Ragotin ou Le Roman Comique
1684


PERSONNAGES


Ragotin, avocat..

Monsieur de la Baguenaudière

Isabelle, sa fille..

Madame Bouvillon

Blaise Bouvillon, son fils

Monsieur de Prérazé, gentilhomme provincial..

Monsieur de Boiscoupé, gentilhomme provincial. .

Monsieur des Mentilles, gentilhomme provincial..

Monsieur de Mousseverte, gentilhomme provincial..

Le Destin, comédien.

La Rancune, comédien.

L’Olive, comédien.

Le décorateur

La caverne, comédienne.

L’étoile, comédienne.

Un charettier

Trois porteurs

Un laquais




ACTE I




Scène I


Monsieur de la Baguenaudière, Isabelle, Blaise Bouvillon


La Baguenaudière


Déjà Phébus, voisin de ces moites retraites,
Ne semble plus mener ses chevaux qu’à courbettes ;
Ce dieu porte-lumière, aux yeux vifs, au blond crin,

Ainsi que du tabac respire un air marin,
Et sentant que Thétis apprête sa litière…

Madame Bouvillon
.


En vérité, monsieur de La Baguenaudière,
Depuis que la fureur de rimer au hasard
A pris le peu d’esprit dont le ciel vous fit part,
On ne vous entend plus. Pourquoi cette litière,
Ce Phébus ?

La Baguenaudière

C’est-à-dire en langage vulgaire,
Madame Bouvillon, que l’horloge six fois
S’est déjà fait entendre aux échos de nos bois,
Et des comédiens dont j’attends la venue
La troupe à mes regards n’est point encor parue.

Que veut dire ceci ? Vous, Biaise Bouvillon,
Pour les voir arriver montez au pavillon,
Allez au cabinet qui face l’avenue,
Ma fille, et quand l’un d’eux vous frappera la vue,
Vous viendrez me le dire : allez.

Madame Bouvillon
.


Que d’embarras !
Vous moquez-vous d’avoir ici tout ce fracas ?
Pourquoi cette dépense ? Et que voulez-vous faire,
Vous, des comédiens ?

La Baguenaudière


Quoi ! Toujours en colère !
De ces emportements purgez-vous, purgez-vous :
Madame Bouvillon, prenez un ton plus doux ;
Et puisque enfin l’hymen unit notre famille,
Qu’il nous joint vous et moi, votre fils et ma fille,
Le plaisir qu’avec vous je prends de m’allier
Fait que je veux un peu rire sur mon pallier :
Je brûle pour cela que notre troupe vienne.

Madame Bouvillon
.


Dites que c’est pour voir votre comédienne.

La Baguenaudière


Qui ? l’étoile ? Ah ! Jalouse.

Madame Bouvillon
.


Avouez-le entre nous,
Cette brillante Étoile est un astre pour vous :
Vous l’aimez, et votre âme adore sa puissance.

La Baguenaudière


Je ne veux pas vous rendre offense pour offense,
Mais l’effet de cet astre est sur moi moins certain
Que sur vous l’ascendant de monsieur le destin.
C’est un comédien bien fait, courtois, habile.

Madame Bouvillon
.


Eh ! Quoi donc ! Sans aimer ne puis-je être civile ?
Est-il assez hardi pour présumer de soi ?…

La Baguenaudière


Non.

Madame Bouvillon
.


Ce n’est qu’avec vous qu’il est venu chez moi.

La Baguenaudière


D’accord, je l’y menai, mais à votre prière ;
Et ce soir-là chez vous la chère fut entière ;
Rien ne fut épargné. Si par l’extérieur
On peut probablement juger du fond du cœur,
Le vôtre anx clairvoyants fut trop reconnaissable.
Quand de ce qu’on mettait de meilleur sur la table
Ma main faisait un choix pour le comédien,
Les vôtres, à l’envi, sans examiner rien,
À l’accabler de tout se montrèrent avides,
Tant qu’en un tournemain tous les plats étant vides,
L’assiette du Destin fut si pleine en effet,
Que chacun s’étonna que le hasard eût fait,
De morceaux entassés avec autant d’emphase,
Un si haut monument sur aussi peu de base
Qu’est le cul d’une assiette.


Madame Bouvillon


Eh bien ! En ce moment,
Si j’eus à le servir un peu d’attachement,
Qu’en pensez-vous conclure ? En un mot comme en mille,
Ce n’était qu’un effet de mon humeur civile.

La Baguenaudière


Eh bien ! En ce moment ce qui fait en ces lieux
Cette troupe venir et paraître à vos yeux,
C’est une tragédie ajustée au théâtre
Par moi. Je l’intitule Antoine et Cléopâtre ;
Je brûle de la voir représenter, ainsi…



Scène II


Monsieur de La Baguenaudière, Madame Bouvillon, Blaise Bouvillon


Blaise Bouvillon


Ne vous ennuyez plus ; ils viennent, les voici,
Beau-père.

La Baguenaudière


Avez-vous vu toute la troupe entière ?

Blaise Bouvillon


Non, mais j’ai vu de loin une épaisse poussière ;
Ce sont eux, ce sont eux, car mon œil a su voir
À travers ce brouillard un cheval gris et noir,
Qui tantôt se pavane, et puis qui tantôt trotte :
À chacun de ses flancs est pendue une botte,
Au-dessus de la selle il paraît un chapeau ;
Le chapeau ne vient pas tout à fait au niveau
Et laisse entre la selle et lui quelque distance ;
Je ne sais ce qui peut causer cette éminence ;
C’est pourtant quelque chose, il n’est rien plus certain ;
Mais je n’ai jamais pu le voir.

La Baguenaudière


C’est Ragotin.

Madame Bouvillon
.


Qu’est-ce que Ragotin ?

La Baguenaudière


Ragontin, c’est, madame,
un petit homme veuf d’une petite femme,
Avocat de naissance et de profession,
Qui, dans une petite et proche élection,
Petitement possède une petite charge ;
D’esprit assez étroit, de conscience large ;

Menteur comme un valet, têtu, présomptueux,
Et vain comme un pédant, sot et fat comme deux,
Poète à mériter de souffrir un supplice,
Si sur les méchants vers on mettait la police ;
Et c’est, pour au portrait mettre les derniers traits,
Le plus grand petit fou qui se soit vu jamais,
Et qui depuis Roland ait couru la campagne.
Sans doute avec la troupe il vient, il l’accompagne ;
Je cours au-devant d’eux.

Blaise Bouvillon


Et moi, j’y vais aussi.


Scène III

.
Madame Bouvillon, Isabelle


 
Isabelle
entrant sans voir Madame Bouvillon


Allons tôt… Que vois-je ? Ah !

Madame Bouvillon
.


Que cherchez-vous ici ?

Isabelle


J’y venais pour apprendre à mon père qu’un homme
arrive dans la cour.

Madame Bouvillon
.


Comme est-ce qu’on le nomme ?
Je ne sais. Je l’ai pris pour ce comédien,
Si jeune, si bien fait, qui déclame si bien,
Qu’on aime tant, et qui, quand la pièce est finie,
Vient toujours saluer toute la compagnie,
Et faire un compliment.

Madame Bouvillon
.


C’est le destin, j’y cours ;
Ne me suivez pas.



Scène IV

.
Isabelle

Quoi ! Des obstacles toujours !
Je ne puis satisfaire au penchant de mon âme.
N’est-ce point que le ciel désapprouve ma flamme ?
Que, sans l’aveu d’un père, épousant Le Destin…
Mais il a si bon air ! Il m’aime, il est certain.
Il vient.


Scène V

.
 
Le Destin, Isabelle


Isabelle


Où courez-vous ? Par un transport extrême,
Madame Bouvillon vous prévient elle-même :
Que va-t-elle penser en ne vous trouvant pas ?
Des nobles campagnards la retiennent là-bas ;
Tandis qu’elle s’amuse en compliments frivoles,
Ne perdons point de temps en de vaines paroles.
Vous savez ce qu’au Mans mon cœur vous a promis,
Vous savez ce qu’ici le vôtre m’a permis ;
Pour votre enlèvement tout est prêt, et Léandre
Avec trois bons relais en lieu sûr va nous rendre.
À la porte du parc courons sans hésiter…
Êtes-vous sûr

que rien ne nous puisse arrêter ?
Le jour est encor grand, quelqu’un peut nous surprendre ;
De peur de quelque obstacle, il vaudrait mieux attendre ;
La nuit serait un temps propre à notre désir.

Le Destin


Quel temps plus favorable avons-nous à choisir ?
Madame Bouvillon est là-bas en affaire,
Le soin de notre troupe occupe votre père ;
L’embarras qu’ils auront l’un et l’autre en ces lieux,
Et sur vous et sur moi lui fermera les yeux,
Et nous serons déjà bien loin de leur présence
Avant que quelqu’un d’eux ait appris notre absence.
Est-ce qu’en différant, et par précaution,
Vous voulez donner temps à Blaise Bouvillon
De vous épouser ?

Isabelle


Moi ! Que venez-vous me dire ?
De tous les maux pour moi ce serait là le pire ;
J’aimerais mieux mourir que le voir mon époux.

Le Destin


Et qui vous retient donc ? Parlez ; est-ce, entre nous,
Que ma profession vous tiendrait en balance ?
Ignorez-vous combien on nous estime en France ?
Sans vanité, madame, il est très peu de lieux
Où je ne sois en droit d’oser lever les yeux.
Si vous vous défiez de la foi que j’en donne,
Il faut…

Isabelle


Je n’ai des yeux que pour votre personne,
Et n’examine rien que vos seuls intérêts.
Madame Bouvillon m’observe ici de près :
Ayant un grand crédit sur l’esprit de mon père,
Par avance elle prend sur moi des droits de mère ;
À ses ordres mon père attache mes destins,
Elle vous voit d’un œil qui fait que je la crains.

Le Destin


Ne craignez rien.

Isabelle


Allons… Elle vient. Ah ! Que faire ?


Scène VI

.
Madame Bouvillon, Isabelle, Le Destin


Madame Bouvillon
.


Quoi ! Seul dans l’embarras laissez-vous votre père ?
Il veut vous présenter là-bas à ses amis ;
Allez faire avec lui les honneurs du logis.

Isabelle sort, et tire la porte sur elle.


Scène VII

.
Madame Bouvillon, Le Destin


Madame Bouvillon
.


Vous, monsieur le destin, demeurez. L’étourdie,
Je pense, en s’en allant, a d’une main hardie
Fermé sur nous la porte : aveugle à ce point-là,
Elle…

Le Destin


Je vais l’ouvrir.

Madame Bouvillon
.


Je ne dis pas cela,
Monsieur, mais aujourd’hui la médisance est telle…

{{Personnage|Le Dest

in|c}}

Je vais, pour l’empêcher, rappeler isabelle,
Madame, s’il vous plaît.

Madame Bouvillon
.

Je ne dis pas cela ;
Mais c’est faire beaucoup qu’en venir jusque-là.
Vous savez, quand les gens sont enfermés ensemble
Tête à tête, qu’ils font tout ce que bon leur semble :
Tout de même à son gré chacun en peut parler.

Le Destin


Ah ! Ce n’est pas des gens qu’on voit vous ressembler,
Qu’on fait impunément des soupçons téméraires ;
Vous êtes au-dessus des sentiments vulgaires :
Mais pour vous garantir de ces mauvais bruits-là,
Je vais me retirer.

Madame Bouvillon
.


Je ne dis pas cela ;
Mais ce matin monsieur de La Baguenaudière,
Dont l’esprit a des cœurs la connaissance entière,
Me disait, en raillant doucement avec moi,
Qu’il croyait que pour vous certain je ne sais quoi…
D’un ton malicieux il me faisait entendre
Que vous étiez bien fait, qu’on avait le cœur tendre.

Le Destin


Pour ne point confirmer les sentiments qu’il a,
Il faut quitter ces lieux.

Madame Bouvillon
.


Je ne dis pas cela ;
Mais comme un chaste hymen me doit rendre sa femme,
Que sais-je ? Il craint peut-être …



Scène VIII

.
Madame Bouvillon, Le Destin


Ragotin
criant derrière le théâtre.


Arrête, arrête, infâme !

Madame Bouvillon
.


Qu’entends-je ? À quel malheur le sort nous a livrés !
C’est La Baguenaudière.

Ragotin
frappant à la porte.


Ouvrez la porte, ouvrez.

Madame Bouvillon
au Destin.


Ouvrez tôt.

Le Destin
s’embarrassant dans les jupes de madame Bouvillon, tombe.


J’y cours. Ah ! J’ai la jambe rompue.

Madame Bouvillon
ouvrant elle-même, ragotin pousse la porte rudement contre elle.


Ouvrons nous-même. Ah, ciel ! J’ai la tête fendue.

Ragotin
entrant brusquement, rencontre les pieds du Destin, qui le font tomber. Il a une grande épée, une bandoulière où pend un mousqueton, et des bottes retroussées jusqu’aux cuisses.


Eh ? Vite, où me cacher ? Ah ! J’ai le nez cassé.

Madame Bouvillon
.

Ah ! La tête.

Le Destin

Je suis brisé.

Ragotin
se relevant.

Je suis blessé.

Madame Bouvillon
.


Quel est ce godenot fagoté de la sorte ?

Le Destin


C’est Monsieur Ragotin.

Madame Bouvillon
.


Que la fièvre l’emporte !
Quel coup !

Le Destin


Quelle chute !


Scène IX

.
Madame Bouvillon, Le Destin, Ragotin, La Rancune, Un Charretier


Le charretier
, à la Rancune


Oh ! Vous m’arrêtez en vain ;
Laissez que je l’assomme.

Ragotin


Ah ! Monsieur le destin,
Séparez-nous.

Le Destin

Arrête.

Le charretier
.

Oh ! Je n’ai crainte aucune.

La Rancune
prenant Le Charretier par le bras.


Si…

Ragotin


Ne le lâchez pas, monsieur de la Rancune.



Scène X

.
Madame Bouvillon, Monsieur de la Bagenaudière, Le Destin, La rancune, L’Olive, Ragotin


L’olive


Quel tintamarre !

Ragotin


À moi, monsieur l’olive, à moi !

La Baguenaudière
jetant le chapeau du charretier.


Quel bruit ! Les armes bas, maraud, de par le Roi !
Apprends, chétif mortel qui devant moi te couvre,
Qu’on doit à mon château même respect qu’au Louvre.

Le charretier
.


Mon pauvre âne, qui vient d’expirer devant vous,
Morguoy ! M’a mis l’esprit tout sans dessus-dessous.

La Baguenaudière


Et qui l’a fait mourir ?

Le charretier
.


Cet avocat sans cause.

La Baguenaudière


Pourquoi ?

Ragotin


Mal à propos mon arme a fait la chose,
Mais c’est sans mon aveu, demandez-lui plutôt.
J’étais parti du Mans, monté sur u

n courtaud,
Comme un petit Saint-George avec cet équipage,
Sans avoir le dessein de faire aucun dommage,
Foi d’avocat ! Ayant joint la troupe au faubourg,
Nous avons pris d’ici le chemin le plus court ;
Tantôt caracolant devant, tantôt derrière,
Et tantôt cajolant l’une ou l’autre portière,
Faisant couler le temps, gagnant toujours pays,
En propos gaillardins, réjouissants devis,
Nous nous sommes trouvés proche votre avenue.
D’abord votre présence ayant frappé ma vue,
Pied à terre aussitôt j’ai mis avec eux tous ;
Vous nous avez reçus bras-dessus bras-dessous.
Pour jouir en chemin de votre air amiable,
J’ai voulu remonter à cheval, c’est le diable !
En montant le matin dans ma cour bien et beau
Je m’étais dextrement aidé d’un escabeau ;
Mais, en pleine campagne étant sans avantage,
La pâleur de han-han m’est montée au visage.
Toutefois prenant cœur pour cet exploit guerrier,
J’ai vaillamment porté mon pied à l’étrier ;
D’une main empoignant le pommeau de la selle,
Pour porter l’autre jambe en l’autre part d’icelle,
Je me guindais en l’air quand la selle a tourné ;
Au crin tout aussitôt je me suis cramponné ;
Enfin, cahin-caha, j’avais monté ma bête.
La chose jusque-là n’avait rien que d’honnête ;
Mais malheureusement ce maudit mousqueton,
Ayant entortillé mes jambes de son long,
S’est trouvé sur la selle, et juste entre mes fesses.
Pour m’affermir dessus, sensible à ces détresses,
Mes pieds trop courts cherchant mes étriers trop longs,
Ont fait à mon cheval sentir leurs éperons
Dans un endroit douillet où jamais la molette
N’avait piqué cheval. Il part, marche à courbette,
Plus fort que ne voulait un quasi-Phaéton
Dont le corps ne portait que sur un mousqueton.

Moi, j’ai soudain serré mes deux jambes de crainte ;
L’animal aussitôt, à cette double atteinte,
A levé le derrière, et moi je suis glissé
Aussitôt sur le col où je me suis blessé ;
Car le cheval mutin, après cette ruade,
A relevé sa tête, et fait une saccade
Qui du col sur la croupe à l’instant m’a placé,
Du maudit mousqueton toujours embarrassé.
N’y souffrant rien, il a gambadé de plus belle,
Et m’a fait un pivot du pommeau de la selle.
M’étant saisi du crin, et me tenant serré,
Mon cheval galopait, quand mon arme a tiré :
Je me suis cru le coup au travers de la panse ;
Mon cheval en a craint tout autant, que je pense,
Car il en a du coup si rudement bronché,
Que le maudit pommeau qui me tenait bouché
Juste un certain endroit comme un bouchon de liège,
À mon corps chancelant n’a plus servi de siège.
Suspendu donc en l’air, un pied libre et traînant,
L’autre pour mon malheur à l’étrier tenant,
Jamais de mon trépas je ne me crus si proche.
Enfin je fais effort, et mon pied se décroche ;
Lors on a vu soudain, comme un fardeau de plomb,
Corps, harnais, baudrier, épée, et mousqueton,
Bandoulière, enfin bref tout l’attirail de guerre,
Donner, non sans douleur, de compagnie à terre ;
Et tout cela s’est fait, ma foi ! sans vanité,
Bien plus adroitement que je n’étais monté.
À peine relevé de cette culbute,
J’avais l’esprit encore étourdi de ma chute,
Quand cet homme a plein poing est venu me charger :
M’étant senti des pieds encor pour déloger,
J’ai promptement cherché du secours dans la fuite ;
Mais il s’est jusqu’ici chargé de ma conduite,
Toujours la fourche aux reins.

Le charretier
.


Eh mordienne ! Ai-je tort ?

Du coup qu’il a tiré, monsieur, mon âne est mort ;
Il me le doit payer.

Ragotin


L’ai-je fait par malice ?

La Baguenaudière


Va songer an bagage, on te fera justice.
Allons tous au-devant des dames.

Blaise Bouvillon


Les voici.


Scène XI

.
Mesdemoiselles la Caverne, l’Etoile, Madame Bouvillon, Ragotin, La Baguenaudière


Mademoiselle la caverne


Ah ! Monsieur Ragotin vous voilà, Dieu merci !
J’avais de votre chute une douleur interne.

Ragotin


Je vous suis obligé, madame la caverne.

Mademoiselle l’étoile


Avez-vous pu tomber ainsi sans vous blesser ?

Ragotin


Je ne sais, je n’ai pas eu le temps d’y penser,
Charmante Étoile ; il faut, avant que je l’assure,
Y tâter. Grâce au ciel, ma tête est sans fêlure,
Les ressorts de mes bras ne sont point fracassés,
Mes jambes et mes pieds se trémoussent assez,
Hem, hem, l’individu fait encor son office,
Et… tout se porte bien, fort à votre service.

Madame Bouvillon
.


Je n’en dis pas de même, et votre bras trop prompt
M’a donné de la porte un rude coup au front.

Ragotin


Excusez-en, Madame, une frayeur mortelle.


La Baguenaudière


Allons tous au jardin ; donnez-moi la main, belle.

Ragotin


Souffrez que cette main, pour réparer l’affront
De vous avoir tantôt fait un beignet au front,
Aide à la promenade à soutenir la vôtre ;
Madame la caverne, approchez, voici l’autre.
Tels jadis les géants, plus grands que moi de corps,
Sous les monts qu’ils traînaient ensevelis…


Scène XII

.
Madame Bouvillon, la Caverne, Ragotin, trois porteurs, chargés de coffres


Premier porteur


Hors, hors !

Ragotin


Cet homme sous ce faix de la porte s’empare,
Laissons-le là, passons de l’antre.

Second porteur


Gare, gare !

Ragotin


Ces gens ont entrepris de nous embarrasser ;
Allons.

Troisième porteur


Rangez-vous vite, et me laissez passer.
Encor ! Quel embarras ! Tous les coffres de France
Se sont ici donné rendez-vous, que je pense.

Premier porteur


Ôtez-vous !

Second porteur


Hors d’ici !

Madame Bouvillon
.


Quittez-moi !

Ragotin


Je sais bien
L’honneur qui…

Troisième porteur

Boutons bas !

Ragotin

Diable ! N’en faites rien.

Premier porteur


Je n’en puis plus.

Second porteur


Ni moi.

Troisième porteur


Sous ce faix je succombe.
Tous trois se déchargeant.
Hors de là !

Madame Bouvillon
.


Ah !

{{Personnage|La cavern

e|c}}

Ah !

Ragotin


Ah ! C’est sur moi que tout tombe
La chute du cheval m’a causé moins d’effroi !
Ah ! Ragotin ce jour n’est pas heureux pour toi.

ACTE II




Scène I

.
Blaise Bouvillon, La Rancune


Blaise Bouvillon


Mon cher la rancune, oui, je vous trouve admirable ;
Touchez là, vous venez de souper comme un diable ;
J’ai pris tant de plaisir en vous voyant manger,
Qu’avec vous d’amitié je me veux engager :
Embrassons-nous encor. Pour vous faire un peu rire,
Apprenez un secret… c’est… n’allez pas le dire !

La rancune


Oh !

Blaise Bouvillon


Tenez ce flambeau. Vous voyez ce paquet,
Qu’est-ce ?

La rancune


C’est un pétard.

Blaise Bouvillon


Oui, mais point de caquet.

La rancune


Oh !

{{Personnage|Blaise Bouvillo

n|c}}

Venez m’éclairer ; motus au moins, pour cause.

La rancune


Oh !

Blaise Bouvillon


Il cloue le pétard à la porte d’Isabelle.
Le voilà cloué, Dieu merci ! Bouche close.

La rancune

Oh !

Blaise Bouvillon


Vous ne savez pas pourquoi je le mets là !

La rancune


Non.

Blaise Bouvillon


Apprenez-le ; au moins ne dites pas cela !

La rancune


Oh !

Blaise Bouvillon


Vous venez de voir ma maîtresse Isabelle.

La rancune


Oui.

Blaise Bouvillon


Dites-moi, comment la trouvez-vous ! Hem ?

La rancune


Belle.

Blaise Bouvillon


Demain un lacs d’hymen me donnera sa foi.

La rancune

Peste !

Blaise Bouvillon


À prendre sans verd nous jouons elle

et moi :
D’avoir perdu deux fois j’ai déjà l’infortune ;
Mais avec ce pétard je veux qu’elle en perde une.

La rancune


Comment ?

Blaise Bouvillon


Sur le minuit j’y viens mettre le feu.
Isabelle, à ce bruit, oubliant notre jeu,
Sortira sans son verd, j’en suis sûr ; sa surprise
Fera que pour ce coup elle se verra prise.
Le tour n’est-il pas drôle et bien trouvé ?

La rancune


Fort bien.

Blaise Bouvillon


Adieu, je sors sans faire aucun semblant de rien :
Chut.

La rancune


Oh !


Scène II

.


La Rancune


Qu’un campagnard est fat ! Son isabelle
Plaît au jeune Destin, je le crois aimé d’elle.
J’admire en vérité les femmes d’aujourd’hui ;
J’en vois peu qui ne soient quasi folles de lui.
Du temps que je jouais les premiers personnages,
Il n’aurait pas été propre à jouer les pages ;
Parce qu’il est bien fait, jeune, et brillant d’appas,
De toute l’assemblée il a les brouhahas.
Je l’ai toujours haï, car il a du mérite…
On vient ; c’est isabelle et lui ; cachons-nous vite.



Scène III

.
Le Destin, Isabelle
un flambeau à la main.


Le Destin


Sortez de votre chambre, et venez en ces lieux.
De peur d’une surprise ici nous serons mieux :
Au moindre bruit rendant la lumière inutile,
Voilà votre retraite, et voici mon asile.
Apprenez le sujet qui m’amène, en deux mots.
Ce soir, après minuit, lorsque par ses pavots
Le sommeil en ces lieux répandra le silence,
Je reviendrai vous prendre, et faisant diligence,
Nous gagnerons la porte où mon valet m’attend,
Et… qu’avez-vous encor ? Ce dessein vous surprend ?

Isabelle


Je ne le cèle point, sur ce fatal voyage
Madame Bouvillon me donne de l’ombrage ;
Elle vous aime.

Le Destin


Eh bien ! Craignez-vous son amour ?

Isabelle


Une femme à son âge, et la nuit et le jour,
Curieuse, et sans cesse attachée à sa suite,
D’un amant qu’elle adore observe la conduite.

Pour trouver un temps propre à nous favoriser,
N’avez- vous point quelqu’un qui puisse l’amuser ?

Le Destin


Qui ?

Isabelle


La rancune est homme à vous rendre service.

Le Destin


Vous le connaissez mal, il a plus de malice
Qu’un vieux singe ; envieux, contredisant, menteur,
Et qui s’éborgnerait du meilleur de son coeur
Pour faire perdre un œil à son voisin ; faux-frère,
Médisant….

La rancune, de l’endroit où il est caché.

Hem ! Hem !

Isabelle, éteint la lumière et fuit, et le destin se jette dans la caisse.

Vite, éteignons la lumière !

La rancune


Le drôle n’ébauchait pas trop mal mon portrait ;
Un pinceau satirique en peignait chaque trait ;
Il était en humeur de se donner carrière,
Et m’allait achever de la belle manière,
Si je n’avais toussé sortant de mon étui :
Je ne me croyais pas si bien connu de lui ;
Mais sa furtive ardeur par moi mise en lumière,
Pourra… Que veut monsieur de La Baguenaudière ?



Scène IV

.
La Baguenaudière, La Rancune


La Baguenaudière


Ah ! Bonsoir, la Rancune.

La rancune


Ah ! Monsieur, serviteur.

La Baguenaudière


Vous êtes, sur mon âme, un admirable acteur.

La rancune


Monsieur…

La Baguenaudière


Que dites-vous de mon habit de chasse ?

La rancune


Qu’il est beau pour jouer un baron de La Crasse.

La Baguenaudière

Je vous en fais présent.

La rancune

Monsieur, en vérité,
Ce surprenant excès de générosité
Mérite…

La Baguenaudière


Par ma foi, vos femmes sont fort belles.

La rancune


Ah ! Monsieur, vous avez trop de bontés pour elles.

La Baguenaudière


Heureux qui peut sauver son cœur de leurs appas !
Ils blessent jusqu’à l’âme.

La rancune

Oui ; mais on n’en meurt pas.

La Baguenaudière


Pour moi voudrais-tu bien en apprivoiser une ?
Si tu réussissais je ferais ta fortune.

La rancune


Mettre un homme d’honneur à des emplois si bas,
C’est choquer sa pudeur ; mais que ne fait-on pas
Pour des gens comme vous ? Je déchire le voile
De la mienne ; quelle est cette beauté ?

La Baguenaudière


L’étoile !
Elle a mis dans mon cœur certain trouble intestin.

La rancune
, bas.


J’entends. Voici de quoi me venger du Destin.

La Baguenaudière


La farouche vertu dont le ciel l’a pourvue,
Me fait appréhender une fâcheuse issue :
Quand je lui peins le feu dont mon cœur se nourrit,
Ou l’ingrate me quitte, ou la friponne rit.
Ne saurait-on toucher ce miracle des belles ?

La rancune


Vous n’êtes pas de mine à faire des cruelles :
Pour voir selon vos vœux réussir vos desseins,
Vous ne pouviez tomber en de meilleures mains.

La Baguenaudière


Est-ce que…

La rancune


Parlons bas. Ce soir, dans cette place,
Par mes soins vous pourrez vous trouver face à face.

La Baguenaudière


Ce soir, je…

La rancune


Parlez bas, dis-je. Oui, ce soir, sans bruit,
Dans ce lieu trouvez-vous environ à minuit :
Elle y viendra sans faute.

La Baguenaudière


Ami, que je t’embrasse !

La rancune


De peur de quelque obstacle, il faut que je vous chasse :
Sortez.

La Baguenaudière


Jusqu’à tantôt.

La rancune


Je vous réponds de tout.

La Baguenaudière


Cet habit est pour toi, fais-m’en venir à bout.
Sortez.


Scène V

.


La Rancune

De me venger j’ai trouvé la manière.
À minuit, ce monsieur de La Baguenaudière,
Croyant trouver l’étoile, en ces lieux se rendra
Mais, au lieu de trouver sa belle, il surprendra
le destin séduisant sa fille. À ce spectacle…
Mais qu’entends-je ?


Scène VI

.
Le Destin, Isabelle, La Rancune


Le Destin
, {{did

ascalie| sortant de la caisse.}}

À sortir je n’entends plus d’obstacle.

Isabelle
, sortant de la chambre.


Voyons si le destin est encore en ces lieux.

La rancune


Voici nos deux amants, cachons-nous à leurs yeux.

Le Destin
, à Isabelle


Est-ce vous ?

Isabelle


Oui.

Le Destin


Mon coeur…

Ragotin chante derrière le théâtre, et vient avec de la lumière.

Isabelle
, en s’enfuyant


Quelqu’un vient, je vous laisse.

Le Destin
, se remettant dans la caisse.


Ô Ciel ! Encor !

La rancune


Le drôle est caché dans la caisse.



Scène VII

.
 
Ragotin, La Rancune


Ragotin


Bonnassère ayant su que nous couchions nous deux,
J’ai fait provision d’un Saint-Laurent fameux,
Pour agréablement achever la journée.

La rancune


Ce bachique dessein part d’une âme envinée.

Ragotin


Avocat plus couvert qu’un jambon de lauriers,
J’ai toujours dans le vin conçu mes plaidoyers ;
Du Cuisinier français juridique interprète,
On me trouve au barreau bien moins qu’à la buvette ;
Dans notre chambre allons humer ce piot-ci.

La rancune


Nous sommes pour cela tout aussi bien ici ;
Employons cette caisse à nous servir de table.

À part.
le destin va tout vif enrager comme un diable.
Au plus illustre acteur que l’on voie en ces lieux.

La rancune
, buvant.


Au plus grand avocat qui soit devant mes yeux.

Ragotin


Pour un homme meublé d’une âme non commune,
J’ai toujours regardé le savant la rancune :
À son génie !

La rancune
, {{didascalie| buvant

à son tour de même.}}

En homme au dernier point lettré,
Ragotin s’est toujours à mes regards montré :
À sa science !…

Ragotin


Ami, trêve d’apothéose.

La rancune


Ah ! Monsieur, entre nous, sans louanges, pour cause.

Ragotin


Ma pudeur à t’ouïr souffre terriblement.

La rancune


Et la mienne rougit…

Ragotin


Buvons sans compliment ;
Pour t’immortaliser dans un renom extrême,
De tes rares vertus je veux faire un poème.

La rancune


Quoi ! Le grand Ragotin l’ornement d’ici-bas,
Est poète ?

Ragotin

Et pourquoi ne le serais-je pas ?
Apollon a passé mon esprit sur la meule :
Du poète Garnier ma mère était filleule,
Et tel que tu me vois j’ai son écritoire.

La rancune


Oui,

C’est pour être poète, et poète accompli,
N’auriez-vous point pour nous fait une tragédie ?
Oui ; mais je veux de plus, outre ma poésie,
Être comédien.

La rancune


Être comédien ?

Ragotin


Oui.

La rancune


Que d’honneur pour nous

! Que d’éclat ! Que de bien !
Pour voir cet air chez nous en foule on va se rendre.

Ragotin


J’ai du majestueux, du fier, du doux, du tendre,
Du galant.

La rancune


Eh ! Morbleu ! Soyez comédien.
Près de vous désormais nous ne serons plus rien.
Ma joie à ce dessein est si peu retenue,
Que j’en vais boire à vous rasade, et tête nue.

Ragotin


Je vais jeter en sable à toi ce petit coup,
Avec rubis sur l’ongle, et la bravoure au bout.

La rancune


Quoi ! Vous savez aussi de ces galanteries ?

Ragotin


Entre nous, ce ne sont que des badineries.

La rancune


Comment ! C’est le bon goût ; c’est pour marcher de pair
Avec les grands acteurs. Grondez-vous point un air ?

Ragotin


Bon ! Est-il une voix que la mienne ne morgue ?
Je te l’aurais fait voir quand j’accompagnais l’orgue,
Si notre sérénade et nos musiciens
N’avaient été troublés par quinze ou seize chiens
Qui suivaient à l’envi, marchant de compagnie,
Une chienne coquette et de mauvaise vie,
Qui, pour le bien public, désirait travailler
À croître son espèce et la multiplier.
Comme on voit rarement, quand l’amour les assemble,

Un nombre de rivaux être d’accord ensemble,
Ceux-ci, dans leurs désirs, amants immodérés,
Après s’être grondés, houspillés, déchirés,
Renversèrent sur nous, dans leur brute manie,
Orgue, table, tréteaux, et toute l’harmonie,
Chacun, pour s’en sauver, fuyant de son côté,
Tant que notre concert en fut déconcerté.

La rancune


Quel dommage ! À propos de cette sérénade,
Personne n’est ici que nous deux, camarade ;
L’assemblage d’un orgue et d’un musicien
Comme vous, tout cela ne se fait pas pour rien :
Ne mentez point ; c’était pour quelque demoiselle
De notre compagnie.

Ragotin


Oui, tu l’as dit.

La rancune


Laquelle ?

Ragotin


Je n’en sais rien.

La rancune


Ni moi.

Ragotin


C’est sans comparaison
La plus belle.

La rancune


Et qui ?

Ragotin


C’est… c’est…

La rancune


Vous avez raison ;
C’est une belle fille.

Ragotin

Est-il pas vrai ?

La rancune

L’étoile.

Ragotin


L’étoile, oui, oui, l’étoile ; à ses regards la moelle
Bout dans mes os, ainsi qu’un feu bien apprêté
Fait bouillir un bouillon… tout comme… À sa santé
Au moins il est cassé : rends-lui ce témoignage
Que ce verre cassé pour elle est mon ouvrage.

La rancune


Touchez là : je vous veux servir dans votre amour,
Et vous verrez… Buvons ; demain il sera jour.

Ragotin


Ainsi soit-il ! Ami, que sens-je ici ? La caisse
De moment en moment sous mon corps hausse et baisse ;
Que veut dire cela ? Je lui résiste en vain ;
Haye, prends garde à moi ; prends garde, Ragotin,
Tu vas tomber : adieu la bouteille et le verre.

La rancune


Qui vous a donc fait choir ?

Ragotin


Un tremblement de terre,
Assurément.

La rancune


Bon ! Bon !

Ragotin


C’en est un, par ma foi,
Car je sens que tout tourne.

La rancune

Appuyez-vous sur moi.



Scène VIII

.


Le Destin
sortant de la caisse.


Si je n’avais contre eux trouvé cette machine,
Ici jusques au jour, ils eussent pris racine.
Tout est calme ; allons prendre isabelle ; il est tard.

Il frappe à la porte dIsabelle


Scène IX

.
 
Blaise Bouvillon, Le Destin, Isabelle


Blaise Bouvillon


Allons mettre le feu promptement au pétard.

Le Destin


Il est temps de partir ; venez, belle Isabelle.

Isabelle


N’aurons-nous point encor d’aventure nouvelle ?

Le Destin


Non.

Isabelle
, entendant tirer le pétard.


Qu’entends-je ?

Le Destin


D’où part ce grand bruit ?

Isabelle


Il me perd.
Où fuir ? Je ne vois rien ; ciel !

Blaise Bouvillon
, {{didasc

alie| ouvrant sa lanterne sourde.}}

Je vous prends sans vert :
En avez-vous ? Montrez, ou j’ai gagné, je jure.

Le Destin

Qu’est-ce ?

Blaise Bouvillon


À prendre sans vert nous avons fait gageure ;
Elle a perdu.

Isabelle


Mon cœur ne reviendra jamais
De la peur qu’il m’a faite ici. Que je vous hais !

Blaise Bouvillon


C’est à cause qu’elle a perdu, le tour est drôle ;
Mais que faisiez-vous là ?

Le Destin


Je repassais un rôle.

Blaise Bouvillon

Comment ? Si tard !

Le Destin

La nuit, dans le silence, au frais,
L’esprit ayant du jour dissipé les objets,
Conçoit plus librement.

Blaise Bouvillon


Achevez votre affaire
Sans obstacle, bonsoir.

Le Destin


C’est ce que je vais faire.

Blaise Bouvillon


Enfin, vous me devez…

Isabelle


Je vais en bonne foi
Songer à vous payer de ce que je vous dois.

Blaise Bouvillon


Nous le verrons : adieu.


Scène X

.
Le Destin, Isabelle


Le Destin


L’impertinent ! Au diable !

Isabelle


Que j’ai tremblé !

Le Destin


De peur d’un contretemps semblable,
Ne nous amusons point en discours superflus.


Scène XI

.
La Baguenaudière, Le Destin, Isabelle, Ragotin


La Baguenaudière


Cherchons l’étoile.

Ragotin
derrière le théâtre.


À l’aide ! À moi ! Je n’en puis plus.

Isabelle

Qu’entends-je ?

Le Destin

Qu’est-

ce encor ?

La Baguenaudière

Laquais ! De la lumière !
Qui crie ainsi ?
On apporte de la lumière.



Isabelle


Que vois-je ? Où suis-je ? C’est mon père !

Ragotin
de même.


Au secours ! Au secours !

La Baguenaudière


D’où vient donc cette voix ?
Elle s’est fait entendre à moi cinq ou six fois,
Mon père, et je sortais pour en savoir la cause.

Le Destin


Ce qui m’amène ici, moi, c’est la même chose.

Ragotin
encore.


Je me meurs ! Je suis mort !

La Baguenaudière


Quel esprit dévoyé
Peut crier… mais que vois-je !

Ragotin
en chemise.


Ah ! Ah ! Je suis noyé.

La Baguenaudière


D’où naissent vos clameurs ? Quelle est votre infortune ?
De quoi vous plaignez-vous ? De qui ?

Ragotin

De La rancune.

La Baguenaudière

Quoi ?

{{Personnage|Rago

tin|c}}

Nous étions couchés dans un bouge ici près.
Le lit, qu’apparemment on avait fait exprès,
Était, comme le bouge, étroit et sans ruelle.
M’ayant laissé le soin d’éteindre la chandelle,
La rancune au milieu s’est couché le premier ;
Je me suis doucement mis au bord le dernier.
J’entonnais, en ronflant, déjà mon premier somme,
Alors que, d’une voix douloureuse, mon homme
M’a tiré par le bras, et s’est plaint, en criant,
D’une difficulté d’uriner, me priant
De lui donner le pot de chambre. À sa prière
Je l’ai fait. Après s’être en vain une heure entière
Efforcé, plaint, crié, juré comme un perdu,
Sans avoir uriné goutte, il me l’a rendu.
Moi, qui porte un bon cœur que le mal d’autrui touche
"Je vous plains", ai-je dit alors, ouvrant la bouche
Aussi grande qu’un four, à force de bâiller ;
Puis je me suis remis plus fort à sommeiller.
Dans ce somme profond la matineuse aurore
M’aurait trouvé gisant, si le perfide encore
Ne m’avait réveillé, me tirant par le bras,
Pour me redemander, avec de grands hélas,
Une seconde fois ce maudit pot du diable.
Une seconde fois, ma pitié charitable
L’a mis entre ses mains : pestant, mordant ses doigts,
N’ayant rien fait non plus que la première fois,
Il me l’a redonné, me priant, hors d’haleine,
De ne me plus donner une semblable peine,
Qu’elle n’était pas juste, et qu’il la prendrait bien :
Et moi, qui n’aime pas de contredire à rien,
J’ai dit qu’à ses désirs il pouvait satisfaire.

Ayant remis le pot à sa place ordinaire,
J’aurais gagé, sentant le sommeil me saisir,
Qu’autant qu’une marmotte on m’allait voir dormir.
Le maudit la rancune, homme sans conscience,
N’avait pas jusqu’au bout lassé ma patience :
Pour reprendre le pot, lui-même ayant porté
Tout son corps hors du lit, de force il m’a planté
Un coude dans le creux de l’estomac, terrible,
M’éveillant en sursaut à cette masse horrible :
" Morbleu ! me suis-je alors écrié, je suis mort."
" Je vous demande excuse, a-t-il dit, et j’ai tort ;
Mais de peur d’interrompre, en ma douleur extrême,
Votre sommeil encor, j’ai pris le pot moi-même.
Malepeste, ai-je dit, m’étouffer, m’accabler,
M’enfondrer l’estomac, n’est-ce pas le troubler ? "
Mais lui, sans m ’écouter, ni craindre ma colère,
Rendait à la nature un tribut ordinaire.
Je l’en félicitais de mon mieux, quant le sot
Voulant le mettre à terre, a répandu le pot
Plein jusqu’au bord sur moi, me noyant la poitrine,
La barbe, et tout le corps, d’un océan d’urine.
Portant bien loin du lit mes pas précipités,
Je cours, je vais, je viens, tout couvert de… sentez.

La Baguenaudière


Eh bien ! Pour vous sécher, allez dans la cuisine.
Vous, ma fille, rentrez ; je vois à votre mine
Que vous voulez dormir : de votre appartement
Je vais prendre la clef.

Le Destin


Moi, je vais promptement
Coucher. Ô Ciel !

La Baguenaudière


En vain j’ai cru trouver ma belle :
Ce bruit l’a retenue ; allons au-devant d’elle.

Ragotin


Eh bien ! es-tu content, Sort ? Suis-je assez berné ?
Malheureux Ragotin, sous quel astre es-tu né !
Amour, sous ton pouvoir mon cœur est à la laisse ;
Mais cette nuit cherchons un lit dans cette caisse.


ACTE III




Scène I

.
Le Destin, L’Etoile


Le Destin


Ma sœur, pour mon dessein ne craignez nullement ;
Isabelle est d’accord de cet enlèvement.
Pour notre hymen prochain ma parole est donnée ;
Son cœur à mes serments soumet sa destinée
Et déjà loin d’ici nous nous verrions tous deux,
À l’abri des censeurs, au comble de nos voeux,
Si le Sort, dont ma flamme attendait des miracles,
N’avait depuis fait naître obstacles sur obstacles.
Sa puissance aujourd’hui ne le peut différer :
Tout est bien concerté, je le puis assurer.
Ce qui me reste à faire est d’instruire isabelle ;
Mais comme, en m’approchant si souvent auprès d’elle,
Mes desseins d’être sus pourraient courir hasard,
Rendez-vous-y pour moi, voyez-la de ma part :
Pour l’obliger à fuir dans cette conjoncture
Donnez-lui ce billet, dont voici la lecture :
L’incident qui nous sépara hier que nous étions seuls,

et tout prêts de profiter de l’occasion, m’oblige de vous prier que nous nous voyions encore aujourd’hui pour prendre d’autres mesures, et mieux assurer les commencements d’un bonheur qui doit durer toute notre vie. Trouvez un prétexte pour ne point être à la répétition de la comédie de Monsieur de La Baguenaudière : quoique je doive y représenter le principal personnage, on ne laissera pas sans moi de repasser. l’olive, mon père, a appris mon rôle, et m’excusera sur une raison très plausible. Je ne lui ai pourtant pas dit notre aventure ni notre but. Fiez-vous à ma discrétion, et ayez la bonté de m’attendre dans votre chambre.

Le Destin


Parlez-lui, remettez ce billet en sa main,
Et…


Scène II

.
Le Destin, L’Etoile, La rancune


La rancune


N’avez-vons point vu le petit ragotin ?
En vain à le chercher mon âme est empressée.
En même lit couchés tous deux la nuit passée,
Étant incommodé, sans doute il s’est levé ;
Du moins à mon réveil je ne l’ai plus trouvé :
Seulement ses habits ont frappé ma visière.
Je le cherche, je cours depuis une heure entière ;
Et, pour moi, dont l’âme est ronde comme un cerceau,
Le petit homme étant avocat et Manceau,
Je conclus, et la chose est assez vraisemblable,
Puisqu’il n’est point céans, il faut qu’il soit au diable.
Ne l’avez-vous point vu ?


L’Etoile


Moi, non.

La rancune


Pour m’égayer
Je viens de lui dresser un plat de mon métier :
J’ai tout présentement, pour lui donner la fièvre,
Rétréci ses habits. Le tour est assez mièvre.

Le Destin


Il est digne de vous : adieu. Pour nos amours,

Ma sœur, allez trouver
Isabelle


L’Etoile


J’y cours.
Elle laisse tomber sa lettre en s’en allant.


Scène III

.


La rancune
ramassant la lettre.


Quel billet sans dessus se présente à ma vue ?
La main qui l’a tracé ne m’est pas inconnue.
C’est de l’ami Destin que cette lettre vient ;
Il l’a laissé tomber : qu’est-ce qu’elle contient ?

Il lit bas.

Ces mots expliquent trop qu’elle est pour isabelle ;
Vengeons-nous du Destin, l’occasion est belle ;
Et, pour jeter entre eux de la division,
Voici tout à propos Madame Bouvillon.


Scène IV

.
Madame Bouvillon, La rancune


Madame Bouvillon
.


Va-t-on jouer monsieur de La Baguenaudière ?
Verrons-nous repasser la pièce tout entière ?

La rancune


Madame, pour cela chacun fait ses apprêts,
Et tout ira des mieux, au premier rôle près.

Madame Bouvillon
.


Est-ce que le destin a quelque maladie ?

La rancune


Non : c’est qu’un grand acteur bien fait, d’un beau génie,
Que de mille talents l’astre a voulu douer,
A souvent en secret plus d’un rôle à jouer.

Madame Bouvillon
.


le destin voudrait-il priver de sa présence
Une pièce admirable, une noble assistance ?

La rancune


Quand on se met en tête un commerce amoureux…
Mais pourquoi s’en fier au rapport de mes yeux ?
Quoiqu’ils me fassent voir, ils se trompent peut-être :

Le Destin
..


Madame Bouvillon
.


Du Destin, quoi ? Qu’ont-ils vu paraître ?

La rancune


Ce billet que sa main, me semble, a su tracer,
Et qu’ici sous mes pas je viens de ramasser.

Madame Bouvillon
.


Montrez-moi.

La rancune


Quoi qu’il soit plié sans salissure,
Quoiqu’il semble frais fait, à voir son écriture,
Quoiqu’il paraisse neuf au blanc de ce feuillet,
Il se peut que ce soit, Madame, un vieux billet.

Madame Bouvillon
.


Voyons. Ciel ! Que vois-je ? Oui, c’est à moi qu’il s’adresse :
Mais n’en témoignons rien, cachons notre allégresse.
À qui donc le destin peut- il écrire ainsi ?


La rancune


Ce n’est pas, que je pense, à personne d’ici :
Car, d’aller soupçonner la charmante isabelle,
Il a trop de respect pour son père et pour elle.

Madame Bouvillon
.


Plus je lis son billet, plus je pense trouver
À qui… Tout aujourd’hui je le veux observer,
Et c’est pour cause. Adieu. Trouvons, puisqu’il m’en prie,
Un moyen pour ne point être à la comédie,
Et puis allons l’attendre en mon appartement.


Scène V

.
La rancune


Comme il faut elle a pris la chose assurément,
Et j’ai vu ses soupçons tomber sur Isabelle.
Mais la voici qui vient, et l’étoile avec elle ;
De peur, pour ce billet, je les vois se troubler :
Pour m’égayer un peu je vais la redoubler.



Scène VI

.
 
Isabelle, L’Etoile, La rancune


Isabelle


Il faut le retrouver, ou bien je suis perdue.

L’Etoile


Il faut qu’il soit ici.

Isabelle


Rien ne s’offre à ma vue.

La rancune


Peut-on vous demander ce que vous cherchez ?

Isabelle

Rien.

La rancune

Pourtant, en vous voyant, si je m’y connais bien,
Quelque chose vous trouble.


L’Etoile


Eh ! Ce n’est pas grand’chose.

La rancune


Sans être un grand devin, j’en crois savoir la cause.

Isabelle


Plaît-il ?

La rancune


Certain billet…

L’Etoile


Hem ! L’auriez-vons trouvé ?

La rancune


L’auriez-vous perdu ? Mais…


Scène VII

.
 
Isabelle, L’Etoile, La rancune, Ragotin


Ragotin
{{didas

calie| dans la caisse.}}

M’aurait-on encavé ?
Je ne vois goutte. Holà, quelqu’un ! De la lumière !

La rancune


C’est Ragotin.

Ragotin


Que sens-je ici ? C’est une bière.
Hélas ! Sans le savoir, serais-je trépassé ?

La rancune


Il se croit enterré lorsqu’il n’est qu’encaissé.

L’Etoile
, à Isabelle


Sans doute il l’a trouvé.

Isabelle


Voudra-t-il nous le rendre ?

L’Etoile


Je ne sais ; pour l’avoir il faut tout entreprendre.

Ragotin
dans la caisse.


Je suis mal enterré ; messieurs, sortez d’erreur.
C’est par un quiproquo. Fossoyeur ! Fossoyeur !
Retirez-moi d’ici, rendez-moi la lumière !

La rancune


Quelqu’un, venez m’aider.

Ragotin


Déclouez cette bière.

L’Etoile


Non, restons en ces lieux ; il faut faire un effort
Pour le ravoir.

La rancune


Levons la caisse.

Ragotin


Suis-je mort ?
Mais je vois des objets dont mon âme est ravie.
Aurions-nous de concert fait faux bond à la vie ?
Hem ! Pour voir, patinons.

L’Etoile
, lui donnant un coup de buse sur les doigts.


Halte !

Ragotin
va à isabelle qui lui donne un soufflet.


Elle frappe fort.

Isabelle

Insolent !

Ragotin


Je sens bien que je ne suis pas mort !

La rancune


Non, puisque vous parlez ; mais cette couleur fade,
Ce visage plombé, nous marque un air malade :
L’êtes-vous ?

Ragotin


Attendez ; suis-je bien éveillé ?
Je ne sais.

La rancune


La sueur dont vous êtes mouillé
Vient de réplétion, suivant la médecine.
Fi ! Cela sent mauvais.

Ragotin


Oui, cela sent l’urine.
Ah ! Maudit mineur ! Il m’en souvient : c’est toi
Dont la main, cette nuit, à répandu sur moi
L’infernale liqueur d’un profond pot de chambre,
Qui n’était point rempli de civette ni d’ambre.

{{Personnage|La

rancune|c}}

Il faut que, cette nuit, rempli de vin sans eau,
Quelque chose vous ait barbouillé le cerveau.
Croyez-moi, rappelez votre réminiscence :
Et, prenant vos habits, couvrez votre indécence :
Vous vous souviendrez mieux étant rassis.

Ragotin
trouvant son pourpoint trop étroit.


Point, point.
Mais que vois-je ? Aurait-on rétréci mon pourpoint ?
Ou mon corps serait-il plus gros qu’à l’ordinaire ?
La rancune, est-il point remployé par derrière ?

La rancune


Non.

Ragotin


Il est d’un bon pied par-devant trop étroit :
D’où vient ?

La rancune


J’ai peur d’avoir touché la chose au doigt,
Et que vous ne soyez malade.

Ragotin


Moi, malade !
Hélas !

La rancune


Cette grosseur encor le persuade.
Mettez le haut-de-chausse, on verra.

Ragotin


C’est bien pis.

La rancune


Ne vous trompez-vous point ? Sont-ce là vos habits ?

Ragotin


Ce sont eux. Quelle enflure ! Ah ! J’ai l’âme saisie,
La rancune ; et d’où vient cela ?

{{Personnage|La rancun

e|c}}

D’hydropisie.

Ragotin


En meurt-on ?

La rancune


Rarement on en réchappe.

Ragotin


Hélas !
La rancune ; au besoin, ne m’abandonne pas.

La rancune


Non, non ; jusqu’au tombeau je vous escorte.

Ragotin


À l’aide !

La rancune


Allons, courons, cherchons promptement du remède.

Ragotin
sortant.


Qu’on me soutienne !

L’Etoile
arrêtant la Rancune


Avant que de vous en aller,
De grâce…

La rancune


Du billet vous me voulez parler :
Vous le croyez perdu, votre âme est à la gêne ;
Il ne l’est point, cessez de vous en mettre en peine ;
Sous ses pas, en ce lieu, marchant sans y penser,

Madame Bouvillon vient de le ramasser :
Il est entre ses mains, vous l’y pouvez reprendre.
Je vous en donne avis.


Scène VIII

.
Isabelle, L’Etoile


Isabelle


Ciel ! Que viens-je d’apprendre ?
Madame Bouvillon par là va tout savoir.

L’Etoile


Pour savoir sa pensée, allons, il faut la voir :
Je m’en vais de ce pas la chercher, et j’espère
Tirer adroitement d’elle…

Isabelle


Voici mon père.


Scène IX

.
La Baguenaudière, Isabelle, L’Etoile


La Baguenaudière


Comment ! En quel état vous rencontrai-je ici ?
Vous n’êtes pas encore habillée ? Est-ce ainsi
Qu’à repasser ma pièce entre vous on s’apprête ?

L’Etoile


On n’a qu’à commencer ; pour moi, rien ne m’arrête :
La répétition n’a pas besoin d’habits.

La Baguenaudière


Pardonnez-moi, j’en veux : quatre de mes amis,
Par mon ordre en ces lieux sont venus pour l’entendre ;
À ce qu’ils en diront, je suis prêt de me rendre ;

Mais je veux qu’elle soit dans tous ses agréments.
Allez donc vous orner de vos ajustements ;
Ne perdez point de temps ; volez, mademoiselle :
Déjà de mes amis je vois briller le zèle.


Scène X

.
La Baguenaudière, Monsieur de Prézazé, Monsieur des Lantilles, Monsieur de Boiscoupé, Monsieur de la Mousseverte


De Prérazé


À vos ordres, monsieur, soumis et disposé…

La Baguenaudière


Je vous suis obligé, monsieur De Prérazé.

Des Lentilles


Je viens bénir le sort qui joint vos deux familles.

La Baguenaudière


Très humble serviteur à monsieur des lentilles.

De Boiscoupé


Pour me rendre à vos lois mon zèle a galopé.

La Baguenaudière


Ah ! Je suis tout à vous, monsieur de boiscoupé…

De Mousseverte


Lorsque vous commandez, tout le monde est alerte.

La Baguenaudière


Que ne vous dois-je point, monsieur de Mousseverte !
Messieurs, voyez ma pièce : on va la repasser ;
On n’attendait que vous ici pour commencer.
Plaçons-nous tous, Messieurs. De grâce, qu’on commence !



Scène XI

.
Les acteurs précédents, L’Olive


L’olive


Quel contretemps !

La Baguenaudière


Comment ? Qui vous tient en balance ?
Repasse-t-on ma pièce, ou bien ne le peut-on ?
Qu’est-ce ?

L’olive


On ne le peut pas, et l’on le peut, selon.
Mon fils, à qui l’on vient de plier la toilette,
Pique après le voleur une vieille mazette,
Et ne peut être ici de retour d’aujourd’hui.
Si, pour jouer la pièce, on veut que ce soit lui
Qui de défunt Antoine imite la parole,
On ne le peut pas ; mais, comme l’on sait son rôle,
Qu’on peut, ainsi que lui le jouer, si l’on veut
Que l’on le représente à sa place, on le peut.

La Baguenaudière


Quel malheur ! Qu’est-ce encor ?


Scène XII

.
Les acteurs précédents, le décorateur


Le décorateur


Sauvez-moi du caprice.

La Baguenaudière


Comment ! Vous n’avez pas votre habit de nourrice !
Qui vous détourne ainsi ?

Le décorateur


C’est Monsieur
Ragotin

Ce petit avocat, aussi fou que mutin,
Croyant être attaqué de quelque hydropisie,
S’allait faire saigner, bouffi de frénésie,
Et des bras et des pieds. Moi, bonnement, j’ai dit
Que pour rire on avait rétréci son habit ;
Car monsieur la rancune avait fait cet ouvrage.
Le petit glorieux, sensible à cet outrage,
M’ayant pris à parti, et m’en croyant l’auteur,
S’est acharné sur moi dans sa brusque fureur.
Mais le voici.


Scène XIII

.
Les acteurs précédents, Ragotin


Ragotin
un chenet à la main.


Je veux qu’il meure à coup de barre.
Où donc se cache-t-il ? Le voilà ! Gare, gare !

La Baguenaudière


Prenez garde.

De Mousseverte


Arrêtez.

De Boiscoupé


Sauvons-nous de ce fol.

De Prérazé


Morbleu ! N’allez pas prendre ici Pierre pour Paul.

Ragotin
toujours le chenet levé.

Qu’on le livre, ou ma main va, sans que rien l’arrête,
Avecque ce chenet, fendre plus d’une tête.

Des Lentilles


Attendez.

Ragotin

C’en est fait.

Tous ensemble
, baissant la tête.

Ah !


Scène XIV

.
Les acteurs précédents, la Rancune


La rancune
, le saisissant par derrière.

Vous n’en ferez rien.

Ragotin
se débattant.


Chien !


La Baguenaudière


Ne le lâchez pas !

De Prérazé


Monsieur, tenez-le bien.
Ah ! J’enrage.

La rancune


Il me mord, le méchant petit homme !

La Baguenaudière


Il m’égratigne.

Le décorateur


Allons, il faut que je l’assomme.

De Boiscoupé


Laissez.

{{Personnage|La Baguenau

dière|c}}

Ce coup de poing, asséné bien et beau,
A jusqu’à son menton enfoncé son chapeau.

Ragotin
le visage dans son chapeau.


Oh ! oh !

Des Lentilles
, le lui voulant ôter de force.


Quels hurlements ! Empêchons qu’il ne crève.

Ragotin


Oh ! oh !

De Mousseverte


C’est pis.

Le décorateur


Voici de quoi lui donner trêve :
Avecque ces ciseaux il faut couper.

Ragotin


Donnez.

La Baguenaudière


Par devant ? Vous allez lui taillader le nez.

Ragotin

Oh !

La rancune

Coupons par ici.

De Prérazé

Dépêchez, il étouffe.

La rancune


Soyez sage au moins.

Ragotin


Oui.

La rancune
, coupant le chapeau par derrière.


Voyez la lumière.

Ragotin


Ouffe.

La rancune


Rappelez vos esprits, reprenez tous vos sens :
Courage !


Scène XV

.
Les acteurs précédents, Blaise Boutillon


Blaise Bouvillon


Or, écoutez, messieurs, petits et grands :
L’étoile, en ce moment, cette charmante fille,
S’est de son propre pied disloqué la cheville.

La Baguenaudière


Quoi ! l’étoile est blessée ? Ô malheur inouï !

Ragotin


L’ai-je bien entendu ? l’étoile est blessée ?

Blaise Bouvillon


Oui.

Ragotin


Messieurs, soutenez-moi. Par un récit funeste,
Funeste messager, instruisez-moi du reste :
Après je veux mourir.

Blaise Bouvillon

Pour venir babiller
Son rôle dans la pièce, elle allât s’habiller ;
Mais un vilain caillou s’est trouvé devant elle,
Qui parterre a fait choir la pauvre demois

elle.
Ma mère dans sa chambre est à la secourir.
Voilà le récit fait, et vous pouvez mourir.

Ragotin


Vous êtes donc blessée, objet que j’idolâtre !

La Baguenaudière


Et que va devenir ma pièce de théâtre ?
S’est-il vu sous le ciel auteur plus malheureux ?
Où trouver une actrice ? Ô sort trop rigoureux !

Ragotin


Je serais votre fait, Monsieur, si j’étais femme :
Le rôle de l’étoile est gravé dans mon âme,
Pour l’avoir fait au Mans repasser plusieurs fois.

La Baguenaudière


Vous savez Cléopâtre ?

Ragotin


Oui : j’ai sa même voix,
J’ai tout son même ton, comme elle je déclame ;
J’ai même geste enfin ; mais je ne suis pas femme.

L’olive


Bon : la nécessité prend le dessus des lois ;
La comédie était sans femmes autrefois ;
Même encore un garçon fait la fille au collège :
Nous pouvons au besoin user du privilège.
Il reste encore un page.

La Baguenaudière

Ô sort ingrat pour moi !

L’olive


Monsieur de Bouvillon peut prendre cet emploi :
Il est bien facié, sa voix est agréable,
Et pour un page il est d’une taille admirable.

Blaise Bouvillon


Ferais-je bien cela tout de bon ?


L’olive


Oui, vraiment.

Blaise Bouvillon

Est-ce un grand rôle ?

L’olive

Il est de deux vers seulement.

Blaise Bouvillon


Sont-ils en prose ?

L’olive


Non ; je vais vous les apprendre
En un moment.

Blaise Bouvillon


Irai-je, ô beau-père ?

La Baguenaudière


Ah ! Mon gendre,
Tout ceci me fatigue.

Blaise Bouvillon


Allons donc, menez-m’y.


La Baguenaudière


Que ne vous dois-je point, ô Blaise, mon ami !
Pour nous déterminer, suivons-les tous, de grâce :
Et si l’on peut jouer, nons viendrons prendre place.

ACTE IV




Scène I

.
La Baguenaudière, De Boiscoupé, De Prérazé, De Mousseverte, Des Lentilles


La Baguenaudière


Vous qu’on nomme à bon droit les doctes du pays,
Qui, frappés en naissant au coin des beaux esprits,
Savez parfaitement faire un heureux triage
Du beau, du laid, du bon, du mauvais d’un ouvrage,
À l’aspect de celui que l’on va déclamer,
Contre tous ses défauts n’allez pas vous armer ;
Tempérez la censure, ayez de l’indulgence
Pour la fragilité d’un auteur qui commence,
D’un novice rampant dans le sacré vallon,
Qui, quoique vieux, est jeune au métier d’Apollon.

Des Lentilles


Autant qu’Argus eut d’yeux je voudrais des oreilles,
Pour de ce grand ouvrage entendre les merveilles.

De Boiscoupé


Je voudrais le louer avec autant de voix
Que le grand Briarée eut de bras autrefois.

De Prérazé


De savourer vos vers mon esprit est avide.

De Mousseverte


Je les crois d’un savoir où le bon sens préside.

La Baguenaudière


Ah ! Messieurs, vous parlez en amis de l’auteur.
Revêtus d’un esprit facile admirateur,
Vous chantez son triomphe, enflez sa renommée,
Avant qu’on ait encor la chandelle allumée.

Des Lentilles


Au fleurer, à l’odeur, on connaît le poisson.

De Boiscoupé


Le bon terroir produit l’excellente moisson.

De Prérazé


La beauté du ruisseau se juge par sa source.

De Mousseverte


La bonté du cheval se connaît à la course.

La Baguenaudière


Trêve d’encens, messieurs, cessez de me louer :
Un auteur n’est que trop facile à s’engouer.
La pièce que j’expose à vos doctes génies,
Est un beau composé de ces rares saillies,
De ce bon goût nouveau, digne ouvrage du temps,
Où l’esprit prend partout le dessus du bon sens.
Fi ! Fi ! De ces auteurs enchaînés par les règles,
Qui, venant sur nos mœurs fondre comme des aigles,
Pensent, en beaux discours nous peignant la vertu,
Nous donner de l’horreur pour le vice abattu !
Il est vrai que jadis, respectant leurs ouvrages,

Le cœur était touché de leurs doctes images,
Les vives passions s’y faisaient admirer ;
On était assez sot pour y venir pleurer.
Mais les temps ont changé. La triste tragédie,
Pour plaire maintenant, en farce travestie,
Des jolis quolibets et des propos bouffons,
Préfère l’agrément à ses graves leçons :
Elle va ramasser dans les ruisseaux des halles
Les bons mots des courtauds, les pointes triviales,
Dont au bout du Pont-Neuf, au son du tambourin,
Monté sur deux tréteaux, l’illustre Tabarin
Amusait autrefois et la nymphe et le gonze
De la cour de Miracle et du cheval de bronze.
Voilà le véritable aimant des beaux esprits ;
Voilà, messieurs, aussi le chemin que j’ai pris.
Antoine et Cléopâtre à vos yeux vont paraître,
Non pas tels qu’ils étaient, mais comme ils devraient être,
Mais tels qu’il faut qu’ils soient pour captiver les cœurs,
Par la main des fripiers vêtus en bateleurs ;
Vous savez bien, Messieurs… Mais j’entends qu’on s’avance,
Messieurs, un petit air avant que l’on commence.
Les violons jouent ; et, les violons jouant, les messieurs prennent place.


Scène II

.
Cléopatre, Charmion


Cléopâtre
, représentée par Ragotin


Non, non, je veux mourir ; ne m’en empêche pas.
Ah ! ah !

Charmion
, représentée par le décorateur


Le vilain ton ! Prenez-le un peu plus bas.
Ce n’est point là pleurer, c’est miauler, princesse.

Cléopâtre


Je veux miauler, moi.

Charmion


D’où vient cette tristesse ?
Quelle raison vous fait négliger vos appas ?
En quel état ici paraissez-vous ? Hélas !
Une reine d’Égypte en habit d’Espagnole !
On va vous prendre ainsi pour Jeanneton la folle.
Allez couvrir ce corps d’un autre accoutrement ;
Dans votre garde-robe entrons vite un moment ;
Venez vermillonner ce visage de plâtre.

Cléopâtre


Nourrice, au nom des dieux, laisse là Cléopâtre ;
Elle ne pense plus qu’à mourir.

Charmion

À mourir ?

Cléopâtre


De noirs pressentiments viennent m’en avertir.
J’ai songé cette nuit un songe épouvantable :
En tombant, mon miroir s’est cassé sur ma table ;
Mon lacet s’est rompu, mon collier défilé ;
Antoine, étant venu chez moi, s’en est allé ;
Je me suis mise au bain, l’eau paraissait bourbeuse ;
Le ciel brillait d’éclairs, la mer était grondeuse ;
De funestes oiseaux frappaient l’air de leurs cris ;
J’ai vu des loups-garous, des hiboux, des esprits ;
Octave s’est rendu maître d’Alexandrie ;
Moi, pour me dérober à sa juste furie,
J’ai couru me cacher dans ces fameux tombeaux,
Où de feu mes aïeux sont les tristes lambeaux…

Tu me suivais partout, lorsque, las de combattre,
Antoine m’a crié : "Je me meurs, Cléopâtre !
Et vite à moi, je suis vilainement blessé ;
D’un grand coup de canon j’ai l’intestin percé ;
À séparer nos cœurs le sort têtu s’acharne."
J’ai mis, à ces grands cris, la tête à la lucarne :
Charmion, qu’ai-je vu ? J’ai vu ce conquérant,
Ce héros, invalide, affreux, pâle, et mourant,
Ranimer à mes yeux ses forces languissantes,
Sangloter, et vers moi tendre ses mains sanglantes.
Que te dirai-je enfin ? Tes soins officieux
Ont réduit en cordons nos voiles précieux ;
On l’en a garrotté : les chemises trempées,
À le tirer à nous nous étions occupées ;
Courbant sous ce fardeau, les ampoules aux mains,
Chacun, en maugréant, accusait les destins
De voir en l’air pendu ce grand foudre de guerre,
Quand la corde se rompt : crac, pouf, il tombe à terre :
Voilà mon songe.

Charmion


Ah, ciel ! j’en frissonne pour vous ;
Mais rengainez vos pleurs, Antoine vient à nous.


Scène III

.
Antoine, Cléopâtre, Charmion


Cléopâtre


Que présage à mes yeux ce teint brun, cet œil louche ?
Qui vous fait larmoyer ? Antoine, ouvrez la bouche,
Qu’avez-vous ?

Antoine
{{didascalie|,

représenté par l’olive}}

De tintoins mon esprit est rongé !
Par Octave de près je me trouve assiégé.
Ce petit sot me taille ici de la besogne,
Et m’en voilà camus comme un chien de Boulogne.
Mais Éros vient à nous.

Cléopâtre

Ciel ! Qu’il paraît troublé !


Scène IV

.
Antoine, Cléopâtre, Eros, Charmion


Eros


À ce coup vous voilà comme un baudet sanglé,
Sire. Nous nous étions rangés sur les murailles
Pour ouïr un zéro, qui nous a dit : « Canailles,
Écoutez-moi : Je viens de la part de César,
Qui vous époustera comme il faut, tôt ou tard,
Si vous ne lui livrez cette reine fichue,
Pour qui le grand Antoine a si fort la berlue,
Et qui l’a débauché. Sauvez-vous à ce prix. »

Cléopâtre


Il a dit cela ?

Eros


Bon ! il a dit cent fois pis.
De tous les vilains noms qu’attire sur sa tête,
Au milieu de la halle, une bourgeoise en crête,
Les nommant, sans tourner tout droit autour du pot,
Il n’en a pas perdu le moindre petit mot.
Dame, à ce compliment, prenant, grattant sa tête,

Chacun a mis de l’eau dans son vin. « La requête
Est juste, a-t-on crié. Qu’Antoine, au berniquet
Envoyant Cléopâtre, abaisse son caquet :
Rompre avec une femme est une bagatelle. »

Antoine


Moi, quitter ces beaux yeux ! Que ferais-je sans elle ?
M’arracher de son lit ! Moi, moi, la planter là !
On me verra plutôt, j’en jure, avant cela,
Cul-de-jatte, estropiat, impotent ; c’est tout dire.
Je vous défendrai mieux que je n’ai fait l’empire.

Eros


"Assotté comme il est de ses folles amours,
Antoine est assez fat pour la garder toujours",
A-t-on dit. À ces mots, tous vos romains gendarmes
Dégringolant les murs, et boutant bas les armes,
Ont au camp de César couru comme des chiens :
Il ne vous reste plus que vos Egyptiens,
Encore ont-ils bien peur.

Antoine

Mon nom leur doit suffire ;
Ils ne sont point vaincus, puisque Antoine respire ;
Tant que dans l’univers il pourra respirer,
Il vivra : de cela courez les assurer ;
Et, pour chasser la peur dont leur âme est saisie,
Qu’on leur donne à chacun pour un sou d’eau-de-vie.
Allez !



Scène V

.
Antoine, Charmion, Cléopâtre


Antoine


Il n’est plus temps de rien dissimuler :
Pour la dernière fois nous allons nous parler,
Mamour ; il faut crever, et ma perte est certaine.

Cléopâtre


Quoi ! Toinon…

Antoine


Par vos pleurs n’augmentez point ma peine ;
Je n’en veux pourtant pas fermer les réservoirs ;
C’est ici que sied bien l’usage des mouchoirs.
Pleurons, pleurons. Ah, sort ! Quelle est pour moi ta haine !
Adieu, ma chère enfant ; adieu, ma pauvre reine ;
Nous ne nous verrons plus. Avant que de partir,
J’ai cru de votre sort vous devoir avertir.
Le Romain est brutal ; il viole.

Cléopâtre


Qu’importe ?

Antoine


Vous m’attendrissez trop ; il est temps que je sorte.
Adieu.

Cléopâtre


Quoi ! Mon bouchon…

Antoine


Ne suivez point mes pas.
Je vais là-bas, avant que de voir mes soldats,
Boire un coup de vin pur pour rassurer mon âme,
Et noyer dans ce jus le trouble… Adieu, madame.



Scène VI

.
Cléopâtre, Charmion


Cléopâtre


Hélas ! Ah, ciel ! Sort ! Dieux !

Charmion


Que de termes divers !
En voilà pour orner du moins quarante vers
Des poètes du temps ; madame, êtes- vous folle ?

Cléopâtre


Le ciseau des douleurs me coupe la parole.

Charmion


Le sort, dont votre cœur est si favorisé,
Ne va donner taloche à cet amant usé,
Que pour vous en donner un autre jeune et brave,
Octave, en un mot…

Cléopâtre


Moi, je charmerais Octave !

Charmion


Pourquoi non ? Tout vous flatte, et c’est votre destin
D’avoir toujours en poche un Empereur Romain.

Cléopâtre


L’amour fait dans mon cœur d’étranges cabrioles.
Mais ne me fais-tu point de promesses frivoles ?

Charmion


Non. Pour plaire à César allez vous ajuster,
Poudrez-vous les cheveux, faites-les frisotter.
Votre page paraît ; je prends soin de l’ouvrage.
Soyez triste, et sortez tôt.



Scène VII

.
Cléopâtre, Charmion, Le Page


Cléopâtre


Soutenez-moi, page.

Le Page
, ou Bouvillon.


Madame, entrez chez vous, je crains que vous tombiez,
Vous ne me semblez pas trop ferme sur vos jambes.

La Baguenaudière
, se levant.


Pieds, ignorant.

Blaise Bouvillon


Eh bien ! Pieds ou jambes, qu’importe ?
L’un vaut l’autre.

La Baguenaudière


A-t-on vu rimer de cette sorte,
Bourreau ?

Blaise Bouvillon


Je m’en bats l’œil. Suis-je un comédien ?
Qu’un autre fasse mieux !

La Baguenaudière


Poursuivez ; ce n’est rien.

Charmion
, riant.


Je n’en puis plus.

Blaise Bouvillon


On rit de moi-même à ma face.
Messieurs les baladins, avant que le jour passe,
J’étrillerai quelqu’un, et sur un autre ton.

{{Personnage|La Baguen

audière|c}}

Coquin, veux-tu rentrer ? Si je prends un bâton…
Poursuivez.


Scène VIII

.
Charmion, Eros


Charmion


Éros vient, qui cherche Cléopâtre.
Que fait Antoine ?

Eros


Antoine est battu comme plâtre.

Charmion

Et Cléopâtre est morte, adieu.

Eros

Bonsoir, quel cas…


Scène IX

.
Antoine, Eros



Antoine


Vous m’ôtez mon épée ; ah ! Coquins ! Qcélérats !
Éros, que fait la reine ? Où faut-il que ma gloire…

Eros


La reine Cléopâtre a passé l’onde noire.

Antoine


Elle est morte ?

{{Personn

age|Eros|c}}

À peu près.

Antoine


Est-il vrai, ce malheur ?
Ciel !

Eros

Elle-même a dit qu’elle l’était, Seigneur.
Je la vis l’autre jour aiguiser une dague :
Elle a pu dans son sein, en faisant zague, zague…

Antoine


Mourons donc, cher
Eros
Près d’Antoine assidu,

Il te souvient du jour où l’on t’aurait pendu
Pour avoir déserté. Je te donnai la vie,
Pour me faire mourir quand j’en aurais l’envie.
Frappe donc. Tu pâlis ! Quelle peur te retient ?
Ne te souvient-il plus…

Eros


Oui-dà, il m’en souvient.
Non qu’à votre beau corps je veuille faire brèche ;
Mais, tenez, faites-vous un licol de ma mèche,
Dans un endroit bien haut je vous attacherai,
Puis après par les pieds je vous brandouillerai,
Et vous deviendrez mort.



Antoine


Non ; il faut ton épée.
Frappe, Éros, ne rends pas mon attente trompée.

Eros


Vous donner le trépas, c’est vous faire mourir ;
Je vous dois seulement l’exemple de courir :
Imitez-moi.

Antoine


Demeure, achève ton ouvrage.

Eros


Eh bien ! Détournez donc cet auguste v

isage :
Me voilà prêt, Seigneur, selon votre désir,
À vous assassiner pour vous faire plaisir :
N’ayez point peur, je vais vous percer la bedaine.

Antoine


Arrête, il ne faut pas ensanglanter la scène ;
La règle le défend. Il m’en souvient, hola !

Eros


Qu’importe si la règle…


Scène X

.
Antoine, Eros, Ragotin en costume de Cléopâtre, La Baguenaudière, etc.


Ragotin


Ha, ha, ha, ha, ha, ha !
La pauvre Cléopâtre est bien défigurée ;
Vous voyez comme on l’a dans ces lieux accoutrée.

La Baguenaudière


Et qui donc ?

Cléopâtre


Un bélier altéré de mon sang,
Au scandale des lois, au mépris de mon rang,
Insensé, du respect ayant franchi les bornes,
Entre les deux yeux juste il m’a planté ses cornes.
J’en demande vengeance.



Scène XI

.
Les acteurs précédents, Ragotin,Isabelle


Isabelle


Ah, mon père ! Au jardin,
Monsieur Bouvillon vient d’attaquer le destin :
Ils sont aux mains.

La Baguenaudière


Allons empêcher ce carnage.

Ragotin


Oh, juste ciel ! J’ai fait un bel apprentissage.


ACTE V




Scène I

.
Raogtin, La rancune


Ragotin


Le destin s’est, dit-on, battu comme un lion,
Et, ma foi ! C’était fait de Biaise Bonvillon,
Si d’une prompte fuite il n’avait pris la voie.

La rancune


S’il eût été tué, que j’aurais eu de joie !

Ragotin


Est-ce que Bouvillon te choque ou t’a rendu…

La rancune


Non ; c’est que le destin aurait été pendu.
Depuis que d’un soufflet il m’a donné la touche,
Pour quelque démenti prononcé par ma bouche,
Quoiqu’à nous embrasser on ait vu ma ferveur,
Ce soufflet m’est toujours demeuré sur le cœur ;
Et sans cesse en secret sensible à cette offense…

Ragotin


Ah ! pour un temps, ami, suspens cette vengeance,

Jusqu’à ce que tes soins, propices à mon cœur,
À m’être favorable accoutument sa soeur.
Je l’aime, et si tu n’as pitié de ma souffrance,
Dans deux jours il n’est plus de ragotin en France.

La rancune


Pour vous servir je veux oublier mon courroux,
Et pour vous témoigner combien je suis à vous,
Je vais vous en donner la marque la plus tendre
Que d’un cœur généreux un ami puisse attendre.

Ragotin


De trop d’honnêteté c’est me favoriser.

La rancune


Je n’en userais pas comme j’en vais user,
Si je ne vous aimais autant que je vous aime,
Et ne vous regardais comme un autre moi-même.

Ragotin


Je te suis obligé.

La rancune


Ce que vous allez voir
Vous montrera sur moi quel est votre pouvoir.

Ragotin


Parle, achève, mon cher, de me combler de joie.

La rancune


N’auriez-vous point sur vous dix écus de monnaie ?
Prêtez-les-moi. Parbleu ! Je suis garçon de cœur ;
Je ne les prendrais pas d’un autre.

Ragotin


Trop d’honneur !

La rancune


Si je n’avais pour vous une ardeur singulière,
Je ne vous ferais pas une telle prière.

Ragotin
{{didascalie|

tirant d’un bourson.}}

Je le crois. Tiens, voilà déjà demi-louis.

La rancune


Les amis, au besoin, sont toujours les amis :
Je n’emprunterais pas d’aucun autre une obole.

Ragotin
tirant d’une bourse de sa poche.


Oh ! Ce demi-louis avec cette pistole ;
Et puis ces trente sous, cela fait six écus.

La rancune


Est-elle de poids ?

Ragotin


Oui.

La rancune


Dans deux jours tout au plus,
Employant tous mes soins près de votre maîtresse,
Vous entendrez parler pour vous de mon adresse.

Ragotin
tirant de l’autre poche.


Voilà trois écus blancs, qui font neuf justement.

La rancune


Ma foi ! Vous m’avez plu tantôt infiniment
Dans le rôle…


Scène II

.
Ragotin
La rancune, un laquais


Le laquais


Monsieur de La Baguenaudière
De le venir trouver vous fait une prière.

Ragotin


J’y cours. Ah ! Que n’ai-je eu plus tôt cet ordre-ci !



Scène III

.
La rancune, à Ragotin qui s’en va


Au moins vous me devez un écu, songez-y.
Je vois venir l’étoile, et son frère avec elle :
De bien près, ce me semble, il obsède Isabelle.
Serait-il assez fou pour oser l’enlever ?
Tout aujourd’hui de près je la veux observer.


Scène IV

.
L’Etoile, Le Destin


L’Etoile


Oui, je n’ai feint tantôt que je m’étais blessée,
Qu’afin qu’en se rangeant dans ma chambre, emressée,
Madame Bouvillon m’expliquât en effet
Tout ce qu’elle pensait de vous et du billet.
Heureusement, vous dis-je, elle l’a pris pour elle ;
Elle vous cherche.

Le Destin


Allons, entrons chez
Isabelle

Tantôt, sans Bouvillon, j’eusse été loin de vous.
Ses coups, que j’imputais à son dépit jaloux
De voir entre mes mains l’objet qui sait lui plaire,
M’ont fait…

L’Etoile


Songez à vous, je vois venir sa mère.



Scène V

.
Madame Bouvillon, L’Etoile, le Destin


Madame Bouvillon
.


Pour savoir le détail de ce qui s’est passé,
Je vous cherche. Eh, mon Dieu ! N’êtes-vous point blessé ?
Contre ce fils ingrat juste est votre colère ;
Mais ne la faites point passer jusqu’à sa mère.

Le Destin


Je pouvais aisément lui donner le trépas ;
Mais mon respect pour vous a retenu mon bras.

Madame Bouvillon
.


Hélas ! Dans ce moment je m’amusais à lire
Certain billet galant que vous veniez d’écrire.
Vous rougissez ! Non, non, bien loin d’être perdu,
Au gré de vos souhaits le hasard l’a rendu ;
Il est entre des mains qui vous sont favorables.
Vous devez quelque grâce à mes soins charitables ;
Venez, pour dissiper le trouble où je vous vois,
Parler de ce billet, au jardin, avec moi.

Le Destin


J’ai de vous obéir une ardeur singulière ;
Mais je crains…

Madame Bouvillon
.

Quoi ?

Le Destin

Monsieur de LaBaguenaudière.
Vous savez quels travers il s’est mis dans l’esprit ;
J’en suis la seule cause, et vous me l’avez dit.

{{Personnage|Madame Bouvill

on|c}}.

Ne craignez rien. Monsieur de La Baguenaudière,
Sur qui mon bien me donne une puissance entière,
Dans un moment ou deux, va, par mon ordre, au Mans,
Inviter un parent de se rendre céans.
J’ai su trouver exprès ce devoir de famille ;
Il va dans un moment partir avec sa fille.

Le Destin


Avec isabelle ?

Madame Bouvillon
.


Oui. Sans crainte désormais…

Le Destin


Mais, Madame, céans vous avez des valets.

L’Etoile


Eh bien ! Pour vous parer tous deux d’une surprise,
En allant au jardin que chacun se déguise.

Madame Bouvillon
.


Elle a raison.

L’Etoile


Prenez quelques voiles épais,
Qui vous puissent cacher aux yeux de vos valets ;
Moi, j’aurai soin aussi de déguiser mon frère.

Madame Bouvillon
.


Aux yeux des surveillants peut-on mieux se soustraire ?
J’y cours.


Scène VI

.
Le Destin, L’Etoile


Le Destin


Ah ciel ! À quoi m’engagez-vous, ma sœur ?
Pour servir votre amour je flatte son erreur :
De ce déguisement j’ai trouvé le mystère,
Afin de l’obliger à nous laisser, mon frère.






Scène VII

.
Isabelle, Le Destin, L’Etoile


Isabelle


Je vous cherchais : mon père, en mon appartement,
D’aller au Mans sans lui m’a fait commandement.
D’où vient qu’à ce voyage ainsi seule il m’expose ?
Est-ce pour m’éprouver ?…

L’Etoile


Non ; en voici la cause :
Il m’est venu prier d’une collation
’Qu’il voulait me donner au petit pavillon.

Le Destin


Quel bonheur ! Ce voyage enfin nous favorise,
Il me va donner lieu d’achever l’entreprise,
Puisque vous allez seule.

Isabelle


Ah ! Ne vous trompez pas :
Une vieille parente accompagne mes pas ;
Et monsieur ragotin pareillement. Mon père
L’a prié de cela : je ne puis m’en défaire ;
Il m’attend au carrosse, et va venir ici
Si je tarde un moment encore, et… le voici.

Le Destin

À l’arrêter ici mettez tout en usage,
Ma sœur ; n’épargnez rien…

L’Etoile


À cela je m’engage :
Sortez, allez attendre isabelle ici près,
Courez ; et vous, songez à le suivre de près.

Isabelle


Juste ciel ! La frayeur s’empare de mon âme..


Scène VIII

.
Isabelle, L’Etoile, Ragotin


Ragotin


Le carrosse attelé de trois chevaux, Madame,
Et la tante, après vous attendent pour partir.
Elle m’envoie exprès pour vous en avertir.
Elle fait signe à isabelle de s’en aller, et arrête Ragotin.

L’Etoile


Vous allez donc au Mans ?

Ragotin


Oui, beauté printanière.
De la part de monsieur de La Baguenaudière,
Je…

L’Etoile


Monsieur rag

otin part, et ne me vient pas
Demander, lui qu’on voit charmé de mes appas,
Si je n’ai point besoin au Mans de quelque emplette.
Quel galant !

Ragotin


En cela si ma bouche est muette,
C’est que chaque pays pour tout ne sont pas bons.
Du Mans il ne vient rien d’exquis que des chapons ;
Ce n’est pas votre fait.

L’Etoile


J’ai besoin de dentelles ;
J’en vis chez un marchand l’autre jour de fort belles :
Faites-les acheter.

Ragotin


Isabelle est là-bas,
Elle m’attend, j’y cours : sans tout cet embarras,
Votre commission occuperait mon âme.
Une autre fois au Mans exprès pour vous, Madame,
Je me rendrai.

L’Etoile


Comment ! J’en ai besoin ce soir ;
Je m’en vais vous donner de l’argent pour l’avoir.
Tirez-moi ma cassette, elle est dans cette caisse.

Ragotin


Volontiers, mais en vain je la cherche et me baisse ;
La cassette à mes yeux ne s’offre point ici.
L’étoile, le voyant à demi-corps dans la caisse.
Cherchez bien. Du dessus du coffre que voici,
Faisons un trébuchet au pauvre petit homme ;
Qu’il s’en retire après.

Ragotin


Ce couvercle m’assomme,
Mademoiselle, et tôt, levez-le ; il pèse fort.


Scène IX

.
La Baguenaudière, Ragotin


La Bauguenadière
, {{didascalie| enveloppé

d’un manteau.}}

Pour me servir, amour, fais de grâce un effort.
Madame Bouvillon me croit loin du village :
De ce vaste manteau couvrons-nous le visage ;
Allons prendre L’Etoile.

Ragotin
dans la caisse.


Aye ! Ouf ! Je vais mourir.

La Baguenaudière


Qu’entends-je ?

Ragotin

Et vite à moi ! Tôt !

La Baguenaudière


Sans nous découvrir,
Allons débarrasser ce pauvre petit homme.

Ragotin
sortant de la caisse.


Si… Que vois-je ? l’étoile est changée en fantôme !
Ne serait-ce point lui qui vient de me coffrer ?
Que n’ai-je un instrument propre pour balafrer !
Mais vengeons-nous des poings. Ah ! Le traître m’accable :
Sauvons-nous ; ce n’est pas un homme, c’est un diable.



Scène X

.
La Baguenaudière


Avant qu’aller au Mans, ce fat s’est enivré.
Parbleu ! si ce bâton ne m’en eût délivré,
De mon déguisement il eût percé le voile :
Mais pour notre repos allons chercher L’Etoile.



Scène XI

.
Madame Bouvillon, La Baguenaudière


Madame Bouvillon
, avec un voile.


Le destin au berceau n’a point frappé mes yeux,
Et son retardement me ramène en ces lieux.

La Baguenaudière


Que j’aurai de plaisir !… Mais la voici : c’est elle.

Madame Bouvillon
.


Le voilà ; j’avais tort de soupçonner son zèle.

La Baguenaudière


Est-ce vous ?

Madame Bouvillon
.


Oui, c’est moi. Mais, vous-même, est-ce vous ?

La Baguenaudière


C’est moi-même, ravi d’avoir ce rendez-vous.
Souffrez que mon amour à vos yeux se déploie.

Madame Bouvillon
.


Souffrez que vos regards soient témoins de ma joie.

La Bauguenadière
, ôtant son manteau.


Sincère est mon ardeur.

Madame Bouvillon
, otant son voile.


Pure est ma passion.

La Baguenaudière

Ah !

Madame Bouvillon
.

Ah !

La Baguenaudière


Ah ! C’est donc vous, madame Bouvillon ?


Madame Bouvillon
.


Ah ! C’est donc vous, monsieur de La Baguenaudière ?
Vous croyiez voir ici l’étoile poussinière.
Sachant bien que pour elle on me manquait de foi,
J’ai feint exprès ainsi pour en juger par moi.


Scène XII

.
La Baguenaudière, Madame Bouvillon, Ragotin


Ragotin
le pied dans un pot de chambre.


Ne trouverai-je ici qu’outrage sur outrage ?
Maudit château ! Maudit amour ! Maudit voyage !

La Baguenaudière


Qui vous oblige donc d’avoir ce piédestal ?

Ragotin


Ah !

Madame Bouvillon
.


Qui vous fait marcher sur ce pied de métal ?
Et pourquoi fuir monsieur de La Baguenaudière ?
C’est qu’un diable tantôt fait de même manière,
Mais mille fois plus grand, a chargé sur mon dos
Cent millions de coups d’un bâton court et gros ;
J’ai fui, croyant l’avoir incessamment en queue,
Faisant à chaque pas un demi-quart de lieue,
Tout hérissé de peur, lorsque j’ai rencontré
Un maudit pot de chambre où mon pied est entré.
Aux cris que j’ai poussés, gémissant de faiblesse,
Un chien est survenu qui m’a mordu la fesse ;
Mais je n’ai point songé qu’à ce pied empoté,
Que si vilainement la fortune a botté.
Je mettais vainement ce pied à la torture
Pour chercher les moyens d’ôter cette chaussure,
Quand un homme est venu de la part du Destin,
Et d’isabelle aussi, pour me remettre en main
Le billet que voilà. Surpris à sa lecture,
Oubliant tous les maux de ma triste aventure,
J’ai fait de vous chercher mes plus fortes raisons
Pour vous en faire part. Tenez, lisez.

La Baguenaudière


Lisons :
Monsieur Ragotin ne vous donnez point la peine de me chercher pour vous charger de ma conduite. Si mon père vous demande compte de la commission qu’il vous en a donnée, apprenez-lui que je suis entre les mains de Monsieur le destin, à qui j’ai donné ma foi, comme au seul homme qui s’est offert pour me délivrer du joug où m’allait jeter le mariage de Blaise Bouvillon, pour qui j’ai une aversion insurmontable.
Je suis, etc.
Je crois que ce perfide est de l’intell

igence :
Ton zèle a ménagé cette furtive absence,
De ma fille tantôt tu m’avais répondu ;
Tu m’as trahi, Judas ; mais tu seras pendu.

Ragotin


Pendu ! Moi ?

Madame Bouvillon
.


Toi, pendu : diffamer ma famille,
M’enlever une bru, faire un rapt de sa fille ;
Pendu, pendu, pendu !

Ragotin

Je suis tout éperdu !

La Baguenaudière


Il faut l’épouvanter ; pendu, pendu, pendu !

Ragotin


Quelle grêle de maux ! Ciel ! Pour les autres, passe !
Mais me voici tombé de fièvre en chaud mal ; grâce !

La Baguenaudière


Abus !

Ragotin


Ayez pitié d’un avocat !

Madame Bouvillon
.


Chansons !

La Baguenaudière


Apprends-moi leur retraite à l’instant, dépêchons,
Ou…



Ragotin


Moi, je n’en sais rien.

La Baguenaudière


Pour changer de langage
Holà ! Quelqu’un ! Allez, qu’on le pende !

Ragotin


À mon âge !
Avant que de me pendre, ayez de moi pitié ;
Tirez-moi, s’il vous plaît, cette épine du pied ;
Je cours risque autrement, foi d’homme qui vous prie,
D’en être estropié le reste de ma vie.

La Baguenaudière


Puisqu’il ne parle pas, pendez-moi ce coquin.


Scène XIII

.
Les acteurs précédents, la rancune


La rancune


Hélas ! Où traîne-t-on notre ami ragotin ?
Qu’a-t-il dit ? Qu’a-t-il fait ? Ne saurait-on l’apprendre ?
Où va-t-on vous mener, mon cher ?

Ragotin


On me va pendre :
Et je ne sais comment me tirer de là.

La rancune


Quoi !
J’ai deux mots importants à dire ; écoutez-moi.
Suspendez jusque-là la sentence mortelle.

La Baguenaudière


Pourquoi ?

La rancune


Nous nous aimons d’une amour fraternelle,
Et je voudrais bien voir la grâce qu’il aura
Au bois patibulaire alors qu’on le pendra.


La Baguenaudière


Ce coquin, au mépris de toute ma famille,
A servi le destin pour enlever ma fille.

{{Personnage|La

rancune|c}}

Si ce n’est que cela qui peut l’avoir perdu,
De l’entendre au supplice, et de le voir pendu
Nous n’aurons pas la joie.

La Baguenaudière


Et d’où vient ?

La rancune


Apprenez-le :
Sachant que le destin poursuivait isabelle,
Et que de l’enlever le drôle avait l’orgueil,
Sur eux autour d’ici j’ai fait la guerre à l’œil,
Suivi de paysans, au bout de cette plaine ;
Comme ils allaient gagner la campagne prochaine,
Je les ai fait saisir et ramener ici,
Où vous allez bientôt les voir, et… les voici.


Scène XIV

.
Les acteurs précédents, le Destin, Isabelle


La Baguenaudière


Approche, scélérat, approche, ingrate fille,
Indigne rejeton d’une illustre famille ;
Suivre un homme inconnu ! Toi, séduire un enfant !
Un échafaud t’est sûr ; une guimpe t’attend.

Madame Bouvillon
.


C’est trop peu qu’un couvent pour sa peine afflictive ;
Il faut dans un cachot l’enterrer toute vive.

Le Destin


Si notre amour mérite un supplice éternel,
C’est moi qu’il faut punir, je suis seul criminel.

La Baguenaudière


C’est de toi seul aussi que je prendrai vengeance.


Isabelle


Ah ! Mon père, songez que j’ai part à l’offense.

Madame Bouvillon
.


Il faut, sans balancer, qu’ils soient tous deux punis ;
Mais, qui vient nous troubler ?


Scène XV


Les acteurs précédents, le décorateur


Le décorateur


Madame, votre fils
Avec que son fusil, d’une audace assassine,
Au malheureux l’olive a percé la poitrine.

Le Destin


À mon père ?

Madame Bouvillon
.


D’ennui ceci me va combler.

Le décorateur


Il se fait apporter ici pour vous parler,
Ayant à vous parler d’une affaire importante.
Mais le voici.


Scène XVI

.
Les acteurs précédents, L’olive


L’olive


Madame, en un mot comme en trente,
De grâce, écoutez-moi ; si proche du trépas,
Ayant à vous parler, ne m’interrompez pas.
À défunt votre époux il prit un jour envie
Dans la maison des champs d’avoir la comédie ;
Le mal d’enfant vous prit, et monsieur votre époux
Fut père d’un garçon, ou crut l’être. Chez vous
Accoucha le jour même une comédienne ;
Cette femme accouchée aussi c’était la mienne :
Elle fit un garçon, et je le crus de moi,
Car la défunte était laide ; et, de bonne foi,
Quoiqu’elle vît en moi sans cesse un beau modèle,
Le fils qu’elle me fit était aussi laid qu’elle.
Je pestais de bon cœur contre cette souillon,
Quand je vis remuer le petit Bouvillon,
Qui parut à mes yeux d’aussi belle structure,
Que mon magot était de laide regardure.
Il me prit de troquer une tentation.
Votre avare nourrice, en cette occasion,
À l’or de mes louis sensible plus qu’une autre,
Se chargea de mon fils, et me donna le vôtre :
Moi, dès le même instant, de peur qu’on en vît rien,
J’emportai votre fils, et vous laissai le mien ;
Si bien que cet ingrat, dont la fureur impie
Par un coup détestable a fusillé ma vie,
Est mon fils ; et le vôtre, élevé de ma main,
À qui j’ai façonné l’esprit, c’est le Destin.

Madame Bouvillon
.


le destin est mon fils ! Mon cœur en pâme d’aise ;
Il faut que tout mon soûl je le baise et rebaise.

La Baguenaudière


Mais qui sait si cet homme a dit la vérité ?

L’olive


La nourrice, avec qui j’avais tout concerté,
Est encore en ces lieux ; elle peut vous le dire.

Madame Bouvillon
.


J’en crois ce que pour lui la nature m’inspire.

Le Destin


Mais il faut vous panser : où vous a-t-on blessé ?

L’olive


Mon ami, j’ai le cœur d’outre en outre percé.

La rancune


Je ne vois point de sang en nul endroit.

L’olive


N’importe !

La rancune


Il n’est point blessé.

Le Destin


Non ?

La rancune


Non, le diable m’emporte !

L’olive


Est-il vrai ?

La rancune


Chose sûre.

L’olive


Il faut donc que la peur
M’ait fait tourner la tête en me frappant au cœur.

La rancune

Juste.

{{Personnage|Isabe

lle|c}}

Cette aventure est rare et surprenante.

Madame Bouvillon
.


Vous n’avez pas sujet d’en être mécontente.

Le Destin


Isabelle !

La Baguenaudière


En discours ne perdons point de temps,
Allons nous éclaircir sur tous ces incidents ;
Que chacun fasse voir son ardeur à me suivre.
Allons.

La rancune
, à Ragotin


D’être pendu mon secours vous délivre.

Ragotin


Il est vrai, cher ami, sans toi ces happe-chair
M’allaient faire danser un entrechat en l’air ;

Mais mon pied, emboîté dans ce pot détestable,
Implore à l’en tirer ta pitié charitable.
Ô ciel ! À quel malheur m’avez-vous attaché !
Heureux de n’avoir pas pourtant été branché.