Rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale/05

Traduction par M. Levêque.
C. Reinwald (p. 106-143).


CHAPITRE III

Quantité de terre fine apportée à la surface par les vers.


Rapidité avec laquelle les divers objets disséminés à la surface d’un sol gazonné sont recouverts par les déjections des vers. — Enfouissement d’un sentier pavé. — Affaissement lent de grosses pierres laissées à la surface du sol. — Nombre des vers vivant dans un espace donné. — Poids de la terre rejetée d’une galerie, et de toutes les galeries dans un espace donné. — Épaisseur de la couche de terre végétale que les déjections sur un espace donné formeraient en un temps donné, si on les disséminait d’une façon uniforme. — Lenteur avec laquelle la terre végétale peut arriver à une grande épaisseur. — Conclusion.


Nous arrivons maintenant au sujet plus spécial de ce livre, c’est-à-dire l’évaluation de la quantité de terre apportée par les vers de dessous la surface du sol, et disséminée ensuite plus ou moins complètement par la pluie et par le vent. On peut estimer cette quantité au moyen de deux méthodes, par la rapidité avec laquelle sont enfouis des objets laissés à la surface, et d’une façon plus exacte par le pesage de la quantité apportée à la surface en un temps donné. Nous commencerons par la première méthode, comme étant celle que nous avons suivie tout d’abord.

Près de Maer Hall en Staffordshire, de la chaux vive avait été vers l’année 1827 répandue en couche épaisse sur un champ de bonne pâture qui ne fut pas labouré depuis. On creusa quelques trous carrés dans ce champ au commencement du mois d’octobre 1837 ; et les sections montrèrent une assise de tourbe, formée par l’entrelacement des racines des herbes, d’un demi-pouce d’épaisseur, au-dessous de laquelle on pouvait voir, à une épaisseur de 2 pouces ½ (à trois pouces par conséquent de la surface) de la chaux en poudre ou en petits morceaux formant une assise se poursuivant tout autour des faces verticales des trous. Le sol au-dessous de l’assise de chaux était ou bien du gravier ou bien du sable grossier, et il différait fort par son aspect de la fine terre végétale de couleur claire située au-dessus. Des cendres de charbon avaient été répandues sur une partie de ce même champ en 1833 ou en 1834 ; et quand les trous que je viens de dire furent creusés, c’est-à-dire après un intervalle de 3 à 4 ans, les cendres formaient une ligne de taches noires tout autour des trous, à une épaisseur d’un pouce au-dessous de la surface, parallèlement à la blanche assise de chaux et au-dessus d’elle. Sur une autre portion de ce champ, on avait répandu des cendres, seulement à peu près six mois auparavant, et alors elles étaient ou bien encore à la surface ou bien étaient enchevêtrées parmi les racines des herbes ; c’est là que je vis le commencement du travail d’enfouissement, car des déjections de vers avaient été accumulées sur plusieurs des fragments de plus petite taille. Quatre ans et ¾ plus tard, ce champ fut examiné de nouveau, et maintenant les deux assises de chaux et de cendres se trouvaient presque partout à près d’un pouce, disons ¾ de pouce plus bas qu’auparavant. Une couche de terre végétale d’environ 0,22 de pouce avait donc été apportée chaque année à la surface par les vers, et avait été répandue sur ce champ.

Des cendres de charbon avaient été répandues sur un autre champ, à une date qu’on ne pouvait pas fixer avec certitude, et elles formaient en octobre 1837 une assise épaisse d’un pouce à une profondeur d’à peu près 3 pouces de la surface. L’assise était si continue que la terre végétale foncée qui la recouvrait n’était en rapport avec le sous-sol d’argile rouge que par les racines des herbes ; et quand celles-ci furent rompues, la terre végétale et l’argile rouge tombèrent séparément. Dans un troisième champ, sur lequel des cendres de charbon et de la marne calcinée avaient été répandues à plusieurs reprises à des dates inconnues, on creusa des trous en 1842 ; et on put suivre une assise de cendres à une profondeur de 3 pouces ½, au-dessous de laquelle, à une profondeur de 9 pouces ½ de la surface, il y avait une ligne de cendres avec de la marne calcinée. Sur les faces de l’un des trous, il y avait deux assises de cendres, l’une à 2 pouces et l’autre à 3 pouces ½ au-dessous de la surface ; et par-dessous ces deux couches, à une profondeur de 9 pouces ½ dans certaines parties, de 10 ½ dans d’autres, il y avait des fragments de marne calcinée. Dans un quatrième champ, on pouvait poursuivre deux couches distinctes de chaux, l’une au-dessus de l’autre, et au-dessous une assise de cendres et de marne calcinée à une profondeur de 10 à 12 pouces au-dessous de la surface du sol.

Une pièce de terre inculte, marécageuse, fut séparée par une clôture, drainée, labourée, hersée et couverte en 1822 d’une couche épaisse de marne calcinée et de cendres. On y sema des graines d’herbe, et maintenant elle fournit un pâturage assez bon, mais grossier. En 1837, c’est-à-dire 15 ans après l’amendement, on creusa des trous dans ce champ, et dans le diagramme ci-après (fig. 5) réduit de moitié de la grandeur naturelle, nous voyons que le gazon était épais d’un pouce, et qu’au-dessous de lui il y avait une assise de terre végétale de 2 pouces ½ d’épaisseur. Cette assise ne contenait des fragments d’aucune espèce ; mais au-dessous il y avait une assise de terre, d’un pouce et demi d’épaisseur, pleine de fragments de marne calcinée, sautant aux yeux par leur couleur rouge, l’un d’eux près du fond était long d’un pouce ; et en outre il y avait d’autres fragments de cendres de charbon avec quelques cailloux blancs de quartz. Au-dessous de cette couche, à une profondeur de 4 pouces ½ de la surface, on rencontra le sol primitif noir, tourbeux, sablonneux, contenant quelques cailloux de quartz. Ici donc ces cendres et les fragments de marne calcinée avaient été recouverts dans le cours de 15 ans d’une assise de terre végétale fine, épaisse seulement de 2 pouces et demi, sans compter le gazon. Six ans et demi plus tard, ce champ fut examiné de nouveau, et les fragments se trouvaient alors à une profondeur de quatre à cinq pouces au-dessous de la surface. Ainsi dans cet intervalle de 6 ans et demi, un pouce ½ environ de terre avait été ajouté à la couche superficielle. Je m’étonne qu’il n’y ait pas eu une plus grande quantité rejetée pendant les 21 ans et demi, car il se trouvait beaucoup de vers dans le sol tourbeux, noir, immédiatement sous-jacent. Mais il est probable que jadis, tant que la terre resta pauvre, les vers furent rares ; et alors la terre végétale se sera accumulée lentement.



Fig. 5. — Section réduite à moitié de la grandeur naturelle, de la terre végétale d’un champ drainé et amendé quinze ans auparavant ; A, gazon ; B, terre végétale sans pierres d’aucune espèce ; C, terre végétale avec des fragments de marne calcinée, de cendres de charbon et des cailloux de quartz ; D, sous-sol de sable noir, tourbeux, avec des cailloux de quartz.
L’épaisseur a donc augmenté chaque année de 1,9 de pouce en moyenne pour toute la période.

Deux autres cas méritent d’être rapportés. Au printemps de l’année 1835, un champ qui avait longtemps existé comme un maigre pâturage, et était si marécageux qu’il tremblait légèrement lorsqu’on le frappait du pied, était recouvert d’une couche épaisse de sable rouge ; sa surface entière semblait ainsi au premier abord d’un rouge éclatant. Deux ans et demi plus tard, lorsqu’on creusa des trous dans ce champ, le sable formait une assise à une profondeur de ¾ de pouce au-dessous de la surface. En 1842, c’est-à-dire 7 ans après que le sable eût été éparpillé, on creusa de nouveaux trous et alors ce sable rouge formait une assise distincte, à deux pouces de la surface, ou bien 1 ½ pouce au-dessous du gazon ; en sorte qu’en moyenne 0,21 de pouce de terre végétale avait été apporté annuellement à la surface. Immédiatement au-dessous de la couche de sable rouge, s’étendait le sol primitif sous-jacent de tourbe noire et sablonneuse.

Un pré, aussi dans le voisinage de Maer Hall, avait autrefois été recouvert d’une couche épaisse de marne, et était ensuite resté plusieurs années employé comme pâturage ; plus tard, il fut labouré. Vingt-huit ans après l’application de la marne,[1] un ami fit creuser trois tranchées dans ce champ, on put alors poursuivre les fragments de la marne formant une couche à une profondeur, en mesure exacte, de 12 pouces en quelques endroits et de 14 en d’autres. Cette différence dans la profondeur provenait de ce que la couche était horizontale, tandis que la surface consistait de lignes saillantes et de sillons laissés par la charrue lors du labourage. Le fermier m’assura que le champ n’avait jamais été retourné à une profondeur plus grande que de 6 à 8 pouces ; et les fragments formant une assise horizontale non interrompue de 12 à 14 pouces au-dessous de la surface, ils doivent avoir été enterrés par les vers pendant que le champ servait encore de pâturage, avant d’être labouré ; car, autrement, la charrue aurait éparpillé ces fragments d’une manière égale dans toute l’épaisseur du sol. Quatre ans et demi plus tard, je fis creuser trois trous dans ce champ où, peu auparavant, on avait planté des pommes de terre, et la couche des fragments de marne se trouvait à présent à 13 pouces au-dessous du fond des sillons, et par suite probablement à 15 pouces au-dessous du niveau général du champ. Il faut cependant faire observer que l’épaisseur du sol noirâtre sablonneux, éjecté par les vers par-dessus les fragments de marne dans le cours de 32 ans et demi, aurait été moindre que quinze pouces, si le champ avait continué à être un pâturage ; car, en ce cas, le sol eût été bien plus compacte. Les fragments de marne reposaient presque sur un sous-sol de sable blanc à cailloux de quartz, et il n’avait pas été remué ; comme il ne pouvait guère tenter les vers, la terre végétale s’accroissait ainsi fort lentement par leur action.

Nous allons maintenant donner quelques exemples de l’action des vers sur un sol très différent des pâturages secs et sablonneux ou des prés marécageux que nous venons de décrire. La formation de craie à Kent s’étend tout autour de ma maison ; et sa surface, ayant été exposée pendant un temps immense à l’action dissolvants de l’eau de pluie, est extrêmement irrégulière, à festons abruptes, et de nombreuses cavités profondes ressemblant à des puits la traversent[2]. Pendant la dissolution de la craie, la matière insoluble, y compris un grand nombre de silex non roulés de toutes les grandeurs, est restée à la surface et forme un lit d’argile rouge et ferme, remplie de cailloux et généralement d’une épaisseur de 6 à 14 pieds. Au-dessus de l’argile rouge, partout où le sol a longtemps été un pâturage, il y a une couche de terre végétale épaisse de quelques pouces et d’une couleur foncée.

Le 20 décembre 1842, une quantité de craie en fragments fut éparpillée tout près de ma maison sur une partie d’un champ qui servait de pâturage depuis au moins 30 ans, sinon deux ou trois fois davantage. On avait jeté la craie sur ce champ afin de pouvoir observer à un moment quelconque dans l’avenir jusqu’à quelle profondeur elle s’enterrerait. À la fin du mois de novembre 1871, c’est-à-dire après un intervalle de 29 ans, une tranchée fut creusée à travers cette partie du champ, et l’on put poursuivre une ligne de nodules blancs des deux côtés de la tranchée, à une profondeur de 7 pouces de la surface. Ainsi, la terre végétale, non compris le gazon, avait ici été ramenée à la surface avec une vitesse moyenne de 0,22 de pouce par an. Dans certaines parties, sous la ligne de nodules de craie, il ne se trouvait guère de terre fine exempte de silex, tandis qu’en d’autres endroits il y en avait une couche épaisse de 2 pouces ¼, Dans ce dernier cas, la terre végétale avait une puissance totale de 9 pouces ¼ ; à un endroit de ce genre, on trouva, à la profondeur indiquée, un nodule de craie et un silex poli, qui avaient été sans doute laissés tous deux à la surface à quelque époque précédente. De 11 à 12 pouces au-dessous de la surface, s’étendait l’argile rougeâtre qui n’avait pas été remuée, remplie de silex. L’apparence desdits nodules m’étonna fort tout d’abord, car ils ressemblaient beaucoup à des cailloux usés par l’eau, tandis que les fragments récemment cassés auraient été angulaires. Mais en examinant les nodules à la loupe, ils n’apparaissaient plus usés par l’eau, car leur surface était marquée de petits creux, par suite de corrosion inégale ; et on voyait saillir des pointes aiguës, très petites, formées de fragments de coquilles fossiles. Il était évident que les angles des fragments primitifs de craie avaient été entièrement dissous, parce qu’ils présentaient une grande surface à l’acide carbonique dissous dans l’eau de pluie et à celui que produit un sol contenant des matières végétales, ainsi qu’aux acides de l’humus. Les angles saillants auront aussi, en comparaison avec les autres parties, été enlacés par un plus grand nombre de petites racines vivantes ; et, comme Sachs l’a démontré, elles ont le pouvoir d’attaquer le marbre même. Ainsi donc, 29 ans ont suffi pour convertir en nodules bien arrondis des fragments de craie qui étaient angulaires avant d’avoir été enterrés.

Une autre partie de ce même champ était couverte de mousse, et comme on croyait pouvoir améliorer le pâturage à l’aide de cendres de charbon, passées au crible, on en éparpilla une couche épaisse en 1842 ou 1843, ce qui fut répété quelques années plus tard. En creusant une tranchée en 1871, on y trouva beaucoup de cendres sur une même ligne à 7 pouces au-dessous de la surface, et à 5 pouces ½ une autre ligne parallèle à la précédente. Dans une autre partie de ce champ, qui en était autrefois indépendant et avait, selon toute croyance, servi de pâturage durant un siècle au moins, on creusa de même quelques tranchées pour voir de quelle épaisseur y était la terre végétale. Le hasard voulut que la première tranchée passât par un endroit, où, à une époque précédente quelconque, à coup sûr plus de quarante ans auparavant, un large trou avait été comblé d’argile rouge grossière, de pierres de silex, de fragments de craie et de gravier ; ici la terre végétale fine n’avait que de 4 pouces ⅛ à 4 ⅜ de puissance. Dans un autre endroit qui n’avait point été remué, l’épaisseur de la terre végétale variait considérablement de 6 pouces ½ à 8½ ; au-dessous, on trouva en un endroit un petit nombre de fragments de brique. D’après ces différents cas, on dirait que dans le courant des 29 dernières années, la terre végétale ait été amoncelée à la surface avec une vitesse moyenne de 0,2 à 0,22 de pouce par an. Mais dans ce district, la terre végétale ne s’accumule que bien plus lentement lorsqu’on vient de faire un pré d’un champ labouré. La vitesse doit aussi diminuer considérablement après qu’il s’est formé un lit de terre végétale de plusieurs pouces d’épaisseur. Ce n’est qu’en hiver, quand le temps est très froid (à cette époque on trouva les vers dans ce même champ à une profondeur de 26 pouces) et en été quand le temps est bien sec, que les vers creusent leurs galeries jusqu’à une profondeur plus considérable, de manière à pouvoir monter de la terre fraîche d’en bas.

Un champ voisin de celui que nous venons de décrire forme dans une partie une pente assez considérable c’est-à-dire de 10° à 15° ; cette partie fut labourée en dernier lieu en 1841, après quoi on la hersa et l’abandonna au pâturage. Pendant plusieurs années de suite, la végétation y fut extrêmement chétive, le sol étant tellement encombré de cailloux de silex petits et grands (quelques-uns d’entre eux étaient moitié aussi gros que la tête d’un enfant) que mes fils appelèrent ce champ-là le « champ pierreux ». Lorsqu’ils descendaient la pente en courant, on entendait les pierres se choquer les unes contre les autres.

Je me rappelle avoir douté de jamais voir ces grands cailloux recouverts de terre végétale et de gazon. Mais les plus petites de ces pierres disparurent après peu d’années ; avec le temps, chacune des plus grandes en fit autant, de sorte que 30 ans plus tard (1871), un cheval pouvait passer au galop d’un bout du champ à l’autre sur le gazon épais, sans frapper de ses fers une seule pierre. Pour quiconque se souvenait de l’apparence qu’avait présentée ce champ en 1842, la transformation qui s’était opérée était merveilleuse ; elle était certainement l’ouvrage des vers, car, bien que, pendant plusieurs années, leurs déjections ne fussent pas fréquentes, il y en avait cependant quelques-unes de formées chaque mois et leur nombre augmenta à mesure que le pâturage s’améliorait. En 1871, l’on creusa une tranchée sur la pente mentionnée auparavant, et l’on coupa les brins d’herbe tout près des racines, afin de pouvoir mesurer exactement l’épaisseur du gazon et de la terre végétale. Le gazon n’était pas tout à fait épais d’un 1/2 pouce, et la terre végétale, qui ne contenait point de pierres, avait une épaisseur de 2 1/2 pouces. Au-dessous se trouvait de la terre grossière argileuse, pleine de cailloux et semblable à celle du premier venu des champs labourés d’alentour. Lorsqu’avec une bêche, on soulevait une pelletée de terre grossière, elle se séparait facilement de la couche de terre végétale superficielle. L’accumulation moyenne de cette dernière pendant 30 années entières n’était que de 0,083 d’un pouce par an (donc, un pouce à peu près en 12 ans), mais la vitesse aura été bien moindre au commencement, augmentant considérablement plus tard.

La transformation qui s’était opérée sous mes yeux, dans l’apparence de ce champ, fut rendue plus tard d’autant plus frappante quand j’examinai, dans Knole Park, une forêt épaisse de grands hêtres, au-dessous desquels rien ne poussait. En cet endroit, le sol était couvert de grandes pierres nues, éparpillées de tous côtés, et, quant aux déjections, il n’y en avait guère. Quelques irrégularités à la surface et des lignes difficiles à poursuivre, indiquaient que le sol avait été cultivé quelques siècles auparavant. Il est probable qu’un bois bien épais de jeunes hêtres avait grandi si rapidement que les vers n’eurent pas le temps de recouvrir les pierres de leurs déjections, avant que l’emplacement ne devint impropre à leur existence. En tous cas, le contraste entre l’état du champ bien peuplé de vers, auquel l’appellation de champ pierreux ne convenait plus, et l’état actuel du sol au-dessous des vieux hêtres de Knole Park, où il n’y avait pas de trace de vers, était frappant.

Un sentier étroit, conduisant à une partie de ma prairie, fut pavé, en 1843, de petites dalles placées de côté en bordures ; mais il y eut beaucoup de déjections et l’herbe poussa ses touffes parmi les pierres. Pendant plusieurs années, on arracha les mauvaises herbes et l’on balaya le sentier ; mais, à la fin du compte, vers et herbes prévalurent, le jardinier cessa de balayer et se contenta de faucher les mauvaises herbes, toutes les fois que la pelouse était fauchée. Bientôt le sentier fut presque recouvert de verdure et, quelques années plus tard, il n’y en avait plus de trace. Quand, en 1877, on faucha la faible couche de gazon, on trouva les petites dalles toutes en place et recouvertes d’un pouce de terre végétale fine.

Ici nous pourrions noter deux cas, récemment publiés, de substances qui avaient été éparpillées sur la surface des pâturages, et qui furent enterrées par l’action des vers. Le révérend H.-C. Key fit creuser un fossé dans un champ sur lequel on avait éparpillé des cendres de charbon, à ce qu’on pensait, dix-huit ans auparavant ; sur les faces perpendiculaires, nettement coupées du fossé, à une profondeur de sept pouces pour le moins, « sur une longueur de soixante toises, on vit une ligne distincte, étroite et très régulière de cendres de charbon entremêlées de petits fragments de charbon ; cette ligne était parfaitement parallèle au gazon de la surface[3]. » Ce dernier fait et la longueur de la section rendent le cas intéressant. En second lieu, M. Daucer[4] raconte que sur un certain champ on avait éparpillé une quantité d’os concassés, et que, « quelques ans plus tard, on les avait trouvés, plusieurs pouces au-dessous de la surface, à une profondeur uniforme. » Il paraît qu’en Nouvelle-Zélande les vers agissent de la même manière qu’en Europe, car le professeur J. von Haast a décrit[5] une coupe de terrain près du bord de la mer, « consistant en micaschiste recouverte de 5 à 6 pieds de loess, au-dessus desquels s’étaient accumulés environ 12 pouces de terre végétale. Entre le loess et la terre végétale, se trouvait une couche épaisse de 3 à 6 pouces, de noyaux, d’instruments d’écailles et d’éclats, tous fabriqués à l’aide d’une roche basaltique dure. » Ainsi, il est probable que les aborigènes d’une époque antérieure quelconque avaient laissé à la surface ces objets, que les vers recouvrirent ensuite lentement de leurs déjections.

En Angleterre, les fermiers savent parfaitement que toutes sortes d’objets laissés à la surface des pâturages disparaissent après un certain temps, ou, d’après ce qu’ils disent, s’enfoncent eux-mêmes. Ils ne se seront probablement jamais demandé comment de la chaux en poudre, des cendres et des pierres lourdes peuvent s’enfoncer elles-mêmes, et avec la même vitesse, à travers le tapis de racines d’une surface gazonnée[6].

Affaissement des pierres de grande taille par l’action des vers. — Quand une pierre de grande taille et de forme régulière est laissée à la surface du sol, elle repose naturellement sur les parties les plus saillantes ; mais bientôt après les vers comblent de leurs déjections tous les creux laissés à la face inférieure ; car, comme le remarque Hensen, ils aiment l’abri des pierres. Aussitôt que les creux sont comblés, les vers rejettent en dehors de la circonférence des pierres la terre qu’ils ont avalée, et c’est ainsi que la surface du sol s’élève tout autour de la pierre. Les galeries creusées directement au-dessous d’une pierre s’écroulant avec le temps, celle-ci s’affaisse un peu[7]. De là vient que des galets qui, à une époque ancienne quelconque ont roulé du haut d’une montagne rocheuse ou d’une falaise dans une prairie située à la base, sont toujours quelque peu enfoncés dans le sol quand on les enlève, ils laissent dans la terre fine sous-jacente une empreinte exacte de leur surface inférieure. Mais, si un galet a des dimensions telles que la terre au-dessous reste sèche, cette terre ne sera pas habitée par des vers et le galet ne s’affaissera pas dans le sol.

Un four à chaux se trouvait autrefois dans une prairie près de Leith Hill Place en Surrey ; il avait été démoli 35 ans avant que j’y vienne, et on avait enlevé tous les décombres à l’exception de trois grosses pierres de grès quartzeux, que l’on pensa pouvoir utiliser par la suite. Un vieil ouvrier se rappelait qu’elles avaient été laissées sur une surface nue de fragments de briques et de mortier, tout près des fondations du four ; mais la surface environnante était maintenant partout couverte de gazon et d’humus.

Les deux plus grosses de ces pierres n’avaient pas été remuées depuis ; et il n’aurait pas été facile de le faire, car, lorsque je les fis enlever, il me fallut deux hommes armés de leviers. Une de ces pierres, et ce n’était pas la plus grande, avait 64 pouces de long, 17 de large et de 9 à 10 d’épaisseur. Le milieu de sa surface inférieure faisait tant soit peu saillie ; et cette partie reposait encore sur des fragments de brique et du mortier ; le récit du vieil ouvrier avait donc été exact. Au-dessous des décombres de briques, on trouva le sol naturel, sablonneux et plein de fragments de grès ; il n’aurait guère pu céder que très peu, si même il l’avait pu, sous le poids de la pierre ; c’eût été tout autre chose si le sous-sol avait été d’argile. La surface du terrain, sur une distance d’environ 9 pouces, tout autour de la pierre, s’élevait graduellement jusqu’à elle, et tout près de celle-ci, elle était, dans la plupart des points, environ 4 pouces au-dessus du niveau environnant. La base de la pierre était enterrée de 1 à deux pouces au-dessous du niveau général, et sa surface supérieure faisait saillie d’environ 8 pouces au-dessus de ce niveau, c’est-à-dire d’à peu près 4 pouces au-dessus de la bordure de gazon en pente. Après l’enlèvement de la pierre, il devint évident que l’un de ses bouts pointus avait dû d’abord être dégagé, et à plusieurs pouces au-dessus du sol, et maintenant sa surface supérieure était au même niveau que le gazon d’alentour. Quand on enleva la pierre, il resta un moule exact de sa face supérieure, formant un creux peu profond, en manière de cratère, dont la surface interne consistait de terre fine noire, excepté là où les parties les plus saillantes reposaient sur les débris de briques. Je donne ci-contre (fig. 6). à



Fig. 6. — Section transversale d’une grosse pierre qui était restée pendant 35 ans dans une prairie AA, niveau général de la prairie, les débris de briques sous-jacents n’ont pas été représentés. Échelle de 1/2 pouce à 1 pied.


l’échelle de 1/2 pouce à un pied, une section transversale de cette pierre avec le lit dans lequel elle reposait ; le dessin a été fait d’après des mesures prises lorsque la pierre eut été déplacée. La bordure recouverte de gazon remontant jusqu’à la pierre, consistait en terre fine, épaisse, à un endroit, de 7 pouces. Elle consistait évidemment de déjections de vers, dont plusieurs dataient d’une époque récente. Le corps de la pierre s’était, autant que je pouvais en juger, affaissé d’environ 1 1/2 pouce dans ces 35 années, affaissement dû nécessairement à ce que les débris de briques gisant au-dessous des parties les plus saillantes, avaient été minés par les vers. À ce compte, il aurait fallu 247 ans à la surface supérieure de la pierre, abandonnée à elle-même, pour s’affaisser jusqu’au niveau général de la prairie ; mais avant que cela n’arrivât, quelques pluies fortes auraient détaché de la terre des petits tas de déjections sur la bordure du gazon ainsi soulevée, et cette terre aurait couvert la surface supérieure de la pierre.

La seconde pierre était plus grosse que celle que nous venons de décrire ; sa longueur était de 67 pouces, sa largeur de 39 et son épaisseur de 15. La surface inférieure était presque plate ; ainsi les vers avaient bientôt dû déposer leurs déjections au-delà de sa circonférence. Le corps de la pierre s’était affaissé d’environ 2 pouces dans le sol. À ce compte, il aurait fallu 262 ans pour que sa surface supérieure descendit au niveau général de la prairie. La bordure gazonnée s’élevant en pente tout autour de la pierre, était plus large que dans le dernier cas, elle avait été de 14 à 16 pouces, et je ne pus voir pourquoi cela devait être. Dans la plupart des points, cette bordure n’était pas si haute que dans les derniers cas, elle ne dépassait pas de 2 à 2 1/2 pouces, mais, à un endroit, elle s’élevait jusqu’à 5 1/2. Sa hauteur moyenne, tout près de la pierre, était probablement d’environ 3 pouces, et elle s’amincissait ensuite jusqu’à disparaître. S’il en est ainsi, une couche de terre fine, large de 15 pouces et épaisse en moyenne de 1 1/2 pouce, assez longue pour entourer entièrement cette plaque très allongée, aurait été, en 35 ans, apportée à la surface par les vers, et cela surtout de dessous la pierre. Cette quantité suffirait amplement à expliquer qu’elle se soit affaissée d’environ deux pouces dans le sol, surtout si nous considérons qu’une grande quantité de la terre la plus fine aurait été enlevée par les fortes pluies aux déjections déposées sur la bordure en pente, et serait descendue jusqu’au niveau de la prairie. Tout près de la pierre on voyait quelques déjections de fraîche date. Néanmoins, en creusant un large trou, à une profondeur de 18 pouces, là, où la pierre avait reposé, on ne vit que deux vers et un petit nombre de galeries, et cependant le sol était humide et semblait favorable aux vers. Il y avait, il est vrai, de grandes colonies de fourmis sous la pierre, et il est bien possible que le nombre des vers ait diminué depuis que celles-ci s’y étaient établies.

La troisième pierre n’était qu’environ moitié aussi grosse que les autres, et deux forts garçons ensemble auraient pu la renverser. Je suis sûr qu’elle l’avait été à une époque assez récente, car elle gisait maintenant à quelque distance des deux autres pierres, à la base d’une petite pente voisine. Elle reposait aussi sur de la terre fine, au lieu d’être en partie sur des débris de briques. Ce qui concorde avec cette hypothèse, c’est que la bordure de gazon élevée d’alentour, n’avait que 1 pouce de hauteur en certains endroits et 2 pouces en d’autres. Il n’y avait pas de colonies de fourmis sous la pierre et, en creusant un trou, là où elle avait reposé, on trouva plusieurs galeries et un certain nombre de vers.

À Stonehenge, quelques-unes des pierres druidiques de la rangée externe sont maintenant couchées, elles sont tombées à une époque reculée, mais inconnue, et se sont enterrées à une profondeur assez grande dans le sol. Des bordures de gazon en pente les entourent, bordures sur lesquelles on voit des déjections de fraîche date. Tout près de l’une de ces pierres couchées, qui avait dix-sept pieds de long, 6 de large et 28 1/2 pouces d’épaisseur, on creusa un trou, et ici la terre végétale était épaisse d’au moins 9 1/2 pouces. À cette profondeur, on trouva une pierre de silex et, un peu plus haut, d’un côté du trou, un fragment de verre. La base de la pierre gisait à peu près à 9 1/2 pouces au-dessous du niveau du sol environnant, et sa surface supérieure le dépassait de 19 pouces.

On creusa aussi un trou tout près d’une autre pierre de grande taille qui, en tombant, s’était brisée en deux ; à en juger par l’aspect décomposé des deux bouts fracturés, cette chute devait avoir eu lieu il y avait bien longtemps. La base était enterrée à une profondeur de 10 pouces, comme on le constata en enfonçant horizontalement au-dessous, dans le sol, une pique de fer. La terre végétale qui formait la bordure recouverte de gazon s’élevant en pente tout autour de la pierre, avait 10 pouces d’épaisseur, et beaucoup de déjections y avaient été déposées depuis peu. Il fallait bien que cette terre fût apportée de dessous sa base par les vers ; car, à 8 toises de la pierre, la terre n’avait que 5 1/2 pouces d’épaisseur (à la profondeur de 4 pouces, il se rencontra un morceau de pipe à fumer) et celle-ci reposait sur des fragments de silex et de chaux, qui n’auraient guère pu céder à la pression ou au poids de la pierre.

En travers d’une troisième pierre renversée, large de 7 pieds neuf pouces, on fixa une baguette bien droite dans une direction dont on détermina l’horizontalité à l’aide d’un niveau à bulle d’air. On releva ainsi le contour des parties proéminentes et du sol adjacent ; celui-ci n’était pas tout à fait horizontal, comme le montre le diagramme ci-contre (fig. 7), à l’échelle de 1/2 pouce à 1 pied. La bordure recouverte de gazon s’élevait en pente jusqu’à la pierre, d’un côté à 4 pouces de hauteur au-dessus du niveau général et, du côté opposé, à seulement 2 1/2 pouces. On creusa un trou du côté situé vers l’est, et là en trouva que la base de la pierre gisait à une profondeur de 4 pouces au-dessous du niveau général du sol, et de 8 pouces au-dessous de la partie la plus élevée de la bordure de gazon inclinée.



Fig. 7. Section de l’une des pierres druidiques renversées à Stonehenge, montrant combien elle s’est affaissée dans le sol. Échelle de 1/2 pouce à 1 pied.

On a maintenant assez de preuves pour montrer que de petits objets placés à la surface du sol, là où les vers se trouvent en grand nombre, sont bientôt enterrés, et que de grandes pierres s’affaissent lentement de la même manière. On a pu suivre la chose pas à pas, depuis le dépôt accidentel d’une seule déjection sur un petit objet gisant librement à la surface, jusqu’à l’empêtrement de cet objet parmi le réseau de racines d’herbes, et jusqu’à ce qu’enfin il se trouve plongé complètement dans la terre, à des profondeurs variables au-dessous de la surface. Quand, après un intervalle de quelques années, on examina de nouveau le même champ, ces objets se trouvèrent à une profondeur plus grande qu’auparavant. Les objets enfoncés forment des lignes droites régulières et parallèles à la surface du sol ; c’est là le trait le plus saillant de leur disposition. Ce parallélisme montre en effet avec quelle égalité les vers doivent avoir travaillé, mais le résultat vient en partie de ce que la pluie a entraîné en bas des déjections fraîchement déposées. Le poids spécifique des objets n’affecte pas la vitesse dont ils s’affaissent ; c’est ce que l’on a vu pour des cendres poreuses, de la marne calcinée, de la chaux et des cailloux de quartz qui tous se sont affaissés jusqu’à la même profondeur, dans le même temps. Vu la nature du sous-sol qui, à Leith Hill Place, était sablonneux et renfermait des morceaux de roc en grand nombre, et, à Stonehenge, des moellons de craie avec fragments de silex ; vu aussi la présence de la bordure de terre, recouverte de gazon, qui s’élève tout autour des gros fragments de pierre dans ces deux endroits, il ne paraît pas que l’affaissement ait été accéléré d’une façon sensible par leur poids, bien qu’il fût considérable[8].

Nombre de vers vivant dans un espace donné. — Nous allons maintenant montrer deux choses ; d’abord quel grand nombre de vers vivent inaperçus sous nos pieds, et en second lieu, quel est le poids véritable de la terre qu’ils apportent à la surface, dans un espace donné et en un temps donné. Hensen, qui a publié une description si complète et si intéressante des habitudes des vers[9], calcule que d’après le nombre qu’il trouva dans un espace mesuré, il doit en vivre 133,000 dans un hectare de terre, ou 53,767 dans un acre. La masse des vers, dans ce dernier cas, pèserait 356 livres, si l’on prend comme poids typique d’un ver celui de 1 gramme, indiqué par Hensen. Mais il faut faire attention que ce calcul se base sur le nombre de vers trouvés dans un jardin, et Hensen croit qu’ils y sont deux fois aussi nombreux que dans les champs de blé. Le résultat précédent, tout étonnant qu’il soit, me semble croyable, si j’en juge d’après le nombre de vers que j’ai vus moi-même en certains cas, et d’après celui des vers détruits journellement par les oiseaux, sans que l’espèce soit exterminée. Quelques barriques de mauvaise bière avaient été abandonnées sur un champ de M. Miller[10], dans l’espérance d’en faire du vinaigre ; mais il se trouva que le vinaigre était mauvais aussi, et on vida les barriques. Il m’aurait fallu dire, tout d’abord, que l’acide acétique est, pour les vers, un poison tellement mortel, que M. Perrier a trouvé qu’une baguette de verre trempée dans cet acide et ensuite dans une quantité considérable d’eau, où des vers étaient submergés, amena invariablement leur mort en peu d’instants. Le lendemain du jour où les barriques avaient été vidées, « les tas de vers qui gisaient morts sur le sol étaient si prodigieux, que, si M. Miller ne les avait pas vus, il n’aurait pu croire à la possibilité de leur existence en tel nombre dans cet espace. » Une autre preuve du grand nombre des vers qui vivent dans le sol, est aussi donnée par Hensen ; dans un jardin, il trouva, dans un espace de 14 1/2 pieds carrés, 64 galeries ouvertes, c’est-à-dire 9 par deux pieds carrés. Mais, quelquefois les galeries sont beaucoup plus nombreuses, car, en creusant dans une prairie près de Maer Hall, j’ai trouvé une plaque de terre sèche, large comme mes deux mains ouvertes, et elle était traversée par 7 galeries de la largeur d’une plume d’oie.

Poids de la terre rejetée par une seule galerie, et par toutes les galeries dans un espace donné. — Quant aux poids de la terre rejetée journellement par les vers, Hensen a trouvé qu’il s’élevait, dans les cas de quelques vers tenus par lui renfermés et nourris, semble-t-il, de feuilles, à seulement 0,5 de gramme, ou moins de 8 grains par jour. Mais, dans l’état naturel, la quantité rejetée doit nécessairement être beaucoup plus grande à l’époque où ils consomment de la terre comme nourriture au lieu de feuilles, et où ils font des galeries profondes. C’est ce que rendent à peu près certain les poids suivants de déjections reportées à l’ouverture de galeries simples ; le tout paraissait avoir été rejeté en peu de temps. On fit sécher (excepté dans un cas indiqué) les déjections en les exposant pendant un grand nombre de jours au soleil ou à un grand feu.


POIDS DES DÉJECTIONS ACCUMULÉES À L’OUVERTURE
D’UNE GALERIE SIMPLE


Onces
(1.) Down, Kent (sous-sol d’argile rouge, rempli de silex, superposé à la craie.) Déjection la plus considérable que j’aie pu trouver sur les flancs d’une vallée abrupte, le sous-sol étant ici peu profond. Dans ce cas particulier, la déjection n’avait pas été bien séchée.
3.98
(2.) Down. — Déjection la plus considérable (consistant principalement de matière calcaire) que j’aie pu trouver, dans un pâturage extrêmement pauvre, au fond de la vallée mentionnée au no 1.
3.87
(3.) Down. — Déjection considérable, mais pas de grandeur extraordinaire, provenant d’un champ à peu près horizontal, qui était un pauvre pâturage ; il avait été semé trente-cinq ans environ auparavant.
1.22
(4.) Down. — Poids moyen de 11 déjections peu considérables, déposées sur une surface en pente de ma prairie, après qu’ils eurent perdu de leur poids par l’exposition à la pluie pendant une longue période de temps.
0.7
(5.) Environs de Nice en France. — Poids moyen de 12 déjections de dimensions ordinaires, recueillies par M. le Dr King, sur un sol qui n’avait pas été fauché depuis longtemps et où les vers habitaient en grand nombre. C’était une prairie protégée par des arbrisseaux, près de la mer. Le sol était sablonneux et calcaire, et les déjections avaient été exposées pendant quelque temps à la pluie avant d’être recueillies, et elles avaient dû perdre un peu de leur poids par voie de désagrégation, mais leur forme était restée intacte.
1.87

(6.) La plus pesante des 12 déjections précédentes.
1.76
(7.) Bengale intérieur. — Poids moyen de 22 déjections recueillies par M. J. Scott, et ayant été, comme il le rapporte, déposées dans le courant d’une à deux nuits.
1.24
(8.) La plus pesante des 22 déjections précédentes.
2.09
(9.) Monts Nilgiri (sud de l’Inde). — Poids moyen des 5 déjections les plus considérables recueillies par M. le Dr King. Elles avaient été exposées à la pluie de la dernière mousson et avaient dû perdre un peu de leur poids.
3.15
(10.) La plus pesante des 5 déjections précédentes.
4.35


Dans ce tableau, nous voyons que les déjections qui avaient été déposées à l’ouverture de la même galerie, et qui, dans la plupart des cas, paraissaient de fraîche date et conservaient toujours leur configuration vermiforme, pesaient généralement plus d’une once après avoir été séchées, et quelquefois elles étaient presque d’un quart de livre. Dans les monts Nilgiri, une déjection dépassait même ce dernier poids. En Angleterre, les déjections les plus considérables se trouvèrent sur une terre de pâturage extrêmement pauvre ; et, autant que j’ai pu voir, elles sont généralement plus grandes que celles d’une terre produisant une riche végétation. On dirait que les vers ont dû avaler une plus grande quantité de terre dans un terrain riche que dans un pauvre pour trouver une nourriture suffisante.

Quant aux déjections turriformes des environs de Nice (no 5 et 6 du tableau précédent), M. le Dr King en a souvent trouvé 5 à 6 sur un pied carré de surface ; et, à en juger d’après leur poids moyen, elles auraient pesé ensemble 7 onces et demie, et ainsi le poids de celles sur une toise carrée aurait été de quatre livres, trois onces et demie. Vers la fin de 1872, M. le Dr King recueillit, sur la surface d’un pied carré, toutes les déjections qui étaient encore vermiformes, qu’elles fussent cassées ou non ; l’endroit présentait beaucoup de vers, était situé au sommet d’un bord escarpé, et des déjections n’avaient pas pu y rouler de plus haut. D’après l’apparence de ces déjections, par rapport aux périodes de pluie et de sécheresse aux environs de Nice, il estima qu’elles avaient dû être déposées dans l’espace des 5 à 6 mois précédents ; leur poids était de 9 onces et demie ou 5 livres, 5 onces et demie par toise carrée. Après un intervalle de 4 mois, M. le Dr King recueillit toutes les déjections déposées ultérieurement sur le même pied carré de surface, et elles pesaient 2 onces et demie ou une livre, 6 onces et demie par toise carrée. Ainsi donc, en dix mois environ, ou, pour parler en toute sûreté de cause, en un an, il se trouva 12 onces de déjections déposées sur ce pied carré ou six livres soixante-quinze centièmes par toise carrée, et cela donnerait 14 tonneaux cinquante-huit centièmes par acre.

Dans un champ situé au fond d’une vallée, dans la craie (voir le no 2 du tableau précédent), on mesura un carré d’une toise à un endroit où il y avait abondance de déjections très grandes ; elles paraissaient d’ailleurs presque aussi nombreuses dans quelques autres places. Ces déjections, de forme encore parfaitement vermiculaire, furent recueillies et, après un séchage partiel, elles pesaient une livre 13 onces et demie. Ce champ avait été roulé, au moyen d’un lourd rouleau spécial, cinquante-deux jours auparavant, et cela avait dû certainement aplatir toutes les déjections à la surface. Le jour où on les recueillit, le temps était très sec depuis 2 à 3 semaines et pas une déjection n’avait l’air d’être fraîche ou d’avoir été déposée récemment. Nous sommes donc en droit de supposer que celles que nous avions pesées avaient été rejetées dans les 45 jours écoulés depuis le roulage du champ, c’est-à-dire une semaine de moins que toute la période en question. J’avais examiné cette même partie du champ avant le roulage et alors il y avait en abondance des déjections fraîches. Les vers ne travaillent pas par la sécheresse en été, ni en hiver par de fortes gelées. Admettons-nous qu’ils ne travaillent que la moitié de l’année (mais c’est là une évaluation trop basse), alors les vers rejetteraient dans ce champ pendant l’année, 83,87 livres par toise carrée ou 18,12 tonneaux par acre, en supposant que la production des déjections fût égale sur toute sa surface.

Dans les cas précédents, quelques-unes des données nécessaires ont dû être déterminées approximativement, mais dans les deux qui suivent, les résultats sont beaucoup plus dignes de confiance. Une dame, à l’exactitude de laquelle je puis m’en rapporter aveuglément, m’offrit de recueillir pendant une année toutes les déjections déposées sur deux carrés d’une toise en des endroits différents, près de Leith Hill-Place, en Surrey. Le montant recueilli fut cependant un peu moindre que celui originairement rejeté par les vers ; mais comme je l’ai déjà fait remarquer à plusieurs reprises, toutes les fois que des déjections sont déposées pendant une forte pluie ou peu de temps après, celle-ci emporte avec elle une grande partie de la terre la plus fine. De petits morceaux adhéraient aussi aux brins d’herbe environnants et il eût fallu trop de temps pour détacher chacun d’eux. Sur un sol sablonneux, comme dans le cas actuel, les déjections sont sujettes à s’ébouler après la sécheresse, et c’est ainsi que souvent il s’en perd de petites portions. Il arriva aussi qu’à l’occasion la dame s’absente de chez elle une semaine ou deux et alors les déjections ont dû perdre encore davantage par l’exposition aux actions atmosphériques. Ces pertes furent d’ailleurs compensées jusqu’à un certain point parce que, sur un des carrés, on recueillit les matières rejetées 4 jours de plus qu’un an, et sur l’autre, 2 jours de plus que cette période.

Le 9 octobre 1870, on choisit un espace sur une large terrasse gazonnée qui avait été fauchée et balayée pendant nombre d’années. Elle regardait vers le sud, mais était ombragée pendant une partie du jour par des arbres. Elle avait été formée au moins un siècle auparavant par une grande accumulation de fragments de grès grands et petits, avec un peu de terre sablonneuse tassée et nivelée. Il est probable qu’elle fut tout d’abord protégée par un revêtement de gazon. À en juger par le nombre de déjections qui s’y trouvaient, cette terrasse n’était guère favorable à l’existence des vers, en comparaison des champs voisins et d’une autre terrasse située plus haut. Il y avait vraiment lieu de s’étonner de voir que tant de vers pussent y vivre ; car en creusant un trou dans cette terrasse, on trouva que la terre végétale noire, avec le gazon, n’avait que 4 pouces d’épaisseur, et au-dessous venait le lit plan, de terre sablonneuse de couleur claire avec beaucoup de fragments de grès. Avant de recueillir aucune déjection, on enleva soigneusement celles antérieurement déposées. Les dernières furent ramassées le 14 octobre 1871. On sécha alors soigneusement les déjections en les exposant à un feu et elles pesaient exactement 3 ½ livres. Cela donnerait pour une acre de terre pareille 7,56 tonneaux de terre sèche rejetée chaque année par les vers.

Le second carré fut pris sur un terrain ordinaire sans clôture, à une hauteur d’environ 700 pieds au-dessus de la mer, et à une petite distance de Leith Hill Fower. La surface était revêtue de gazon fin et court ; elle n’avait jamais été remuée par la main humaine. L’endroit choisi ne paraissait ni particulièrement favorable, ni défavorable aux vers ; mais j’ai souvent remarqué que les déjections sont surtout abondantes sur de la terre ordinaire, ce qu’on pourrait bien attribuer à la pauvreté du sol. La terre végétale avait ici de 3 à 4 pouces d’épaisseur. Cet endroit étant à quelque distance de la maison de la dame, les déjections n’y furent pas recueillies à des intervalles aussi courts que pour celles de la terrasse ; la perte de terre fine en temps de pluie devra donc avoir été plus grande dans ce cas-ci que dans le précédent. D’autre part, les déjections étaient plus sablonneuses, et en les recueillant par un temps sec, elles s’émiettaient quelquefois en poussière et il s’en perdait ainsi beaucoup. Il est donc certain que les vers ont apporté à la surface une quantité de terre beaucoup plus considérable que celle qui fut recueillie. La dernière fois qu’on en ramassa, ce fut le 27 octobre 1871, c’est-à-dire 367 jours après que le carré avait été délimité et la surface débarrassée des déjections déposées antérieurement. Après un séchage soigneux, les déjections ramassées pesaient 7,453 livres, ce qui donnerait pour une acre de la même espèce de terre 16,1 tonneau de terre sèche rejetée par an.


SOMMAIRE DES QUATRE CAS PRÉCÉDENTS

(1.) Déjections déposées aux environs de Nice dans le cours d’à peu près un an, sur 1 pied carré de surface ; M. le Dr King, qui les a recueillies, a calculé qu’elles fourniraient 14,58 tonneaux par acre.

(2.) Déjections déposées pendant à peu près 45 jours sur une toise carrée, dans un champ de maigre pâturage, au fond d’une large vallée creusée dans la craie ; on a calculé qu’elles donneraient annuellement 18,12 tonneaux par acre.

(3.) Déjections recueillies sur une toise carrée d’une vieille terrasse à Leith Hill Place, pendant 369 jours ; on a calculé qu’elles fourniraient 7,56 tonneaux par acre et par an.

(4.) Déjections recueillies sur une toise carrée à Leith Hill Common (Prairie), dans le cours de 367 jours ; elles rendraient annuellement 16,1 tonneaux par acre.


Épaisseur de l’assise de terre végétale que formeraient les déjections déposées dans le cours d’un an, si on les éparpillait d’une façon uniforme. — Les deux derniers cas du tableau précédent nous ont appris le poids des déjections séchées, déposées dans le cours d’un an sur une toise carrée de surface ; je voulus savoir quelle serait l’épaisseur d’une assise de terre végétale ordinaire, formée par cette masse, si on la disséminait d’une façon uniforme sur une toise carrée. Les déjections sèches furent pour cela brisées en petites parcelles, placées dans une mesure de capacité et en même temps bien secouées et tassées. Celles recueillies sur la terrasse donnèrent 124,77 pouces cubiques ; éparpillées sur une toise carrée, cela ferait une assise épaisse de 0,09612. Celles recueillies sur le Common (Prairie) s’élevaient à 197,56 pouces cubiques, et feraient une assise de 0,1524 pouce d’épaisseur.

Ces indications d’épaisseur ont cependant besoin d’une correction, car les déjections, après avoir été triturées, bien secouées et tassées, étaient loin de former une masse aussi compacte que la terre végétale, bien que chaque parcelle séparée fût très compacte. Mais la terre végétale n’est guère compacte elle-même, comme le montre le grand nombre de bulles d’air qui s’élèvent de sa surface, quand on la met sous l’eau. En outre, un grand nombre de petites racines la traversent. Pour déterminer d’une façon approximative combien augmenterait de masse, de la terre végétale ordinaire, si on la brisait en petites parcelles et qu’on la séchât ensuite, on mesura un bloc mince, oblong, de terre un peu argileuse (le gazon une fois enlevé) avant de le briser, puis on le dessécha bien et le mesura de nouveau. À en juger de mesurages extérieurs seulement, il perdit 1/7 de son volume primitif. Il fut alors trituré et en partie réduit en poussière, de la même manière qu’on avait traité les déjections et son volume (malgré le ratatinement par le fait du séchage) dépassait maintenant d’1/16 celui du bloc primitif de terre humide. Ainsi donc, l’épaisseur précédemment calculée de l’assise formée par les déjections provenant de la Terrace une fois humides et disséminées sur une toise carrée, devrait être réduite d’1/16, ce qui réduirait l’assise à 0,09 de pouce, de sorte que dans le cours de 10 ans, il se formerait une assise de 0,9 d’épaisseur. D’après le même principe, les déjections provenant du Common constitueraient, dans le cours d’une seule année, une assise de 0,1429 de pouce, ou de 1,429 en 10 ans. Nous pouvons dire en nombres ronds que, dans le premier cas, l’épaisseur s’élèverait à environ 1 pouce, et dans le second à environ 1 1/2 pouce en 10 ans.

Pour comparer ces résultats avec ceux déduits de la vitesse avec laquelle s’enfouissent de petits objets laissés à la surface des prairies (comme je l’ai décrit dans la première partie de ce chapitre), je donnerai le tableau suivant.


TABLEAU DE L’ÉPAISSEUR DE LA TERRE VÉGÉTALE ACCUMULÉE SUR DES OBJETS ÉPARPILLÉS À LA SURFACE DANS LE COURS DE DIX ANS.

La terre végétale accumulée en 14 3/4 ans à la surface d’une prairie sèche, sablonneuse, près de Maer Hall, s’élevait à 2,2 pouces en 10 ans.

Le montant de la terre accumulée en 21 1/2 ans sur un champ marécageux près de Maer Hall, était d’environ 1,9 pouce en 10 ans.

L’accumulation, en 7 ans, sur un champ très marécageux, près de Maer Hall, s’élevait à 2,1 pouces en 10 ans.

En 27 ans, l’accumulation sur une bonne terre de pâture, argileuse, reposant sur la craie à Down, s’élevait à 2,2 pouces en 10 ans.

La terre accumulée en 30 ans sur le flanc d’une vallée reposant sur la craie, à Down, et où le sol était argileux, très pauvre, et venait seulement d’être converti en pâturage (et, par suite, il était pour quelques années peu favorable aux vers), s’élevait à 0,83 pouce en 10 ans.


Dans ces différents cas, à l’exception du dernier, on peut voir que le montant de la terre apportée à la surface pendant 10 ans, est un peu plus grand que celui calculé d’après les déjections pesées. Ce surplus peut s’expliquer par la perte que la pluie avait antérieurement fait subir aux déjections, par l’adhésion de parcelles aux brins d’herbe environnants, et par l’émiettement des déjections, lorsqu’elles sont sèches. Nous ne devons pas non plus perdre de vue d’autres agents qui, dans tous les cas ordinaires, ajoutent au montant de la terre végétale et qui ne seraient pas compris dans les déjections qui ont été recueillies, et notamment la terre fine apportée à la surface par des larves fouisseuses et des insectes du même genre, et spécialement par les fourmis. La terre apportée à la surface par les taupes a généralement une apparence un peu différente de celle de la terre végétale ; mais au bout d’un certain temps elle ne pourrait plus s’en distinguer. D’autre part, dans les pays secs, le vent joue un rôle important en transportant la poussière d’un lieu à l’autre ; il doit ainsi augmenter la terre végétale, même en Angleterre, sur les champs situés près des grandes routes. Mais dans notre district, ces diverses influences de la dernière espèce n’ont qu’une importance tout à fait secondaire, comparées avec l’action des vers.

Les moyens nous manquent pour juger quel poids de terre un seul ver de bonne taille rejette en un an. Hensen affirme qu’il existe 53,767 vers dans une acre de terre ; mais cette évaluation est basée sur le nombre d’animaux trouvés dans les jardins, et il pense qu’il n’en vit que moitié autant environ dans les champs de blé. On ne sait pas combien il en vit dans les vieilles prairies ; mais en supposant qu’il vive moitié du nombre précédent, ou 26,886 dans un sol de ce genre, et en prenant, d’après le tableau de tout à l’heure, 15 tonneaux comme le poids des déjections déposées annuellement sur une acre, chaque ver doit rejeter 20 onces par an. Une déjection de bonne taille, à l’ouverture d’une seule galerie a souvent, comme nous l’avons vu, plus d’une once de poids ; et il est probable que les vers rejettent plus de vingt d’elles en un an. S’ils rejettent plus de 20 onces par an, nous sommes en droit de conclure que le nombre des vers qui vivent dans une acre de pâturage doit être inférieur à 26,886.

Les vers vivent principalement dans la terre végétale de la surface, et elle est d’ordinaire épaisse de 4 ou 5 pouces à 10 et même 12 ; et c’est cette terre végétale qui passe et repasse par leur corps et est apportée à la surface. Mais il arrive que les vers creusent dans le sous-sol à une profondeur beaucoup plus grande, et alors ils apportent de cette profondeur plus grande de la terre, et cela a continué d’avoir lieu pendant des périodes de temps incalculables. L’assise superficielle de terre végétale finirait donc, bien qu’avec une vitesse de plus en plus ralentie, par acquérir une épaisseur égale à la profondeur même à laquelle les vers poussent leurs galeries, s’il n’y avait pas d’autres influences agissant pour reporter à un niveau plus bas une partie de la terre la plus fine continuellement amenée à la surface par les vers. Quant à savoir quelle épaisseur la terre végétale peut atteindre, c’est là un point sur lequel je n’ai pas eu l’occasion de faire des observations concluantes ; dans le chapitre prochain, nous verrons que le sol s’accroît réellement, bien que sans doute à un faible degré, par l’action des vers ; mais leur œuvre capitale, c’est de séparer les parcelles les plus fines des plus grosses, de mêler le tout de débris végétaux et de le saturer de leurs sécrétions intestinales.

Enfin, à considérer les faits indiqués dans ce chapitre, — l’enfouissement de petits objets et l’affaissement de grosses pierres laissées à la surface, le grand nombre de vers qui vivent sur une étendue de sol modérée, le poids des déjections déposées à l’ouverture d’une seule et même galerie, le poids de toutes les déjections déposées en un temps donné sur un espace mesuré d’avance, — à considérer, dis-je, tout cela, personne ne doutera encore que les vers ne jouent un rôle important dans la nature.

  1. Ce cas est indiqué dans un post-scriptum ajouté à ma note dans les Transact. Geolog. Society (Vol. V, p. 505), et il s’y trouve une erreur importante, car dans le compte-rendu je pris 30 pour 80. Le fermier avait d’ailleurs dit autrefois qu’il avait marné le champ trente ans auparavant, mais maintenant il était tout à fait affirmatif en disant que cela avait été fait en 1809, c’est-à-dire vingt-huit ans avant que le champ eût été examiné pour la première fois par mon ami. L’erreur a été, pour ce qui concerne le nombre 80, corrigée dans un article que je fis paraître dans le Gardeners Chronicle, 1844, p. 218.
  2. Ces fosses sont encore en voie de formation. Dans le cours des quarante dernières années, j’ai vu ou j’ai entendu mentionner en cinq cas l’affaissement soudain d’un espace circulaire de plusieurs pieds de diamètre, laissant dans le champ une ouverture à faces verticales et de quelques pieds de profondeur. C’est ce qui arriva dans un de mes propres champs, pendant qu’on y passait le rouleau, en sorte que les jambes de derrière du timonier s’y enfoncèrent ; il fallut le contenu de deux à trois tombereaux pour combler le trou. Là où l’affaissement eut lieu, il y avait déjà une large dépression, comme si la surface s’était éboulée à plusieurs périodes antérieures. On m’a parlé d’un trou qui doit s’être formé subitement au fond d’une petite mare peu profonde ; les brebis y avaient été lavées pendant nombre d’années, et un homme occupé à cet ouvrage s’y trouva précipité à sa grande terreur. Dans tout ce district, l’eau de pluie pénètre perpendiculairement dans le sol, mais la craie est plus poreuse en certaines places qu’en d’autres. C’est ainsi que l’eau de drainage venant de l’argile superposée est dirigée vers certains points où est dissoute une quantité de matière calcaire plus considérable qu’ailleurs. Il se forme même dans la craie solide des canaux étroits ouverts. La craie se dissolvant d’une façon lente sur toute l’étendue du pays, mais plus en certaines parties qu’en d’autres, le résidu non dissous, c’est-à-dire la masse superposée d’argile rouge avec silex, s’affaisse aussi avec lenteur et tend à combler les fosses ou cavités. Mais grâce probablement aux racines des plantes, la partie supérieure de l’argile rouge tient bon plus longtemps que les portions inférieures, et elle forme ainsi un toit qui tôt ou tard s’écroule comme dans les cinq cas mentionnés. Le mouvement d’affaissement de l’argile peut se comparer à celui d’un glacier, mais il est incomparablement plus lent et ce mouvement explique un fait singulier, c’est que les silex fort allongés qui sont incrustés dans la craie dans une position à peu près horizontale, se trouvent d’ordinaire placés à peu près ou tout à fait verticalement dans l’argile rouge. Ce fait est si commun que c’est leur position naturelle pour les ouvriers. Je pris d’une façon grossière la mesure d’un de ces silex disposés verticalement et il avait la même longueur et presque la même épaisseur que mon bras. Ces silex allongés doivent arriver à occuper leur position verticale. d’après le même principe qui fait qu’un tronc d’arbre abandonné sur un glacier acquiert une position parallèle à la ligne de motion. Les silex qui forment dans l’argile presque la moitié de la masse, sont très souvent brisés, mais ni roulés, ni rongés ; et cela peut s’expliquer par leur pression mutuelle, pendant l’affaissement de la masse entière. Je pourrais ajouter qu’ici la craie parut avoir été recouverte à l’origine en certains points d’un mince lit de sable fin, avec quelques cailloux de silex parfaitement arrondis, datant probablement de la période tertiaire ; car souvent du sable de ce genre remplit en partie les fosses ou cavités les plus profondes dans la chaux.
  3. Nature, novembre 1877, p. 28.
  4. Proc. Phil. Soc. of Manchester, 1877. p. 247.
  5. Frans. of the New-Zealand Institute, vol. XII, 1880, p. 152.
  6. M. Lindsay Carnagie remarque dans une lettre (juin 1838), à sir Charles Lyell, que les fermiers écossais n’osent pas mettre de la chaux sur des champs labourés, sinon immédiatement avant de les préparer à servir de pâturage, parce qu’ils croient qu’il y a alors tendance à affaissement. Il ajoute : « Il y a quelques années, je mis en automne de la chaux sur un champ d’avoine, après la fauche, et le labourai pour l’enterrer ; elle se trouva ainsi en contact immédiat avec la matière végétale en décomposition, et devait nécessairement s’y mêler intimement par toutes les opérations ultérieures de la culture. En conséquence du préjugé mentionné plus haut, on me regarda comme ayant commis une grande faute, mais le résultat fut un brillant succès, et mon exemple fut suivi avec prédilection. Je pense que, grâce aux observations de M. Darwin, le préjugé disparaîtra. »
  7. Cette conclusion est, comme nous allons le voir tout de suite, pleinement justifiée, et elle a son importance, car, les pierres de repère, comme on dit, que les géomètres plantent en terre pour marquer leurs niveaux d’une manière authentique, peuvent, avec le temps donner de fausses indications. Mon fils Horace a l’intention de déterminer quelque jour jusqu’à quel point cela a lieu.
  8. M. R. Mallet fait observer (Quarterly Journal of Geolog. Soc., vol. XXXIII, 1877, p. 745) que : « il est aussi remarquable qu’instructif de voir à quel point s’est tassé le sol au-dessous des fondations de monuments massifs d’architecture, comme des tours de cathédrales. Le montant de la dépression se mesure par pieds en quelques cas » ; il existe comme exemple la Tour de Pise, mais en ajoutant que ses fondations reposent sur de l’argile compacte. »
  9. Zeitschrift für wissensch, Zoolog., vol. XXVIII, 1877, p. 354.
  10. Consulter la note de M. Daucer dans Proc. Phil. Soc. of Manchester, 1877, p. 248.