pas réellement sous l’influence d’agitateurs séparés, qui n’ont aucun plan que celui d’une détermination absurde et étourdie de montrer par tous les moyens, leur haine au gouvernement britannique et à la race anglaise. Leurs projets et leurs espérances futurs sont également inintelligibles. Quelques espérances vagues d’indépendance absolue, paraissent encore les séduire. La vanité nationale, qui est un ingrédient remarquable dans leur caractère, fait concevoir à beaucoup l’idée d’une république canadienne. L’instruction plus soignée des autres leur fait voir qu’une séparation de la Grande-Bretagne sera suivie d’une alliance avec la grande confédération des États-Unis. Mais ils paraissent peu s’occuper des conséquences pourvu qu’ils se vengent des Anglais. Il n’y a aucun peuple contre lequel des associations de jeunesse, et toute différence concevable de manières et d’opinions, ont gravé dans l’esprit des Canadiens, une antipathie nationale plus ancienne et plus enracinée que celle qu’ils ressentent contre le peuple des États-Unis. Les plus prévoyants ne leurs chefs voient que la chance de conserver leur nationalité serait grandement diminuée par une union avec les États-Unis. Les symptômes récents de sentiments anti-catholiques dans la Nouvelle-Angleterre, et qui sont bien connus de la population canadienne, ont répandus généralement l’idée que leur religion, relativement à laquelle ils ne font aucune plainte contre les Anglais, serait peu respectée ou favorisée par les Américains. Cependant aucune de ces considérations n’a de poids contre leur haine invétérée envers les Anglais ; et je suis persuadé qu’ils achèteraient la vengeance et un moment de triomphe, par l’aide d’un ennemi quelconque au prix de la soumission à aucun joug.

Cette cessation provisoire, mais complète, de leur ancienne antipathie contre les Américains est maintenant admise même par ceux qui la niaient le plus fortement le printemps dernier, et qui maintenaient alors qu’une guerre américaine réunirait aussi complètement la population contre l’ennemi commun, qu’elle le fit en 1813. D’après l’expérience subséquente que j’ai acquise, je n’ai aucun doute que les idées que je me suis formées et que j’ai mentionnées dans ma dépêche du 9 août, sont parfaitement correctes, et qu’une armée américaine qui envahirait le pays pourrait compter sur la coopération de presque toute la population française du Bas-Canada.

Dans la dépêche ci-dessus mentionnée j’ai aussi décrit l’état d’agitation de la population anglaise, et je ne puis entretenir l’espoir que cette portion de la société sort en aucune manière portée à aucun arrangement de la présente querelle, qui laisserait quelque partie du pouvoir à la race hostile. Les circonstances ayant été les Anglais dans les rangs du gouvernement, et la folie de leurs adversaires les ayant placés, d’un autre côté, dans un état de collision permanente avec lui, les premiers possèdent l’avantage d’avoir la force du gouvernement et l’autorité des lois de leur côté dans la position actuelle de la contestation. Leurs efforts pendant les derniers troubles ont contribué à maintenir la suprématie de la loi et la connexion avec la Grande-Bretagne ; mais il serait dans mon opinion bien dangereux de se fier sur la continuation des mêmes sentiments, dans le cas où le gouvernement impérial adopterait un système différent. En effet le sentiment qui prévaut parmi eux est bien loin d’être qu’ils sont satisfaits du système qui a depuis longtemps été suivi à l’égard du Bas-Canada par la législature et l’exécutif d’Angleterre. Le point de vue le plus calme que des spectateurs éloignés peuvent prendre de la conduite des deux partis et la disposition que l’on montre de régler avec justice les réclamations réciproques paraissent iniques et injurieuses aux yeux d’hommes qui croient qu’eux seuls ont des droits aux faveurs du gouvernement qu’ils ont seuls défendu. Ils se plaignent hautement et amèrement du système entier suivi par le gouvernement impérial, à l’égard de la querelle entre les deux races, comme ayant été fondé sur une ignorance complète ou une entière indifférence sur la question réelle ; comme ayant nourri les prétentions pernicieuses d’une nationalité française, et comme ayant, par la vacillation et l’inconsistance qui y ont présidé, découragé la loyauté et fomenté la rébellion. Ils regardent avec jalousie toute mesure de clémence ou même de justice envers leurs adversaires, comme indiquant une disposition vers cette politique conciliatoire qui est le sujet de leur amère souvenir ; car ils sentent qu’étant en minorité, un retour au système régulier d’un gouvernement constitutionnel les rendrait de nouveau soumis à une majorité française ; et je suis persuadé qu’ils ne se soumettraient jamais à cela paisiblement. Ils n’hésitent pas à dire qu’ils ne souffrirons pas beaucoup plus longtemps d’être le jouet des partis dans la mère-patrie, et que si celle-ci oublie ce qui est dû aux hommes loyaux et entreprenants de leur race, ils doivent se protéger eux-mêmes. Dans le langage significatif d’un de leurs plus chauds avocats, ils disent que « le Bas-Canada doit être anglais, au risque, s’il est nécessaire, de n’être pas britannique. »

Dans une dépêche plus récente que celle à laquelle j’ai si souvent eu occasion de référer, j’ai appelé l’attention du gouvernement anglais & l’accroissement de cet état alarmant des sentiments de la population anglaise. Les derniers troubles, et l’aide que les Insurgés français ont reçu de quelques-uns des Citoyens des États-Unis, ont été la cause d’une grande exaspération parmi les Canadiens loyalistes contre le gouvernement et le peuple américain. Leurs Gazettes ont dénoncé dans les termes les plus forts la bonne foi des autorités, le caractère et la morale du peuple, ainsi que les institutions politiques des États-Unis. Néanmoins sous cette apparence d’hostilités, l’on peut facilement trouver un penchant entraînant à des sentiments contraires. Comme l’opinion générale du peuple américain devenait de plus en plus apparente dans le cours de l’an dernier, les Anglais du Bas-Canada furent surpris de la force de la sympathie réelle de leurs voisins républicains en faveur des vues de la minorité, et cela en dépit des premières manifestations de sympathie avec un peuple qui était supposé lutter pour l’indépendance. Sans abandonner leur attachement à la mère-patrie, les Anglais du pays ont commencé, comme des hommes qui vivent dans un état d’incertitude le font ordinairement, par calculer les conséquences probables d’une séparation, si malheureusement elle arrivait, et qu’elle fût suivie d’une incorporation avec les États-Unis. En dépit du choc, que cela porterait à leurs sentiments, ils croient qu’ils trouveraient une compensation dans l’avancement de leurs intérêts. Ils croient que par l’émigration américaine, ils placeraient en bien peu de temps la race anglaise dans la majorité ; ils parlent fréquemment et hautement de ce qui est arrivé à la Louisiane, où par des moyens qui ne sont pas ceux qu’ils disent, le but cependant d’assurer une prépondérance anglaise sur la population française, a sans aucun dôme été atteint. Ils assurent avec confiance que les Américains régleraient bien promptement les prétentions des Français ; et ils croient qu’après que le premier choc d’un nouvel état politique serait passé, eux et leur postérité partageraient dans les progrès étonnants et dans cette prospérité que chaque jour leur démontre être le partage du peuple des État-Unis. Je ne crois pas que de tels sentiments aient encore affidé leur forte allégeance envers l’Empire britannique ; mais leur allégeance est fondée sur leur attachement profondément enraciné à des institutions anglaises comme étant supérieures aux françaises. Et s’ils trouvent que l’autorité qu’ils ont maintenue contre ceux qui ont voulu la détruire, doit pour l’avenir être exercée de manière à les assujettir de nouveau à ce qu’ils appellent une domination française, je suis parfaitement certain qu’ils s’efforceront d’éviter ce résultat, en cherchant sous aucun terme, une union avec un peuple anglo-saxon.

Tel est l’état lamentable et hasardeux des choses produit par le conflit des races qui a si longtemps divisé la Province du Bas-Canada, et qui a pris le caractère formidable et irréconciliable que je viens de dépeindre. Et représentant la nature de cette lutte, j’ai montré les causes de son origine ; et quoique j’aie mentionné la conduite et la constitution du gouvernement colonial comme modifiant le caractère de la lutte, je n’ai pas attribué à des causes politiques un état de choses, qui, je crois, sous toutes les institutions politiques, aurait résulté de la composition de la société. Une jalousie, entre deux races, si longtemps habituées à se considérer l’une et l’autre comme des ennemies héréditaires, et si différentes dans leurs habitudes, leurs langues et leurs lois, aurait été inévitable sous toute autre forme de gouvernement. Je n’ai aucun doute que des institutions libérales et une politique prudente auraient pu changer le caractère de la lutte, mais elles n’auraient pas pu l’empêcher ; on aurait seulement pu en adoucir le caractère et l’amener plus promptement à une issue plus décisive et plus paisible. Malheureusement, cependant, le système du gouvernement suivi dans le Bas-Canada a été basé sur une politique propre à perpétuer cette même séparation de races et à encourager les mêmes notions de haines nationales que le gouvernement dans le principe aurait dû arrêter et détruire. Depuis l’époque de la conquête jusqu’à ce jour la conduite du gouvernement a aggravé le mal, et l’origine du mal extrême actuel peut être trouvée dans les institutions qui ont formé le caractère actuel de la colonie.

Il y a deux modes par lesquels un gouvernement peut traiter avec un territoire conquis. Le premier moyen offert est celui de respecter les droits et la nationalité des possesseurs actuels ; de reconnaître les lois existantes, et de conserver les institutions établies ; de ne donner aucun encouragement à l’émigration du peuple conquérant, et, sans essayer aucun changement dans les éléments de la société, d’incorporer simplement la province sous l’autorité générale dit gouvernement central. Le second est de traiter le pays conquis comme un pays ouvert aux vainqueurs, d’encourager leur émigration, de regarder la race conquise comme entièrement subordonnée et de s’efforcer aussi promptement que possible d’assimiler le caractère et les institutions des nouveaux sujets à ceux de la grande masse de l’empire. Dans le cas d’un vieux pays depuis longtemps établi, où les terres ont leurs propriétaires, où il reste peu de place pour la colonisation, et où la race des possesseurs actuels doit continuer à constituer la masse de la population future de la province, la politique aussi bien que l’humanité rend le bien être du peuple conquis l’objet du premier soin d’un gouvernement juste, et commande l’adoption du premier système ; mais dans un nouveau pays, non encore établi, un législateur prudent doit regarder comme son premier objet les intérêts non seulement de quelques individus qui se trouvent dans le moment à habiter une partie du sol, mais ceux de cette population comparativement grande qui doit s’y établir ; ainsi qu’on peut raisonnablement espérer ; il formerait ses plans dans la vue d’attirer et de maintenir cette population future, et il établirait en conséquence les institutions qui seraient les plus acceptables à cette race qui doit coloniser la contrée. Le système que j’ai décrit comme le plus convenable à un ancien pays déjà établi, aurait été impossible sur le continent américain, à moins que l’état conquérant ne voulût renoncer à l’occupation immédiate des terres incultes de la province ; et dans ce cas un tel moyen n’aurait pas été convenable, à moins que le gouvernement britannique ne fût préparé à abandonner à la population éparse des Français qui se trouvaient dans le Bas-Canada, non seulement la possession de cette vaste étendue de sol fertile que contient cette province, mais aussi l’embouchure du Saint-Laurent et toutes les facilités pour le commerce que commande l’entrée de ce grand fleuve.

Dans les premiers règlements adoptés par le gouvernement anglais pour l’établissement des Canadas, dans la proclamation de 1763, et dans la commission du gouverneur en chef de la province de Québec, dans les offres par lesquelles les officiers et soldats de l’armée anglaise et les colons des autres provinces de l’Amérique du Nord furent tentés d’accepter des concessions de terre dans les Canadas, nous apercevons des signes très-clairs d’une intention d’adopter le second et le plus sage des deux systèmes. Malheureusement, cependant, la conquête du Canada fut presqu’immédiatement suivie par le commencement de ces mécontentement qui ont été terminés par l’indépendance des États-Unis. Depuis cette période la politique coloniale parait avoir subi un changement complet. Prévenir un nouveau démembrement de l’empire devint le premier objet de nos hommes d’état ; et l’on montra une anxiété particulière à adopter tous les moyens qui paressaient calculés à empêcher le reste des colonies du Nord de l’Amérique de suivre l’exemple d’une heureuse révolte. Malheureusement la différence de caractère national des Français du Canada, et leur ancienne hostilité contre le peuple de la nouvelle Angleterre présenta la plus facile et la plus sensible ligne de démarcation. L’isolement des habitants des colonies anglaises d’avec ceux des colonies révoltées devint la politique du gouvernement, et la nationalité des Canadiens-Français fut en conséquence préservée, comme moyen d’une séparation perpétuelle et complète de leurs voisins.[2]

Il parait aussi que la politique du gouvernement britannique a été de gouverner ses colonies, au moyen de divisions, et de les affaiblir autant que possible par de petites communautés isolées, incapables de combinaison et ne possédant aucune force suffisante pour une résistance individuelle à l’Empire. L’on trouve des preuves de cette politique dans beaucoup des actes du gouvernement britannique relatifs aux colonies de l’Amérique du Nord. En 1775 des instructions furent envoyées d’Angleterre, ordonnant que tous les octrois de terres dans la province de Québec, qui comprenait alors le Haut et le Bas-Canada, fussent faits en fief et en seigneurie ; et il fut ordonné que les octrois aux réfugiés loyalistes et aux officiers et soldats des régiments coloniaux, qui leur avaient été promis en 1786, fussent faits d’après la même tenure. On ne peut mieux trouver ceci qu’en citant les conditions annexées aux octrois de terres qui furent faits dans l’Île du Prince-Édouard, par lesquelles il fut stipulé que l’Île serait habitée par « des habitants étrangers ; » comme s’ils devaient être étrangers, pour les séparer du peuple de la nouvelle Angleterre et des protestants, afin de les tenir éloignés des catholiques acadiens et canadiens. Ce fut une partie de la même politique de séparer les Français du Canada, des émigrants britanniques et de se concilier les premiers en leur conservant leur langue, leurs lois et leurs institutions religieuses. À cet effet le Canada fut ensuite divisé en deux provinces : la partie habitée étant accordée aux Français et la partie non habitée étant destinée à devenir le lieu d’une colonisation britannique, ainsi au lieu de profiter des moyens que donnait l’étendue et la nature de la province pour l’introduction graduelle d’une population anglaise dans différentes parties du pays, de manière à mettre facilement les Français dans la minorité, le gouvernement constitua une majorité française et reconnut et raffermit le caractère national. Si la politique plus sage, de rendre la province anglaise, dans toutes ses institutions, eut été adoptée dès le commencement, et si on y eût persévéré, les Français auraient été en peu de temps surpassés en nombre et l’heureuse opération des institutions libres de l’Angleterre n’aurait jamais été an arrêtée par des animosités d’origine.

Le gouvernement adopta non seulement la marche peu sage de diviser le Canada, et de réunir dans une partie une population française, parlant la langue française, avec des institutions françaises, mais il ne persévéra pas même d’une manière consistante dans ce plan, car dans le même temps il fut pris des moyens pour encourager l’émigration d’Angleterre dans la province même que l’on disait avoir assigné aux Français. Les institutions françaises ne furent pas même données à tout le Bas-Canada. La loi civile de France, (comme un tout), et les revenus légaux du clergé catholique, furent limités à cette portion du pays alors habitée par les Français et comprise dans les seigneuries ; quoiqu’il fût pris des mesures pour la formation de nouvelles seigneuries, presque toute la partie inhabitée de la province fut formée en Townships, dans lesquels les lois anglaises furent en partie introduites et la religion protestante seule dotée.

Ainsi deux populations d’origine hostile et de caractère opposés furent mises en juxtaposition l’une avec l’autre sous un même gouvernement, mais avec différentes institutions ; on apprit à chacune d’elle à chérir ses lois, sa langue et ses usages ; et en même temps, s’il arrivait à aucune d’elle de sortir de ses limites, elles étaient soumises à des institutions différentes et associées avec une population étrangère. Le caractère peu entreprenant de la population française et par dessus tout, son attachement à sa religion, (pour l’extension de laquelle en proportion de l’augmentation de la population catholique, on accorda des revenus peu proportionnés) ont eu l’effet de les retenir dans leurs anciennes limites. Mais les Anglais furent attirés dans les seigneuries, et principalement dans les villes, par les facilités que les grandes rivières offrent au commerce. Pour maintenir des institutions françaises, et une population française en Canada avec quelques chances de succès, on aurait dû n’y permettre aucunes institutions, et n’accorder aucun encouragement à d’autres races pour s’y établir. La province aurait dû être réservée pour être entièrement française, si elle ne devait pas être rendue entièrement anglaise. L’essai d’encourager l’émigration anglaise parmi une population, dont le caractère français devait être conservé, fut une erreur qui a semé les germes d’une contestation de rares dans la constitution même de la colonie. Ceci fut une erreur, je le dis, même dans la supposition où il aurait été possible d’exclure la race anglaise du Canada français. Mai il était impossible d’exclure la race anglaise d’aucune partie du continent de l’Amérique du Nord. Tous ceux qui ont observé les progrès de la colonisation des Anglo-saxons, en Amérique, admettront, que tôt ou tard la race anglaise était certaine de prédominer dans le Bas-Canada même sous le rapport numérique, comme elle a déjà prédominé par ses connaissances, son énergie, son esprit d’entreprise et ses richesses supérieures. L’erreur donc, à laquelle la présente lutte doit être attribuée gît dans les vains efforts de conserver une nationalité canadienne, française au milieu de colonies et d’États anglo-américains.

La lutte est venue par degrés. Le petit nombre d’Anglais qui s’établirent dans le Bas-Canada au commencement de notre possession, ne nous permet pas de penser qu’il pût y avoir alors une rivalité entre les races. Et jusqu’à ce que les principes populaires des institutions anglaises furent effectivement mis en opération, l’autorité souveraine du gouvernement ne donna que peu de raisons de dispute, excepté parmi ceux qui briguaient ses faveurs. Ce ne fût que lorsque les Anglais eurent établi un commerce étendu et amassé des richesses considérables, ce ne fut que lorsqu’une grande partie des biens-fonds de la province fût passée dans leurs mains, ce ne fût que lorsqu’une grande population anglaise se fût établie dans les villes, se fût répandue en grand nombre dans les campagnes et eut formée des habitations considérables dans les Townships, et ce ne fût pas avant que le développement du gouvernement représentatif, eut placé un pouvoir réel dans les mains du peuple que ce peuple se divisa en race, opposée l’une à l’autre par une minorité profonde.

Les erreurs du gouvernement ne se bornèrent pas à celle à laquelle j’ai attribué l’origine de cette animosité. Les vices de la constitution coloniale amenèrent nécessairement le gouvernement exécutif en collision avec le peuple, et les disputes du gouvernement et du peuple mirent en action les animosités des races ; et la politique du gouvernement n’a pas empêché les maux qui sont inhérents à la constitution de la colonie et à la composition de la société. Cette politique n’a rien fait pour réparer son erreur première en rendant la province anglaise. Occupés dans les disputes continuelles avec l’assemblée, les gouverneurs les uns après les autres et leurs conseils n’ont pas fait mention à la vraie importance des discordes d’origine ; et le gouvernement impérial, éloigné de l’avantage de 41

pouvoir observer personnellement l’état particulier de la société, a fermé ses plans de manière à aggraver le mal. Dans certain cas il a même concédé les prétentions nuisibles de nationalité, afin d’éviter les demandes populaires ; tel qu’en essayant de diviser le conseil législatif, et le patronage du gouvernement, également entre deux races ; et cela pour éluder les demandes d’un conseil établi et d’un exécutif responsable : et d’autre fois il a suivi une marche tout à fait contraire. Une politique basée sur désinformations incorrectes, et changeant continuellement de mains, a montré dans la colonie un système vacillant et qui dans le fait n’était aucun système du tout. Les concessions réciproques aux races opposées, n’ont fait que les irriter tous deux, que diminuer l’autorité du gouvernement et en entretenant les espérances d’une nationalité canadienne française, on a contrecarré l’influence qui aurait pu amener la querelle à son terme naturel et nécessaire. La lutte entre le gouvernement et l’assemblée a aggravé les animosités des races, et les animosités des races ont empêché le règlement des difficultés politiques. Aucun remède n’opérera à moins qu’il ne puisse être appliqué à l’un et l’autre mal. À la racine des maux du Bas-Canada, se trouve le conflit des deux races qui composent la population : jusqu’à ce que ceci soit réglé, tout bon gouverneur sera impraticable ; car soit que les institutions politiques soient réformées, ou laissées dans l’état où elles sont, soit que les pouvoirs du gouvernement soient confiés à la majorité ou à la minorité, nous pouvons être assurés que tant que les hostilités de race existeront, le parti qui sera revêtu du pouvoir s’en servira pour des fins partiales.

J’ai donné une description très détaillée de la lutte entre les races française et anglaise dans le Bas-Canada, parce que j’avais le désir de produire une conviction complète et générale de l’importance première de cette lutte, dans la considération des causes des maux qui ont si gravement affligé la province. Cependant, dans le cours de mes remarques précédentes, je n’ai pu éviter de toucher à d’autres causes qui ont grandement contribué à occasionner l’état existant des choses ; et j’ai mentionné entre elles les vices de la constitution, et les erreurs provenant du système de gouvernement. Il est, en effet, impossible de croire que les causes assignées de la lutte entre le gouvernement et la majorité n’ont eu aucun effet, même quoique nous puissions croire qu’elles en ont eu moins que ne l’imaginent les parties contendantes. Il est impossible de remarquer la grande ressemblance des constitutions établies dans toutes nos Provinces de l’Amérique Septentrionale, et la tendance frappante de toutes à mener presque au même résultat, sans en venir à croire qu’elles ont de commun entre elles quelque vice dans la forme du gouvernement, et quelque principe erroné d’administration ; l’hostilité des races étant palpablement insuffisante pour expliquer tous les maux qui ont affecté le Bas-Canada, en autant que les mêmes résultats, à peu près, se sont montrés parmi la population homogène des autres Provinces. Il n’est que trop évident que le Bas-Canada, ou les deux Canadas, ne sont pas les seuls qui ont présenté des conflits répétés entre l’exécutif et les branches populaires de la Législature. Le corps représentatif du Haut-Canada était, avant la dernière élection, hostile à la politique du gouvernement ; les mécontentements les plus sérieux n’ont été que tout récemment calmés dans l’Isle du Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick ; le gouvernement est encore, je crois, en minorité dans la chambre basse de la Nouvelle-Écosse ; et les dissensions de Terreneuve ne sont guère moins violentes que celles des Canadas. On peut dire avec justesse que l’état naturel du gouvernement dans toutes ces colonies est celui de collision entre l’exécutif et le corps représentatif. Dans toutes, l’administration des affaires publiques est habituellement confiée à ceux qui ne coopèrent pas harmonieusement avec la branche populaire de la législature ; et le gouvernement propose constamment des mesures que la majorité de l’Assemblée repousse, et refuse son assentiment aux bills que ce corps a passés.

Un état de choses si différent du fonctionnement d’aucun essai heureux du gouvernement représentatif, parait indiquer une déviation de la pratique ou des principes sains du gouvernement constitutionnel. Quoique depuis l’établissement de notre constitution à la révolution de 1688, il soit survenu des collisions occasionnelles entre la Couronne et la Chambre des Communes en ce pays, elles ont été rares et passagères. Un état de fréquentes et permanentes collisions paraît presque identique avec un état de convulsion et d’anarchie ; et son existence dans aucun pays est propre à nous embarrasser sur le mode d’y faire fonctionner un gouvernement, si ce n’est en dehors de tout contrôle populaire. Mais lorsque nous examinons le système de gouvernement dans ces colonies, il paraîtrait presque que l’objet de ceux qui l’ont établi, avait été de combiner des institutions en apparence populaires avec l’entière absence de tout contrôle efficace de la part du peuple sur ses gouvernants. On établit des assemblées représentatives sur la base d’un suffrage très étendu, et dans quelques cas presque universel ; la réunion annuelle de ces corps fut assurée par une disposition positive, et leurs attributions apparentes furent localement presque aussi étendues que celles de la Chambre des Communes anglaise. En même temps la Couronne se reposait presque entièrement sur ses ressources territoriales et sur les droits imposés par des Actes Impériaux, avant l’introduction du système représentatif, pour faire marcher le gouvernement, sans s’assurer de l’assentiment du corps représentatif, soit pour sa politique, soit pour les personnes qui devaient administrer cette politique.

Ce ne fut que quelques années après le commencement du siècle actuel, que la population du Bas-Canada commença à comprendre le système représentatif qui lui avait été accordé, et que l’Assemblée montra quelque inclination à faire usage de ses pouvoirs. Cependant immédiatement après avoir voulu le faire, elle trouva combien ces pouvoirs étaient limités, et entra dans une lutte pour obtenir l’autorité que l’analogie lui montra comme inhérente à une assemblée représentative. La liberté de ses débats la mit immédiatement en collision avec le Gouverneur ; et l’opération pratique de l’Assemblée commença par l’emprisonnement des principaux de ses membres. Avec le temps cependant, les besoins du gouvernement l’induisirent à accepter l’offre de l’Assemblée de lever un revenu additionnel par le moyen de nouvelles taxes ; et l’Assemblée acquit ainsi un certain contrôle sur la levée et l’appropriation d’une partie du revenu public. Depuis ce temps jusqu’à l’abandon final en 1832 de toute partie du revenu réservé, à l’exception des fonds casuel et territorial, il y eut une contestation continuelle, dans laquelle l’Assemblée, faisant usage du pouvoir qu’elle gagnait pour en gagner davantage acquit, pas à pas, un contrôle entier sur tout les revenus du pays.

Je passe ainsi rapidement sur les événements qu’on a ci-devant considérés comme les principaux traits de la controverse canadienne, parce que la contestation ayant fini par la concession des demandes financières de l’Assemblée, et l’admission par le Gouvernement de l’inconvenance d’essayer d’ôter à son contrôle aucune portion des revenus publics, on peut maintenant regarder cette contestation comme n’ayant pas d’importance, si ce n’est en ce qu’elle explique l’exaspération et la méfiance qui l’ont suivie. Et je ne suis pas porté à dire que les disputes qui s’élevèrent subséquemment doivent être attribuées entièrement à l’opération de simples sentiments d’aigreur. Une cause substantielle de dispute restait encore. L’assemblée après avoir obtenu l’entier contrôle des revenus publics, se trouvait encore privée de toute voix dans le choix ou même la désignation des personnes dans lesquelles elle avait confiance pour l’administration des affaires. Tout le pouvoir administratif du gouvernement restait entièrement à l’abri de son influence : et quoique M. Papineau paraisse, par sa propre conduite, s’être privé lui-même de cette influence dans le gouvernement qu’il aurait pu acquérir, je dois attribuer le refus d’une liste civile à la détermination de l’Assemblée de ne pas renoncer au seul moyen de soumettre les fonctionnaires du Gouvernement à quelque responsabilité.

Les pouvoirs pour lesquels l’Assemblée luttait paraissent, dans les deux cas, être tels qu’elle était parfaitement justifiable de les demander. Il est difficile de concevoir quelle aurait été la théorie gouvernementale de ceux qui s’imaginent que dans aucune colonie d’Angleterre un corps portant le nom et le caractère d’une assemblée représentative, pouvait être privé d’aucun des pouvoirs qui, dans l’opinion des Anglais, sont inhérents à une Législature populaire. C’était une vaine illusion que de s’imaginer que de simples limitations dans l’Acte Constitutionnel, ou un système exclusif de gouvernement, induiraient un corps fort de la conscience qu’il avait avec lui l’opinion publique de la majorité, à regarder certaines portions des revenus provinciaux comme sacrées et hors de son contrôle, et à se restreindre à la simple besogne de faire des lois, et à être spectateur passif ou indifférent pendant que ces lois étaient mises en opération ou éludées, et que toutes les affaires du pays étaient conduites par des hommes, dans les intentions ou la capacité desquels il n’avait pas la plus légère confiance. Cependant telle était la limitation placée à l’autorité de l’Assemblée du Bas-Canada ; elle pouvait rejeter ou passer des lois, voter ou refuser les subsides, mais elle ne pouvait exercer d’influence sur la nomination d’un seul serviteur de la Couronne. Le Conseil Exécutif, les Officiers en Loi, et tous les Chefs de départements connus au système administratif de la Province, étaient placés en pouvoir, sans aucun égard pour les désirs du peuple ou de ses représentants ; il ne manque pas même d’instances dans lesquelles la simple hostilité envers la majorité de l’Assemblée éleva les personnes les plus incompétentes aux postes d’honneur et de confiance. Quelque décidément que l’Assemblée condamnât la politique du Gouvernement, les personnes qui avaient conseillé cette politique, retenaient leurs offices et leur pouvoir de donner de mauvais conseils. Si une loi était passée après des conflits répétés, c’étaient ceux qui s’y étaient le plus fortement opposés qui avaient à la mettre à exécution. La sagesse d’adopter le vrai principe du gouvernement représentatif, et de faciliter la régie des affaires publiques, en la confiant à ceux qui ont la confiance du corps représentatif, n’a jamais été reconnue dans le gouvernement des Colonies de l’Amérique Septentrionale. Tous les officiers du gouvernement étaient indépendants de l’Assemblée ; et ce corps qui n’avait rien à dire dans leur nomination, était laissé à marcher du mieux qu’il pouvait, avec des officiers publics, dont on peut justement dire que le sentiment prédominant était un sentiment d’hostilité envers lui.

Un corps d’officiers publics ainsi constitué, sans égard pour le peuple ou ses représentants, doit de fait, d’après la nature même du gouvernement colonial, acquérir l’entière direction des affaires de la Province. Un gouverneur en arrivant dans une colonie de l’état des partis de laquelle il n’a presque invariablement aucune connaissance antérieure, non plus que du caractère des individus, est forcé de se jeter presque entièrement entre les mains de ceux qu’il trouve placés dans la position de ses aviseurs officiels. Ses premiers actes et ses premières nominations doivent être nécessairement faits d’après leurs suggestions. Et comme ces premiers actes et nominations impriment un caractère à sa politique, il se trouve par là généralement amené en collision immédiate avec les autres partis dans le pays, et jeté dans une plus complète dépendance du parti officiel et de ses amis. C’est ainsi, qu’un gouverneur du Bas-Canada a presque toujours été amené en collision avec l’assemblée, que ses aviseurs regardent comme leur ennemi. Dans le cours de la contestation dans laquelle il était ainsi enveloppé, les provocations qu’il recevait de l’assemblée, et le jour sous lequel la conduite de cette dernière lui était représentée par ceux qui seuls avaient accès auprès de lui, lui faisaient naturellement concevoir beaucoup de leurs antipathies ; sa position le forçait à chercher l’appui de quelque parti contre l’assemblée ; et ses sentiments et ses nécessités étaient ainsi combinés pour l’induire à exercer son patronage et à disposer ses mesures pour l’avancement des intérêts du parti mit lequel il était obligé de s’appuyer. Ainsi chaque année qui suivait raffermissait et étendait la force du parti dominant. Fortifié par les liaisons de famille, et l’intérêt commun senti par tous ceux qui tenaient des emplois subordonnés et par tous ceux qui en désiraient, ce parti fut ainsi érigé en un pouvoir solide et permanent, à l’abri de toute responsabilité, sujet à aucun changement sérieux, exerçant sur tous les départements du gouvernement de la Province une autorité tout-à-fait indépendante du peuple et des représentants, et possédant les seuls moyens d’influencer, soit le gouvernement impérial, soit le représentant colonial de la couronne.

L’entière séparation des pouvoirs Législatif et Exécutif d’un état est l’erreur naturelle des gouvernements qui désirent s’affranchir du contrôle des institutions représentatives. Depuis la révotution de 1688, la stabilité de la constitution anglaise a été assurée par ce sage principe de notre gouvernement qui investit les chefs de la majorité parlementaire de la direction de la politique nationale, et de la distribution du patronage. Quelque partialité qu’eût le Monarque pour des ministres particuliers, ou à quelque point qu’il se fût engagé dans leur politique, il a été invariablement forcé de les abandonner tous deux, aussitôt que l’opinion du peuple s’était irrévocablement prononcé contre eux par la voie de la chambre des Communes. La pratique de faire marcher un gouvernement représentatif sur un principe différent paraît être l’écueil sur lequel se sont invariablement brisées les imitations continentale de la Constitution britannique, et la révolution française de 1830 fut le résultat nécessaire d’une tentative de maintenir un ministère avec lequel le Parlement ne pouvait agir de concert. Il est difficile de comprendre comment des hommes d’état anglais ont pu s’imaginer que le gouvernement représentatif et irresponsable pouvait se combiner avec succès. L’idée parait, en effet, exister que le caractère des institutions représentatives doit être ainsi modifié dans les colonies, que c’est un incident de la dépendance coloniale, que les officiers du gouvernement soient nommés par la couronne, sans égard pour les désirs de la société, dont les intérêts sont confiés à leur garde. On n’a jamais bien clairement expliqué quels sont les intérêts impériaux, qui requièrent cette complète nullification du gouvernement représentatif. Mais s’il existe une telle nécessité, il est parfaitement clair qu’un gouvernement représentatif dans une colonie doit être une moquerie, et une source de confusion ; car ceux qui appuient ce système n’ont pas encore pu trouver, ni montrer dans l’opération pratique du gouvernement colonial, aucun moyen pour rendre acceptable au corps représentatif une abrogation aussi complète d’influence politique. Il n’est pas difficile d’en faire l’application à notre propre pays. Imaginons qu’à une élection générale l’opposition élise 500 sur les 658 membres de la chambre des Communes, et que toute la politique de l’administration soit condamnée, et que chaque bill introduit par elle soit rejeté par cette immense majorité. Supposons que la Couronne se fasse un point d’honneur et un devoir de retenir un ministère ainsi condamné et entravé, que des dissolutions répétées n’augmentent en aucune façon, mais même diminuent la minorité ministérielle, et que le seul résultat qui aurait été obtenu par un tel développement de force de l’opposition, serait non pas quelque changement même le plus léger dans la politique du ministère, ni la destitution d’un seul ministre, mais simplement l’élection d’un Orateur de la politique de la majorité ; et, je le pense, il ne sera pas difficile d’imaginer le sort d’un tel système de gouvernement. Cependant tel a été le système, telle a été à la lettre la marche des événements dans le Bas-Canada, et tel a été le caractère, quoiqu’à un moindre degré, du spectacle qui a eu lieu dans le Haut-Canada, et, dans un temps ou dans un autre, dans chacune des colonies de l’Amérique Septentrionale. Pour supposer qu’un tel système pût bien y fonctionner, il faut croire que les Canadiens Français ont joui des institutions représentatives pendant un demi-siècle, sans acquérir aucun des traits caractéristiques d’un peuple libre ; que les Anglais renoncent à toute opinion et sentiment politique en entrant dans une colonie, ou que l’esprit de liberté anglo-saxon est entièrement changé et affaibli chez ceux qui traversent l’Atlantique.

Il parait donc que l’opposition de l’Assemblée au Gouvernement fut la conséquence inévitable d’un système qui retranchait à la branche populaire de la Législature les privilèges nécessaires d’un corps représentatif, et produisit par là une longue série de tentatives de la part de ce corps pour acquérir le contrôle sur l’administration de la Province. Je dis tout ceci sans référence au but final de l’Assemblée, que j’ai déjà décrit comme étant le maintien d’une nationalité Canadienne contre l’intrusion progressive de la race Anglaise. N’ayant pas de ministres responsables à attaquer, elle entra dans le système de longues enquêtes par le moyen de ses comités, lequel amena toute l’action de l’Exécutif immédiatement sous ses yeux, et outrepassa les idées que nous avons des limites convenables de l’intervention législative. N’ayant d’influence dans la nomination d’aucune fonctionnaire public, ni le pouvoir de faire destituer ceux qui lui étaient odieux pour des motifs purement politiques, et voyant presque chaque office dans la Colonie rempli par des personnes dans lesquelles elle n’avait aucune confiance, elle l’entra dans cette voie vicieuse d’attaques individuelles contre ses principaux adversaires, les disqualifiant pour le service public, en les rendant les sujets d’enquêtes et ensuite d’accusations, qui ne firent pas toujours conduites même avec l’apparence d’un égard convenable pour la justice ; et lorsque rien ne pouvait la foire parvenir à la fin de changer la politique ou la composition du Gouvernement colonial, elle avait recours à l’ultima ratio du pouvoir représentatif, à quoi l’indulgence plus prudente de la chambre des Communes en Angleterre, ne poussa jamais la Couronne, et essayait de détraquer toute la machine du Gouvernement par un refus général de subsides.

Ç’a été une malheureuse conséquence du système que je viens de décrire, qu’il déchargeait les chefs populaires de toutes les responsabilités de l’opposition. Un membre de l’opposition en ce pays agit et parle avec la possibilité de devenir ministre constamment devant les yeux, et il sent en conséquence la nécessité de ne proposer aucune marche, et de n’émettre aucun principe, sur lequel il ne serait pas préparé à conduire le Gouvernement, s’il lui était offert immédiatement. Mais le démagogue Colonial enchérit bien haut pour la popularité sans la crainte de se trouver exposé par la suite. Exclu sans espérance du pouvoir, il exprime les idées les plus folles, et en appelle aux plus funestes passions du peuple, sans aucune crainte de voir dans l’avenir mettre à l’épreuve sa sincérité ou sa prudence, en étant mis en position de donner effet à ses vues ; et ainsi les premières places dans les rangs de l’opposition sont occupées pour la plupart par des hommes à passions fortes, et de talents purement déclamatoires, qui pensent bien peu à réformer les abus qui leur servent de sujets pour exciter le mécontentement.

La collision avec le Gouvernement Exécutif en amena une nécessairement avec le Conseil Législatif. La composition de ce corps, qui a été le sujet de tant de discussions ici et dans la Colonie, était certainement, il faut l’admettre, de nature à ne lui donner aucun poids auprès du peuple, ou du corps représentatif, auquel il était destiné à servir de contrepoids. Le majorité fut toujours composée de membres du parti qui conduisait le Gouvernement Exécutif ; les Greffiers de chaque Conseil étaient membres de l’autre ; et de fait, le Conseil Législatif n’était guère en pratique qu’un veto entre les mains des fonctionnaires publics sur tous les actes de la branche populaire de la Législature dans laquelle ils furent toujours en minorité. Ils usèrent de ce vote sans trop de scrupule. Je suis loin de concourir à la censure que l’Assemblée et ses approbateurs ont essayé de jeter sur les actes du Conseil Législatif. Je n’ai aucune hésitation à dire que plusieurs des bills qu’il est le plus fortement blâmé d’avoir rejetés, étaient des bills qu’il ne pouvait passer sans manquer à son devoir envers la constitution, la connexion avec la Grande-Bretagne et toute la population anglaise de la Colonie. S’il y a de la censure à passer sur sa conduite générale, c’est pour s’être bornés aux devoirs purement négatifs et défensifs d’un corps législatif ; pour s’être trop fréquemment contenté de faire simplement avorter des méthodes blâmables d’obtenir des fins désirables, sans compléter son devoir en proposant des mesures qui auraient procuré le bien qu’on avait en vue, sans mélange d’aucun mal. Les animosités nationales dont respirait la législation de l’Assemblée, et son manque total de capacité législative ou de respect pour les principes constitutionnels, rendaient presque tous ses bills sujets aux objections faites par le Conseil Législatif ; et les maux sérieux que leur passation auraient occasionnés, me convainc que la Colonie a lieu de se féliciter de l’existence d’une institution qui possédait et exerçait le pouvoir d’arrêter le cours d’une législation qui, si elle eût prévalu, aurait sacrifié tous les intérêts britanniques, et détruit toute garantie d’ordre et de liberté nationale. Il n’est pas difficile pour nous de juger ainsi avec calme des mérites respectifs de ces partis éloignés ; mais il a fallu un grand et très profond respect pour la constitution et la composition du Conseil législatif, pour que les représentants d’une grande majorité se soient ainsi soumis avec patience aux entraves que quelques individus plaçaient dans leur voie. Mais le Conseil législatif était loin d’être sans objection en théorie, et ne commandait pas non plus l’estime personnelle de l’Assemblée ; son opposition à ce corps ne parut qu’une autre forme d’hostilité officielle, et il était inévitable que l’Assemblée fît, tôt ou tard, contre la constitution du Conseil Législatif ces attaques, qui par le singulier manque de jugement et de modération avec lesquelles elles ont été conduites, finirent par la destruction de la constitution provinciale.

Depuis le commencement, donc, jusqu’à la fin des disputes qui distinguent toute l’histoire parlementaire du Bas-Canada, je considère la conduite de l’Assemblée comme une guerre constante avec l’Exécutif, pour obtenir les pouvoirs inhérents à un corps représentatif, d’après la nature même du gouvernement représentatif. Ce fut pour parvenir à cette fin qu’elle usa de tous les pouvoirs à sa disposition ; mais elle mérite le blâme pour avoir, dans la poursuite de cet objet, perverti ses pouvoirs de législation, et jeté le trouble dans toute l’opération de la constitution. Elle subordonna l’affaire de la législation et l’amélioration pratique du pays à sa lutte pour le pouvoir ; et, se voyant dénier ses privilèges légitimés, elle s’efforça d’étendre son autorité par des votes tout-à-fait incompatibles avec les principes de la liberté constitutionnelle.

Une tentative frappante qui fut faite directement et ouvertement pour renverser la constitution du pays, fut la passation d’un bill pour la révocation formelle des parties de la 31e Geo. III, chapitre 31. communément appelé l’Acte Constitutionnel, par lesquelles les pouvoirs et la constitution du Conseil législatif étaient établis. On peut à peine supposer que les rédacteurs de ce bill ignorastent, ou espérassent voiler l’illégalité évidente d’une mesure qui, commençant comme tous les Actes canadiens, par la citation de la 31e Geo. III, comme le fondement de l’autorité législative de l’Assemblée, procédait immédiatement à enfreindre quelques-unes des plus importantes dispositions de ce statut ; pas plus qu’on ne peut supposer que l’Assemblée espérât réellement effectuer cette assomption extraordinaire de pouvoir, en autant que le bill ne pouvait produire aucun effet légal de sa passation dans la chambre basse, s’il ne recevait subséquemment l’assentiment du corps même qu’il avait pour objet d’anéantir.

Un moyen plus dangereux, en ce qu’il était plus effectif, jusqu’à un certain point, pour s’arroger des pouvoirs constitutionnels fut adopté par l’assemblée dans ses tentatives d’évader la nécessité d’obtenir l’assentiment des autres branches de la Législature, en réclamant la force le loi, par ses propres résolutions, et cela aussi sur des points de la plus haute importance. On en trouve un exemple remarquable dans la résolution que l’Assemblée passa sur le rejet d’un bill pour rendre vacants les sièges des membres qui acceptaient des emplois sous la Couronne ; et qui, de fait et sans déguisement, avait pour objet de donner effet, de sa seule autorité, aux dispositions du bill rejeté. Cette résolution amena une longue querelle entre l’Assemblée et Lord Aylmer, qui refusa d’émaner un writ pour l’élection d’un membre à la place de M. Mondelet, dont le siège fut déclaré vacant en conséquence de son acceptation de l’office de Conseiller exécutif. L’instance dans laquelle l’Assemblée essaya ainsi de mettre en force ce principe de disqualification, se trouva être un cas auquel il ne pouvait pas être considéré applicable, soit par analogie pour la loi d’Angleterre, soit d’après l’intention apparente de la résolution elle-même ; car l’office que M. Mondelet avait accepté, quoiqu’il fût d’une grande importance et influence, était un office auquel n’était attaché aucun salaire ni émolument d’aucune espèce.

Mais les maux résultant de pareilles tentatives ouvertes de mettre de côté la constitution, étaient peu de chose, comparé au dérangement du cours régulier de la législation par l’abus systématique des formes constitutionnelles, pour priver les autres branches de la législature de toute autorité législative réelle. La coutume de passer les lois les plus importantes sous une forme temporaire est un défaut ancien et étendu dans la législation des colonies de l’Amérique Septentrionale, autorisé en partie par des instructions royales aux Gouverneurs, mais qui ne fut jamais sanctionné par la Législature impériale, jusqu’à ce qu’il fut établi dans le Bas-Canada par la 1ère Victoria, chap. 9. Il appartient, cependant, à l’Assemblée du Bas-Canada d’avoir réduit cette pratique ; un système régulier, afin qu’elle eût périodiquement à sa merci les institutions les plus importantes de la Province, et de se servir des besoins du Gouvernement et de la société pour extorquer la concession de toutes les demandes qu’il lui plairait de faire. Sujet à objection en lui-même, à raison de l’incertitude et des changements constitutionnels qu’il tendait à introduire dans la législation, ce système de lois temporaires tirait son caractère le plus répréhensible des facilités qu’il donnait à la pratique de joindre (tacking) ensemble diverses mesures législatives ; pratique qui n’est pas inconnue à la constitution Britannique, et qui a été trouvée utile quelquefois, parce que la prudence de la Chambre des Communes a rarement induit ce corps à y avoir recours, mais que les législateurs du Bas-Canada ont convertie en mode ordinaire de législation. Par l’abus de cette pratique, chaque branche de la Législature avait à chaque session le pouvoir, si elle en avait l’inclination, de faire du renouvellement des lois expirantes le moyen de dicter ses propres conditions aux autres ; l’Assemblée la convertit systématiquement à cette fin. Elle adopta la coutume de renouveler toutes les lois expirantes, quelque hétérogènes qu’elles fussent dans leur caractère, dans un seul et même Bill. Ayant le premier choix à exercer, elle ne renouvelait, comme de raison, que les actes qu’elle approuvait, et ne laissait au Conseil Législatif et aux Gouverneurs que l’alternative de rejeter ceux qui avaient été trouvés avantageux, ou de passer ceux qui à leur avis avaient été désavantageux. Il en arriva un singulier exemple en 1836, à l’égard du renouvellement de la loi du Jury, à laquelle l’Assemblée attachait une grande importance, et pour laquelle le Conseil Législatif sentait une forte répugnance, à raison de ce qu’elle avait de fait placé les Jurys entièrement entre les mains de la portion française de la population. Pour assurer le renouvellement de cette loi, l’Assemblée le mit dans le même Bill par lequel elle renouvelait les péages du canal de Lachine, calculant que le Conseil n’oserait pas faire avorter une mesure d’une aussi grande importance pour le revenu que la dernière, en rejetant la première. Le Conseil cependant rejeta le Bill ; et ainsi le canal demeura libre de péages pendant toute une saison, parceque les deux Chambres différaient d’avis sur une loi de Jury.

Encore cette coutume de tacking ne se borna-t-elle pas au cas de renouvellement de lois expirantes. Un bill pour l’indépendance des Juges fut joint avec l’établissement d’un nouveau tribunal pour juger des accusations parlementaires, et avec d’autres dispositions auxquelles on savait que la couronne était décidément opposée, et c’est ainsi que fut sacrifiée une garantie désirable pour l’administration pure de la justice, dans la tentative d’extorquer une concession sujette à objection.

Le système ainsi formé, fut complété par les réglements au sujet du quorum, et l’usage qu’en fit la majorité. Un quorum de près de la moitié de toute la chambre fut requis pour la transaction des affaires. Vers la fin de chaque session récente, la majorité avait coutume de faire manquer le quorum, et de se disperser chacun chez soi, sans attendre la prorogation, immédiatement après avoir envoyé un nombre de bills au conseil, ne laissant ainsi aucun moyen de considérer ou d’adopter les amendements que ce corps pouvait faire, et ne laissant aucune alternative entre le rejet ou la confirmation en gros des mesures de l’assemblée.

Mais en décrivant les moyens par lesquels l’assemblée obtint et essaya de consolider son pouvoir, je ne dois pas omettre de diriger une attention particulière sur celui qui, après tout, fut le plus efficace, et qui origina dans un défaut commun au système de gouvernement dans toutes les colonies de l’Amérique Septentrionale. C’est la pratique de faire des allocations parlementaires pour des ouvrages locaux — système si vicieux, si fécond en maux, que je crois le gouvernement représentatif incapable de bien et doucement fonctionner dans ces colonies, jusqu’à ce qu’il soit entièrement déraciné.

Je ne connais, en vérité, aucune différence, dans la machine du gouvernement dans l’ancien et le nouveau monde, qui frappe autant un Européen que l’importance indue en apparence que parait occuper dans la législation Américaine l’affaire de la confection des ouvrages publics. En parlant du caractère d’un gouvernement, son mérite parait s’estimer par les travaux publics qu’il a effectués. Si on demande à un particulier comment sa propre législature a agi, il dira généralement quels chemins ou ponts elle a faits, ou négligé de faire, dans son propre district et s’il est consulté sur des changements dans la constitution, il parait en éprouver la sagesse en calculant si son voisinage obtiendra un plus grand nombre et de meilleurs chemins et ponts sous le système existant que sous celui qui est proposé. Si l’on examine les procédés d’une législature, on trouve que la plus grande partie de ses discussions tourne sur de pareilles questions, et si l’on regarde le budget, on trouve qu’une proportion plus grande encore de l’argent public est appliquée à ces fins. Ceux qui réfléchissent sur les circonstances du nouveau monde, n’auront pas de peine à s’expliquer l’attention qu’on y donne à ce qui est nécessairement la première affaire de la société, et naturellement le premier soin de tout gouvernement responsable. Ce qui sert à l’état en Europe à protéger les citoyens contre les ennemis étrangers, est requis en Amérique pour ce qu’un écrivain français a joliment et correctement appelé « la guerre avec les déserts. » La défense, d’une forteresse importante, ou le maintien d’une armée ou d’une marine suffisante dans des lieux exposés, n’est pas plus une affaire d’intérêt commun à l’Européen, que n’est pour le défricheur Américain la construction des grandes communications ; et l’état prend très naturellement sur lui la construction des ouvrages, qui sont des objets d’intérêt pour tous également.

Les institutions municipales des états septentrionaux de l’union Américaine n’ont pas même tout-à-fait obvié à la nécessité de quelque intervention de la part de leurs législatures pour aider les améliorations locales ; quoique les principaux efforts de ces états se sont tournés du côté de ces vastes entreprises qui sont l’intérêt commun et la gloire commune de leurs citoyens. Dans les états du sud, où les institutions municipales sont moins complètes, les législatures sont dans l’habitude de prendre part plus constamment et d’une manière plus étendue dans les ouvrages qui sont proprement de simple intérêt local ; et il en résulte de fortes plaintes contre la corruption et la maladministration qui en sont la suite. Mais dans les colonies Britanniques, dans aucune desquelles il n’y a de système efficace de gouvernement municipal, le mal a été porté à son dernier degré, et exerce l’influence la plus nuisible. Les grandes affaires de l’assemblée sont, littéralement parlant, les affaires de paroisse ; la construction de chemins et points de paroisse. Il n’y a dans aucune de ces provinces aucun corps local avec l’autorité d’imposer des cotisations locales. C’est là l’affaire de l’assemblée ; et l’affaire spéciale du membre de chaque comté est d’induire l’assemblée à s’occuper des intérêts particuliers de son comté. Le surplus du revenu de la province est grossi autant que possible, en réduisant le paiement des services publics à une échelle aussi basse que possible ; et souvent il n’est pas pourvu suffisamment aux devoirs réels du gouvernement afin qu’il en reste davantage pour être divisé parmi les corps constituants. « Lorsque nous avons besoin d’un pont, nous prenons un Juge pour le bâtir, » telle fut l’artificieuse et frappante manière dont un membre d’une législature provinciale décrivit la tendance de retrancher dans les départements les plus nécessaires au service public, pour satisfaire à la demande pour les travaux locaux. Ce fonds est voté par l’assemblée sur motion de ses membres ; les législatures coloniales se réglant sur la pratique de la chambre Britannique des communes n’ayant jamais adopté la nécessité d’obtenir le consentement préalables de la couronne aux votes d’argent. C’est un parfait attrape-qui-peut parmi les membres de tout le corps, pour obtenir autant que possibles de ce fond pour leurs constituants respectifs ; il se forme des cabales, par lesquelles les différents membres jouent mutuellement dans le jeu les uns des antres ; on fait agir la politique générale sur les affaires privées, et les affaires privées sur la politique générale ; et à la clôture du parlement, le membre qui a réussi à s’assurer de la plus forte part du prix pour ses constituants, rend un compte facile de sa gestion avec la pleine assurance de sa réélection.

Les assemblées provinciales étant, comme je l’ai déjà dit, dans un état de collision permanente avec le gouvernement, n’ont jamais été dans l’habitude de confier à l’exécutif aucun contrôle sur ces fonds ; et ils ont été entièrement employés par des commissaires nommés par la législature. Les assemblées ne paraissent pas avoir tout-à-fait manqué de sentir la possibilité de faire tourner ce patronage à leur propre profit. Un placard d’élection qui fut répandu par les amis du gouvernement lors de la dernière dissolution dans le Haut-Canada, se présenta, sous un jour très celles des officiers du gouvernement exécutif ; mais la province frappant, les dépenses des commissaires de l’assemblée, contrastent avec de la Nouvelle-Écosse a poussé cet abus à un degré qui paraît presque inconcevable. D’après un rapport que me présenta le Major Head, Commissaire d’enquête adjoint que j’envoyai dans cette colonie, une somme de £10 000 fut appropriée, pendant la dernière session, aux améliorations locales ; cette somme fut divisée en 830 portions et il fut nommé autant de commissaires pour la dépenser, en donnant, terme moyen, un commissaire pour un peu plus de £12, avec un salaire de 5s. par jour, et une rémunération ultérieure de deux et demi pour cent sur l’argent dépensé, à déduire de chaque part.

Les chefs de la chambre d’assemblée du Bas-Canada ne profilèrent pas seulement du patronage qu’ils avaient par le surplus considérable de revenu provincial, mais ils tournèrent ce système à un beaucoup meilleur profit, en s’en servant pour obtenir de l’influence sur leurs constituants. Dans une lutte politique furieuse, telle que celle qui régnait dans le Bas-Canada, il était naturel qu’un corps possédant, sans presque aucune responsabilité, ce pouvoir direct de promouvoir les intérêts immédiats de chaque section électorale, montrât un peu dé faveur à celles qui concouraient dans ses vues politiques, et marquât son déplaisir envers celles qui résistaient obstinément à la majorité. Mais la majorité de l’assemblée du Bas-Canada est acculée par ses adversaires d’avoir, de la manière la plus systématique et la plus persévérante, employé ce moyen de corrompre les corps électoraux. Les adhérents de M. Papineau ont, dit on, été prodigues de promesses sur les avantage : qu’ils pouvaient obtenir de l’assemblée pour les comtés dont ils sollicitaient les suffrages. On prétend que de telles représentations out, en plusieurs cas, assuré le retour de membres de la politique d’opposition, et l’on avance que des comtés obstinés ont été quelquefois réduits à se soumettre, par le refus complet d’allocations jusqu’à ce qu’ils élussent des membres favorables à la majorité. Quelques-uns des membres Anglais qui avaient voté avec M. Papineau s’excusèrent auprès de leurs compatriotes, en alléguant qu’ils avaient été forcés de le faire pour obtenir un chemin ou un pont, que leurs constituants désiraient. Qu’il soit vrai ou faux que l’abus ait été poussé jusqu’à ce point, c’en est un qui aurait évidemment pu l’être facilement et sûrement par une personne de l’influence de M. Papineau dans l’assemblée.

Mais la tentative la plus hardie et la plus étendue pour ériger un système de patronage entièrement indépendant du gouvernement, fut celle qui fut mise à effet, pendant quelque temps, par les octrois que l’assemblée fit pour l’éducation, d’après les dispositions d’un acte, qu’on a reproché très amèrement au conseil législatif d’avoir refusé de renouveler. On a donné comme une preuve de l’intention délibérée du conseil législatif de faire avorter toutes tentatives pour civiliser et élever la grande masse du peuple, qu’il ait ainsi arrêté à la fois l’opération, d’environ 1000 écoles, et privé d’éducation environ 40 000 écoliers qui profitaient actuellement des moyens d’éducation ainsi placés à leur portée. Mais les raisons qui induisirent, ou plutôt qui forcèrent le conseil Législatif à arrêter ce système sont clairement énoncées dans le rapport de ce corps, qui comprend la justification la plus incontrovertible de la marche qu’il a suivie. Par ce rapport il parait que la surveillance et le patronage entier de ces écoles étaient dévolus, par la loi expirée, aux membres du comté ; et qu’il leur avait été permis de régir les fonds sans même l’apparence de comptabilité suffisante. Les membres de l’assemblée avaient ainsi, dans un seul département, un patronage d’environ £25 000 par an, montant égal à la moitié de toutes les dépenses civiles ordinaires. Ils ne tardèrent pas à profiter de l’occasion ainsi placée entre leurs mains ; et comme il n’existait pas dans la province un nombre suffisant de maîtres et maîtresses d’écoles qualifiés, ils remplirent néanmoins immédiatement les places de personnes entièrement et évidemment incompétentes. Une grande partie des instituteurs ne pouvaient ni lire ni écrire. Le Monsieur que j’avais chargé de s’enquérir de l’état de l’éducation dans la province, me montra une pétition de certains maîtres d’école, laquelle était venue entre mes mains, et la majorité des signatures étaient celles de personnes qui avaient fait leur marque. Ces ignorants instituteurs ne pouvaient communiquer aucune instruction utile à leurs pupilles ; le plus qu’ils pouvaient leur montrer était leur cathéchisme par cœur. À sept milles même de Montréal, il y avait une maîtresse d’école ainsi inqualifiée. Ces nominations étaient comme on peut bien le supposer, réparties par les membres parmi leurs partisans politiques, et les fonds n’étaient pas non plus régis avec la plus grande honnêteté. Dans plusieurs cas les membres furent soupçonnés ou accusés de les détourner à leur profit et ; dans le cas de Beauharnois, où le Seigneur, M. Élice, a, dans l’esprit de libération qui a caractérisé toute la régie de cette vaste propriété, contribué très largement à l’éducation de ses tenanciers, il a été prouvé que les fonds des écoles avaient été détournés par le membre du comté. Le système dans son ensemble était un abus politique grossier ; et plus l’on doit louer les efforts de ceux qui travaillèrent réellement à décharger leur pays du reproche d’être le moins pourvu des moyens d’éducation qu’aucun pays du continent de l’Amérique Septentrionale, plus sévèrement l’on doit condamner ceux qui ont sacrifié cette noble fin, et perverti d’amples moyens à servir des fins de parti.

Je ne suis si je dois attribuer le système qui a été adopté pour le soulagement de la détresse périodique qui arrive dans certains districts, à la même politique d’étendre l’influence de l’assemblée par des allocations locales, ou simplement aux vieux préjugés qui paraissent régner dans plusieurs parties de la législation de l’assemblée, et qui dictèrent les lois contre les regrattiers et le maintien des hôpitaux pour les enfants trouvés. Il n’a été établi aucun système général pour le soulagement de l’indigence, aucune loi des pauvres, et les besoins du pays le demandaient à peine. Mais lorsque je fus arrivé à Québec, je reçus un nombre de pétitions des paroisses situées dans la partie inférieure du St. Laurent, demandant du soulagement par suite du manque des récoltes. Je trouvai, après m’être enquis, qu’il avait été accordé du soulagement à ces districts pendant plusieurs années successives. La cause de la calamité était évidente : c’était l’inconvenance de la récolte du blé froment sous le misérable système Canadien de petite culture, au climat sévère de cette partie de la province. À côté des paroisses en détresse se trouvaient de vastes districts, où un meilleur système de culture, et surtout, l’emploi de la terre aux pâturages et aux récoltes en vert, avaient répandu l’aisance la plus générale parmi la population agricole, et obvié complètement aux disettes ou détresses. Il y avait dans les environs des paroisses en détresse, de grandes étendues de terre riche et inculte, disponibles pour l’amélioration permanente de ce peuple souffrant ; et il y avait dans le voisinage des pêches précieuses et considérables, qui auraient pu la maintenir dans l’aisance ; cependant il n’avait été fait aucune tentative persévérante pour pourvoir au soulagement permanent de la population qui avait à s’adresser ainsi à la législature pour en recevoir du soulagement, en l’encourageant soit à adopter un meilleur système d’agriculture, soit à s’établir sur d’autres portions du pays, soit à exploiter les pêcheries. L’assemblée rencontra le mal en soulageant la détresse d’une façon à en éviter les résultats immédiats, et à en assurer le retour. Elle fournit des aliments pour la saison de la disette, et de la semence pour semer même du blé aussi tard que le 20 de juin, récolte qui devait sûrement périr à son tour ; car elle avait ainsi soulagé la même espèce de détresse précisément dans les mêmes places, pendant plusieurs années successives ; et sa politique paraissait être de pensionner une partie du peuple pour semer du blé où il ne mûrirait pas. Il est triste une de penser aux occasions de bonne législation qui furent sacrifiées dans cette pure contestation pour le pouvoir. Il n’y a jamais eu de pays au monde qui demandât d’un gouvernement paternel, ou de représentant patriotes, plus de réformes incessantes et vigoureuse, et dans ses lois et dans son système administratif. Le Bas-Canada avait, lorsque nous le reçûmes à la conquête, deux institutions qui seules conservèrent le semblant de l’ordre et de la civilisation dans la société — l’église Catholique, et la milice, qui était constituée et employée de manière à suppléer partiellement au manque de meilleurs institutions civiles. L’heureuse influence de l’église Catholique a été limitée et affaiblie ; et la milice est maintenant anéantie, et il devra s’écouler des années avant qu’elle reprenne vie et soit employée à de bonnes fins. Le Bas-Canada est sans institutions municipales pour son gouvernement local par la voie du peuple, qui sont le fondement de la liberté et de la civilisation Anglo-Saxonne ; et leur absence n’est compensée par rien de semblable à la centralisation de France. Les institutions judiciaires les plus défectueuses, restent sans avoir été réformées. Seul, parmi les nations qui sont sorties des Français, le Bas-Canada reste sous les lois civiles de l’ancienne France sans aucun changement. Seul, parmi les nations du continent Américain, il est sans système public d’éducation. Il n’est pas non plus sous d’autres rapports animé de l’esprit de progrès des Américains. Tandis que l’assemblée gaspillait le surplus du revenu de la province en agiotages pour augmenter son patronage, et dans de petites affaires de paroisse, elle abandonna ces vastes et faciles moyens de communication qui méritaient et qui auraient refondu les revenus provinciaux qui y auraient été dépensés. L’État de New-York a fait son propre St. Laurent depuis le lac Érié jusqu’à l’Hudson, tandis que le gouvernement du Bas-Canada ne put faire ni même tenter de faire les quelques milles de canal et de curage, qui auraient rendu ces magnifiques rivières navigables jusqu’à leurs sources. Le temps qui aurait dû être dévoué à une sage législation fut employé dans une contestation pour le pouvoir entre l’exécutif et le peuple ; contestation qu’un exécutif sage aurait arrêté dès l’origine, en se soumettant à une responsabilité légitime, et qu’un peuple sage aurait cessé de presser lorsqu’il avait virtuellement atteint son but. Cette collision et les Vices de la constitution furent, de concert avec les querelles de races, les causes des maux que j’ai détaillés. Ce sera, j’espère, un sujet de félicitation permanente, que la dispute ait fini par la destruction de la constitution impraticable, qui causa la dispute ; et je ne puis non plus concevoir aucune ligne de conduite qui eût pu détruire aussi efficacement le système antérieur de maladministration, et déblayer le terrain pour des améliorations futures, que ce refus continu des subsides que fit l’assemblée dans son emportement. Il brisa à la fois ce système d’appropriations vicieuses des fonds publics, qui était le grand mal de la législation provinciale ; et il a laissé les abus de la colonie si longtemps sans aliment, qu’un gouvernement réformateur pourra ci-après travailler sur un sol non embarrassé.

Le résultat inévitable des animosités de race, et de la collision constante des différents pouvoirs de l’état que j’ai décrites, fut une désorganisation complète des institutions et du système administratif du pays. Je ne pense pas que je jette nécessairement le blâme sur mes prédécesseurs dans le Bas-Canada, ou que j’impugne les bonnes intentions que montra toujours clairement le gouvernement impérial envers toute classe et toute race dans la colonie, quand je dis qu’un pays qui a été agité par ces dissensions sociales et politiques, a souffert d’une mal-administration. Le blâme ne s’attache pas aux individus, mais au système vicieux qui a engendré les nombreux et profonds abus qui règnent dans chaque département du service public, et qui constituent les vrais griefs du pays. Ces griefs sont communs à tout le peuple du Bas-Canada ; et ce n’est pas une race ou un parti seulement, qui souffre de leur existence ; ils ont arrêté la prospérité et compromis la sécurité de tous ; quoique, sans aucun doute, les intérêts que le mauvais gouvernement a le plus retardés, sont les intérêts Anglais. Depuis les plus hauts jusqu’aux plus bas officiers du gouvernement exécutif, il n’y a aucun département important, dans toute la province, organisé de manière à agir vigoureusement et complètement et chaque devoir qu’un gouvernement doit à ses sujets est imparfaitement rempli.

Le système défectueux d’administration dans le Bas-Canada, commence à la source même du pouvoir et l’efficacité du service public souffre dans son entier, du manque total dans la colonie d’aucune administration vigoureuse de la prérogative de la Couronne. Le fait est que, d’après le système actuel, il n’y a pas de vrai représentant de la Couronne dans la province ; il n’y a pas, à proprement parler, de pouvoir chez qui origine le gouvernement exécutif et qui en a la conduite. Le gouverneur, il est vrai, passe pour y représenter le Souverain, et l’autorité de la Couronne lui est jusqu’à un certain point déléguée ; mais il est, de fait, un simple officier subdélégué, recevant des ordres du Secrétaire d’état, responsable à lui de sa conduite, et guidé par ses instructions. Au lieu de choisir un gouverneur, avec une entière confiance dans sa capacité d’user de ses connaissances locales sur l’état des affaires dans la colonie, de la manière que l’observation locale et l’expérience pratique lui prescriront être la meilleure, la politique du département Colonial a été, non seulement de donner au gouverneur dans le commencement, des instructions sur la politique générale qu’il doit mettre à effet, mais de lui ordonner, de temps en temps, par des instructions, quelque fois très précises, de suivre une certaine marche à l’égard de chaque détail important de son administration. Théoriquement irresponsable envers la Législature Coloniale, le gouverneur était en effet le seul officier dans la Colonie qui était du tout responsable ; en autant que l’assemblée, en concentrant ses attaques sur lui, et le faisant paraître comme la seule cause des difficultés du gouvernement, pouvait lui occasionner tant de vexation, et le représenter sous un jour si défavorable en Angleterre, que souvent elle réussit à lui imposer la nécessité de résigner, ou au Ministre Colonial celle de le rappeler. Pour se mettre à l’abri de cette responsabilité, ça été inévitablement et très justifiablement la politique des gouverneurs d’avoir soin de rendre la double responsabilité aussi légère que possible ; de s’efforcer de la jeter, autant que possible, sur le gouvernement impérial, et de faire le moins possible sans préalablement consister le Ministre Colonial en Angleterre, et recevoir ses instructions. La tendance du gouvernement local a donc toujours été de régler tout en référant au département colonial dans Downing Street. Presque toutes les questions sur lesquelles il était possible d’éviter une décision, fut-ce même au prix de grands inconvénients, ont été habituellement le sujet de référence ; et cela s’applique non seulement aux questions sur lesquelles l’Exécutif local et le corps législatif se trouvaient à différer d’avis, dans lesquelles la référence pourrait être prise pour une espèce d’appel, mais à des questions d’une nature purement locale, sur lesquelles il était à peu près impossible que le oureau colonial eût des informations suffisantes. Il était devenu d’habitude pour le bureau colonial de prendre l’initiative dans ces questions, de s’occuper d’applications de la part d’individus, de renvoyer ces applications ou gouverneur, et sur sa réponse, d’en venir à une décision. Le gouverneur a pu par ce système rejeter la responsabilité sur le bureau colonial, en autant que dans chaque cas important il mettait en réalité à effet l’ordre de l’autorité à laquelle il était responsable. Mais la vigueur réelle de l’exécutif a été essentiellement affectée ; la distance et les délais ont affaibli la force de ses décisions ; et la colonie, dans chaque crise de danger, et presque dans chaque détail d’administration locale, a senti le mal d’avoir son autorité exécutive, exercée de l’autre côté de l’Atlantique.

On n’a rien gagné non plus, ni en responsabilité efficace, ni en saines informations, en transférant ainsi les détails du gouvernement exécutif au département Colonial en Angleterre. L’ignorance complète et inévitable dans laquelle sont le public Britannique et même la masse de ses législateurs, à l’égard des vrais intérêts de populations éloignées, qui différent tellement de la leur, produit une indifférence générale, que rien moins qu’une grande crise politique ne dissipe jamais ; et la responsabilité au Parlement, où à l’opinion publique de la Grande-Bretagne, serait, à en excepter ces grandes et rares occasions, positivement nuisible, si elle n’était pas impossible. Les changements répétés causés par les événements politiques en Angleterre, n’ayant pas de connexion avec les affaires coloniales, n’ont laissé à la plupart des divers représentants du département colonial en Parlement que trop peu de temps pour acquérir même une connaissance élémentaire de la condition de ces nombreuses et hétérogènes sociétés qu’ils ont eu à administrer et pour lesquelles ils ont eu à législater. Les personnes entre les mains desquelles est resté ou a dû rester la régie réelle de ces affaires, ont été les membres permanents mais entièrement responsables du bureau. Ainsi le vrai gouvernement de la colonie a été séparé de la plus légère responsabilité nominale qui existe. À part même de ce grand mal, de ce mal principal du système, la presse des affaires multipliées ainsi jetées dans le Bureau Colonial, et les changements répétés de ses directeurs ostensibles, ont produit dans la régie des affaires publiques un désordre, qui a occasionné des maux sérieux, et une grande irritation. Ce n’est pas là seulement mon opinion particulière, car je ne fais que répéter celle d’un comité spécial de la chambre d’assemblée du Haut-Canada, qui dans un rapport en date du 8 février 1828, dit : « Il parait à votre comité qu’une des principales causes de mécontentement contre l’administration des affaires coloniales provient des fréquents changements dans le bureau du secrétaire d’état, auquel est confié le département colonial. Depuis que le ci-devant Lord Bathurst se retira de cette charge en 1827, votre comité croit qu’il n’y a pas eu moins de huit ministres coloniaux, et que la politique de chaque homme d’état successif a été plus ou moins marquée par une différence avec celle de son prédécesseur. Cette fréquence de changements produit en elle-même deux maux ; le premier, une connaissance imparfaite des affaires des colonies de la part du principal secrétaire, et la nécessité qui s’en suit de soumettre des détails importants à des officiers subordonnés du département ; et le second, le manque de stabilité et de fermeté dans la politique générale du gouvernement, et qui comme de raison cause beaucoup d’embarras aux gouverneurs, et autres officiers des colonies, quant aux mesures qui seront approuvées.

Mais sans aucun doute, (continue le rapport) l’objection de beaucoup la plus grande au système, est l’impossibilité où il met chaque ministre colonial, sans l’assistance de personnes possédant des connaissances locales, de s’instruire des besoins, des désirs, des sentiments et des préjugés des habitants des colonies, pendant Sa continuation temporaire en office, et de décider d’une manière satisfaisante sur les exposés et réclamations contradictoires qui sont mis devant lui. Une résolution ferme et inébranlable d’adhérer aux principes de la constitution, et de maintenir les pouvoirs justes et nécessaires de la couronne, ferait beaucoup pour suppléer au manque de renseignements locaux. Mais ce serait faire plus qu’on ne peut raisonnablement attendre de la sagacité humaine, qu’un homme ou réunion d’hommes décidassent toujours d’une manière irréprochable sur des sujets qui ont leur origine à des milliers de milles du siège du gouvernement impérial, où ils résident, et dont ils n’ont aucune connaissance personnelle quelconque ; et en conséquence il doit être souvent fait du tort à des individus, comme on doit prendre sous un faux jour des questions politiques importantes, qui à la fin peuvent jeter toute une société en difficulté et en dissension, non par l’absence du plus ardent désir de faire le bien, mais par une connaissance imparfaite des faits sur lesquels former une opinion.

À ces objections, ajoute le rapport, on pourra répondre, que quoique le principal Secrétaire d’État se retire avec un changement de Ministres, les Sous-Secrétaires (ou au moins l’un d’eux) et les autres Officiers subordonnés du département restent et tiennent leurs offices permanemment et que les Messieurs qui sont ainsi retenus peuvent facilement communiquer au supérieur des informations sur tous les sujets ; et on peut admettre que la connaissance de ce fait devrait diminuer la force des objections qui reposent sur d’autres fondements ; mais on ne peut se déguiser qu’il y a une impudence et une répugnance croissante chez les colons, surtout dans ces provinces étendues, de voir les mesures du gouvernement, soit qu’elles soient liées avec leur système général de gouvernement, de législation, ou de patronage, sous le contrôle de personnes, qui leur sont parfaitement étrangères, sans aucune responsabilité envers eux ou le Parlement Britannique, et qui peut-être devant leur office à la longueur de leurs services, ou autres causes semblables, ne sont pas regardés comme étant compétents (peut-être injustement) à conduire et diriger les mesures que ces colons considèrent comme étant d’une importance vitale. Ce sentiment est dû en grande partie à l’orgueil ; mais c’est un orgueil qui prend en source dans un sentiment honorable et louable, et qui accompagne toujours le respect de soi, le vrai patriotisme, et l’amour du pays, et pour cela il n’est pas à mépriser, et il ne faut pas essayer de le diminuer ni de le contrôler, s’il est possible de le faire. Mais l’imperfection qui existe dans le système de gouvernement colonial qui règne en Angleterre, est rendue plus apparente par le manque de cette confiance qui devrait être reposée dans les officiers distingués qui sont de temps en temps nommés Gouverneurs des différentes colonies, que par aucun autre fait qu’on puisse distinctement désigner. »

Je vais maintenant citer un seul exemple de ces maux, et je le choisis parce que c’est un exemple qui est arrivé à l’égard de la fonction la plus importante de l’Exécutif, savoir, son exercice de la prérogative législative de la Couronne, et parce que l’existence en a été admise par le présent Secrétaire d’État pour les Colonies dans les instructions à mon prédécesseur, Lord Gosford ; je veux parler de la réserve des bills à l’assentiment royal. La « réserve trop fréquente de bills » est un « grief, » dit sa Seigneurie, « à la réalité duquel mes recherches me portent à croire. » Et dans une partie subséquente de la même dépêche sa Seigneurie admet qu’en conséquence de cette cause il a été fait beaucoup de mal par le délai tout-à-fait inintentionnel à donner l’assentiment royal à des bills tout-à-fait sans objection, ayant pour objet la dotation de collèges par des personnes bienfaisantes. Sa Seigneurie décrit ce délai comme étant « principalement attribuable aux événement politiques, et aux changements dans l’administration coloniale en Angleterre qui en ont été la suite. » Je ne sais à quelle cause doit être attribué le délai qui produisit, à l’égard d’un autre bill, l’effet encore plus sérieux d’un doute sur sa légalité, après qu’il eut été considéré loi et suivi dans son opération comme tel. Ce bill[3] fut réservé ; et l’assentiment royal fut retardé si longtemps par pure inadvertance, que lorsqu’il fut renvoyé à la colonie avec la qualité d’acte, la question s’éleva de savoir si l’assentiment royal avait été retardé au delà des deux années allouées par la loi, et si, cet assentiment ayant été ainsi retardé, il était valide.

Un des plus grands de tous les maux provenant de ce système de gouvernement irresponsable, était le mystère qui cachait les motifs et les fins actuelles de leurs gouvernants, aux yeux des colons eux-mêmes. Les affaires les plus importantes du gouvernement se poursuivaient, non dans des discussions envers ou dans des actes publics, mais dans une correspondance secrète entre le Gouverneur et le Secrétaire d’état. Lorsque ce mystère était levé, c’était longtemps après que les doutes et les mésappréhensions avaient produit leurs plus mauvais effets ; et les colonies ont souvent été les dernières à apprendre les choses qui les concernaient le plus, par la publication des papiers sur l’ordre des Chambres du Parlement Britannique.

Le Gouverneur, ainsi, sujet à une légère responsabilité, et investi de fonctions si mal définies, se trouvait à la tête d’un système, dans lequel tous ses aviseurs et subordonnés avaient encore moins de responsabilité, et des devoirs encore moins définis. Disqualifié d’abord par le manque d’informations locales, et très souvent, subséquemment, par l’absence absolue de toute habitude dans les affaire du gouvernement civil, le gouverneur, à son arrivée dans la colonie, se trouvait dans la nécessité de prendre pour guides, sous beaucoup de rapports, les personnes qu’il trouvait en office. Dans aucun pays donc il n’existait de plus grande nécessité de faire une démarcation convenable des affaires de chaque officier public, et de soumettre chacun à une plus grande responsabilité. Maintenant, je n’exagère pas du tout le vrai état de la chose, lorsque j’avance qu’il n’y a pas de chef d’aucun des départements les plus importants des affaires publiques dans la colonie. Les pouvoirs limités du gouvernement local d’une colonie, obvient à la nécessité de pourvoir à quelques-uns des plus importants départements, qui ailleurs requièrent un esprit surintendant. Mais la simple administration ordinaire de la justice, de la police, de l’éducation, des travaux publics et des communications intérieures, des finances et du commerce, requerrait la surintendance de personnes compétentes à aviser le gouverneur, sur leur propre responsabilité, sur les mesures à adopter ; et le travail additionnel qui tombe sur les chefs de tels départements dans les autres pays, dans la recherche des améliorations du système et des lois qui se rapportent à chacun, donnerait certainement de l’occupation additionnelle, par suite des vices qui sont particulier à la législation et à l’administration du Bas-Canada. Cependant, il n’y a aucun chef responsable dans aucun de ces départements, aux avis desquels le gouverneur puisse se fier en sûreté pour le guider. Il y a dans chaque département des officiers subordonnés et très capables, dont il est, de fait, forcé de prendre des renseignements de temps à autre. Mais il n’y en a aucun sur qui lui ou le public puisse jeter les yeux pour la régie exacte et une décision saine sur la politique de chacun de ces départements importants.

Les vrais aviseurs du gouverneur ont, de fait, été le Conseil Exécutif ; et on peut à peine imaginer une institution plus singulièrement calculée pour empêcher la responsabilité des actes du gouvernement de s’attacher à qui que ce soit. C’est un corps dont la constitution ressemble un peu à celle du Conseil Privé : il est lié au secret par un semblable serment ; il remplit de la même manière certaines fonctions judiciaires anomales ; et son « avis et consentement » sont requis dans quelques cas dans lesquels l’observance de cette forme a été jugée comme un contrôle nécessaire sur l’exercice de certaines prérogatives de la Couronne. Mais sous d’autres rapports, il a plus de ressemblance à un cabinet, le gouverneur étant dans l’habitude de prendre son avis sur la plupart des questions importantes de sa politique. Mais comme il n’y a pas de division en départements dans le Conseil, il n’y a aucune responsabilité individuelle, ni aucune surintendance individuelle. Chaque membre du Conseil prend une égale part dans toutes les affaires amenées devant le corps. Le pouvoir de déplacer les membres étant rarement exercé, le Conseil est, de fait, principalement composé de personnes qui y ont été appelées il y a longtemps ; et le gouverneur est obligé ou de prendre avis de personnes en qui il n’a aucune confiance, ou de ne consulter qu’une partie du Conseil. Le secret des procédés ajoute à l’irresponsabilité du corps : et lorsque le gouverneur fait une démarche importante, il n’est pas connu, ou non authentiquement connu, s’il a pris ou non l’avis de son Conseil, quels membres il a consultés, ou par l’avis de qui dans ce corps il a été finalement guidé. La responsabilité du Conseil Exécutif a été constamment demandée par les réformateurs du Haut-Canada, et en quelques occasions par ceux de la province inférieure. Mais il est réellement difficile de concevoir comment on peut obtenir une responsabilité désirable, si ce n’est en changeant l’opération de cette machine embarrassante, et en plaçant les affaires des divers départements du gouvernement entre les mains d’officiers publics compétents.

Dans le cours ordinaire des affaires publiques dans la colonie, presque toutes les affaires viennent, de fait, devant le gouverneur, ou son assistant immédiat le Secrétaire-Civil de la province. Le bureau du Secrétaire-Civil est, de fait, le bureau public général, où presque toutes les espèces d’affaires originent, ou dans lesquels elles passent à un point ou un autre de leur cours. Les applications qui arrivent tous les jours à ce bureau montrent le singulier manque d’organisation convenable dans la province, et la grande confusion d’idées touchant les fonctions du gouvernement, qui s’y est engendrée dans l’esprit du peuple. Une partie considérable consiste en requêtes au gouverneur lui demandant d’intervenir dans le cours de la justice civile. Chaque décision d’officiers subordonnés est le sujet d’un appui ; et aucune référence au département convenable ne satisfait les requérants, qui s’imaginent avoir droit de réclamer une investigation personnelle de chaque cas par le gouverneur ou le secrétaire civil. Les appels pour le passé sont également nombreux ; et on paraît s’attendre à ce que chaque nouveau gouverneur prenne connaissance de chaque décision d’aucun ou de tous ses prédécesseurs, qui se trouve n’avoir pas satisfait le requérant.

Mais si telle est la mauvaise organisation et l’imperfection du système au siège du gouvernement, on peut croire aisément que le restant de la province n’a pas joui d’une administration bien vigoureuse et bien complète. De fait au delà des murs de Québec, toute administration régulière du pays paraît cesser ; et il y avait à peine, littéralement parlant, un seul officier public du gouvernement civil, à l’exception de Montréal et des Trois-Rivières, auquel on pût adresser aucun ordre. Le solliciteur-général réside communément à Montréal ; et dans chaque district il y a un shérif. Dans le restant de la Province, il n’y a ni Shérif, ni maire, ni constable, ni officier administratif supérieur d’aucune sorte. Il n’y a ni officier de comté, ni officiers municipaux, ni officiers de paroisse soit nommés par la couronne, soit élus par le peuple. Il y a un corps de Juges de Paix non rétribués, dont je parlerai ci-après plus en détail. Les officiers de milice avaient coutume d’être employés aux fins de police, quant à ce qui regarde la signification des warrants en affaires criminelles ; mais leurs services étaient volontaires et n’étaient pas très assidus ; et tout ce corps est maintenant désorganisé. Dans les cas où le gouvernement avait besoin d’informations, ou quelque service à faire remplir dans une partie éloignée de la Province, il lui fallait ou envoyer quelqu’un sur les lieux, ou chercher, au siège du gouvernement, le nom de quelqu’un domicilié sur les lieux, qu’il était à propos et sûr de consulter sur le sujet, ou de charger d’exécuter ce qu’il y avait à faire. Dans l’état où en étaient les partis dans le pays, on ne pouvait jamais à peine prendre cette marche sans avoir à se fier à des informations très suspectes, ou à déléguer le pouvoir à des personnes qui vraisemblablement en abuseraient, ou seraient soupçonnées de l’avoir fait.

Le manque total de mécanisme dans le gouvernement exécutif de la Province, n’est peut-être pas plus frappant qu’on ne pourrait le remarquer dans quelques sections les plus florissantes du continent Américain. Mais dans la plupart des états dont je parle, le manque de moyens à la disposition de l’exécutif central se trouve amplement supplée par l’efficacité des institutions municipales ; et même ou elles manquent, ou sont imparfaites, l’énergie et les habitudes du gouvernement de soi d’une population Anglo-saxonne la font se combiner toutes les fois que la nécessité s’en fait sentir. Mais la population Française du Bas-Canada ne possède ni de telles institutions ni un tel caractère. Accoutumés à tout attendre du gouvernement, elle n’a le pouvoir de ne rien faire pour elle-même, encore moins d’assister l’autorité centrale.

Le manque complet d’institutions municipales donnant au peuple quelque contrôle sur ses affaires locales, peut en vérité être regardé comme une des principales causes de l’insuccès du gouvernement représentatif et de la mauvaise administration du pays. Si l’on eût suivi à tous égards dans le Bas-Canada, le sage exemple des pays dans lesquels seuls le gouvernement représentatif libre a bien fonctionné, on aurait eu le soin en même temps qu’on y introduisait le système parlementaire, basé sur un suffrage très étendu, que le peuple fût investi d’un contrôle complet sur ses propres affaires locales et exercé à prendre sa part dans les affaires de la province par l’expérience qu’il aurait acquise dans la régie des affaires locales qui l’intéressent de plus près et qu’il sait le mieux comprendre. Mais malheureusement les habitants du Bas-Canada furent initiés au gouvernement populaire (self government) justement par le mauvais bout, et ceux à qui on ne confiait pas le gouvernement d’une paroisse, furent mis en état, par leurs votes, d’influer sur les destinées d’un état. Pendant mon séjour dans la province, je nommai une commission pour s’enquérir sur les institutions municipales, et la possibilité d’introduire, un système effectif et libre pour la régie des affaires locales. Les Messieurs chargés de cette enquête, lorsqu’ils furent interrompus dans leurs travaux, avaient fait beaucoup de progrès dans la préparation d’un rapport, qui, je l’espère, développera, d’une manière pleine et satisfaisante, l’étendue du mal existant, et la nature des remèdes qui peuvent lui être appliqués.

Il n’y a jamais eu de fait dans le Bas-Canada aucune institution, dans laquelle aucune portion de la population Française a été réunie pour aucune fin administrative, et parmi les divisions du pays il n’y en a aucune qui ait été faite dans cette vue. Les plus grandes divisions appelées « districts, » sont des divisions purement judiciaires. On peut appeler les comtés des divisions simplement parlementaires ; car je ne connais aucune autre fin de leur établissement que l’élection de membres pour la chambre d’Assemblée ; et pendant la présente suspension du gouvernement représentatif, ils ne sont que des divisions géographiques purement arbitraires et inutiles. Il n’y a pas de centuries (hundred) ni des subdivisions de comtés correspondantes. Les paroisses sont de divisions purement ecclésiastiques, et peuvent être changées par les Évêques Catholiques. La seule institution de la nature d’une administration locale, dans laquelle le peuple ait une voix, est la fabrique, qui pourvoit aux réparations des églises Catholiques.

Les Townships sont entièrement habités par une population d’origine Britannique et Américaine ; et l’on peut dire qu’elles sont des divisions établies pour l’arpentage, plutôt que pour aucune autre fin. Les Townships de l’Est offrent un déplorable contraste dans la régie de toutes les affaires locales, avec l’état avoisinant de Vermont, où les institutions municipales sont les plus complètes, dit-on, qu’il y ait dans aucune partie de la Nouvelle-Angleterre. Dans tout district de la Nouvelle-Angleterre nouvellement établi, un petit nombre de familles qui s’établissent à une certaine distance les unes des autres, sont immédiatement autorisées par une loi à se cotiser pour des fins, locales, et à élire leurs officiers locaux. Les habitants des Townships de l’Est, dont un bon nombre sont natifs de la Nouvelle-Angleterre, et qui tous peuvent faire contraster l’état de choses de leur côté de la ligne, avec celui qu’ils voient de l’autre côté, ont une cause sérieuse et générale de mécontentement dans la régie très inférieure de toutes leurs propres affaires locales. Il parait même que le gouvernement a découragé les colons Américains d’introduire leurs propres institutions de commun accord. J’ai appris, dit M. Richards, dans un rapport au secrétaire d’état pour les colonies, dont l’impression fut ordonnée par la chambre des communes, en mars 1832, « que les Vermontois avaient passé la ligne, et partiellement occupé plusieurs Townships, apportant avec eux leurs propres institutions municipales : que lorsqu’on leur eût montré l’inconvenance d’être leurs propres officiers, ils avaient aussitôt renoncé à ces institutions, et promis de se conformer à celle du Canada.

Mais c’est dans Québec et dans Montréal que le manque d’institutions municipales a été et est remarquable de la manière la plus frappante. Ces cités furent incorporées il y a quelques années par un Acte Provincial temporaire, dont le renouvellement fut rejeté en 1836. Depuis ce temps-là ces cités ont été sans aucun gouvernement municipal ; et l’état disgracieux des rues, et l’absence totale d’éclairage, sont des conséquences qui arrêtent l’attention de tous, et affectent sérieusement le confort et la sécurité des habitants.

Les pires effets de ce système très vicieux d’administration générale seront développés dans l’exposé que je donnerai ci-après des pratiques adoptées à l’égard des terres publiques et de l’établissement de la province, mais que je remets pour le présent, car je me propose de considérer ce sujet dans ses rapports, avec toutes les provinces de l’Amérique Septentrionale. Mais je dois faire remarquer ici les funestes résultats qui se montrent vaillamment dans la manière dont le gouvernement du Bas-Canada a pourvu au premier besoin d’un peuple, l’administration effective de la justice.

Les lois de la province et l’administration de la justice sont de fait un œuvre composé de pièces de rapport, résultats de l’intervention en différents temps de différents pouvoirs législatifs, chacun procédant d’après des vues tout-à-fait différentes et généralement incomplètes, et sans aucun égard les uns pour les autres.

Les lois elles-mêmes sont une masse de dispositions incohérentes et contraires, en partie Françaises, en partie Anglaises, et avec une ligne très confusément tirée entre elles. Ainsi, les lois criminelles sont le droit criminel d’Angleterre, tel qu’il fut introduit en 1774, avec les modifications que la législature provinciale y a faites depuis, l’on met aujourd’hui en doute si la législature provinciale avait le pouvoir de faire aucun changement quelconque dans ces lois, et il n’est pas du tout clair quelle est l’étendue de la phrase « lois criminelles. » Le droit civil est l’ancien droit civil, modifié sous quelques rapports, et malheureusement sous très peu de rapports : et ces modifications ont presque exclusivement été effectuées par des actes du parlement britannique, ou par des ordonnances du Gouverneur et Conseil, sous l’autorité de l’Acte de Québec. La loi Française sur la preuve règne dans toutes les matières civiles, avec une exception spéciale, celle des causes « de commerce, » dans lesquelles il est pourvu que la loi Anglaise sera suivie ; mais on ne trouve pas deux avocats qui s’accordent sur la définition du mot « commerce. »

Pour les fins de la justice, la province est divisée en quatre districts supérieurs ayant une juridiction illimitée et suprême en première instance, et un inférieur avec une juridiction limitée. Les quatre districts supérieurs sont ceux de Québec et de Montréal, des Trois-Rivières et de Saint-François : l’inférieur, celui de Gaspé.

Le district de Gaspé est subordonné à celui de Québec, avec quelques dispositions spéciales pour l’administration de la justice en icelui sous l’autorité d’un acte provincial particulier, qui expire au mois de mai prochain. Je n’ai pu me procurer aucunes informations satisfaisantes touchant ce district, si ce n’est que chacun paraissait être d’avis que, vu sa distance et sa mince population, ni la législature ni le gouvernement exécutif ne s’en sont jamais beaucoup occupés. Quant à l’administration de la justice dans ce district, j’ai à peine pu en apprendre quelque chose ; en effet, une fois qu’il était devenu nécessaire, pour quelque fin particulière, de s’assurer du fait, on s’enquit dans tous les bureaux publics à Québec, pour savoir s’il y avait ou non un Coroner à Gaspé. Il s’écoula beaucoup de temps avant qu’on pût obtenir aucune information sur ce point, et il fut en quelque sorte éclairci à la fin, par la découverte que fit l’inspecteur général des comptes d’un estimé pour le salaire d’un tel officier. La seule information positive donc que je puisse donner sur la présente administration de la justice à Gaspé, est que je reçus des habitants une pétition demandant le renouvellement de l’acte qui la règle.

Chacune des cours de Québec et de Montréal a un Juge en chef et trois Juges puisnés ; il n’y a qu’un Juge dans chacun des districts des Trois-Rivières et de St. François. Pendant le temps des termes des Juges des autres districts complètent le nombre compétent dans ces derniers districts.

Dans toutes les matières civiles ces cours ont jurisdiction en première instance jusqu’à un montant illimité ; et malgré l’immense étendue de tous les districts, surtout des deux plus grands, les parties sont dans tous les cas amenés aux villes chefs-lieux pour le jugement de leurs causes.

Il a été fait une tentative, mais d’un caractère très restreint et abortif pour introduire le système Anglais des circuits. Les Juges de ces districts font des circuits une fois par année, pour juger les causes dans lesquelles l’objet en litige n’excède pas £10 sterling. La limitation de la jurisdiction, l’introduction des cours des petites causes, et par suite l’absence des Avocats pendant que ces circuits se tiennent et le temps très insuffisant qui est accordé à chaque place, les ont rendus presque inutiles, à ce que j’apprends ; et même les causes qui auraient pu être plaidées aux circuits sont généralement portées de préférence aux chefs-lieux de ces districts.

On se plaint que les honoraires sont excessifs dans les cours de Montréal et de Québec. La distribution du patronage judiciaire est un sujet de grandes plaintes, et il n’est pas aisé de dire jusqu’où ces plaintes sont justes ; le mal substantiel de la justice civile consiste dans le déni de justice en pratique, provenant de l’entière inefficacité du système de circuits et des frais énormes résultant de l’obligation de porter toute cause, dans laquelle la valeur en litige excède £10 sterling, des extrémités des trois grands districts établis de la province aux trois districts des villes ; dans la constitution vicieuse des tribunaux inférieurs par lesquels on a essayé de suppléer au manque d’un système efficace, soit de circuits ou de cours locales ; et dans la nature très défectueuse de la cour d’appel suprême de la province.

La petite litigation du pays se poursuit de fait, dans tous ces trois districts, dans les cours des commissaires des petites causes. Ces cours sont établies par le gouverneur dans les différentes paroisses, sur demande faite par un certain nombre des paroissiens, selon les formes prescrites par le statut provincial, dont cette institution origine, et elles ont jurisdiction sur toutes les dettes n’excédant pas vingt-cinq piastres, égales à £6 5c. courant. Les commissaires sont nommés par le gouverneur sur la recommandation des pétitionnaires ; ce sont des personnes domiciliées dans la paroisse, et presque aucunement versées dans la loi. La constitution de ces cours n’est, de fait, rien moins en substance qu’un judiciaire électif, élu d’après le système le plus irrégulier, le plus frauduleux et le plus absurde qu’on pût imaginer. Je ne saurais mieux faire cette description qu’en rapportant simplément la manière dont les nominations sont faites, de fait. Elles sont, et cela depuis longtemps, presque entièrement laissées à un assistant subordonné dans le bureau du secrétaire civil. Ce monsieur dit qu’il ne faisait aucune démarche, et en vérité selon la loi il ne le pouvait pas, jusqu’à ce qu’il eut reçu une pétition, avec le nombre de noms requis y attachés. Son impression était que ces signatures s’obtenaient généralement par le moyen de manœuvres assidues dans la paroisse, généralement de la part de quelque personne qui voulait avoir l’emploi de greffier, qui est pavé, et qui prenait ce trouble pour assurer la nomination des commissaires par lesquels il espérait être nommé. Après quelques informations reçues d’aucune personne que cet assistant-secrétaire jugeait à propos de consulter sur le caractère des personnes proposées, elles étaient nommées, presque comme une conséquence naturelle. Quelque temps après, si quelqu’autre personne de l’endroit acquérait plus de popularité, et qu’elle convoitât l’office, une pétition était mise sur pied contenant des accusations contre celui qui occupait l’office et demandant sa destitution, et de lui substituer son rival. Sur presque toutes les nominations il s’élevait aussi de longues controverses sur la politique, les qualifications et le caractère du candidat à l’office ; et les destitutions ou les nouvelles nominations étaient toujours attribuées à des causes politiques dans les journaux de chaque parti ou race. Les investigations sur les qualifications des personnes proposées, et sur les accusations portées contre les commissaires, et sur la défense qui s’ensuivait, et les preuves éloignées et nullement satisfaisantes apportées, à l’appui de chacune, formaient une grande proportion des affaires du bureau du secrétaire civil. Quelque nomination qu’il fît, le gouvernement était assuré de créer du mécontentement ; et l’administration de la justice était laissée entre les mains d’hommes incompétents, dont la nomination avait été faite de cette manière au point même, quelquefois, à élever des doutes sur leur intégrité, aux yeux, non seulement de ceux qui s’étaient opposés à leur nomination, mais aussi de ceux qui l’avaient appuyée. Je me bornerai à ajouter que quelque temps avant de laisser la province, les plus hautes autorités légales du pays me pressèrent très vivement et très fortement d’abolir tous ces tribunaux à la fois, par la raison qu’un grand nombre d’entre eux étant composés entièrement de Canadiens-Français désaffectionnés, s’étudiaient à harrasser les loyaux sujets, en maintenant des actions contre eux, à raison de la part qu’ils avaient prise dans l’insurrection récente. Leurs décisions sont sans appel ; et il a été rapporté qu’ils avaient eu le front d’accorder des dommages contre des personnes loyales pour des actes faits dans l’exécution de leurs devoirs, et des jugements par défaut contre des personnes qui étaient absentes en qualité de volontaires au service de la Reine et de mettre leurs jugements à exécution, on saisissant leurs biens.

Il me faut maintenant passer du plus bas au plus haut tribunal civil de la province. Dans un pays où l’administration de la justice est si imparfaite dans tous les degrés inférieurs, et où deux systèmes de loi différents et souvent contradictoires sont administrés par des juges dont l’éducation professionnelle et l’origine les font naturellement pencher en faveur des systèmes respectifs dans lequel chacun est plus particulièrement versé, l’existence d’une bonne et accessible juridiction en appel, qui puisse maintenir l’uniformité et la certitude dans la loi, est un point d’une plus grande importance que dans les pays où la loi est homogène, et son administration satisfaisante dans les tribunaux subordonnés. Mais la juridiction en appel dans le Bas-Canada gît dans le Conseil Exécutif — corps établi simplement pour des fins politiques et composé de personnes qui n’ont pour la plupart aucunes qualifications égales quelconques. Le Conseil Exécutif siège comme Cour d’Appel quatre fois par année, et l’espace de dix jours à chaque session ; dans ces occasions, les deux juges en chef de Québec et de Montréal présidaient ex officio, et chacun présidait à son tour lorsque les appels du District de l’autre étaient entendus. Les autres membres de la cour, non hommes de loi, qui étaient là pour remplir le quorum voulu de cinq, laissaient comme de raison, toute la besogne au juge en chef qui présidait, excepté dans quelques cas où l’on dit que des sentiments de parti ou des Intérêts pécuniaires ont induit ces membres à assister en nombres inusités, pour mettre de côté l’autorité du juge en chef, et pour pervertir la loi. Dans la généralité des cas donc la division était laissée au président seul, et chaque juge en chef devenait, en conséquence, le vrai juge en appel de toute la cour de l’autre district. C’est une chose de notoriété parfaite et admise, que ce système a produit les résultats qu’on aurait dû prévoir comme étant inévitables ; et que, pendant quelque temps avant mon arrivée dans la province, les deux juges en chef avaient constamment différé d’opinion sur quelques points des plus importants, et avaient été dans l’habitude de renverser les jugements l’un de l’autre. Par conséquent, la loi n’était pas seulement incertaine et différente dans les deux districts, mais par suite du pouvoir final de la Cour d’Appel, ce qui était la vraie loi de chaque district était considéré n’être pas loi par les juges de ce district. Ce n’est pas là simplement une induction de ma part ; il est très clair que c’était l’opinion générale du barreau et du public. La Cour d’Appel, telle que remodelée par moi, à la seule session qu’elle tint, renversa tous les jugements qui firent amenés devant elle, à l’exception d’un seul. C’est ce qui induisît un membre de la Cour à remarquer à l’un des juges en chef, qu’un renversement aussi général de la jurisprudence d’une cour inférieure très compétente par un tribunal aussi compétent que l’était alors la Cour d’Appel, lui paraissait tout-à-fait inexplicable, en autant qu’on ne pouvait aucunement l’attribuer, comme auparavant, à l’influence d’un seul juge. La réponse du Juge en chef fut, qu’il était facile d’expliquer la chose ; que le système antérieurement adopté dans la cour d’Appel avait frappé, de nullité complète les décisions de la cour inférieure ; que les parties et leurs avocats dans la cour inférieure ne prenaient souvent pas la peine d’entrer dans les vrais mérites de leurs causes, dont le vrai point de vue, de même que la loi qui s’y rapportait, n’était généralement pleinement exposée que devant la Cour d’Appel.

Les affaires de la Cour d’Appel étant ainsi d’une grande étendue et importance, il devint nécessaire, comme j’avais, par des considérations politiques, changé la composition du conseil exécutif, que je réorganisasse la cour d’Appel. Je me déterminai à le faire sur le meilleur principe que je pusse mettre à effet sous les circonstances de l’affaire ; car la constitution de la cour d’Appel étant réglée par l’Acte constitutionnel, je ne pouvais investir aucun autre corps que le Conseil Exécutif de la juridiction en appel. J’appelai donc au conseil exécutif le Juge en chef et un des juges puisnés de chacun des districts de Québec et de Montréal, et en sommant aussi le juge des Trois-Rivières, je donnai aux membres des deux tribunaux en conflit un arbitre impartial dans la personne de M. Vailières de St. Réal, que tout le monde reconnaissait pour être le plus habile jurisconsulte français de la province. Mais les règlements du conseil exécutif qu’on supposa que je ne pouvais changer dans ce cas, requéraient la présence d’un quorum de cinq ; et comme aucun juge ne pouvait signer en appel sur une cause de sa propre cour, je n’avais encore pourvû qu’à trois jugea pour tout appel venant des deux plus grands districts. Pour compléter le quorum, deux des autres conseillers exécutifs assistèrent à la cour, et l’on admit communément que l’un d’eux par ses profondes connaissances du droit commercial, et son expérience légale générale, avait rendu des services essentiels.

Les longs délais et les frais considérables qui accompagnent l’appel ultérieur au conseil privé, alloué dans les causes dont la valeur est au-dessus de £500, font qu’on n’y a presque pas recours. Chaque province désire donc l’établissement d’une bonne jurisdiction en appel pour toutes les colonies de l’Amérique Septentrionale ; et un tribunal compétent à cette fin épargnerait les frais et les délais du recours au conseil privé, et répondrait à toutes les fins qu’on se propose d’atteindre par le présent système de double appel.

Les maux du système de la justice criminelle ne sont pas aussi variés, mais la division judiciaire et administrative défectueuse de la province fait que les défauts qui existent dans les constitutions des cours de justice sont encore plus sévèrement sentis dans ce département ; car, excepté dans les principales villes des cinq districts, il n’a été aucunement pourvu à l’administration de la justice criminelle, et il finit que tous les prisonniers y soient amenés pour avoir leur procès, des parties les plus éloignées, sujettes à leur juridiction. Ainsi il faut amener à Montréal pour leur procès tous les prisonniers des établissements les plus reculés de l’Outaouais, où est maintenant le siège principal du commerce du bois, et de la population nombreuse et sauvage qu’il réunit, ce qui fait une distance de deux cents milles, par des voies de transport mauvaises et incertaines. Selon une haute autorité légale la loi n’a aucun pouvoir sur le côté gauche de l’Outaouais. Tout récemment encore une bande de furieux, appelés « Shiners » se moquèrent pendant longtemps de la loi, et eurent entièrement à leur disposition les biens considérables investis dans cette partie du pays.

Outre celles qui se trouvent dans les cinq places ci-dessus mentionnées, il n’y a que trois prisons de comté, dont une est dans le district de Gaspé. Il ne se tient de sessions qu’à ces places. Aux sessions de quartier de Québec, Montréal et Trois-Rivières, il y avait, il y a quelques années, des présidents versés dans la loi et rétribués, mais l’assemblée les discontinua. Il n’y a des shérifs que dans les districts et non dans chaque comté. Ils sont nommés à vie par la couronne, et sont amovibles à plaisir. Ces offices sont très lucratifs, et on dit qu’on en a souvent disposé par favoritisme personnel ou politique. C’est aussi un sujet de plainte qu’on a exigé des garanties insuffisantes de ceux qui y furent nommés ; et en conséquence les défalcations de shérifs ont fait souffrir des pertes très sérieuses à beaucoup d’individus.

Le mal le plus sérieux qui règne dans l’administration de la Justice Criminelle résulte de l’abus pervers que l’on fait de l’institution du Jury au moyen des préjugés politiques et nationaux du peuple. Le procès par Jury a été introduit dans le pays avec le restant de la loi Criminelle Anglaise. Pendant longtemps la composition du grand et du petit-jury fut réglée par le gouverneur, et ils étaient formés des habitants des villes, chefs-lieux des districts. On se plaignit que cela donnait une prépondérance indue aux Anglais dans les cités ; quoique, eu égard à la population, il n’est pas facile de concevoir comment ils pouvaient avoir plus qu’une part égale dans les jurys. Cependant en conséquence de ces plaintes, Sir James Kempt fit émaner un ordre, ordonnant aux shérifs de prendre les jurés non seulement des villes, mais des campagnes environnantes jusqu’à une distance de quinze lieues de tout côté. Un acte, communément appelé l’Acte du Jury de M. Viger, fut ensuite passé, étendant l’institution du Jury à toutes les parties des districts. Le choix des jurés de toute l’étendue de la jurisdiction des Cours est sans doute conforme aux principes de la loi anglaise. Ce même acte, adoptant aussi les autres dispositions de la loi anglaise, procurait un choix impartial des jurés. Mais en considérant les animosités et les rapports numériques des deux races, on voit que l’effet de cet acte était de donner toute prépondérance aux Français dans le Jury. Cet acte qui avait été passé pour un temps limité par l’assemblée, expira en 1836, et depuis, le conseil législatif a refusé de le renouveler. Depuis cette époque, il n’y a eu aucune loi du Jury quelconque. La composition du Jury a été entièrement entre les mains du gouvernement ; cependant l’on a donné aux shérifs des instructions privées de suivre en tout l’ordonnance de Sir J. Kempt ; et quoique cela ait été fait dans tous les cas, le public n’a eu aucune garantie que cela serait fait dans tous les cas. Les shérifs n’étaient sous aucun contrôle apparent ; le public savait qu’ils pourraient toujours former un Jury à leur guise quand il leur plairait, et supposait, comme une chose toute naturelle, que des officiers publics, tenant des places lucratives du gouvernement, seraient toujours prêts à mettre à effet les desseins pernicieux qu’on était toujours disposé à attribuer au gouvernement. Quand j’arrivai dans la province, le public attendait les procès des personnes concernées dans la dernière insurrection. D’un côté, les officiers de la couronne et les premiers officiers de la justice me dirent qu’il n’y avait aucun moyen de se procurer, par un choix impartial, des Jurys qui convaincraient les coupables, quelques clairs que fussent les témoignages, et d’un autre côté, l’on me donna à entendre que les prisonniers et leurs amis étaient tout naturellement anus l’impression qu’ils seraient jugés par des Jurys choisis exprès, et que même les plus innocents d’entre eux seraient convaincus. C’est un fait déplorable, qu’on ne doit pas taire, que le peuple de ce pays n’a pas la moindre confiance dans l’administration de la justice criminelle ; et les plaintes et les motifs de plaintes à cet égard ne se bornent pas à un seul parti.

Les Français se plaignent, que l’on a fréquemment abusé à leur détriment de l’institution du grand et du petit Jury. Ils disent que lorsqu’il était de l’intérêt du Gouvernement de protéger des personnes coupables de hautes offenses contre le parti Français, l’on a atteint ce but en faisant une composition partiale du Grand-Jury. Il a long-temps régné une grande exaspération parmi le parti Français à l’occasion d’une émeute qui eut lieu à l’élection du Quartier-Ouest de Montréal en Mai 1832, à propos de laquelle les troupes furent appelées, tirèrent sur le peuple, et tuèrent trois personnes. Un indictment fut préparé contre les Magistrats et les officiers qui donnèrent l’ordre de tirer sur le peuple. Les Français se plaignirent que le Grand-Jury était presque composé en entier d’Anglais, dont douze sur vingt-trois étaient de la paroisse de Lachine, la plus petite de l’île, choix qui ne pouvait guère, suivant eux, être attribué au hasard, et de plus que plusieurs des Grands-Jurés manquaient des qualifications requises et ordinaires. L’autre parti, il faut le dire, prétendit que ce choix apparent d’une majorité des Grands-Jurés d’une seule paroisse, était le résultat d’une disposition mal conçue du Bill de M. Viger. L’indictment fut rejeté, et toute investigation judiciaire ultérieure sur cette affaire par conséquent mise de côté. Je parle seulement ici des plaintes des divers partis. J’ignore si les allégués ci-dessus étaient bien fondés, mais on ne peut pas douter que ces procédés produisirent une telle impression sur le parti Français, qu’elle dût nécessairement leur ôter toute confiance dans l’administration de la justice.

Les Français se plaignaient en outre que l’acquittement par le Grand-Jury ne servait de rien à ceux qui avaient éprouvé le déplaisir du Gouvernement.

Il y a dans l’histoire récente du Bas-Canada plusieurs occasions, où le Procureur Général, n’étant pas satisfait de la conduite des Grands-Jurys qui avaient rejeté un indictment a renouvelé les accusations pour la même offense itérativement, jusqu’à ce qu’il eût un Grand-Jury qui voulût les maintenir, ou bien encore a procédé par voie d’informations ex officio.

Les plaintes du parti Anglais ne sont pas moins sérieuses. Ils disent, d’après des motifs malheureusement trop incontestables, que les Canadiens ont invariablement fait usage du Grand et du Petit-Jury pour assurer l’impunité à ceux d’entre eux qui s’étaient rendus coupables de délits politiques. Le procès des meurtriers de Chartrand n’est pas le seul cas où l’on croit généralement que cela ait été fait. L’on prétend que les meurtriers d’un soldat du 24e régiment, nommé Hands furent également sauvés par la partialité du Jury. Un membre respectable et intelligent du Grand-Jury qui siégea à Montréal en Octobre 1837, informa le Gouvernement que rien ne pouvait être plus convenable que la conduite de la plus grande partie des Jurés-Canadiens dans les affaires étrangères à la politique ; ils étaient attentifs à suivre patiemment les témoignages, et à adopter l’opinion du président qui était un magistrat d’une haute qualification ; mais quand il était question d’affaires politiques, ils ne gardaient plus même les apparences de l’impartialité, et ils rejetaient les indictments par acclamation, sans écouter les remontrances du Président.

Ainsi le procès par Jury dans le Bas-Canada a non seulement détruit la confiance dans l’administration impartiale des lois, mais aussi assuré l’impunité à toute personne coupable de délit politique.

Je ne puis terminer ce rapport sur le système de la justice criminelle, sans faire quelques remarques sur le corps qui l’administre dans ses premiers degrés et dans ses plus minutieux détails, à la grande masse du peuple de la province ; je veux parler de la magistrature ; — et je ne puis que regretter que parmi les institutions qu’on a empruntées dans le Bas-Canada du système Anglais pour l’administration de la justice, soit celle d’avoir des Magistrats non-payés. Je ne prétends pas ravaler le caractère et les services de ce corps, l’un des plus respectables du pays. Mais le plus chaud admirateur de cette institution doit admettre que les avantages qui en résultent proviennent principalement du caractère particulier de la classe dont notre magistrature est composée ; et que sans l’éducation générale, la responsabilité morale qui lui est imposée par sa haute situation, le contrôle exercé par les personnes de la même classe et le tribunal d’un public éclairé et vigilant, et sans les habitudes des affaires, que possède jusqu’à un certain point tout sujet Anglais, les gentilshommes Anglais des campagnes même ne pourraient exercer leurs pouvoirs irresponsables de Magistrats à la satisfaction de leurs concitoyens. Quelle doit être alors l’opération de cette institution dans une Colonie, privée de ces contrôles, et composée d’hommes que leur situation et leur éducation feraient presque tous exclure de la magistrature en Angleterre ? Quand nous transplantons nos institutions Anglaises dans nos Colonies, nous devrions au moins examiner d’avance si l’état social de la Colonie possède les matériaux particuliers dont dépend l’excellence de ces mêmes institutions dans la mère-patrie. La magistrature répandue dans tout le Bas-Canada est nommée par le Gouverneur sans les informations locales requises, n’y ayant pas ici de lieutenants de comté ou autres officiers semblables comme dans le Haut Canada. Les qualifications foncières requises pour être Magistrats sont si basses, que dans les campagnes tout le monde les possède ; et elles n’ont seulement l’effet que d’exclure quelques-unes des personnes les plus respectables des villes. Dans les campagnes, les Magistrats n’ont point de greffiers. Cette institution est devenue impopulaire parmi les Canadiens, à cause de la croyance générale que les nominations ont été faites d’après des intérêts nationaux et de parti. On ne peut nier que plusieurs des plus respectables d’entre les Canadiens sont restés hors des commissions de paix, sans motifs raisonnables ; et il est plus vrai encore que des personnes des plus méprisables, de l’une et de l’autre race, s’y sont introduites et continuent à abuser de leur pouvoir. Chaque parti a même reproché à la magistrature des traits d’indiscrétion, d’ignorance, d’esprit de parti et de vénalité. Que ces représentations soient exagérées ou non, qu’elles s’appliquent à un grand nombre de magistrats ou non, il n’en est pas moins vrai qu’il n’existe point de confiance dans l’opération habituelle de cette institution ; et c’est pourquoi je suis d’opinion, que tant que cet état de choses durera et principalement durant l’exaspération actuelle des partis, une Magistrature peu nombreuse, mais rétribuée, serait convenable pour le Haut et le Bas-Canada.

La police de la Province à toujours été malheureusement très défectueuse Il y a peu de cités, qui, à cause du caractère vicieux et indiscipliné d’une grande partie de sa population, ont plus besoin d’une police active que Québec. Jusqu’en Mai 1836, la police de la cité était réglée par un acte qui est alors expiré et n’a pas été renouvelé. Cette police consistait en 48 hommes du guet, dont la moitié était de service chaque nuit pour toute la ville. La police du jour consistait en six connétables, qui n’étaient sous aucun contrôle. À l’expiration de cet acte, n’y ayant plus de guet, et des meurtres ayant été commis dans les rues, les citoyens de la Haute Ville formèrent une patrouille volontaire. Lord Gosford nomma en Décembre 1837, M. Young inspecteur de police, avec huit hommes sous ses ordres ; il eut aussi sous son commandement un sergent et huit hommes de la compagnie des matelots volontaires : un autre magistrat eût un caporal et huit autres hommes de la même compagnie, pour faire la police de la basse-ville. M’apercevant que cette force était insuffisante, recevant chaque jour des plaintes, et voyant tous les jours des scènes de désordre et de négligence, et sollicité surtout par les propriétaires de vaisseaux qui ne pouvaient empêcher la désertion de leurs équipages, j’ai établi une police de trente-deux hommes, en Juin dernier, sur le plan de la police de Londres. Cette police a été portée à 75, en Octobre dernier ; et l’inspecteur de police m’a représenté ce nombre comme à peine suffisant.

À Montréal, où l’on n’avait point tenté d’établir un système général de police, j’ai requis M. Leclerc, qui avait été nommé magistrat stipendiaire par Lord Gosford, d’organiser une force semblable à celle de Québec. Le nombre de cette police est maintenant porté à 100.

Dans le reste de la Province, où les fonctions de la police avaient coutume d’être remplies par la milice, ce corps étant maintenant désorganisé, il n’y a plus à présent de police du tout. Dans le cours de l’automne, je fus informé, par M.Young qu’une personne, qui avait commis un assaut violent avec intention de meurtre dans la paroisse de Sainte-Catherine, à 45 mille de Québec, était encore libre quinze jours après l’assaut est qu’on n’avait trouvé aucun moyen d’exécuter le warrant émané contre elle par un magistrat du comté. Pour mettre la loi à effet, M. Young fut autorisé à envoyer des hommes de la police assermentés comme connétables spéciaux, cette paroisse étant hors de sa jurisdiction ; et ils arrêtèrent l’individu en question. Quand Dodge et Theller s’échappèrent de la citadelle, et qu’on supposait qu’ils avaient pris le chemin de Kennebec, il n’y eut aucun moyen de prévenir leur fuite qu’on envoyant la police de Québec jusqu’aux frontières des États-Unis. Comme il n’y avait point de police rurale, on avait employé le même moyen dans le cas d’un déserteur.

Dans le cours du compte rendu ci-dessus, j’ai déjà donné, en passant, plusieurs des plus importants détails sur les lois concernant l’éducation dans le Bas-Canada. J’ai décrit l’ignorance générale du peuple, et ses tentatives abortives que l’on avait faites, ou prétendu faire, pour établir un système général d’instruction publique ; j’ai décrit la surabondance singulière d’une éducation défectueuse qui existe pour la classe la plus élevée, et qui est à la disposition seule du clergé catholique. Il ne me reste plus qu’à dire, que quoique ceux qui arrivent d’Angleterre soient d’ordinaire plus ou moins instruits, ils ne sont guère mieux situés que les Français pour faire instruire leurs enfants et de fait ne possèdent aucun moyen quelconque, si ce n’est dans les villes. Les Anglais n’ont aucun collège dans la Province ; et les besoins d’éducation générale et professionnelle attire tous les ans un grand nombre de jeunes gens aux État-Unis.

Je ne puis donner beaucoup plus d’informations que n’en possède déjà le Gouvernement sur le manque d’instruction, et sur les moyens de l’éducation dans la Province. Le commissaire que j’avais nommé pour prendre des informations sur l’état de l’éducation dans la province, s’est efforcé très à propos de faire une enquête si ample et si détaillée, qu’il lui fut possible d’exposer la question dans tout son jour ; et dans cette vue il avait préparé avec beaucoup de soin une série de questions, qu’il avait transmises à plusieurs personnes dans les paroisses. Lorsque ses travaux furent terminés, de concert avec les miens, il n’avait encore reçu que peu de réponses ; mais il était à désirer de ne point perdre les fruits des moyens d’information qu’il avait ainsi préparés, et une personne qualifiée a été laissée an Canada pour recevoir et classer les réponses. Des informations complètes concernant l’état de l’éducation, et les résultats des tentatives faites pour instruire le peuple, seront bientôt mises devant le Gouvernement.

Les informations prises par le commissaire ont tendu à n’inspirer que de bien faibles espérances de pouvoir immédiatement mettre en pratique un système général et solide d’éducation pour la Province. Ce n’est pas que le peuple lui-même soit ou indifférent ou opposé à ce plan. Au contraire, j’ai vu avec plaisir que la population Française sentait profondément ce qui lui manquait du côté de l’éducation, et désirait se procurer les moyens de donner à la nouvelle génération les avantages de l’éducation dont elle a été privée. Les Anglais nourrissaient le même désir ; et je crois que l’une et l’autre population se soumettrait assez volontiers à des taxes locales pour cette fin.

Les habitants du nord de l’Amérique, jouissant d’une somme de bien-être matériel, inconnu aux paysans des autres parties du monde, sont généralement très imbus de l’importance de l’éducation. Et les nobles dispositions légales que chacun des États du nord de l’Union s’est fait une gloire de passer pour l’éducation de la jeunesse, ont excité un sentiment général d’émulation dans les Provinces voisines, et le désir, qui aura sans doute des résultats heureux, de perfectionner leurs institutions d’éducation.

C’est pourquoi il est à regretter qu’il paraisse exister des obstacles à l’établissement d’un système général d’instruction, qui répondrait aux besoins, et, je crois aux vœux de tout le peuple. Le clergé Catholique, auquel la population Française et Irlandaise du Bas-Canada doivent les moyens quelconques d’éducation qu’ils possèdent, semble avoir beaucoup d’objections à ce que l’État lui ôte l’éducation de la jeunesse. Le clergé d’une autre dénomination montre aussi un désir de donner à l’éducation un caractère de secte, qui serait particulièrement pernicieux dans ce pays, en ce qu’inévitablement il aggraverait et perpétuerait les distinctions d’origine déjà existantes. Je suis fâché d’être obligé de dire que le Gouvernement Britannique, depuis qu’il possède la Colonie, n’a rien fait ou n’a rien tenté pour promouvoir généralement l’éducation. En effet, le seul cas où le Gouvernement s’est trouvé en rapport avec l’éducation ne lui fait aucun honneur. Car il a appliqué les revenus des Jésuites, destinés pour l’éducation, à stipendier certains services particuliers, et il a maintenu, pendant plusieurs années une lutte opiniâtre avec l’Assemblée, dans la vue de continuer ce système injuste d’appropriation.

Quant aux Hôpitaux, aux Prisons, et aux Institutions charitables du Bas-Canada, je réfère à des informations précieuses recueillies, sous ma direction, par Sir John Doratt, comme Inspecteur Général des Hôpitaux, et des Institutions littéraires et charitables, lesquelles informations feront un chapitre séparé de l’appendice annexé à ce rapport. Je regrette que l’urgence d’autres objets plus pressants ne m’ait pas permis de prendre sur ces matières des renseignements aussi étendus et aussi particuliers que j’aurais désiré le faire sous d’autres circonstances. Mais le rapport de Sir John Doratt m’a mis au fait de certains points sur lesquels je crois très important d’appeler sans délai l’attention du gouvernement de Sa Majesté. Je fais mention du manque d’asile pour recevoir les personnes insensées dans le Haut et le Bas-Canada ; du mauvais état des prisons en général, et particulièrement de celui de la prison de Québec ; des défectuosités du système de quarantaine à la Grosse Isle ; de l’état rabaissé et d’ignorance de la profession médicale dans les campagnes ; et de la nécessité de changer la manière de pourvoir au soutien des insensés, des pauvres invalides, et des enfants-trouvés, qui est actuellement de voter des sommes d’argents aux couvents pour cette fin. Il est évident que de grands abus existent dans la régie de plusieurs institutions philanthropiques. J’ai parlé, dans une autre partie de mon rapport, de la question des pauvres, en autant qu’elle a rapport à l’émigration ; et les témoignages que j’ai alors rapportés sont confirmés, sous plusieurs rapports, par les renseignements fournis par Sir John Doratt.

C’est un fait dont on doit se réjouir, que les différences de religion n’aient presque rien ajouté aux dissensions du Bas-Canada ; et qu’il ait existé dans la colonie, depuis la conquête jusqu’à ce jour, un degré de tolérance pratique, connue à bien peu de sociétés.

Les Canadiens Français sont tous catholiques, et leur Église a toujours joui des fondations qu’elle possédait à la conquête. Les prêtres jouissent du droit de dîme ; mais ce droit est limité aux terres possédées par des catholiques ; du moment qu’un héritage d’une manière ou d’une autre passe en des mains protestantes, le prêtre perd sa dîme. Cette disposition, contraire au véritable esprit des fondations nationales pour œuvres pies, a l’effet naturel de rendre le clergé peu favorable à l’établissement des protestants dans les Seigneuries. Mais le clergé catholique de cette province a su se concilier, à un degré remarquable, l’estime de toutes les croyances ; et je ne connais point au monde de clergé, dont la pratique des vertus chrétiennes, et l’observation scrupuleuse des devoirs de son état, soient plus universellement reconnues, et aient produit plus de bien. Jouissant d’un revenu suffisant, et même considérable, eu égard à l’état et aux idées du pays, et ayant les avantages d’une bonne éducation, il a vécu sur un pied d’égalité et de bienveillance avec les plus humbles et les plus illettrés de ses paroissiens. Connaissant les besoins et le caractère de ceux qui l’environnent, il a été le dispensateur des charités, et le gardien des mœurs du peuple ; en l’absence d’institutions civiles permanentes, l’Église catholique a seule conservé l’apparence de stabilité et d’organisation, et procuré les seuls appuis à la civilisation et à l’ordre. Je dois ce témoignage de mon estime au clergé catholique du Bas-Canada, non seulement parce qu’il le mérite, mais parce que moi qui ai administré la Province dans des temps de troubles, je lui dois en toute reconnaissance de faire mention de ses services éminents en s’opposant aux menées et aux manœuvres des mécontents.

L’acte constitutionnel, qui a réglé les appropriations des réserves du clergé protestant dans les Townships, n’a fait aucune disposition pour le support du clergé catholique, dans le cas où la population Française s’étendrait au-delà des limites des Seigneuries. Quoique je pense qu’il existe quelque pouvoir pour établir de nouvelles paroisses catholiques, et quoique ce pouvoir ait été exercé dans quelques cas peu nombreux, je suis convaincu que ce manque de moyens pour se procurer l’instruction religieuse a été la cause principale de l’aversion des Français à se fixer dans les nouveaux établissements, attendu que le culte leur devenait onéreux à mesure que leur nombre augmentait. C’est avec justesse que l’on a observé que les devoirs religieux des Canadiens Français sont tellement liés avec leurs autres affaires et leurs amusements, que le prêtre et l’église sont pour eux, plus que pour tout autre peuple, le centre de leurs petites sociétés. Afin de les encourager à agrandir leur population, et à chercher l’aisance et la prospérité dans de nouveaux établissements, un gouvernement sage aurait pris soin d’aider, par tous les moyens à propager pour eux les moyens d’instruction religieuse.

La population protestante du Bas-Canada a dernièrement été considérablement agitée par la question des réserves du clergé. Le sens du terme ambigu, clergé protestant, a été discuté avec chaleur de part et d’autre ; et tous les partisans ont lutté d’ingénuité pour interpréter ces termes d’après leurs inclinations, soit dans des vues d’agrandissement pour la secte à laquelle ils appartenaient, soit dans l’intérêt de l’égalité religieuse.

En conséquence du petit nombre de la population Anglaise, des fondations de l’église catholique dans les parties les plus peuplées et les plus importantes du Bas-Canada, et surtout des causes plus formidables et des dissensions, les difficultés entre les diverses sectes protestantes pour les réserves du clergé, n’ont pas pris le caractère de gravité qu’elles ont acquis dans le Haut-Canada. Dans le compte que je rendrai de cette dernière Province, je parlerai plus au long de cette question déjà tant débattue. Je suis informé que la crainte de mesures tendant à donner l’ascendant à un clergé d’une dénomination particulière, a déjà produit dans cette Province un degré d’irritation qui a presque privé la Couronne de l’appui de la population Britannique, dans un moment de danger imminent. Je dois donc recommander avec force qu’on fasse l’application au Bas-Canada du plan qu’on suivra pour régler la question des réserves du clergé dans le Haut-Canada. Les biens de l’église catholique, et les services du clergé nombreux et zélé de cette religion, ont été du plus grand avantage à la grande masse des émigrés catholiques Irlandais, qui se sont beaucoup reposés sur les secours de charité et de religion qu’ils en ont reçu. Les prêtres ont un pouvoir presque illimité sur la plus basse classe de la population Irlandaise ; et l’on prétend que cette influence a été très fortement exercée l’hiver dernier pour s’assurer de la loyauté d’un bon nombre d’Irlandais durant les troubles. La loyauté qu’ont montrée en général les Irlandais l’hiver dernier, et la nécessité de la maintenir pour des époques futures de difficultés, exigent que le gouvernement donne en tout temps l’attention requise aux intérêts et aux sentiments du clergé et de la population catholique.

Mettant de côté la régie des terres incultes, et le revenu qui en provient, dont je traiterai au long ailleurs, et il n’est pas nécessaire que j’entre, pour le présent, dans des détails circonstanciés du système financier du Bas-Canada, mon objet étant seulement d’indiquer les résultats du système généralement du gouvernement, en autant qu’il a produit l’état de crise où se trouve actuellement la Province. Je n’examinerai pas si les opérations du fisc, de la monnaie et du commerce sont conformes aux meilleurs principes d’économie publique. Mais j’ai raison de croire qu’on pourrait faire des améliorations dans la manière de prélever et de dépenser le revenu provincial. Durant mon séjour en Canada, les maux résultant du mauvais système des Banques et des institutions monétaires se sont offerts à mon attention.

Je ne suis pourtant pas porté à croire que ces maux aient contribué en aucune manière à causer les derniers troubles. Ils n’indiquent suivant moi guère plus de mauvaise régie ou d’erreurs qu’on en observe dans les mesures des meilleurs gouvernements sur des questions difficiles. Et quoique la nécessité de trouver quelque moyen efficace pour remédier à ces maux ait, ainsi que je l’expliquerai ci-après, beaucoup influencé mes vues par rapport au plan général à adopter pour le gouvernement de cette colonie et des autres colonies du nord de l’Amérique, je considère que le perfectionnement du système monétaire et financier de la province est un sujet qui devra être du ressort du gouvernement local, lorsqu’il sera établi sur une base permanente.

Le montant du revenu a décru durant les quatre dernières années de £150 000 à un peu plus de £100 000 par année. Cette diminution est principalement due à la moindre consommation de liqueurs spiritueuses et autres objets d’importation étrangère et à l’établissement de manufactures pour ces objets dans le pays. Néanmoins comme les dépenses du gouvernement civil ne montent d’ordinaire qu’à £60 000 par année, il reste encore un surplus considérable à dépenser pour des objets locaux, de la manière pernicieuse que j’ai décrite plus haut. Un gouvernement plus actif et plus efficace aurait à peine de quoi subvenir à ses plus pressants besoins ; mais dans l’état actuel des choses, je considère que l’existence et l’appropriation de ce surplus de revenu est si préjudiciable, que je serais porté à recommander, comme le moindre de deux maux, la réduction des droits s’il était possible de le faire, sans diminuer en même temps les revenus du Haut-Canada qui n’en a pas trop déjà.

Les rapports financiers des deux provinces sont une source de difficultés croissantes. La plus grande partie, presque toutes les importations du Haut-Canada, arrivant aux ports du Bas-Canada, la province supérieure a réclamé une proportion des droits perçus dans le Bas-Canada. Cette proportion est réglée de temps à autres par des commissaires nommés par l’une et l’autre provinces. Le Bas-Canada, reçoit à présent trois cinquièmes, et le Haut-Canada deux cinquièmes de revenu ; mais ce n’est point là la plus grande cause de la difficulté. Le revenu actuel du Haut-Canada étant insuffisant à payer ses dépenses le seul moyen qui reste à cette province de payer les intérêts de sa dette est d’élever le tarif des douanes.

Mais comme les droits sont perçus presque tous dans le Bas-Canada, cette opération ne peut se faire sans élever en même temps le tarif pour les habitants de cette dernière province, qui a déjà un excédant de revenu. C’était pour ajuster ces sujets de difficultés que l’union des deux Canadas fut proposée en 1822, et le même sentiment produit aujourd’hui une grande anxiété par rapport à cette mesure parmi un certain nombre des colons du Haut-Canada. Un revenu considérable est perçu dans toute cette province par l’établissement du bureau des postes qui est commun à toutes et qui est subordonné au bureau général des postes en Angleterre. L’excédant du revenu qu’un rapport de la Chambre d’Assemblée a montré ne se monter à pas moins de £10 000 par année, est transmis en Angleterre. L’assemblée en a fait un sujet de plaintes graves, fondées sur ce qu’une institution publique et importante des Colonies fût entièrement réglée et administrée par les employés et les subalternes d’un bureau public en Angleterre, et qu’un revenu aussi considérable, prélevé sans le consentement des colons d’une manière qui souffre beaucoup d’objections, fût ainsi transmis à la mère-patrie. Je ne puis qu’avouer qu’il y a beaucoup de justice dans la plainte, et je suis fortement d’opinion que si l’on adopte aucun plan de gouvernement fédératif pour ces provinces, on devrait donner à la colonie le contrôle et le revenu du bureau des postes pour les raisons que je viens d’expliquer. Il y a à peine dans le Bas-Canada l’apparence d’aucune taxe directe pour des objets généraux et locaux. On a beaucoup parlé de cette exemption de taxes comme un grand privilège en faveur du Bas-Canada, et comme une grande preuve de la justice et de la bienveillance de son gouvernement. La description que j’ai faite des dispositions singulièrement défectueuses relatives à l’exécution des devoirs les plus importants du gouvernement local et général, fera voir je pense, que cette épargne apparente des deniers du peuple n’a été occasionnée que par la privation dans laquelle il a vécu de plusieurs institutions dont toutes sociétés civilisées devraient jouir. On ne peut à peine louer un peuple d’avoir obtenu à petits frais une administration de la justice grossière et imparfaite, un fantôme de police, nul système public d’éducation, nul éclairage, nul amélioration pour les villes, et des moyens de communication si imparfaits que la perte du temps, la détérioration causée aux voitures dans les transports des denrées aux marchés, coûtent probablement dix fois plus que la confection de bons chemins. Si les habitants du Bas-Canada avaient été soumis ou accoutumés à se soumettre à un système plus onéreux de taxes, ils seraient probablement aujourd’hui un peuple plus riche, mieux gouverné, plus civilisé et plus content.

Les informations que j’ai à donner sur l’état actuel du Haut-Canada, n’ayant pas été acquises dans le cours de mon administration de cette province, seront nécessairement moins amples et moins détaillées que celles que j’ai soumises à votre Majesté relativement au Bas-Canada. Mon but sera de signaler les principales causes auxquelles une observation générale de la Province m’induit a attribuer les derniers troubles ; cette tâche sera même remplie avec plus de facilité et de brièveté, en autant que les explications et les preuves ne sont pas nécessaires, vu que je puis référer aux détails que j’ai donnés et aux principes que j’ai posés, en parlant des institutions de la Province du Bas-Canada.

Il parait d’abord beaucoup plus difficile de se former une idée juste de l’état du Haut que du Bas-Canada. La ligne visible de démarcation qui divise les partis par leur caractère distinctif de race, n’existe heureusement pas dans le Haut-Canada. La querelle est entre une population Anglaise, sinon Britannique. Comme toutes les querelles de cette nature, elle a créé non seulement deux, mais plusieurs partis, chacun desquels vise à quelques-uns des objets auxquels un autre parti opposé vise pareillement. Ils diffèrent sur un point et s’accordent sur un autre ; les sections qui s’unissent un jour, s’opposent fortement le jour suivant ; et le parti même qui agit contre un ennemi politique commun, est de fait composé de diverses nuances qui visent à des objets tout-à-fait différents et incompatibles. Il est bien difficile de connaître par les aveux des partis, le vrai objet de leurs efforts, et encore moins facile de découvrir aucune raison assez importante qui expliquerait la réunion de la masse du peuple, pour renverser, par des moyens puissants, la forme existante du gouvernement.

Le position particulière géographique de la Province augmente considérablement la difficulté de pouvoir obtenir des infirmations certaines. Ses habitants épars sur une frontière étendue, avec, des moyens difficiles de communication, et un commerce peu étendu, n’ont, en apparence, aucune unité d’intérêts ou d’opinions. Il n’y a aucun grand centre dans la Province, avec lequel tous les partis sont liés, et qu’ils sont dans l’habitude de suivre soit en opinion ou en action. Il n’existe pas non plus de ces relations habituelles entre les habitants des différences parties de la Province, qui en répandant parmi tous cette connaissance des opinions et des intérêts de chacun, rendraient le peuple uni, malgré l’étendue du territoire et l’isolement de la population. Au lieu de ceci, il existe plusieurs petits centres locaux, dont les sentiments et les intérêts (ou au moins ce que l’on considère comme tels) sont distincts et peut-être opposés. Il m’a été dit, par des personnes intelligentes d’Angleterre, qui ont voyagé par affaires dans la Province, que cet isolement des districts, les uns des autres, se faisait sensiblement sentir dans les efforts que l’on faisait quelque fois dans un district pour obtenir des informations relativement au caractère agricole et national d’un autre ; et que non seulement on s’efforçait de tromper ceux qui s’enquéraient sur ces sujets, mais même que l’information que l’on donnait dans la meilleure foi, se trouvait généralement être incorrecte. En conséquence, un étranger qui visite quelques uns de ces centres locaux, et qui ne les visite pas tous, est tout-à-fait ignorant des choses, dont une vraie connaissance est essentielle pour comprendre exactement la vraie position des partis, et l’avenir politique du pays.

La lutte politique qui a existé pendant un si longtemps dans l’Assemblée et la presse, paraît avoir représenté, dans tous ses phases, les traits caractéristiques de la partie purement politique de la lutte du Bas-Canada, et comme elle, elle a origine dans une distribution peu sage du pouvoir, d’après le système colonial de la Province. Les disputes financières qui ont si long-temps agité les partis opposés dans le Bas-Canada, furent beaucoup plus facilement et sagement réglées dans la Province supérieure ; et la lutte, quoique s’étendant à une variété de questions plus ou moins importantes, se réduisit clairement à la demande d’un Gouvernement Exécutif responsable.

Dans les détails que j’ai donnés relativement à l’opération du système colonial dans le Bas-Canada, j’ai montré l’effet que l’irresponsabilité des vrais aviseurs du Gouverneur avait eu, en plaçant l’autorité permanente dans les mains d’un parti puissant, lié ensemble, non seulement par des intérêts de parti, mais par des liens personnels. Mais dans aucune des Provinces de l’Amérique du Nord, ce système n’a existé pendant un si longtemps, et à un tel degré, que dans le Haut-Canada, qui a été longtemps gouverné entièrement par un parti communément désigné dans toute la Province sous le nom de « parti de famille » (family compact), nom qui ne convient guère plus que les désignations de parti le sont ordinairement, en autant qu’il y a bien, peu de liaison de famille entre les personnes qui composent ce parti. Pendant longtemps ce corps d’hommes, qui de temps à autre s’est adjoint quelqu’un, a possédé presque tous les emplois importants, au moyen desquels, et aussi par son influence dans le Conseil Exécutif, il a dirigé tous les pouvoirs du Gouvernement. Ce parti a conservé son influence dans la Législature, au moyen de son ascendant dans le Conseil Législatif ; et il a disposé du grand nombre des emplois inférieurs dans toute la Province qui appartient au patronage du Gouvernement. Les Gouverneurs, les uns après les autres, se sont ou tranquillement soumis à cette influence, ou bien après une lutte courte et sans succès, ont laissé à ce parti bien organisé la conduite réelle des affaires. Le banc, la magistrature, les hauts emplois de l’église épiscopale et une grande partie de la profession légale, sont remplis par des adhérents à ce parti ; par des octrois ou des achats, il a acquis presque toutes les terres incultes de la Province. Ce parti est tout-puissant dans les banques à chartes, et jusqu’à ces derniers temps, il a partagé entre ses membres presqu’exclusivement tous les emplois de confiance et de profit. La masse de ce parti est composée en grande partie d’habitants natifs de la Colonie, ou d’émigrés qui s’y sont établis avant la dernière guerre avec les États-Unis. Ses principaux membres font partie de l’église d’Angleterre, et les prétentions de cette église ont toujours été ce qui l’a le plus distingué.

Un monopole de pouvoir si étendu et si durable ne pouvait pas manquer, dans la suite des temps, d’exciter l’envie, de créer le mécontentement, et en dernier lieu de provoquer l’attaque ; et en conséquence une opposition s’éleva dans l’Assemblée qui assaillit le parti du pouvoir, en en appelant à des principes de gouvernement populaires, en dénonçant le prétendu agiotage et la profession du parti officiel, en faisant des enquêtes sur les abus, dans le dessein de promouvoir la réforme, et particulièrement l’économie. La question de la plus grande importance, élevée dans le cours de ces contestations, fut celle de la disposition des réserves du clergé ; et, quoique différents modes de disposer de ces terres, ou plutôt des fonds qui en provenaient, furent suggérés, les Réformistes ou l’opposition réussirent très généralement dans leurs appels au peuple contre le projet du parti Tory ou officiel, qui était de les dévouer exclusivement au soutien de l’église épiscopale Anglaise. Les Réformistes en agitant successivement ces diverses questions d’économie, obtinrent une majorité. Comme presque tous les partis populaires dans les Colonies, cette majorité dirigea son pouvoir avec peu de discrétion et d’habileté, offensa un grand nombre de ses commettants, et étant contrecarrée par le Conseil Législatif et décidément opposé par toute l’influence personnelle et officielle du parti en office, une dissolution la replaça de nouveau en minorité dans l’Assemblée. Ce revers de fortune ne se répéta pas qu’une fois, car aucun parti ne posséda pour quelque temps la majorité dans deux parlements successifs. La présente Chambre est la cinquième de ces Chambres d’Assemblée alternatives.

Cependant les Réformistes découvrirent à la fin que le succès dans les élections ne leur assurait que bien peu de bénéfice en pratique. Car le parti officiel, n’étant point déplacé quand il ne pouvait commander une majorité dans l’Assemblée, continuait toujours à se servir de tous les pouvoirs du Gouvernement Exécutif pour se renforcer à l’aide de son patronage et pour influencer la politique du Gouverneur et du Département Colonial en Angleterre. Avec sa majorité toujours assurée dans le Conseil Législatif, il peinait effectivement contrôler les pouvoirs législatifs de l’Assemblée. Il pouvait choisir les occasions favorables pour dissoudre des assemblées hostiles ; et pouvait toujours s’assurer, pour ceux qu’il trouvait dévoués à leurs intérêts, la continuation de leurs siéges pour quatre ans, terme fixé par la loi. Ainsi les Réformistes trouvaient que leurs triomphes électoraux ne pouvaient en aucune manière favoriser le progrès de leurs vues, tant que le Gouvernement Exécutif resterait dans les mains de leurs adversaires. Ils voyaient, avec raison, que si les hauts offices et le Conseil Exécutif étaient toujours composés par ceux qui pouvaient commander une majorité dans l’Assemblée, la constitution du Conseil Législatif était une matière de peu d’importance, en autant que les Conseillers du Gouverneur pouvaient toujours en faire modifier la composition pour servir leurs desseins. En conséquence ils concentrèrent leurs pouvoirs dans le but d’obtenir un Conseil Exécutif responsable, et je ne puis m’empêcher de faire contraster le bon sens des Réformistes Anglais du Haut-Canada avec la conduite moins prudente de la majorité Française dans l’Assemblée du Bas-Canada, comme il apparaît dans les diverses demandes de changements constitutionnels faites par les uns et les autres. Dans le fait ces deux partis désiraient le même objet, savoir, l’extention de l’influence populaire dans le Gouvernement. L’Assemblée du Bas-Canada attaqua le Conseil Législatif, corps, dont la constitution était certainement la plus susceptible d’objections théoriques, de la part des partisans des institutions populaires, mais pour la même raison, très assurée de trouver de puissants défenseurs dans la Mère-Patrie. Les Réformistes du Haut-Canada firent peu d’attention à la composition du Conseil Législatif, et dirigèrent leurs efforts pour obtenir une altération du Conseil Exécutif telle qu’elle pourrait être accordée sans aucun dérangement dans la balance constitutionnelle du pouvoir ; mais ils savaient bien que si une fois ils gagnaient possession du Conseil Exécutif et des hauts offices de la Province, le Conseil Législatif serait bientôt incapable d’offrir aucune résistance effective contre les réformes en contemplation.

C’est sur cette question de le responsabilité du Conseil Exécutif que la grande contestation s’est poursuivie longtemps entre le parti Officiel, et les Réformistes ; car le parti Officiel, comme tous les partis depuis longtemps en pouvoir, ne voulait pas naturellement se soumettre à aucune responsabilité qui abrégerait son règne ou qui entraverait l’exercice de son autorité. Opposé à reconnaître aucune responsabilité envers le peuple de la Colonie, ce parti paraît n’avoir donné qu’une soumission nominale et forcée au Gouvernement Impérial, se reposant sur l’espoir de s’assurer une indépendance virtuelle par cette soumission nominale à l’autorité éloignée du Département Colonial, ou au pouvoir d’un Gouverneur, sur la politique duquel ils étaient certains d’obtenir une influence souveraine.

Les vues de la grande masse des Réformistes paraissent avoir été limitées, suivant leur expression favorite, à rendre la constitution de la Colonie « une exacte copie » de celle de la Grande-Bretagne ; et ils désiraient seulement que la couronne dans le Haut-Canada, comme en Angleterre, confiât l’administration des affaires à des hommes qui possédassent la confiance de l’Assemblée. On ne peut douter cependant qu’il y en avait un grand nombre qui voulaient assimiler les institutions de la Province plutôt à celles des États-Unis qu’à celles de la Mère-Patrie. Quelques personnes, particulièrement d’origine Américaine, paraissent avoir entretenu ces idées dès le commencement ; mais le nombre s’en était beaucoup augmenté par le désespoir, que ceux qui avaient des vues bornées, avaient conçu de les voir mettre à exécution sous la forme existante de gouvernement.

Chaque parti, quand il possédait l’ascendance, a accusé ses adversaires d’avoir abusé de leur pouvoir, sur les fonds publics pour favoriser des espèces d’agiotage si communs dans les Colonies de l’Amérique du Nord, comme je l’ai déjà dit. Ceci doit, peut-être, être attribué à la circonstance mentionnée plus haut, comme augmentant la difficulté d’obtenir aucune exacte information sur la situation réelle de la Province. De ces causes, il eut souvent résulté que les membres de la Chambre d’Assemblée se sont rendus aux réunions de la Législature, ignorant entièrement la nature des intérêts généraux qui étaient confiées à leurs soins, et dans l’intention seulement de promouvoir des objets locaux, et particulièrement avec le désir d’assurer aux comités qu’ils représentaient, ou au district dans lequel ils avaient des relations, une aussi forte proportion que possible des fonds qui étaient à la disposition de la Législature. Dans le Haut-Canada, cependant, ces moyens d’obtenir des octrois ne furent pas aussi étendus que dans le Bas-Canada ; et les grands travaux que la Province a commencés sur une échelle étendue et qu’elle a exécutés avec beaucoup de négligence et de profusion, ont laissé si peu de surplus de revenu, que cette Province seule, de toutes celles de l’Amérique du Nord, a heureusement pour ellemême, été forcée d’établir un système de cotisation locale et de laisser en grande partie les travaux locaux à l’énergie des localités elles-mêmes. On assure, cependant, que la nature de ces grands ouvrages et la manière dont ils ont été conduits, indiquaient une attention particulière à des intérêts locaux et une disposition à gagner de l’influence de parti. Les habitants des districts moins peuplés se plaignaient que les revenus de la Province étaient employés en travaux qui n’étaient que pour le seul profit de la population de la frontière. L’argent absorbé par des entreprises qu’ils trouvaient disproportionnées aux ressources et aux besoins de la Province aurait suffi, dans leur opinion, à établir des moyens praticables de communication partout le pays ; et ils avançaient, non sans quelque raison en apparence, que si ce dernier système avait été suivi, la population et les ressources de la Province auraient été assez augmentées pour rendre les ouvrages actuellement entreprises utiles et profitables. La négligence et la profusion qui présidèrent à l’exécution de ces travaux, dont la direction était, selon que l’on s’en plaignait, confiée principalement aux membres du parti en pouvoir, étaient aussi considérés comme le résultat d’un dessein prémédité, et étaient permis, sinon encouragés, afin que quelques individus fussent enrichis aux dépens de la société. Des circonstances auxquelles je ferai allusion dans la suite, par lesquelles le progrès ultérieur de ces ouvrages a été arrêté, et les frais énormes encourus pour les mettre dans le présent état d’avancement été rendus inutiles, ont donné plus de force à ces plaintes et en outre du mécontentement produit par toutes ces dépenses, le parti du gouvernement a été tenu responsable du manque d’accomplissement de tous ces objets, ce qui peut être attribué à des causes sur lesquelles il n’avait pas de contrôle. Mais à quelque point que ces intrigues aient été poussées, le cours de la contestation parlementaire du Haut-Canada n’a pas été marqué par cette singulière négligence des grands devoirs d’un corps législatif, que j’ai remarqués dans les procédés du parlement du Bas-Canada. Les statuts du Haut-Canada sont remplis de belles et utiles mesures de réforme, et présentent un contraste honorable avec ceux de la Province Inférieure.

Pendant que les partis luttaient ainsi, l’opération d’une cause entièrement indépendante de leurs disputes, éleva tout-à-coup un troisième parti très considérable qui commença à faire son apparition parmi les combattants politiques, à l’époque où la querelle en était rendue à son plus haut point. J’ai dit qu’il n’y a pas dans le Haut-Canada d’animosités de races ; il y a néanmoins une distinction d’origine qui à exercé une influence très importante dans la composition des partis, et promet de devenir probablement, tôt ou tard, un élément actif et prééminent de division politique. Le parti officiel et le parti réformiste que j’ai décrits étaient tous deux composés pour la plus grande partie de Canadiens natifs, de colons Américains ou d’émigrés d’ancienne date ; et comme une section de la plus ancienne population était en pouvoir, ainsi l’autre section était seule à réclamer la direction des affaires et la possession des offices de profit ou d’honneur, jusqu’à ce que l’émigration considérable de la Grande-Bretagne, qui eut lieu vers la période désastreuse de 1825 et 1826, changea l’état des choses, en doublant soudainement la population et en introduisant parmi les anciens concurrents au pouvoir une nouvelle classe de personnes. Néanmoins les nouveaux-venus ne parurent pas aussitôt comme un parti distinct dans la politique du Haut-Canada. Un grand nombre de la haute classe des émigrés, particulièrement les officiers à demi-paie, qui furent engagés à s’établir dans cette province, appartenaient au parti tory en Angleterre, et suivant leur ancienne prédilection, se jetèrent du côté du parti officiel luttant contre les représentants du peuple. La masse de la basse classe des émigrés, accoutumés dans la métropole à se plaindre de la corruption et de la profusion du gouvernement, et à demander la réforme des abus, en augmentant l’influence populaire dans le corps représentatif, se jeta du côté de ceux qui représentaient le peuple, et qui attaquaient le pouvoir oligarchique et les abus ; mais il y avait encore une grande différence d’opinion entre les deux partis Canadiens, et cette section anglaise qui agit quelque temps de concert avec chacun d’eux. Chaque parti Canadien, tout en différant d’opinion sur l’occupation des pouvoirs politiques dans la colonie, désirait presque le même degré d’indépendance pratique à l’égard de la mère-patrie ; chacun sentait et chacun montrait dans sa conduite politique une jalousie contre les émigrés et un désir de maintenir les pouvoirs officiels et les émoluments professionnels dans les mains des personnes nées ou résidentes depuis long temps dans la colonie. Les Bretons, au contraire, à quelque parti, qu’ils appartiennent, paraissent s’accorder à désirer que la connexion avec la mère-patrie soit plus resserrée. Ils diffèrent peu entre eux, je m’imagine, sur le souhait d’une espèce de changement qui assimilerait le gouvernement du Haut-Canada, dans l’esprit comme dans la forme, au gouvernement d’Angleterre, en retenant un Exécutif assez puissant pour courber les excès populaires, et en donnant à la majorité du peuple ou à tels d’entre eux à qui les moins libéraux confieraient des droits politiques, quelque contrôle sur l’administration des affaires. Mais le grand objet universel était et est encore la disparition de ces incapacités auxquelles les émigrés Anglais sont sujets, de manière qu’ils pussent se trouver citoyens, au lieu d’aubains, dans la terre de leur adoption.

Tel était l’état des partis lorsque Sir F. Head, en prenant les rênes du gouvernement de la colonie, démit du conseil exécutif quelques-uns des membres qui étaient les plus opposés à la Chambre d’Assemblée, et requit trois individus de leur succéder. Deux de ces Messieurs, le Dr. Rolph et M. R. Baldwin étaient en connexion avec le parti réformiste, et le troisième, M. Dunn, était un Anglais, qui avait rempli la place de Receveur-Général pendant quatorze ans, et jusqu’à ce temps s’était abstenu de se mêler de politique. Ces Messieurs firent d’abord quelque difficulté à prendre cette charge, parce qu’ils craignaient que, comme il restait encore trois anciens conseillers, ils soutiendraient constamment une lutte douteuse pour les mesures qu’ils considéraient nécessaires. Ils furent cependant induits à la fin, à surmonter leurs scrupules, sur les représentations de leurs amis, qu’avec un gouverneur qui paraissait sincère dans ses promesses de réformes, et qui leur promettait une pleine confiance, il n’était ni généreux ni prudent d’insister sur un refus qui pourrait être pris comme un soupçon de sa sincérité : en conséquence ils acceptèrent la charge. Un des premiers actes du gouverneur, après cette organisation de son Conseil, fut la nomination à quelques emplois vacants d’individus, qui furent choisis parmi l’ancien parti officiel, et ceci sans avoir pris l’avis de son Conseil. Ces nominations furent attaquées par la Chambre d’Assemblée, et le nouveau Conseil, qui n’avait pas été consulté sur ces nominations non plus que sur d’autres sujets, s’apercevant qu’on le tenait dans l’ignorance de toutes les mesures publiques, tandis qu’on attribuait ces mesures à ses avis, représenta privément le sujet au gouverneur. Sir Francis Head le requit de lui faire une représentation régulière à ce sujet ; ce qu’ayant fait, ils reçurent une réponse telle, qu’il ne leur resta aucune alternative que celle de résigner. Les raisons qui amenèrent cette résignation, furent le sujet de communications entre le gouverneur et l’Assemblée, et tout le pays fut informé des causes de cette difficulté.

La lutte qui parut être ainsi commencée sur la question de la responsabilité du Conseil Exécutif fut réellement décidée sur des raisons bien différentes. Sir F. Head qui parait avoir pensé que le maintien de la connexion avec la Grande-Bretagne dépendait de son triomphe sur la majorité de la Chambre d’Assemblée, s’engagea dans cette lutte avec la détermination d’employer toute son influence, afin d’arriver à son but. Il réussit, dans le fait, à présenter les choses sous un tel point de vue, qu’une grande partie du peuple s’imagina que l’on en appelait à lui pour décider par ses votes la question d’une séparation d’avec la Grande-Bretagne. La dissolution que sir Francis hasarda, lorsqu’il crut l’opinion publique suffisamment préparée, répondit pleinement à ses espérances. Les Bretons, en particulier, furent soulevés par le danger proclamé de perdre leur connexion avec la mère-patrie ; ils furent indignée de la conduite et des discours de certains membres de la ci-devant majorité qui leur paraissaient indiquer une préférence déterminée en faveur des institutions Américaines sur les Britanniques. Ils furent irrités de l’opposition apparente à l’émigration Britannique, qu’ils crurent apercevoir dans quelques procédés récents de l’assemblée. Par dessus tout, non seulement eux, mais un grand nombre d’autres, considéraient avec envie les travaux étonnants qui produisaient leurs effets dans presque tout cet accroissement merveilleux de richesse et de population de l’état voisin de New-York ; et ils reprochaient à l’assemblée ce qu’ils considéraient comme une économie mal avisée de s’opposer à l’entreprise ou à l’achèvement de semblables travaux qui auraient produit, comme ils le croyaient, un semblable développement des ressources du Haut-Canada. Le support général des Bretons fit terminer les élections en faveur du gouvernement ; et quoique de grandes minorités, en faveur des candidats malheureux, montrèrent la force que le parti de la réforme pouvait amener, même en dépit des désavantages sous lesquels il se trouvait alors, en conséquence des préjugés momentanés excités contre lui, et la manière extraordinaire avec laquelle la couronne, par son représentant, parut prendre part dans des contestations d’élections, le résultat fut l’élection d’une grande majorité de personnes opposées à la politique de la dernière Chambre d’Assemblée.

Et il est cependant surprenant que le but que Sir Francis Head paraît avoir eu en vue, ne fut pas atteint par ce triomphe apparent. Son objet dans toutes ses mesures antérieures, et dans la nomination de ses conseillers exécutifs, par lesquels il remplaça ceux qui s’étaient retirés, fut évidemment de créer, au moyen du conseil, un gouvernement représentatif indépendant.

Sir Francis Head paraît vraiment avoir désiré, au commencement de son administration, d’effectuer certaines réformes qu’il croyait être nécessaires ; il voulait arracher le pouvoir substantiel du gouvernement des mains du parti qui l’avait pendant si longtemps monopolisé. La démission des anciens conseillers exécutifs est la preuve de cette intention : mais tout désireux qu’il fût de prendre les moyens nécessaires pour se soustraire à l’esclavage dans lequel avaient été tenus les autres gouverneurs, il ne put pas acquiescer aux demandes de la chambre d’assemblée qui insista sur un exécutif colonial vraiment responsable. Le résultat des élections devait lui donner, ainsi qu’il l’espérait, une chambre d’assemblée liée à le supporter, comme gouverneur, dans l’exercice de l’autorité indépendante qu’il avait réclamée. Dans une première occasion, cependant, où il entreprit de protéger un officier du gouvernement, étranger à l’ancien parti officiel, contre des accusations, qui bien ou mal fondées, étaient évidemment faites pour des raisons personnelles il trouva que la nouvelle chambre était même plus déterminée que l’ancienne à maintenir ses droits à l’exercice d’un vrai contrôle sur le gouvernement ; et qu’à moins de risquer une nouvelle lutte avec les deux branches de la législature, alors composée de matériaux semblables, et virtuellement sous la même influence, il devait succomber. Ne désirant pas courir ce risque, dans un temps où, comme il s’en aperçut sagement, il n’existait aucun parti sur lequel il pût compter, pour le supporter dans cette lutte, il abandonna ce point. Quoique le comité nommé pour s’enquérir de la vérité des accusations portées contre M. Hepburn refusât de faire un rapport dressé par le président du dit comité (par qui ces accusations avaient été faites et par qui de fait le comité avait été nommé) Sir Francis Head conseilla à l’individu en question de résigner sa charge et d’en accepter une autre avec des émoluments beaucoup moindres. Depuis cette époque, il n’essaya plus de mettre en jeu l’indépendance de la chambre, pour la conservation de laquelle elle venait d’être élue. La conséquence de tout cela fut que le gouvernement se jeta dans les mains du parti qu’il avait trouvé en office, lorsqu’il prit les rênes du gouvernement et qu’il avait éloigné par l’un doses premiers actes. Le pouvoir est encore dans les mains de ce parti ; et je dois dire que c’est l’opinion générale que jamais le pouvoir du pacte de famille (family compact) n’a été plus étendu ou plus absolu que depuis la première réunion de la présente assemblée, jusqu’à ce jour.

L’on peut dire que le vrai résultat de la politique de sir Francis Head fut de former cette vraie influence administrative des meneurs de la majorité de la législature, à laquelle il s’était si obstinément opposé. Les conseillers exécutifs par lui nommé, qui paraissent n’avoir accepté cette charge que sous la condition qu’ils ne seraient que des zéros ne sont donc pas le vrai gouvernement de la province. L’on dit que les nouveaux officiers du gouvernement que sir Francis Head tira d’en dehors du cercle de l’éligibilité officielle, craignent beaucoup plus la présente chambre d’assemblée que leurs prédécesseurs ne redoutaient les assemblées réformistes les plus violentes. Cette crainte ne se restreint cependant pas seulement à la chambre actuelle : ils sentent que sous tous les rapports, ils ne peuvent s’attendre à rencontrer une chambre d’assemblée disposée à les maintenir ; c’est pourquoi ils paraissant désirer un changement dans le système colonial qui puisse avoir l’effet de les rendre dépendants du gouvernement impérial seul, afin de se soustraire au contrôle de la législature provinciale, quelque puisse être le parti qui ai obtenu la prépondérance dans l’assemblée.

Tandis que le gouvernement ne possède ainsi aucun vrai pouvoir, la législature, dont les meneurs ont seuls ce pouvoir entre les mains, ne commande pas, sous aucun rapport, autant de cette confiance du peuple qu’une législature devrait le faire. Je dis ceci sans prétendre faire la moindre imputation aux membres de la chambre d’assemblée, parce qu’en vérité, les circonstances sous lesquelles, ils ont été élus, ont été telles qu’ils se sont rendus des objets de soupçons et de reproche à un nombre de leurs compatriotes. Ils ont été accusés d’avoir violé les engagements par eux pris à leurs élections. On dit que plusieurs d’entr’eux vinrent en avant se dirent élus, comme étant de vrais réformistes, que qu’opposés à la demande d’une indépendance coloniale qui pût amener une séparation d’avec la mère-pafrie. Il ne parait y avoir aucun doute qu’en différentes places, où les tories ont réussi, les électeurs désiraient seulement élire des membres qui ne hasardassent pas une lutte avec l’Angleterre, en mettant au jour des prétentions qui, d’après la proclamation du lieutenant-gouverneur, devaient être tout-à-fait inutiles : ils croyaient élire des membres qui supporteraient sir Francis Head. Dans les réformes économiques que le pays désirait encore plus que des changements politiques, réformes pour lesquelles seules on avait demandé des changements politiques. Dans beaucoup d’autres occasions aussi, les élections furent gagnées par l’exercice non scrupuleux, de l’influence du gouvernement, et par un déploiement de violence de la part des tories, qui étaient enhardis par l’appui des autorités. Il fut dit, mais je crois sans fondement, que le gouvernement fit des octrois de terre aux personnes qui n’y avaient aucun tître, pour s’assurer de leurs votes. Le rapport a pris son origine de ce que des patentes pour des personnes qui y avaient droit, mais qui ne les avaient pas encore prises, furent envoyées aux lieux où se tenaient les élections, pour être données aux individus à qui elles appartenaient, dans le cas où ils seraient disposée à voter pour le candidat du gouvernement.

L’emploi de ces moyens pour assurer à l’électeur un vrai droit de voter en faveur d’un parti, doit être considéré plus comme un acte de faveur officielle, que comme une fraude d’élection. Mais nous ne devons pas être surpris si le parti qui a succombé donne l’interprétation la plus odieuse à des actes qui y ont donné quelques raisons ; et on conçut en conséquence, un fort ressentiment contre les moyens par lesquels on croyait que le représentant de la couronne avait emporté les élections, et cette intervention de sa part est par ce parti considérée comme une violation grossière des privilèges constitutionnels.

On ne doit pas être surpris que de tels faits et de telles impressions eussent l’effet de produire dans le pays une exaspération et la perte de toute espérance d’un bon gouvernement, et ce désespoir s’étendit beaucoup au-delà de ceux qui avaient succombé au poll. Car il n’y avait rien dans l’usage que les meneurs de la chambre d’assemblée avaient fait de leurs pouvoirs, pour adoucir le mécontentement excité par les moyens illégaux que l’on avait employés pour les obtenir. Même plusieurs de ceux qui avaient supporté les candidats heureux, furent trompés dans l’espoir qu’ils s’étaient formé de la politique que devaient suivre leurs nouveaux représentants. Aucunes réformes d’économie ne furent introduites. L’assemblée au lieu de supporter le gouvernement, le força de se soumettre, elle ne produisit aucun changement dans les affaires, excepté celui de remettre en pouvoir, le pacte de famille (family compact.) Sur des sujets sur lesquels le peuple porte beaucoup d’intérêt, comme par exemple, les réserves du clergé, l’assemblée est accusée d’avoir montré une disposition d’agir en contradiction directe aux sentiments connus de la grande majorité de ses constituants. Le mécontentement a été porté à son comble par un acte qui fut introduit, au mépris de tous droits constitutionnels, à l’effet de prolonger le pouvoir d’une majorité qui était certaine de ne pas le conserver après un nouvel appel au peuple. Ce fut un acte pour empêcher la dissolution de la chambre actuelle et des chambres futures à la mort du roi. Cet acte fut passé parce que l’on s’attendait à apprendre la mort prochaine de sa feue majesté ; et cet acte a de fait prolongé l’existence de la présente assemblé d’une année à quatre. L’on dit que cette démarche est justifiée par l’exemple des autres colonies de l’Amérique du Nord. Mais il est certain que cette mesure créa beaucoup de mécontentement fut considérée comme une usurpation indécente de pouvoir.

Ce fut ce mécontentement général qui enhardit ceux qui ont été les auteurs de l’insurrection, dans une entreprise, que l’on peut caractériser comme ayant été aussi follement imaginée et dirigé qu’elle a été méchante et traîtresse. Cette insurrection que la prudence ordinaire et un bon gouvernement aurait dû prévenir, fut promptement supprimée par l’ardeur avec laquelle le peuple et particulièrement le parti breton, se rallia auprès du gouvernement. La proximité de la frontière Américaine, la nature du pays, et le caractère sauvage et audacieux, joint au besoin périodique d’emploi, d’une partie de la population, mirent malheureusement quelques exilés politiques en état de continuer les troubles de leur pays, au moyen de bandes rapasses qui de temps en temps l’ont envahi et volé, sous le prétexte de la révolutionner. Mais la loyauté générale du peuple a été prouvée par le peu de disposition qu’il a montrée à accepter l’aide des réfugiés et des envahisseurs étrangers, et par l’unanimité, avec laquelle ils ont tous pris les armes pour défendre leur pays.

On n’a pu s’assurer au juste quelle portion des habitants du Haut-Canada, était préparée à joindre Mackenzie dans ses entreprises traîtresses ou qui était disposé à se ranger de son côté, s’il eut obtenu un succès momentané. Si j’étais même convaincu qu’une grande proportion de la population, se fût prêtée à ses projets, je ne pourrais attribuer ces disposition qu’à l’irritation produite par les causes temporaires de mécontentement contre le gouvernement provincial, que j’ai mentionnée ci-haut, et non à aucun plan formé par un grand nombre, soit de renverser les institutions existantes soit de changer leur liaison actuelle avec la Grande-Bretagne, pour une jonction avec les États-Unis. Je suis enclin à considérer les mouvements insurrectionnels qui ont eu lieu, comme n’indiquant aucune désaffection enracinée et croire que le parti presque entier des réformateurs de cette province ne voulait employer que des moyens constitutionnels, pour obtenir les réformes pour lesquelles il avait si longtemps et si paisiblement combattu avant les troubles malheureux créés par la violence de quelques aventuriers sans principes et d’enthousiastes échauffés.

On ne peut cependant pas douter, que les événements de l’an dernier ont grandement augmenté la difficulté de régler les maux du Haut-Canada. Un degré de mécontentement, approchant de la désaffection, a gagné considérablement du terrain. Les causes de désaffection agissent encore dans l’esprit des réformateurs ; et leurs espérances de réformes, dans l’état actuel des choses, sont sérieusement diminuées. L’exaspération causée par la lutte elle-même, les soupçons et la terreur de ce moment d’épreuve, et l’usage qu’a fait le parti triomphant du pouvoir qu’il a entre les mains, ont soulevé les passions qui existaient auparavant. Il a certainement trop paru comme si la rébellion avait été excitée exprès par le gouvernement, et que les malheureux qui y avaient pris part, avaient été délibérément attirés dans un piège par ceux qui subséquemment leur ont infligé une punition si sévère pour leur erreur. Il a aussi trop paru, que le parti en pouvoir avait fait usage de l’occasion que venait de leur offrir la vraie culpabilité de quelques hommes désespérés et imprudents, pour persécuter et ruiner le parti entier de leurs adversaires politiques. Un grand nombre d’individus parfaitement innocents furent mis en prison, et souffrirent dans leurs personnes, leurs propriétés et leur caractère. Le parti entier des réformateurs fut exposé au soupçon, et à des procédures harassantes, instituées par des magistrats, dont les penchants politiques lui étaient notoirement opposé. Des lois sévères furent passées, en vertu desquelles des individus généralement respectés furent punis sans aucune forme de procès.

Les deux personnes qui subirent l’extrême peine de la loi, avaient en leur faveur une grande part des sympathies du public. On avait sollicité leur pardon par des pétitions signées par pas moins de 30 000 de leurs compatriotes. Les autres prisonniers furent détenus en prison pendant un temps considérable. Un grand nombre des acteurs subordonnés de l’insurrection furent sévèrement punis, et l’anxiété publique fut excitée à son plus haut degré par l’incertitude relativement au sort des autres, qui furent de temps à autre mis en liberté. Ce ne fut que dans le mois d’octobre dernier que l’on disposa de tous les prisonniers, et qu’une amnistie partiale fut proclamée, qui permit à un grand nombre de ceux qui s’étaient sauvés du pays de revenir en sûreté dans leurs foyers. Je ne mentionne pas les raisons qui, dans l’opinion du gouvernement local, ont fait adopter ces mesures, parce que mon objet n’est pas de discuter la convenance de cette conduite, mais de faire voir l’effet qu’elle a eu en augmentant l’irritation.

Tout le parti des réformateurs, que je suis porté à considérer comme très considérable, et qui a commandé de fortes majorités dans plusieurs chambres d’assemblée, s’est certainement considéré maltraité par les mesures qui ont été adoptées. Il voit tous les pouvoirs du gouvernement entre les mains de ses ennemis, et il croit voir une détermination de se servir de ces pouvoirs d’une manière inflexible contre toutes les mesures auxquelles il est attaché. Les sentiments blessés des individus, et la politique publique d’un parti défait, se combinent pour répandre une grande et sérieuse irritation, mais je ne crois pas que ceci soit encore porté à un point qui puisse faire craindre des mesures violentes pour obtenir les réformes. Les réformateurs ont graduellement repris l’espérance de regagner leur ascendance par des moyens constitutionnels : la prééminence soudaine que la question des réserves du clergé et des Rectories a encore prise, l’été dernier, parait avoir augmenté leur influence et leur confiance : et je n’ai aucune raison de croire, qu’il y ait rien qui puisse généralement et décidément leur faire désirer une séparation, à moins que quelques actes du Gouvernement impérial ne les privent de toute espérance d’obtenir un vrai pouvoir administratif, même dans le cas où ils obtiendraient encore une majorité dans la chambre d’assemblée. Dans cette espérance, je croie, qu’ils attendront tranquillement la résultat d’une élection générale, qui ne pourra se remettre plus tard que l’été de 1840.

Il ne serait pas bien facile de représenter le caractère et les vues des autres partis dans la province, ils sont si variés que je ne vois pas qu’il pourrait en résulter aucun avantage si j’expliquais les différentes nuances d’opinion qui distinguent chacun de ces partis. Dans un ouvrage bien soigné, qui fut publié à Toronto avant mon séjour en Canada, l’on essaya de classifier les divers partis de la province sous six différentes classes. Quelques-unes furent étroitement classifiés d’après leurs opinions politiques, d’autres d’après leur religion et d’autres d’après le lieu de leur naissance ; et il est clair que chaque parti renfermait dans ses rangs un grand nombre qui d’après le mode de classifications, pouvaient aussi bien appartenir d’un autre parti. Mais il est clair, d’après les rapports de tous les partis, que le gouvernement nominal, la majorité du conseil exécutif, ne jouit pas de la confiance d’un parti bien considérable et que ce parti est appelé le pacte de famille (family compact), qui commande la majorité dans l’une et l’autre branche de la législature et qui dans le fait n’est maintenant soutenu par aucun nombre de personne ou aucun parti bien considérable. Personne n’est plus hostile à ce parti que la plus grande partie de cette grande population qui est née bretonne, aux efforts courageux desquels la conservation de la colonie, l’hiver dernier, est en partie due, et qui voient avec indignation qu’un monopole de pouvoir et de profit est encore entre les mains d’un petit parti, qui parait lié pour exclure du pouvoir les émigrants bretons. Coopérant avec zèle avec le parti dominant pour repousser la trahison et l’invasion étrangère, cette partie de la population, entretient cependant un mépris général pour le parti ; et quoique plusieurs des plus marquants parmi les émigrés bretons aient toujours agi, et agissent encore, en opposition aux réformateurs et ne partagent pas leurs vues d’un gouvernement responsable, je suis bien enclin à penser, qu’eux et la grande masse de leurs compatriotes désirent vraiment obtenir un gouvernement responsable suffisant pour détruire le présent monopole de pouvoir et d’influences.

Outre les raisons de plaintes qui existent dans tout le pays, les habitants bretons en ont d’autres qui leur sont personnelles. Les émigrés qui se sont établis dans le pays depuis les dix dernières années, forment à peu près la moitié de la population. Il se plaignent que les Canadiens tout en désirant posséder dans la colonie les capitaux des bretons et leur travail au moyen desquels leurs champs sont cultivés, refusent de rendre la colonie attractive en y attirant l’habileté bretonne et les capitaux Anglais. Ils disent qu’un émigré anglais au Haut-Canada, est aussi étranger dans cette colonie britannique, qu’il le serait s’il allait aux États-Unis. Il peut également acheter et posséder des terres ou mettre ses capitaux dans le commerce dans l’un et l’autre paye, ou y exercer son métier. Ceci n’est cependant que l’étendue de ses privilèges. Son nom d’Anglais ne lui vaut que peu ou rien du tout. S’il est un Chirurgien licencié à Londres, il ne peut pas exercer sa profession dans le Canada, sans la licence d’un bureau d’examinateurs. S’il est Procureur, il faut qu’il lisse une cléricature de cinq années avant d’être admis à pratiquer. S’il est Avocat, il ne peut profiter de sa position, parce que, quoiqu’on lui permette de pratiquer au barreau, cette permission ne peut lui être d’aucun avantage dans un pays où sur dix procureurs, neuf d’entre eux sont aussi avocats. Aussi une personne qui a été admise au barreau d’Angleterre est forcée de faire une cléricature de trois années sous un avocat de province.

Par un acte passé dans la dernière Session on a mis des empêchements au placement des capitaux et à l’établissement de nouvelles Banques, ce qui a eu l’effet de conserver aux Banques du pays le monopole qu’elles possèdent et par l’influence desquelles l’on dit que la suprématie politique du parti est maintenue. D’après le système suivi relativement aux terres, un individu ne peut obtenir sa patente que lorsqu’il a payé le montant en entier de son acquisition, délai qui s’étend à quatre années si l’acquisition a été faite de la Couronne, et à dix si elle a été faite des terres du Clergé, et jusqu’alors l’acquéreur n’a pas le droit de voter. Dans quelques-uns des nouveaux États de l’Amérique au contraire, particulièrement dans l’Illinois, un individu peut pratiquer soit comme Chirurgien ou Avocat, presqu’aussitôt après son arrivée dans le pays et il obtient tous les privilèges d’un citoyen après six mois de résidence. Un Anglais est donc, dans le fait, moins étranger dans un pays étranger que dans celui qui fait partie de l’empire Britannique. Tels sont les avantages supérieurs que l’on a actuellement dans les États-Unis, qu’il n’y a pour un Anglais que le sentiment que dans un pays il est parmi un peuple de même origine, sous les mêmes lois, et dans une société dont les usages et les sentiments sont semblables à ceux auxquels il a été habitué, qui puisse l’induire à s’établir en Canada, en préférence aux États-Unis ; et si en Canada il est privé des droits qu’on lui accorde dans les États-Unis, quoiqu’étranger, on ne doit pas être surpris si dans bien des cas, il donne la préférence au pays dans lequel on le traite davantage comme un citoyen.

Il est possible qu’il ne soit que rarement arrivé qu’un Anglais ait laissé le Haut-Canada pour aller s’établir dans les États-Unis en conséquence des susdites raisons en particulier ; cependant l’état de la société et des sentiments qu’elle a fait naître, ont été une des principales causes de la grande étendue de la ré-émigration aux nouveaux États de l’Union. Ceci opère aussi, de manière à empêcher l’émigration d’Angleterre aux provinces, à retarder les progrès de la Colonie, et à priver la mère-patrie d’un des principaux avantages pour lesquels l’existence des Colonies est désirable, c’est à savoir le champ que cela laisse pour l’emploi de sa population et de sa richesse surabondantes. Cependant les Canadiens natifs, à quelque parti politique qu’ils appartiennent, paraissent être unanimes sur le désir de conserver ces privilèges exclusifs. Le système de législation, depuis que le coure de l’émigration s’est dirigé fortement vers le pays, et tandis que sous son influence la valeur de toute espèce de propriétés s’élevait, et que les ressources de la province se développaient rapidement et profitablement (pour les anciens habitants) a été de tirer une ligne encore plus marquée entre les deux classes, au lieu d’effacer les distinctions antérieures. La loi qui empêche les Avocats d’Angleterre de pratiquer est d’une origine récente. L’Orateur de la Chambre d’Assemblée réformiste, Mr. Bidwell, était parmi les plus chauds adversaires de toute modification de cette loi qui la rendit moins rigidement exclusive, et dans plus d’une occasion, il donna sa voix prépondérante contre un bill dont l’objet était l’admission des Avocats Anglais à pratiquer dans la Province sans faire une cléricature auparavant. Ce point est de plus d’importance dans une Colonie, qu’il ne paraîtrait au premier coup d’œil à une personne accoutumée seulement à l’état de société qui existe en Angleterre. Les membres de la profession du barreau sont en effet les meneurs populaires, et la classe dans laquelle les législateurs sont choisis dans une proportion plus grande que dans aucune autre classe. C’est par conséquent non seulement un monopole de profit, mais un monopole très considérable de pouvoir, que le corps des hommes de loi cherche, par le moyen de cette exclusion, à s’assurer pour lui-même. Nul homme d’un âge mûr émigrant à une colonie ne pourrait sacrifier cinq ans de sa vie dans une cléricature dont il ne retirerait ni savoir ni habileté. En conséquence le petit nombre d’hommes de profession, qui se sont rendus dans le Haut-Canada, ont tourné leur attention vers d’autres objets, tout en entretenant un grand mécontentement contre l’ordre de choses existant. Et plusieurs qui pourraient y avoir émigré, ne le font pas, ou gagnent quelqu’autre colonie où leurs moyens de vivre ne sont pas entravés par de pareilles restrictions.

Mais comme dans le Haut-Canada, en vertu d’une loi passée immédiatement après la dernière guerre avec les États, les citoyens Américains sont empêchés de tenir des terres, il est d’une plus grande importance que ce pays offre autant d’attraction que possible aux classes moyennes disposées à émigrer de la Grande-Bretagne, la seule classe dont on puisse attendre une accumulation de capital, à être employé à l’acquisition ou à la culture des terres. Le but avantageux de cette loi peut être mis en question, lorsque l’on considère les intérêts de la Colonie ou ceux de la mère-patrie, puisque la richesse et l’activité et le commerce qui en découle pour cette province auraient été beaucoup augmentés, si les avantages naturels du sol et de la situation avaient été offerts à ceux qui en connaissaient mieux l’existence, et qui étaient les plus capables d’aider à leur développement ; et il y a beaucoup de raisons de croire que l’incertitude des titres que plusieurs Américains possèdent sur des terres où ils se sont fixés depuis la passation de cette loi, a été la principale cause de beaucoup de cette déloyauté attiédie, montrée par la population du District de l’Ouest. Mais lorsque cette excision a été résolue, du moins il aurait été sage d’éloigner tout ce qui pouvait entraver l’introduction de ceux pour qui les terres étaient destinées, au lieu de leur fermer les principales avenues des richesses et de la distinction par un esprit de petite jalousie provinciale.

Cependant la grande question pratique, sur laquelle ces différents partis ont été longtemps en débats, et qui est devenue depuis quelques mois la principale matière de discussion, est celle des réserves du clergé. La décision prompte, et satisfaisante de cette question est essentielle à la pacification au Canada, et comme c’était une des plus importantes questions référées à mon investigation, il est nécessaire que je la traite d’une manière complète, et que je n’hésite pas à faire connaître le point de vue sous lequel elle s’est présentée à mon esprit. Cette dispute existe depuis longtemps. Par l’acte constitutionnel une certaine portion des terres dans chaque Township fut mise à part pour le soutien du Clergé protestant. Dans cette partie du rapport qui traite de la régie des terres incultes, le mal économique qui est résulté de cette appropriation du territoire est pleinement détaillé ; et la dispute actuelle n’a rapport qu’à l’application et non au mode de prélever les fonds que l’on tire, par la vente des réserves du Clergé. Sous le terme « Clergé Protestant, » le clergé de l’Église d’Angleterre a toujours prétendu à la jouissance exclusive de ces revenus. Les membres de l’Église d’Écosse, prétendent avoir le droit d’être mis sur le même pied que l’Église d’Angleterre et ont demandé que les revenus fussent également divisés entre l’une et l’autre Église. Les diverses dénominations de dissidents protestants, prétendent qu’ils sont inclus dans le même terme, et qu’une division égale de tous ces revenus devrait être faite entre tous ceux qui n’appartiennent pas à l’Église de Rome. Mais une grande partie de toutes les dénominations protestantes et les Catholiques nombreux qui habitent la Province, prétendent que de semblables préférences en faveur d’une religion, ou même en faveur de toutes les sectes Protestantes, seraient très inconvenables et ont demandé ou qu’une distribution égale de ces fonds fût faite à toutes les croyances quelconques, ou ont demandé que des mesures fussent adoptées pour qu’il fût laissé à chaque secte religieuse, à soutenir son propre clergé ; de rappeler ou mettre de côté la loi à ce sujet et d’appliquer les revenus des réserves du Clergé aux dépenses générales du gouvernement, ou au soutien d’un système général d’Éducation.

Ceux qui favorisent ces divers projets ont long-temps contesté les uns contre les autres dans la Province et ont considérablement embarrassé le gouvernement Impérial par des appels constants à sa décision. Le Secrétaire d’État pour les Colonies a préféré laisser à la Législature Provinciale cette décision, s’obligeant de faire tout son possible pour la faire sanctionner par le gouvernement Impérial. Deux Bills ont en conséquence été passés par la Chambre d’Assemblée, par lesquels ces fonds auraient été appliqués à l’Éducation en général, mais l’un et l’autre de ces Bills ont été rejetés par le Conseil Législatif.

Pendant ce temps-là, néanmoins, quoiqu’une grande irritation eût été causée par les prétentions exclusives de l’Église d’Angleterre, et la faveur du gouvernement exercée envers une seule, et petite communauté religieuse, le clergé de cette église, tout stipendié qu’il était, n’était pas un clergé dominant. Ils avaient une beaucoup plus grande portion des deniers publics que le clergé d’aucune autre dénomination ; mais ils n’avaient ni privilèges exclusifs, ni autorité, excepté ce qui pouvait découler de l’exécution effective de leurs devoirs sacrés, ou de l’énergie, de la capacité ou de l’influence des membres de leur corps. Mais le dernier acte public de Sir John Colborne, avant de quitter le gouvernement de la province en 1835, qui fut l’établissement des cinquante-sept rectorats (rectories), a complètement changé l’état de la question. Il est entendu que chaque recteur jouit de tous les privilèges spirituels et autres possédés par un recteur en Angleterre ; et quoiqu’il n’ait pas droit d’exiger la dîme, (car ceci même a été mis en question) il est sous tous les autres rapports précisément dans la même position qu’un ministre de l’église établie en Angleterre. Ceci est regardé par tous les autres ministres de religion dans le pays comme les ayant rabaissés à une position d’infériorité légale vis-à-vis du clergé de l’Église d’Angleterre ; et a causé une vive agitation. Dans l’opinion de plusieurs personnes ceci a été la principale cause qui a prédisposé à l’insurrection récente, et c’est une cause permanente et continuelle de mécontentement, et l’on ne doit pas en être surpris. L’Église d’Angleterre dans le Haut-Canada, en comptant dans ses rangs tous ceux qui n’appartiennent pas aux autres sectes, se représente comme étant plus nombreuse qu’aucune autre dénomination de Chrétiens dans ce pays. Toutefois, même en admettant la justesse du principe sur lequel cette énumération est calculée, et en accordant à cette Église tout ce qu’elle prétend sur cet objet, le nombre de ses adeptes ne pourrait pas monter à un tiers, probablement pas un quart, de la population. On ne doit donc pas espérer que les autres sectes, trois du moins, les Méthodistes, les Presbytériens et les Catholiques, qui prétendent être individuellement plus nombreux que l’Église d’Angleterre, se soumettront paisiblement à la suprématie qui est ainsi donnée à cette dernière. Et il est également naturel que les dissidents Anglais et les Catholiques Irlandais, se rappelant la position qu’ils ont occupée dans la métropole, et la longue et pénible contestation à l’aide de laquelle ils ont obtenu l’égalité imparfaite qu’ils possèdent maintenant, refusent d’acquiescer pour eux-mêmes à la création d’un semblable établissement dans un nouveau pays, et de laisser ainsi à leurs enfants une lutte aussi ardue et aussi cruelle que celle à laquelle ils ont échappé si imparfaitement et à une époque si récente.

Sans cet acte, il aurait été possible quoique hautement impolitique, de laisser les réserves du Clergé sur leur ancien pied tout indéterminé et imparfait qu’il fût. Mais la question de l’application de ces biens doit être maintenant réglée si l’on désire que la province soit exempte d’agitation violente et dangereuse. En effet, toute cette controverse, qui avait été en grande partie suspendue par l’insurrection, fut ranimée, dans le cours de l’automne dernier, avec plus de chaleur que jamais par l’opposition la plus inopportune dans la colonie des opinions des officiers Anglais en loi de la Couronne en faveur de la légalité de l’établissement des rectorats. Depuis cette période la question a de nouveau absorbé l’attention publique ; et il est tout-à-fait clair que c’est sur ce point pratique que l’issue doit être jointe tôt ou tard sur toutes les questions constitutionnelles dont j’ai déjà parlé. Je sais bien qu’il y en à quelques uns qui représentent l’agitation de cette question comme le simple résultat de son présent caractère indéterminé, et qui prétendent que si les privilèges de l’église d’Angleterre à la jouissance exclusive de ce domaine étaient établis par le parlement impérial, tous les partis, malgré leurs prétentions actuelles, et malgré leurs anciennes plaintes, acquiesceraient à un arrangement qui serait alors inévitable. Ce pourrait être le cas si l’établissement d’une église dominante était inévitable ; mais il n’est pas nécessaire de remarquer que dans le voisinage immédiat des États-Unis, et avec leur exemple devant les yeux, le peuple du Canada n’envisagerait pas ainsi, aucune injustice réelle ou imaginaire causée et supportée par une domination britannique. Le résultat d’aucune détermination de la part du gouvernement de la législature britannique qui donnerait à une secte l’ascendance et la supériorité, serait de nature, il est à craindre, non pas à assurer cette secte favorite, mais à risquer la perte de cette colonie, et en maintenant les prétentions exclusives de l’églse d’Angleterre, à hasarder une des plus belles possessions de la couronne britannique.

Je suis obligé de dire qu’il règne certaines idées et une unanimité d’opinions sur la question des établissements ecclésiastiques dans la partie septentrionale du continent de l’Amérique, qu’il sera prudent de ne pas oublier dans le règlement de cette question. La supériorité de ce qui est appelé « le principe volontaire, » est une question sur laquelle je puis presque dire qu’il n’y a pas de différence d’opinion dans les États-Unis ; et il ne peut être nié que sur ce point comme sur d’autres, le retentissement de la pensée dominante dans l’union a exercé une influence très considérable dans les provinces voisines. Des circonstances semblables ont eu aussi l’effet d’accoutumer le peuple des deux pays à regarder cette question sous un point de vue bien différent de celui sous lequel elle est envisagée dans l’ancien monde ; et la nature de la question est à la vérité entièrement différente dans les vieux et dans les nouveaux pays. Le droit apparent que le temps et la coutume donnent au soutien d’une institution ancienne et respectée ne peut point exister dans une contrée récemment établie, où tout est nouveau, et là l’établissement d’une église dominante est une création de privilèges exclusifs en faveur d’une dénomination religieuse qui compose une petite minorité au milieu de plusieurs autres dénominations, aux dépens non seulement de la majorité, mais de plusieurs minorités aussi considérables. L’église aussi, que l’on propose de faire rétribuer par l’état, est l’église des plus riches citoyens et celle qui peut mieux pourvoir pour elle-même, et qui a le moins de pauvres auxquels doit être donnée gratuitement l’instruction religieuse. Une autre considération qui distingue les motifs d’après lesquels cette question doit être décidée, et dans les pays anciens et dans les nouveaux, consiste en ce que l’état de société dans ces derniers n’est pas susceptible de l’organisation nécessaire pour rendre efficace aucun établissement ecclésiastique quelconque, et plus particulièrement celui de l’église d’Angleterre eu égard à sa constitution ; car le caractère distinctif de cet établissement consiste dans son clergé paroissial. Les services d’un clergé paroissial sont presque inapplicables dans une colonie où la population change, et se meut tous les jours et est répandue sur une grande étendue de territoire. Dans ce cas il faut plutôt avoir des missions que des cures paroissiales.

Une objection encore plus forte à l’établissement d’une église établie dans cette colonie, est que non seulement les membres de l’église d’Angleterre ne sont maintenant qu’une faible minorité ; mais en autant que la majorité des émigrants ne sont pas membres de cette égluse, cette disproportion augmentera au lieu de disparaître à l’avenir. La masse des habitants bretons viendra soit de la classe moyenne de la Grande-Bretagne ou de la classe la plus pauvre de l’Irlande ; ces derniers appartiennent presque exclusivement a la religion catholique et les premiers appartiennent soit à l’église Presbytérienne d’Écosse ou soit à des dissidents Anglais.

Il est très important que cette question soit réglée et qu’elle le soit de manière à contenter la majorité du peuple des deux Canadas, qu’elle regarde également. Et je ne connais aucun moyen d’arriver à ce but qu’en rappelant cette partie de l’acte impérial qui a rapport à l’application des réserves du clergé, et des revenus en provenants, d’abandonner la disposition de ces revenus aux législatures locales et d’acquiescer aux mesures que ces législatures adopteront à cet effet. Ce que j’exprime à ce sujet, explique suffisamment la conviction où je suis que si on n’adopte pas ma suggestion, la cause la plus funeste des dissentions ne sera pas détruite.

Je crois aussi de mon devoir, dan » cette province comme dans la province inférieure, d’appeler une attention spéciale à la ligne de conduite qui a été, et qui devrait être tenue vis à-vis de la nombreuse population catholique de la province. Sur ce sujet j’ai reçu des plaintes de l’existence généralement d’un esprit d’intolérance et de malveillance contre toutes les personnes de cette croyance, auxquelles je suis obligé de donner un grand crédit à cause de la haute respectabilité et de l’indubitable loyauté de ceux par qui les plaintes ont été faites. L’évêque Mc-Donnell, le vénérable évêque catholique de Kingston, et Mr. Manahan, M. P. P. pour le comté de Hastings, ont fait des représentations dans des lettres, qui seront données dans l’appendice de ce rapport. Les catholiques constituent au moins un cinquième de toute la population du Haut-Canada. Leur loyauté s’est montrée universellement et sans équivoque lors de la dernière rébellion. Néanmoins, on dit qu’ils sont entièrement exclus de toute participation dans le gouvernement du pays, et dans le patronage à sa disposition. « Dans le Haut-Canada, dit M. Manahan, il n’y a jamais eu un Irlandais catholique romain conseiller exécutif ou législatif, il n’en a jamais été nommé un seul non plus a aucune situation publique d’émoluments et de profit dans la colonie. »

Les Irlandais Catholiques se plaignent hautement et justement de l’existence de l’Orangisme dans cette colonie. Ils sont justement indignés que dans une province que leur loyauté et leur bravoure ont matériellement contribué à sauver, leurs sentimens soient outragés par les symboles et les processions de cette association. Il est assez difficile de comprendre la nature et l’objet de l’Orangisme un peu anomal du Haut-Canada. Ses membres font profession de leur désir de maintenir la religion protestante, mais de ne nourrir aucun sentiment d’intolérance envers leurs compatriotes catholiques, qui sont les marques distinctives des orangistes Irlandais. Ils prétendent que leur principal objet, auquel le maintien de l’église d’Angleterre est secondaire, est de conserver la connexion avec la Grande-Bretagne. Ils ont assermenté, dit-on, plusieurs catholiques ignorants, pour faire partie de leur corps ; et à leurs dîners publics, après avoir bu à la « pieuse, glorieuse et immortelle mémoire, » avec l’accompagnement ordinaire d’injures contre les catholiques, ils proposent la santé de l’évêque catholique McDonnell. Il paraîtrait que leur grand dessein a été d’introduire les cérémonies plutôt que les maximes de l’Orangisme ; et les chefs espèrent probablement se servir de cette espèce de conspiration permanente et d’organisation illégale pour gagner du pouvoir politique pour eux-mêmes.

Dans le fait les catholiques paraissent à peine voir cette institution avec plus de jalousie que les réformistes de la province. C’est une institution tory irlandaise, dont le but est plus politique que religieux. Les Irlandais Catholiques qui ont été initiés s’y sont introduits principalement à cause de son prétendu caractère national, et probablement avec aussi peu d’égard aux objets politiques que religieux qui y sont attachés. De plus l’organisation de ce corps donne à ses chefs l’exercice d’une puissante influence sur la populace : et il est prétendu, qu’à la dernière élection générale, les tories ont réussi à gagner plus d’un siège par le moyen de la violence de cette populace organisée ainsi placée à leur disposition. Ce n’est pas, à la vérité, à la dernière élection seulement que le succès du candidat du gouvernement a été attribué à l’existence de cette association. Dans des élections précédentes, spécialement dans celle du Comté de Leeds, en assure que le retour du député-grand-maître et du procureur général d’alors, son collègue, doit être attribué aux moyens d’un rassemblement violent et tumultueux d’Orangistes, qui empêchèrent les voleurs du côté opposé de s’approcher du poll.

En conséquence de ceci et d’autres outrages, l’Assemblée présenta une adresse à Sir Francis Head, suppliant « qu’il plût à Son Excellence d’informer la Chambre, si le Gouvernement Provincial avait pris, ou était décidé à prendre, aucune démarche pour prévenir ou décontenancer les processions publiques des Sociétés Orangistes, ou pour empêcher la formation et la continuation de pareilles Sociétés. » À cette adresse le Gouverneur fit la réponse suivante : « Le gouvernement de cette province n’a point pris, et n’est point décidé à prendre aucune démarche pour prévenir ou pour empêcher la formation et la continuation de pareilles Sociétés. » Il est à présumer que ce qui donna lieu à cette réponse, est la croyance dans laquelle était Sir Francis que ces accusations d’outrages et de violences qui faisaient le sujet de l’adresse étaient fausses. Mais il n’est pas surprenant que l’existence d’une telle Société offensant une classe par son mépris hostile contre leur religion, et une autre classe par son opposition violente à sa politique, Société qui avait été sanctionnée par le Gouverneur, selon leur opinion, à cause de ses tendances politiques, n’excitât au sein des deux classes un profond sentiment d’indignation, et n’augmentât sérieusement la méfiance qui existait envers le gouvernement.

En addition à l’irritation créée par la position des partis, par les causes particulières de querelles auxquelles j’ai fait allusion et par les actes du gouvernement de la Colonie qui privent le peuple de tous les moyens de parvenir à un arrangement des disputes qui avaient agité le pays et de redresser les abus existants dans les institutions et dans l’administration de le Province, il existe des causes permanentes, de mécontentement, résultant de l’opposition que l’on fait aux progrès industriels. Il n’existe aucun moyen de développer les ressources du pays, et de promouvoir et de maintenir la civilisation du peuple. L’administration générale de la justice, il est vrai, paraît être préférable dans le Haut à celle qui règne dans le Bas-Canada. Elle y est portée à la porte de chacun, par un système de circuits et il existe encore de l’honnêteté dans les Jurys. Mais il y a des plaintes universelles contre la réunion des fonctions politiques et judiciaires dans la personne du Juge-en-Chef, non parce-que l’on soupçonne la manière dont ce Juge s’acquitte de ses devoirs, maie à cause des raisons de parti sur lesquelles on suppose qu’est basée la nomination de ses subordonnés, et à cause des dispositions factieuses qui leur sont attribuées. On fait aussi des plaintes semblables à celles que j’ai déjà mentionnées dans le Bas-Canada, contre le mode suivi pour nommer les Shérifs. On prétend qu’ils sont choisis exclusivement parmi les amis et les hommes dépendants du parti dominant ; que l’on n’exige d’eux que des garanties bien insuffisantes, et que le montant des sommes provenantes des exécutions et ventes, que l’on représente comme malheureusement très considérable dans cette province, reste dans leurs mains pour une année au moins. Pour des raisons aussi que j’ai spécifiées dans mon rapport sur le Bas-Canada, la composition de la magistrature parait être une cause sérieuse de troubles et de mécontentements.

Mais indépendamment de ces sources de plaintes, il y a encore les empêchements que j’ai mentionnés. Une portion très considérable de la province n’a ni chemins ni bureaux de poste, ni moulins, ni écoles, ni églises. Les gens peuvent recueillir assez pour leur propre subsistance, et même pour jouir d’une abondance grossière et peu confortable, mais ils peuvent rarement acquérir des richesses, et les riches propriétaires ne peuvent faire autrement que de laisser leurs enfants grandir dans l’ignorance et la rusticité, et occuper une position morale, mentale et sociale beaucoup au dessous de celle qu’ils avaient eux-mêmes. Leurs moyens de communication entre eux et avec les principales villes de la province sont limités et incertains. À l’exception de la classe ouvrière, presque tous les émigrés qui sont arrivés dans les dix dernières années sont plus pauvres à présent qu’ils ne l’étaient au moment de leur arrivée dans la province. Il n’y a aucun système de cotisations locales propres à avancer les moyens de communication ; et les fonds votés de temps en temps pour cet objet, se trouvent d’après le système actuel à la disposition de la Chambre d’Assemblée, qui représente plus particulièrement les intérêts des districts les plus populeux, et que l’on accuse d’avoir principalement en vue, dans ses octrois, d’agrandir l’influence de ses membres auprès de leurs constituants. Ces fonds ont été conséquemment presque toujours appropriés dans cette partie du pays où il y en avait le moindre besoin, et ils ont été souvent dépensés de manière à ne produire aucun avantage perceptible. Quand aux terres qui ont été originairement appropriées pour le soutien des écoles dans le pays, la plus belle position a été consacrée à la fondation de l’université, dont ceux seuls qui résident à Toronto peuvent tirer quelque profit, ou ceux qui jouissant d’un gros revenu peuvent soutenir leurs enfants dans cette ville, moyennant une dépense qui a été estimée à £50 par année pour chaque enfant ; même dans les districts les plus populeux il ne se trouve que peu d’écoles, et elles sont d’un caractère bien inférieur ; tandis que les établissements les plus éloignés en manquent presque entièrement.

Sous de telles circonstances il y a bien peu d’émulation pour l’esprit d’industrie et d’entreprise, et ces effets sont aggravés par le contraste frappant que présente la lisière des États-Unis qui borde cette province, et où tout est activité et progrès. Je ferai remarquer ci-après, en parlant de la disposition des terres publiques, des circonstances qui intéressent non seulement le Haut-Canada, mais toutes nos colonies de l’Amérique du Nord presque également, et qui démontreront au long les causes et les résultats du plus saillant de ces maux. J’ai référé à ce sujet dans cet endroit afin de faire observer la tendance inévitable de ces inconvénients à aggraver tout mécontentement qui peut être produit par des causes purement politiques, et afin d’attirer l’attention à ce fait, que ceux qui sont les plus satisfaits de l’état politique actuel de la province, et les moins disposés à attribuer aucun défaut économique ou aucun mal social à la forme ou à l’opération du gouvernement, sentent et admettent qu’il doit y avoir eu quelque faute pour avoir causé une différence si frappante de progrès et de richesse entre le Haut-Canada et les états voisins de l’Union. Je dois aussi observer que ces maux frappent principalement cette portion du peuple qui est composée d’émigrés bretons, et qui n’ont eu aucune part aux causes auxquelles on peut les attribuer. Les Canadiens natifs, habitant généralement les districts les plus populeux de la province, propriétaires de presque toutes les terres incultes, et ayant eu presque exclusivement l’appropriation de tous les fonds publics, ont dû être exempts des maux auxquels nous avons fait allusion, et même ont dû avoir profité des causes qui leur ont donné naissance. Le nombre de ceux qui ont ainsi fait leur profit, est néanmoins, comparativement petit ; la majorité de cette classe, en commun avec la population émigrée, a souffert de cette dépréciation générale, et a participé au mécontentement et à l’agitation produits par cette dépréciation.

Un autre sujet encore plus difficile à régler est le désir existant qu’ont les habitants du Canada de se servir du port de New-York, comme d’un port d’entrée. Les impôts sur les marchandises venant des États-Unis, de quelque nature qu’elles soient, ou de quelque endroit qu’elles viennent sont actuellement tels que les Importeurs sont forcés de recevoir les marchandises par le St. Laurent, dont la navigation ne s’ouvre généralement que plusieurs semaines après le temps auquel on pourrait recevoir des marchandises, dans toute la partie du Haut-Canada, qui avoisine le Lac Ontario, par la voie d’Oswego. Le marchand, doit donc, se soumettre à ce délai injurieux à son commerce, ou se procurer ses marchandises en automne et laisser ainsi dormir ses capitaux pendant six mois de l’année. Toutes ces raisons doivent avoir l’effet de diminuer le trafic en diminuant la quantité, ou en augmentant le prix de tout ce qui est nécessaire ; et ce mal est encore sérieusement augmenté par le monopole qui, d’après le système actuel, est exercé par ce que l’on appelle Forwarders sur le St. Laurent et le Canal du Rideau. Si les marchandises pouvaient être embarquées en Angleterre pour être débarquées à New-York en transit, et étaient admises dans le Haut-Canada libres d’impôts, sur la production d’un certificat de l’Officier des Douanes du port Anglais où elles auraient été embarquées, on obvierait à cet inconvénient et le peuple de la province profiterait de sa connexion avec l’Angleterre, par le bon marché de ses marchandises, sans les payer aussi cher qu’il le fait actuellement.

Cependant le commerce du pays est un sujet qui paraît demander notre attention parce qu’aussi longtemps que les Américains jouiront d’avantages aussi marqués et aussi frappants sous ce rapport, comme il arrive à présent par suite de causes qu’il serait au pouvoir du gouvernement de faire disparaître, il est impossible qu’il n’y ait pas un grand nombre d’individus qui désirent ardemment de voir s’opérer des changements politiques. Il y a des lois qui règlent ou plutôt empêchent l’importation d’articles particuliers d’autres ports que ceux d’Angleterre, notamment l’impôt sur le thé, lois faites originairement pour protéger les privilèges du monopole et qui sont restées en force dans la province même après l’abolition du monopole britannique. Ce n’est pas que ces lois aient aucun effet appréciable en augmentant le prix de ces articles, tout le thé que l’on emploie étant presque tout de contrebande. Mais l’opération de ces lois est injurieuse au commerçant honnête, qui ne peut entrer en compétition avec des personnes qui ont obtenu leurs marchandises à un beaucoup moindre prix sur le marché des É. U., et elle est aussi désavantageuse au pays, qui ne peut ni régler ce trafic, ni en faire une source de revenu. Il est probable que ce n’est que par oubli que l’on a laissé exister cette loi, et si cela est le cas, ce n’est par une preuve bien satisfaisante du soin du Gouvernement Impérial, qui connaît si peu l’influence oppressive des lois auxquelles ses sujets sont soumis.

J’ai déjà fait allusion en parlant du Bas-Canada, aux difficultés et aux querelles qui sont occasionnées par les relations financières des deux Provinces. L’état des affaires, cependant, qui ont causé ces disputes, est d’un préjudice, pratique beaucoup plus considérable pour le Haut-Canada. Cette Province conçut, il y a quelques années, le noble projet de surmonter les empêchements naturels à la navigation du St. Laurent ; et le plan était d’exécuter ces travaux sur une échelle tellement proportionnée à cette rivière large et profonde, que les vaisseaux venant de la mer, auraient pu se rendre jusqu’au Lac Huron. Ce plan était peut-être trop étendu, au moins pour le premier effort d’un pays aussi petit et aussi pauvre, mais la hardiesse avec laquelle cette entreprise fut commencée, et les sacrifices immenses qui furent faits, pour l’exécuter, sont des preuves satisfaisantes de l’esprit d’entreprise qui existe et qui permet d’espérer que le Haut Canada deviendra un pays aussi prospère qu’aucun des États de l’Union Américaine. La Chambre d’Assemblée, ayant cet objet en vue, pris une forte proportion des actions dans le Canal de Welland, qui avait été commencé par quelques individus entreprenants. Elle commença alors le Grand Canal appelé le Canal de Cornwall afin d’éviter aux vaisseaux tirant beaucoup d’eau, les rapides du Long Sault. Les travaux furent presque complétés, mais avec des dépenses considérables L’on dit qu’il y eut beaucoup de mal-administration et aussi beaucoup d’agiotage dans l’application des fonds et dans l’exécution de ces travaux. Mais la plus grande erreur qui fut commise, fut d’avoir commencé les travaux dans le Haut-Canada, sans s’assurer de leur continuation dans le Bas. Car lorsque tous ces travaux seront complétés dans le Haut-Canada, ils seront entièrement inutiles sans la continuation de semblables travaux près de cette partie du St. Laurent qui se trouve entre la ligne de la Province et Montréal, et la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada refusa ou négligea de coopérer dans ces travaux. C’est pourquoi les travaux du Canal de Cornwall sont maintenant presque suspendus à cause de l’inutilité apparente de les continuer.

Les dépenses nécessaires pour ces grandes entreprises furent bien considérables, et la prodigalité dans leur exécution les ont augmentées à un tel point, que la province est maintenant surchargée d’une dette de plus d’un million de louis. Le revenu entier, qui est d’environ £60 000, étant à peine suffisant pour payer l’intérêt de cette somme. La province a déjà été heureusement obligée, de cotiser les localités pour continuer des travaux locaux qui étaient commencés dans différentes parties de la province, mais il est clair qu’elle sera bien prochainement obligée d’avoir recours à des taxes directes pour faire face aux dépenses civiles ordinaires. Car les impôts ne peuvent pas être augmentés sans le consentement du Bas-Canada, et il est inutile de s’attendre à ce consentement d’aucune chambre choisie sous la constitution suspendue. Les canaux qui donneraient un revenu s’ils étaient complétés, demeurent suspendue. Le canal de Cornwall n’étant pas fini la partie complétée tombe en ruines, et le canal de Welland, qui a été une source de grands profits commerciaux, menace maintenant de devenir inutile, faute de moyens pour le réparer. À la suite de toutes ses grandes espérances, et des grands sacrifices qu’il a faits pour les réaliser, le Haut-Canada se trouve maintenant chargé d’une dette énorme, qu’il n’a pas les moyens de rencontrer par des taxes indirectes, et froissé par la vue de ces travaux dont quelques efforts réunis pourraient faire une source de richesse et de prospérité, mais qui sont maintenant une source de dépenses inutiles et de désappointement mortifiant.

On peut bien croire qu’un tel état de choses est loin d’être supporté avec plaisir par une partie des plus entreprenants et des plus loyaux habitants de la province. Il est connu que le désir de surmonter ces obstacles a fait naître chez plusieurs l’idée de faire la demande extraordinaire de réunir une partie considérable de Bas, au Haut-Canada, et que cela a aussi eu l’effet de faire désirer à beaucoup une Union des provinces, comme un moyen efficace de régler toutes ces disputes d’une manière permanente. Mais on ne doit pas être surpris ; que désespérant d’obtenir du gouvernement impérial, aucun remède salutaire, plusieurs des colons des plus entreprenants du Haut-Canada, jettent leurs regards sur le pays voisin, dans lequel toutes les entreprises industrielles ne sont jamais négligées, et que les hommes les plus attachés à la forme existante du gouvernement, trouveraient quelque compensation dans un changement, dans lequel l’expérience leur fait espérer que tout obstacle pourrait être surmonté et chaque individu partagerait les richesses d’un état florissant.

Le mécontentement de l’état actuel des choses ; produit par les causes que je viens d’expliquer, s’étend nécessairement chez plusieurs qui ne désirent aucuns changements dans les institutions politiques de la province. Ceux qui admirent le plus le système actuel, désirent le voir administrer d’une autre manière. Les hommes de tous les partis sentent que l’état actuel de la colonie est tel que l’adoption de mesures tout-à-fait opposées à celles qui ont été suivies jusqu’à ce jour à leur égard, est absolument nécessaire. Ils demandent plus de fermeté dans les gouvernants, et une politique plus précise et plus consistante de la part du gouvernement ; une conduite en un mot qui fera comprendre à tous les partis qu’un ordre de choses a été établi auquel il est nécessaire qu’ils se conforment eux-mêmes et qui ne sera pas exposé à varier d’après des changements imprévus dans la politique de l’Angleterre. Ci-devant, la politique suivie par le gouvernement Anglais envers cette colonie, s’est entièrement rapporté à l’état des partis en Angleterre, au lieu de se rapporter aux besoins et à l’état de la province. Aucun parti ne pouvait compter sur un résultat heureux de sa lutte pour aucun objet en particulier, car, quoiqu’ils pussent connaître leur force dans la colonie, ils craignaient toujours que quelque ressort caché ne fût mis en action, dans le bureau colonial à Londres, pour détruire leurs plans, et rendre infructueux des années entières de travail.


  1. Parmi le petit nombre de pétitions, excepté celle de simple félicitation, que je reçus des Canadiens Français, il y en avait trois ou quatre pour l’abolition et la commutation des tenures féodales. Mais la plus remarquable était une qui me fut présentée par les habitants du comté de Saguenay, et qui fut appuyée par M. Charles Drolet, ci-devant M. P. P. pour ce comté. Les pétitionnaires qui se représentaient comme souffrant d’un degré de détresse dont l’existence n’est que trop déplorablement certaine, demandaient qu’il leur fut permis de s’établir sur les terres incultes dans le haut du Saguenay. Ils exprimaient leur consentement à prendre des terres à aucunes conditions que la gouvernement proposerait, mais ils demandaient qu’elles ne fusent pas concédées dans la tenure féodale.
  2. Cette politique fut continuée à une époque aussi avancée qu’en 1816, ainsi qu’il parait par la dépêche suivante de Lord Bathurst au gouverneur du Bas-Canada :
    Downing Street, 1er juillet 1816.

    Sir, — Vous avez eu sans doute, connaissance des enquêtes qui ont été faites dans la province quant à la convenance de laisser dans son état naturel cette partie de la frontière qui se trouve entre le Lac Champlain et Montréal ; et le rapport de l’arpenteur-général à ce sujet, qui fut envoyé à Sir Gordon Drummond avec la dépêche du 21 avril 1816, N° 119 a sans doute attiré votre attention, et ce rapport est accompagné de l’opinion que le gouvernement de Sa Majesté entretient à ce sujet. On ne peut que regretter qu’il y ait eu des établissements dans les Districts d’Hemmingford, Sherrington, Godmanchester ou Hinchinbrook. Mais je ne puis en même temps recommander de déposséder ceux qui y sont établis, vu les frais qui doivent en résulter, de l’achat des terres qu’ils ont défrichées et des améliorations qu’ils y ont faites, à moins que l’on en puisse effectuer les achats par des octrois proportionnés, d’autres terres incultes de la couronne, dans d’autres endroits. Je dois donc, me restreindre à vous requérir de ne faire pour l’avenir aucun octroi dans ces districts, et de faire tous vos efforts pour induire ceux qui ont reçu des octrois de terre dans ces endroits, et qui n’ont pis encore procédé au défrichement, d’accepter des terres dans d’autres districts plus éloignés de la frontière des États-Unis. Dans quelques cas où les terres ont été accordées depuis longtemps, elles doivent, je suppose, d’après les conditions de l’octroi, être reprises par la couronne ; et dans ces cas vous ne pouvez avoir aucune difficulté à empêcher l’établissement : et la convenance de faire d’autres octrois de terres, à la place de celles qui auront été reprises, devra dépendre des circonstances particulières de chaque cas en particulier.

    Il est aussi beaucoup à désirer, que, en autant qu’il sera en votre pouvoir de le faire, vous empêchiez l’ouverture de chemins sur les districts en question, au de-là des limites de cette division de la province, à laquelle il est référé dans le plan de l’arpenteur-général, qui est généralement cultivé et s’il se présente quelques moyens de laisser se détruire les chemins qui ont été faits, vous rencontrerez les vues du gouvernement de Sa Majesté, et vous contribuerez grandement à la sûreté future de la province, en les adoptant.

    J’ai l’honneur d’être, etc. etc.
    (Signé) BATHURST.
    Lieutenart-Général, Sir John F. Sherbrook, etc. etc.
  3. La 9 et 10 Geo. IV, ch. 77. La période commença à compter de Mars 1839, et l’assentiment royal ne fut donné qu’en Mai 1841.