Raison et Sensibilité, ou les Deux Manières d’aimer (1811)
Traduction par Isabelle de Montolieu.
Arthus-Bertrand (tome I et IIp. 128-153).

CHAPITRE XXVII.

Si le temps continue d’être aussi beau pour la saison, dit madame Jennings en déjeûnant, sir Georges ne quittera pas encore Barton ; il lui en coûterait trop de perdre un jour de chasse.

— Ah ! c’est vrai, s’écria Maria avec gaîté, et en courant à la fenêtre pour examiner le temps, je n’y avais pas pensé. Ces beaux jours d’hiver doivent inviter tous les chasseurs à rester à la campagne. Cette idée releva ses esprits et lui rendit tout son espoir. Willoughby chasseur déterminé, n’était sûrement pas à Londres ; il n’avait pas reçu sa lettre. Son absence, son silence étaient expliqués ; et tous les nuages élevés dans l’âme de Maria furent dissipés. Madame Jennings avait eu là une heureuse idée.

— Il est sûr, dit Maria en s’asseyant à la table du déjeûner, et en prenant une tartine qu’elle mangea avec appétit, il est sûr qu’il fait un délicieux temps de chasse ; comme ils doivent être heureux ! mais j’espère cependant… je crois, veux-je dire, qu’il ne durera pas long-temps ; dans cette saison, c’est impossible. Nous aurons bientôt de la neige, de la gelée, qui rappellera tous les chasseurs et tout le monde en ville. Cette extrême douceur de temps ne peut pas durer ; dans un jour ou deux peut-être il y aura du changement : voyez comme le jour est clair ! il peut geler cette nuit, et demain…

— Et dans peu de jours nous aurons sir Georges et lady Middleton, dit Elinor pour détourner l’attention de madame Jennings. Actuellement, pensait-elle, je suis sûre que Maria écrira à Haute-Combe par le courrier de ce soir.

Écrivit-elle en effet ? c’est ce qu’il fut impossible de découvrir. Mais elle continua d’être de très-bonne humeur ; heureuse de penser que Willoughby était à la chasse, plus heureuse encore d’espérer qu’il arriverait bientôt.

La matinée se passa en course chez des marchands, ou à laisser des cartes chez les connaissances de madame Jennings pour les informer de son retour en ville. Maria qui n’avait plus la crainte de manquer Willoughby en sortant, ou l’espoir de le rencontrer dehors, alla où l’on voulut et fut assez bonne enfant. Mais sa principale occupation était d’observer la direction du vent et les variations de l’atmosphère. Ne trouvez-vous pas qu’il fait beaucoup plus froid qu’hier, Elinor, lui disait-elle ? cela augmente sensiblement ; je suis sûre qu’il gêlera cette nuit, et… Elle se taisait ; mais Elinor achevait intérieurement sa phrase, et les chasseurs rentreront en ville. Elle était en même temps amusée et peinée de cette vivacité de sentiment qui faisait passer tour-à-tour sa sœur du désespoir à la joie, et rapporter tout à l’unique objet dont elle était occupée.

Quelques jours se passèrent sans gelée et sans Willoughby ; et Maria les trouva longs et ennuyeux. Ni elle ni Elinor ne pouvaient cependant se plaindre en aucune manière de leur genre de vie chez madame Jennings ; il était tout autre qu’Elinor ne l’avait imaginé. La maison située dans le beau quartier de Berkeley-Street était montée sur un grand ton d’élégance et d’aisance. À l’exception de quelques vieilles connaissances de la cité, dont lady Middleton n’avait pu obtenir l’expulsion, toute la société de madame Jennings était très-distinguée. Elle présenta ses jeunes amies de manière à leur attirer mille politesses. La figure très-remarquable de Maria, les grâces d’Elinor, leur gagnèrent bientôt l’admiration et l’amitié de tous ceux à qui madame Jennings les présentait. Mais dans les premiers temps de leur séjour à Londres leurs plaisirs se bornèrent à quelques rassemblemens peu nombreux, soit chez madame Jennings, soit ailleurs, où Elinor faisait tous les soirs un grave wisk, tandis que Maria s’ennuyait à la mort, en comptant les jours et les heures, en soupirant après les frimats qui devaient lui ramener son ami.

Le colonel Brandon ayant reçu une invitation de madame Jennings pour tous les jours, n’en laissait point passer sans venir prendre le thé avec ces dames, lorsqu’elles restaient à la maison. Il regardait Maria ; il parlait à Elinor, qui le trouvait chaque jour plus aimable et plus intéressant, et qui voyait avec un vrai chagrin que son amour pour Maria, loin de diminuer le moins du monde, augmentait visiblement. Il lui parlait peu ; mais ses regards ne l’abandonnaient pas ; il suivait tous les mouvemens de cette figure si belle, si expressive, paraissait au ciel lorsqu’elle lui adressait la parole, et tombait dans une sombre mélancolie, quand elle ne lui parlait pas.

Environ une semaine après leur arrivée en ville, en rentrant un matin après une promenade en voiture, elles trouvèrent une carte sur la table avec le nom de Willoughby. Maria la saisit avec une émotion qui fit craindre à sa sœur qu’elle ne se trouvât mal ; Bon Dieu, s’écria-t-elle, quel bonheur, il est enfin à Londres ! Mais quel chagrin qu’il soit venu pendant notre absence ! et que je suis fâchée que nous soyons sorties ce matin ! Des larmes remplirent ses beaux yeux. Elinor très-touchée, lui dit, qu’il reviendrait sûrement le lendemain. J’en suis sûre à présent, dit Maria en pressant contre son cœur la précieuse carte. Madame Jennings entra ; elle s’échappa en emportant avec elle la carte et le nom qui lui annonçait un bonheur si passionnément désiré. Elinor fut contente et de la joie de Maria et de pouvoir enfin étudier Willoughby. Mais Maria reprit toutes ses agitations à un plus haut degré ; elle n’eut plus un instant de tranquillité. L’attente de voir d’un instant à l’autre entrer cet être adoré, la rendait incapable de tout. Elle ne parlait ni n’écoutait plus, et dès le lendemain, elle refusa positivement, sur un léger prétexte, d’accompagner madame Jennings et sa sœur à la promenade accoutumée du matin. Elinor n’insista pas et n’osa refuser à madame Jennings d’aller avec elle ; mais malgré tous ses efforts elle fut presque d’aussi mauvaise compagnie que l’aurait été sa sœur. Elle ne pouvait détourner ses pensées de la visite de Willoughby, dont elle n’avait aucun doute ; elle voyait, elle sentait l’émotion de Maria, et regrettait de n’être pas avec elle pour la soutenir, et pour juger avec plus de calme les dispositions de Willoughby.

À son retour qu’elle pressa autant qu’il lui fut possible, elle vit au premier regard qu’elle jeta sur sa sœur, que Willoughby n’était pas venu. Maria était l’image parlante d’un abattement tout près du désespoir. Elinor la regardait avec la plus tendre compassion, lorsque le laquais entra en tenant un billet. Maria courut au devant de lui, l’arracha de ses mains, en disant vivement : Pour moi ! est-ce qu’on attend ?

— Non, madame, c’est pour ma maîtresse. Elle avait déjà lu l’adresse et jeté le billet avec dépit sur la table. — Pour Madame Jennings, et rien pour moi ! c’est désespérant en vérité, c’est pour en mourir.

— Vous attendiez donc une lettre ? dit Elinor, incapable de garder plus long-temps le silence. Maria ne répondit rien ; ses yeux étaient pleins de larmes.

— Vous n’avez aucune confiance en moi, chère Maria, continua Elinor après une courte pause.

— Ce reproche est singulier de votre part, Elinor, vous qui n’avez de confiance en personne.

— Moi ! répondit Elinor avec quelque embarras, je n’ai rien à confier.

— Ni moi, sans doute, répondit Maria avec énergie ; nos situations sont donc tout-à-fait semblables. Nous n’avons rien à nous dire l’une à l’autre, vous parce que vous cachez tout, moi parce que je ne cache rien. Mais quand vous me donnerez l’exemple d’une confiance plus particulière, alors je le suivrai. Elinor se tut en étouffant un soupir ; qu’aurait-elle pu dire ? Le secret qui oppressait son cœur n’était pas le sien ; elle ne pouvait le trahir ; et pourquoi parler d’un homme qu’elle voulait oublier, d’un sentiment dont elle voulait triompher. Mais elle sentit qu’elle ne pouvait pas dans de telles circonstances exiger la confiance de Maria.

Madame Jennings entra, ouvrit son billet et le lut tout haut. Il était de sa fille lady Marie Middleton qui lui annonçait leur arrivée à Londres le soir précédent, et la priait ainsi que ses belles cousines de venir passer la soirée chez elle. Les occupations de sir Georges, et de son côté un peu de rhume, les empêchaient de venir à Berkeley-Street. L’invitation fut acceptée ; mais quand l’heure d’y aller arriva, Elinor eut beaucoup de peine à persuader à Maria qu’elle ne pouvait honnêtement s’en dispenser. Willoughby n’avait point paru, n’avait point écrit ; et le tourment d’une attente continuelle et toujours trompée, avait tellement irrité les nerfs de cette pauvre jeune fille, qu’elle assurait, sans en dire la cause, n’être pas en état de sortir. Mais un motif plus fort de rester au logis, était la crainte de manquer encore la visite tant désirée. Madame Jennings vint de nouveau au secours d’Elinor par ses sages réflexions. — Il faut bien que vous veniez, Maria, lui dit-elle, car je parie que sir Georges, aura rassemblé tous les amis de Barton-Park. Maria rougit et courut chercher son schall.

Elles furent reçues à Conduit-Street, comme elles l’étaient au Parc, avec l’élégante cérémonie et la froide politesse de lady Middleton, et avec la bruyante cordialité et la bonne humeur de sir Georges. Soyez les bien-venues, mes belles voisines, dit-il en leur serrant la main, j’ai invité pour ce soir une douzaine de couples de jeunes gens. J’aurai deux violons, et nous nous amuserons. Ce n’était pas trop l’avis de ma femme ; mais le mien a prévalu, et je pense que vous serez de mon parti. J’ai bien couru ce matin pour arranger cela. À Londres, c’est plus difficile qu’à Barton ; il y a plus de monde, mais aussi plus de plaisirs.

En effet lady Middleton, quoiqu’elle aimât la danse, aimais mieux encore une belle représentation ; elle trouvait qu’à la campagne un bal impromptu pouvait passer ; mais à Londres elle craignait de compromettre sa réputation d’élégance, lorsque l’on saurait que l’on avait dansé chez lady Middleton avec deux violons seulement et une simple collation.

M. et madame Palmer étaient de la partie. Mesdemoiselles Dashwood n’avaient point vu le premier depuis leur arrivée, non plus que sa belle-mère, qu’il traitait avec une indifférence mal déguisée sous un air de dignité et d’importance. Il les salua légèrement lorsqu’elles entrèrent, sans avancer d’un pas et sans les regarder, pendant que sa femme les étouffait de caresses, et riait aux éclats de ce que son cher amour n’avait pas l’air de les reconnaître. — Ce sont Mesdemoiselles Dashwood, M. Palmer. Il fit comme s’il ne l’entendait pas… — M. Palmer, c’est ma mère. Eh bien ! voyez comme il est drôle, il est dans ses humeurs de ne pas m’écouter.

Maria en faisait bien autant. En entrant elle parcourut le salon d’un regard ; il n’y était pas, et pour elle il n’y avait personne. Elle s’assit tristement dans un coin, également mal disposée pour avoir du plaisir ou pour en donner. Il y avait environ une heure qu’ils étaient rassemblés, lorsque M. Palmer sortant de sa rêverie, s’avança en bâillant auprès d’Elinor, exprima sa surprise de la voir en ville, quoique ce fût chez lui que le colonel Brandon eût appris leur arrivée. D’honneur, je croyais que vous passiez tout l’hiver en Devonshire.

— Vraiment, dit Elinor en riant.

— Quand y retournez-vous ?

— Je l’ignore. Les violons arrivèrent ; la conversation finit ; on se prépara à danser. Jamais Maria n’avait été si peu en train. Enfin cette mortelle soirée finit, sans avoir encore vu Willoughby. Je n’ai de ma vie été plus fatiguée, dit Maria en entrant dans la voiture ; le parquet n’a point d’élasticité.

— Ne cherchez pas chicane à ce pauvre parquet, dit en riant madame Jennings ; vous l’auriez trouvé assez bon si vous l’aviez parcouru avec quelqu’un que je ne veux pas nommer ; vous ne seriez alors pas du tout fatiguée. À dire vrai, ce n’est pas trop honnête à lui de ne pas venir danser avec vous, quand il était invité.

— Invité ! s’écria Maria, il était invité !

— Oui, ma fille me l’a dit, et sir Georges aussi, qui l’a rencontré ce matin, et l’a fort pressé de venir.

Maria ne dit plus rien, mais sa contenance annonçait combien elle était blessée. Elinor l’était aussi, et résolut d’écrire à sa mère le matin suivant, d’éveiller ses craintes sur la santé de Maria, et de l’engager à exiger sa confiance. Elle fut confirmée dans cette résolution en s’apercevant le lendemain après déjeûner que Maria écrivait à Willoughby. Car à qui d’autre qu’à lui pouvait-elle écrire ?

Avant dîner madame Jennings sortit pour quelques affaires. Elinor commença sa lettre. Maria trop inquiète pour lire, trop agitée pour travailler, allait d’une fenêtre à l’autre, ou se promenait dans la chambre les bras croisés, ou assise devant le feu dans une attitude mélancolique.

Elinor fut très-pressante dans ses supplications à leur mère ; elle lui racontait tout ce qui s’était passé depuis leur arrivée, ses soupçons sur l’inconstance de Willoughby, et la conjurait au nom de ses devoirs de mère et de sa tendresse pour Maria, d’exiger d’elle un aveu positif de sa situation.

Sa lettre était à peine finie, qu’un coup de marteau annonça une visite. Maria fatiguée d’espérer, se hâta de sortir pour ne pas entendre annoncer une autre personne que Willoughby. Un regard amical sur Elinor fut interprêté par cette dernière comme une prière muette de la faire demander si c’était lui. Ce n’était pas lui ; c’était encore le bon colonel Brandon. Il paraissait plus triste qu’à l’ordinaire. Après avoir exprimé à Elinor sa satisfaction de la trouver seule, comme s’il avait quelque chose de particulier à lui dire, il s’assit à côté d’elle en silence, et comme oppressé de ses pensées. Elinor persuadée qu’il avait quelque chose à lui communiquer qui concernait sa sœur, attendait impatiemment qu’il commençât. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait cette conviction. Souvent déjà, quand Maria sortait ou restait rêveuse dans un coin du salon, le colonel s’approchait d’Elinor, lui disait avec l’air du plus grand intérêt : mademoiselle Maria n’est pas bien aujourd’hui, ou bien : Votre sœur est bien absorbée… Il s’arrêtait, il hésitait. Elle voyait dans son regard qu’il avait quelque chose à dire de plus, qu’il n’osait pas prononcer. Cette fois après quelques instans d’hésitation, après s’être levé et rassis, il lui demanda d’une voix tremblante quand il pourrait la féliciter de l’acquisition d’un frère. Elinor n’était pas préparée à cette question, et n’ayant pas de réponse prête, elle fut obligée de dire, comme on dit toujours ; je n’entends pas… je ne comprends pas… parlez-vous de mon frère John ! Sont-ils arrivés !…

Il essaya de sourire et répliqua avec une espèce d’effort : Vous ne voulez pas me comprendre. J’entends… les engagemens de votre sœur avec M. Willoughby de Haute-Combe,… Ils sont connus généralement ; et j’ai cru…

— Ils ne peuvent être connus, dit Elinor, puisque la famille les ignore.

Il parut très-surpris. — Je vous demande mille pardons, dit-il ; je crains à présent que mes questions n’aient été très-indiscrètes ; mais je ne pouvais imaginer qu’il y eût du mystère, puisqu’ils correspondent ouvertement, et que tout le monde parle de leur mariage.

— Tout le monde en parle dites-vous ! vous me surprenez toujours davantage. Dites-moi, je vous en prie, par qui vous en avez été informé.

— Par plusieurs personnes. Il y en a que vous ne connaissez pas, d’autres avec qui vous êtes très-liée, comme par exemple madame Jennings, les Palmer, les Middleton. Malgré cela, je ne l’aurais pas cru, parce qu’on cherche toujours à douter de ce que l’on craint, mais l’autre matin en entrant ici, je vis accidentellement une lettre entre les mains du domestique, qui ne cherchait pas à la cacher. Elle était adressée à M. Willoughby et de l’écriture de votre sœur. Je vous ai demandé si elle se mariait, mais j’en étais déjà convaincu. Est-ce que tout est conclu définitivement ? ne me reste-t-il aucun espoir ? Mais non, lors même qu’il y aurait des obstacles insurmontables, je n’ai aucun droit, aucune chance de jamais succéder… De grâce excusez-moi, bonne Elinor ; j’en dis trop sans doute et j’ai grand tort, mais je sais à peine ce que je dis et je me confie entièrement en votre prudence. Dites-moi que tout est arrangé quoiqu’il faille encore garder le secret quelque temps, Ah ! combien j’ai besoin d’être sûr que mon malheur soit décidé, de ne plus rester en suspens, et d’employer toutes les forces de mon ame à me guérir d’un sentiment inutile et coupable !

Ces paroles incohérentes, cet aveu positif de son amour pour Maria, affectèrent beaucoup Elinor, au point même de l’empêcher de parler ; et, quand elle se sentit un peu remise, il succéda à ce trouble un extrême embarras de répondre convenablement. L’état réel des choses entre sa sœur et M. Willoughby lui était trop peu connu pour qu’elle ne craignît pas de la compromettre en disant trop ou trop peu. Cependant, comme elle était convaincue de l’affection de sa sœur pour Willoughby, qui ne laissait aucun espoir au colonel quelque fût l’événement, étant bien aise d’ailleurs d’épargner à Maria le blâme auquel elle donnait lieu si souvent, elle jugea plus prudent d’en avouer davantage qu’elle n’en croyait elle-même : elle lui dit donc que quoi qu’elle n’eût jamais été informée par eux-mêmes des termes où ils en étaient, elle n’avait aucun doute de leur affection mutuelle, et qu’elle n’était pas surprise d’apprendre leur correspondance.

Le colonel l’écouta avec une silencieuse attention, et, quand elle eut cessé de parler, il se leva et dit avec une voix émue : Je souhaite à votre sœur tous les bonheurs imaginables. Puisse-t-elle, puisse Willoughby mériter la félicité qui leur est destinée ! Il la salua de la main, leva les yeux au ciel avec l’expression la plus douloureuse, et partit.

Elinor resta triste et pensive. Cet entretien loin de lui avoir apporté quelque consolation, laissait un poids sur son cœur. Ses espérances du mariage de sa sœur s’étaient, il est vrai, renouvelées ; mais serait-elle heureuse ? Les vœux du colonel avaient quelque chose de sombre ; il semblait en douter. Le malheur de cet homme intéressant l’affligeait aussi. Elle déplorait la fatalité qui l’avait entraîné dans un amour sans espoir ; et cette conformité dans leur situation redoublait encore l’intérêt qu’il lui inspirait. Pauvre Brandon ! s’écriait-elle ; et son cœur oppressé disait ainsi : Pauvre Elinor ! Elle ne savait plus ce qu’elle devait désirer, et, sur quelque objet qu’elle arrêtât sa pensée, c’était avec un sentiment douloureux.