Rêveries sur la nature primitive de l’homme (éd. 1802)/Sommaire


SOMMAIRES
DES
RÊVERIES.



SOMMAIRE
De la première Rêverie.



Dépendance inévitable de l’homme. Assujettissement indirect au cours des choses lors même que l’on veut les maîtriser. Comment le besoin d’espérer ce que nous desirons nous dissimule le joug de la nécessité.

Site aride et solitaire. Horizon illimité sous un ciel ardent. Profondeur de la nature. Opposition de la permanence universelle à la mobilité individuelle. Contradiction et inintelligibilité dans un plan raisonné et des causes finales. Vanité de l’extension humaine dans des destinées mortelles. Anéantissement. L’idée comprimante de l’anéantissement, après ce délire qui nous fait embrasser dans nos conceptions un espace et une durée indéfinis, produit sur nous l’effet du retour de l’ivresse.

Indifférence et nécessité de toute chose. Les formes, les modifications peuvent être connues dans leurs rapports ; les essences ne peuvent l’être, parce qu’elles ne peuvent être comparées. Les êtres sont absolument, éternellement ; leurs agrégations se combineront dans tous les rapports possibles, et changeront sans aucun repos, sans aucune permanence.

Le beau, le juste sont des rapports accidentels, de pures abstractions de l’ordre social. Toutes choses sont égales dans l’universalité des choses. Et l’homme, et l’herbe, et le globe commencent, durent et finissent par les mêmes lois. Agrégation organisée. Est mue par l’action des autres corps et les meut par sa réaction. Tout mouvement est communiqué ; est reçu et rendu.

Les composés les plus organisés, conservant quelque trace des impressions reçues, ont le sentiment du moi, de la succession d’impulsions, ou assemblage de plusieurs traces présentement conservées d’impressions successives dans leur principe. Le sentiment de cette continuité devenu habituel, a produit le rêve de l’immortalité : la durée future de cette continuité étant nécessairement indéfinie dans notre imagination. L’individu ne sentant qu’en lui, doit d’abord juger plus grands les objets placés près de lui, et lui-même plus grand que tout autre être ; et c’est la source première de toutes nos chimères sur l’importance et la durée de notre être. Nous pouvons estimer les relations particulières des choses dans leurs rapports avec notre individu ; cette seule connoissance est utile, elle seule peut être certaine ; mais nous manquons de données pour l’estimation, d’ailleurs inutile, des différences et des rapports généraux ; et quant aux essences, elles ne peuvent être connues de nulle intelligence. Si la nature entière nous étoit connue, cette connoissance absolue des choses nous seroit inutile ; car tout est nécessaire. Il n’existe qu’une vérité absolue mais les vérités relatives sont les modérateurs de la vie.

Notre volonté n’est point une cause première et libre, mais un effet nécessaire de causes antérieures. Comment la volonté paroît libre ; comment la volonté forte paroît conduire aux succès ; et comment la confiance s’accorde avec la prospérité et l’annonce même en quelque sorte.




SOMMAIRE
De la seconde Rêverie.



De l’être et de la nature. De l’être simple ; de l’être composé ; de l’être organisé. Des divers moyens de conservation des composés plus ou moins organisés.

De la faculté sensitive dans la particule élémentaire et dans l’être composé. Des sensations, des traces conservées et comparées. De la continuité de sensations. Tout désir n’est primitivement que le sentiment d’un besoin, et tout besoin particulier n’est qu’une modification du besoin général d’être conservé.

De l’enchaînement de toutes choses passives et actives, causes et effets, mues et motrices.

Des premiers besoins de l’être animé. Extension accidentelle des premiers besoins. Le besoin d’activité devient immodéré dans l’homme livré à la multitude des impulsions sociales. Cet excès conduit nécessairement ou à l’épuisement ou à l’ennui.

Avidité de sensations, besoin de sentir, d’où passions appétantes ; mais de ne pas sentir péniblement, d’où passions repoussantes et comme négatives.

De l’habitude de balancer perpétuellement ce que l’on cherche et ce que l’on évite, se forme une sorte de besoin d’équilibre presqu’absolu, mêlé d’une légère inclinaison vers le désir ; un jugement modérateur, un sentiment subtil, composé factice et presqu’indéfinissable[1].

Résultats des mobiles universels, modifiés dans chaque homme par l’habitude. Raisons du pouvoir de l’habitude. Habitude, raison déterminante dans ce qui n’est pas d’une nécessité universelle et absolue. La loi invariable des premiers besoins constitue l’espace ; la loi secondaire de l’habitude constitue l’individu. Comment le pouvoir de l’exemple est une modification du pouvoir de l’habitude.




SOMMAIRE
De la troisième Rêverie.




. . . . . Tacitum sylvas inter reptare salubres

Curantem quidquid dignum sapiente bonoque est ?
HORACE, Epit. IV.



De la méditation déterminée et de la rêverie. Pourquoi celle-ci est douce et la première pénible. De la facilité que les objets extérieurs donnent à la rêverie, et comment notre situation intérieure est produite par les impressions reçues du dehors. Des effets sensibles que nous pouvons produire sur notre pensée par le plus léger mouvement imprimé à nos organes.

De notre dépendance des lieux et des saisons. Division de l’année solaire en deux parties marquées ; l’une de renouvellement, de développement ; l’autre d’altération, de dissolution. Pourquoi les effets premiers et moyens de ces deux progressions influent davantage sur nous que les effets extrêmes.

Des impressions ineffables du printemps. Des cœurs trop sensibles qu’il consume, et des cœurs flétris qu’il ne peut plus faire jouir.

De l’automne, de ses jours abrégés, de son ciel calmé, de sa paix mélancolique. Comme elle convient à l’homme simple, à l’homme sage, à l’homme sensible et détrompé, aux cœurs vieillis avant le tems.

L’hiver attaché aux arts par le prétexte des besoins ; mais le facile été inspire le regret de la simplicité naturelle. Pouvoir de ces regrets ; pouvoir de ceux que réveilloient les accens du R. des V. dans le cœur des montagnards.

Des impressions faciles et profondes que tout produit sur l’homme sensible. De la vraie sensibilité, de ses perpétuelles agitations, de ses foiblesses et de sa dépendance. Dans quels hommes elle conduit à l’ennui de la vie.

Du malheur de l’homme à la fois sensible et détrompé. De l’opposition pénible qui règne en lui. De ses besoins sans objet. Comment l’inanimé même nourrit ses douleurs et l’entretient de ses regrets.




SOMMAIRE
De la quatrième Rêverie.



Nos affections sont déterminées plus encore par les dispositions particulières de nos organes que par l’impression actuellement reçue du dehors. Le plus vrai de nos biens est cette harmonie générale de tout notre être, qui fait la santé parfaite. La vie n’est qu’une sorte d’oscillation qui nous fait passer et repasser en quelque sorte ce point harmonique en deux sens différens. Cette oscillation retenue dans ses bornes est la santé, le bien-être ; lorsqu’elle nous emporte trop loin, c’est la douleur, les maladies, la destruction. Le sentiment de cette harmonie nous donne ces momens délicieux et inexprimables, où, dans quelque situation extérieure que nous nous trouvions, nous ne pouvons éprouver que des sentimens heureux, et rencontrer que des occasions de jouissances ; ces momens de paix et d’énergie, où, libre et indifférent, l’on se sent habile à tous les biens et supérieur à tous les maux.

L’homme ne peut obtenir cette heureuse harmonie de son être que par l’emploi habituel et modéré de ses facultés. L’inaction donne un sentiment pénible de nullité, et rend odieuses nos heures stériles.

L’énergie ne sauroit être soutenue si elle ne s’exerce ou sur des objets variés, ou sur un objet inépuisable ; ainsi les plaisirs ne peuvent suffire a l’emploi de la vie.

Primitivement, l’être animé ne pouvoit être malheureux. Il ne connoissoit le mal que dans des instans très-rapides ; les autres parties de sa vie étoient bonnes ou indifférentes, et celles-ci mêmes étoient bonnes ; car, primitivement, le sentiment de sa propre existence devoit lui suffire. Le bonheur de l’être sensible est de se sentir selon sa nature. L’être qui sent qu’il est, qu’il continue d’être, qu’il se conserve pour être, se sent selon sa nature. Ce sentiment est un sentiment de bien-être. Différence entre cet état primitif et l’état actuel de l’homme. Du besoin de sensations fortes et positives dans cet état actuel. Besoin d’occupations commandées.

Comment trop de liberté dans les détails de la vie conduit à l’inaction et celle-ci à l’ennui. Causes de l’ennui. Misères réelles de la classe privilégiée. Incertitude, indolence, dégoût de toutes choses ; ennui de la vie. Avantages d’un cœur simple et des désirs limités.

Des illusions qui nous abusent dans la recherche du bien. Différences essentielles, opposition entre la simplicité et la misère. De la simplicité. De la misère. L’homme simple n’est ni ne peut être misérable.


SOMMAIRE
De la cinquième Rêverie.



Il est des jours d’ennui, d’abattement extrême,
Où l’homme le plus ferme est à charge à lui-même.

Machbet
Par Ducis.


Des tems d’abattement qui ramènent presqu’à la foiblesse et à la dépendance du commun des hommes les âmes les plus grandes, et les génies les plus élevés.

Les maux extrêmes ne peuvent abattre une grande ame ; au contraire, ils lui rendent toute son énergie. Ce qui l’épuise insensiblement, et l’entraîne par un effort lent et indirect à s’abandonner à l’apathie, c’est cette continuité misérable de peines et d’ennuis qui obsèdent et oppriment chaque jour une vie privée de situations énergiques et consumée dans un ordre de choses contraire à notre nature. Le seul fléau d’une grande ame est la langueur ; elle deviendrait plus forte en luttant contre un ennemi puissant : elle n’est vaincue que lorsqu’elle dédaigne de résister.




SOMMAIRE
De la sixième Rêverie.



Nos excès physiques et moraux sont des résultats sensibles de l’extension que nous ayons donné à notre principe actif, au besoin de sentir et d’agir. Nous aimons les impulsions extrêmes, nous exagérons tous nos besoins, nous nous livrons avec enthousiasme à tous les mobiles de la vie.

Des boissons spiritueuses. De leurs effets. Du délire inévitable qui les fait par-tout adopter.

Retour nécessaire de toute énergie immodérée, de toute joie exaltée, de toute ivresse.

L’usage des boissons fermentées et théïformes détruit l’aptitude au vrai bonheur. Des maux de nerfs.

L’homme a épuisé toute son industrie à détruire voluptueusement son être, et cette expérience de tous les siècles est perdue pour l’aveugle postérité.




SOMMAIRE
De la septième Rêverie.



Une impulsion est nécessaire à l’être actif, mais des moteurs multipliés et toujours opposés fatiguent sa vie. Les traces du passé toujours conservées et celles de l’avenir toujours pressenties occupent nos facultés, de ce qui est éloigné ou imaginaire, et nous ne vivons, presque jamais dans le moment actuel ; ainsi toujours autres que ce que nous devrions être, nous perdons notre vie.

Il importe que la sensation actuelle soit supérieure à toute autre ; il importe encore qu’elle soit convenable à notre nature. Telle étoit la première disposition des choses : nos maux viennent de nous en être éloignés ; il est des moyens de nous en rapprocher, soit directement, soit indirectement.

Des effets des fermentés, et de ceux de la vraie philosophie. Les fermentés nous font rétrograder vers l’état le plus convenable à notre être, mais instantanément et d’une manière destructive : or le bonheur ne consiste que dans la continuité de bien-être, l’exemption de douleur. C’est donc à la philosophie qu’il faut recourir ; elle nous apprend à vivre dans le présent, et à nous y modifier d’une manière propre à notre nature.

Des occupations commandées peuvent suffire à beaucoup d’hommes contre une partie des maux factices. Mais il ne reste que la philosophie à ceux qui ont le double malheur d’être éloignés de la première simplicité, et d’être dans le cours actuel des choses, exempts de travaillée besoins et d’ignorance.

Discordance entre l’œuvre des hommes et l’œuvre universelle. Elle n’est sensible que pour ceux dont l’esprit atteint les limites de l’institution humaine.

La philosophie, en nous faisant voir universellement et également, nous apprend à choisir et à rejeter selon nos vrais besoins, et ainsi supplée, quoiqu’imparfaitement, aux moyens primitifs de n’éprouver que ce qui est convenable à notre nature.

Du vrai philosophe. De la vraie philosophie. Elle convient réellement à peu d’hommes. Il ne faut point s’arrêter dam la recherche du bon et du vrai. Quand on a mal entendu la philosophie ou que l’on a abusé d’elle, le vulgaire en conclut qu’elle est inutile ou funeste au bien public.

La vraie philosophie ne sauroit nuire aux hommes ; cependant ses lois ont quelque chose de vain : tout est nécessaire et irrésistible ; et, comme elle donne le sentiment de cette vérité, elle ne peut satisfaire aussi pleinement que le mobile primitif de la sensation présente.


SOMMAIRE
De la huitième Rêverie.



Moments d’une température heureuse qui, au sein des frimats, vers le solstice d’hiver, semblent participer de la douceur de l’automne et du renouvellement du printemps. De la Violette, des lieux qu’elle aime et des hommes qu’elle intéresse. Vallon solitaire.

Quand le cœur s’ouvre aux passions, il s’ouvre à l’ennui de la vie. Comment l’homme est devenu malheureux par ses désirs mêmes. Agitation sans objet fixe, besoin d’une passion plus déterminée ; effet de ce besoin sur une ame forte. Contradiction entre les grands projets du génie et sa destinée mortelle. La nécessité entraîne seule l’univers. Abandonner cette prolongation d’existence qui est impossible et contradictoire, et user de la vie rapide, sans vouloir étendre vainement son être, mais sans souffrir qu’il soit comprimé. S’élever aux vues générales, aux conceptions indépendantes.

Vie de l’homme. Vanité et incertitude de ses causes, de sa destination, de ses biens, de ses vertus. Vanité de tout son être considéré dans le système des moralistes. Animé par le seul intérêt personnel, soutenu par la seule illusion, il n’est réellement entraîné que par le cours mécanique de l’univers.

Ce n’est point dans l’histoire de quelques générations que l’on peut lire ce qui convient vraiment à l’homme ; il faudroit plutôt consulter ce qui est resté dans nous à la nature.

Il faut des sensations profondes aux hommes organisés pour sentir, profondément ; ils sont fréquemment réduits à l’état de suspension et d’apathie. Nous souffrons nécessairement, nous ne sommes point selon notre nature, lorsqu’il y a opposition entre les objets du dehors et notre situation intérieure. Dans des lieux sauvages le solitaire trouve des moteurs dans les objets inanimés. Les pins renversés, le vent des montagnes, la feuille détachée d’un hêtre, le roc miné par l’effort séculaire des frimats, de la végétation et des ondes ; le silence ou le mouvement, la vie ou les ruines, tout l’entraîne et le modifie ; il n’existe plus individuellement et isolé ; mais il participe de la situation et des altérations de tout ce qui l’entoure.




SOMMAIRE
De la neuvième Rêverie.



Si l’homme, est né bon ou méchant. De l’extrême imperfection de notre morale ; des causes qui s’opposent à son avancement, ou plutôt qui l’empêchent d’abandonner les voies sur lesquelles elle s’est égarée, et de rétrograder pour se mettre dans sa direction naturelle. L’homme n’est point bon, il n’est point méchant, il est homme. S’il est bon ce n’est point dans notre sens ; il ne peut être bon que relativement ; sa bonté au sa perfection serait dans l’accord entre son espèce et les autres parties de l’univers.

Dans l’alternative de suivre la nature ou de la forcer à d’autres lois, on conçoit à peine que l’on ait pu entreprendre de détourner le cours universel des choses pour lui faire prendre la direction indiquée par quelques animalcules en délire. Du pouvoir limité de nos institutions même sur l’homme individuel. De la complication de causes dans tous les effets, naturels.

L’éducation sera essentiellement mauvaise par-tout où elle combattra la nature, elle le sera relativement toutes les fois qu’elle ne s’accordera point avec tous les moyens physiques ou moraux qui tendent comme elle à modifier l’homme. L’opposition entre nos besoins et nos préceptes, nos usages et nos lois, fait des devoirs et de toute la conduite de la vie un ténébreux cahos où le méchant audacieux surnage seul, mais où l’homme de bien, dans son incertitude, est toujours englouti.

Nos maux sont les fruits de nos erreurs et non d’une détermination originelle. L’opposition entre nos affections et nos devoirs a entraîné, et comme nécessité, l’imposture ; mais l’examen vient enfin abattre ce vain travail fondé sur le mensonge. Le système de répression n’étoit point celui qui convenoit à l’homme. Au lieu d’opposer à ses impétueux désirs des barrières toujours opprimantes et jamais insurmontables, il falloit le retenir en arrière et l’attacher par un penchant contraire, dans ces mêmes bornes que les dégoûts seuls l’excitoient à franchir.

Le désir de son bien-être est le seul mobile intérieur d’un être animé. C’est l’extension de nos besoins qui a produit toutes les chimères oppressives. Pour gouverner les hommes sans les rendre heureux, il falloit bien les tromper. Langage qu’employa l’imposture. Comment l’homme malgré sa foiblesse vint pourtant à préférer les vertus difficiles aux habitude » heureuses. Comment l’homme, né pour jouir, mit à souffrir et sa gloire et sa passion même. L’homme sans passions seroit contradictoire, son existence est impossible. Les passions font seules notre morale. L’homme en société, loin de les détruire, doit les unir toutes, et les diriger vers le but commun. L’art de jouir est le seul art de l’être animé. Ce que les moralistes objectent contre le plaisir ; réponse à ces funestes assertions. Du, plaisir convenable à l’homme. Du partage des plaisirs, loi de l’intérêt personnel indiquée par la conformité d’organisation entre les hommes. Des générations meilleures pourront regarder un jour le système moral des sociétés présentes comme une supposition monstrueuse qu’aucun siècle n’a pu réaliser.




SOMMAIRE
De la dixième Rêverie.



Habitude ; permanence de son pouvoir. Les désirs changent, la séduction passe, le plaisir isolé s’oublie ; mais l’habitude prolonge sa douceur jusqu’au dernier moment de la vieillesse. Son empire est plus sensible sur l’homme bon et sur l’homme droit. Comment elle convient au sage. Même dans les suppositions romanesques, les plaisirs variés ne séduisent point comme la peinture des habitudes, pouces et constantes.




SOMMAIRE
De la onzième Rêverie.



L’habitude devient un joug pour les âmes foibles, mais cela même est un moyen d’établir des mœurs publiques. Son pouvoir indirect pourroit encore retenir l’imagination. C’est surtout cette faculté de supposer des rapports imaginaires, qui étend les relations au-delà des forces, et la dépendance bien plus que les plaisirs.

Ce furent les misères réelles qui produisirent des terreurs, chimériques. Les rêves heureux qu’elles enfantèrent aussi quelquefois sont un fléau de plus, les momens les plus pénibles de la vie sont ceux qui montrent le néant des biens que l’on s’étoit promis. Différence essentielle entre les désirs du besoin et les désirs de l’imagination.

Des mœurs ; sans elles les meilleures lois sont impuissantes ; sans elles l’on ne tient jamais vraiment à sa patrie. L’amour de la patrie n’exclut pas nécessairement la bienveillance pour les autres hommes : pourquoi il l’exclut ordinairement.

Contrées plus ou moins faciles au bonheur. Habitudes propres à isoler un peuple et à l’empêcher, même à l’avenir, de se confondre parmi les nations voisines. De Sparte, des Hébreux, des Chinois, de Zoroastre et des Zabiens.

La conformité des habitudes et des besoins est le seul véritable lien parmi les hommes. Tant qu’il existera chez eux une différence marquée entre les besoins, les idées et le sort des divers individus et des diverses classes, l’on n’y trouvera ni union, ni mœurs, ni bonheur.

De l’égalité réelle, de l’égalité devant la loi ; de son impossibilité. L’injustice est nécessaire entre des hommes inégaux.

De la liberté politique chez les peuples qui ont du commerce et du luxe. Un tel peuple est toujours partagé en deux classes opposées par leur nature, et dont l’une prépare réciproquement pour l’autre les fléaux qu’elle en reçoit.

Du luxe. De Voltaire. Des jouissances simples, communes à tous et toujours durables.

Du commerce ; de sa séduction ; de ses véritables effets. Le commerce, tolérable chez certaines nations, doit être absolument rejeté d’un peuple neuf. De ce que l’on pourroit objecter en faveur du commerce, de ses suites mortelles. Siècles bien policés comparés à ceux que nous nommons sauvages.




SOMMAIRE
De la douzième Rêverie.



De ce mot de la philosophie des Grecs : vis pour mourir. Des suppositions gratuites, et des contradictions qu’il renferme.

De l’opinion de deux substances essentiellement différentes et pourtant unies dans l’homme. Pourquoi les esprits ne se sentent-ils point eux-mêmes comme les corps ? pourquoi ne se communiquent-ils point indépendamment des organes corporels ? Si l’esprit n’agit que par les sens visibles, que sera-t-il quand ceux-ci ne seront plus ? s’il peut exister indépendamment du corps, pourquoi lui est-il assujetti ? pourquoi s’agrandit-il, repose-t-il, s’affoiblit-il avec lui ! etc. etc. etc. etc.

Que prouve-t-on en disant que la pensée est une ? Raisons de la répugnance que beaucoup d’hommes éprouvent à croire l’ame matérielle. Si l’on prétend que l’homme a une ame et que les autres animaux n’en ont point, quelle différence caractéristique trouve-t-on entre la raison humaine et la raison de » bêtes ? en existe-t-il quelqu’autre que celle du plan au moins ?

De la supposition d’une matière subtile, active, sorte de feu élémentaire. De l’homme examiné et expliqué dans cette supposition. De l’action et de la réaction réciproque de la matière essentiellement active, et de la matière indifférente. De la composition et de la dissolution des agrégats. Des bêtes. Des végétaux. De tous les composés.

Des deux âmes, l’une raisonnable, l’autre sensitive. Incompatibilités et absurdités du système de l’ame immatérielle. Les divers degrés d’intelligence facilement expliqués dans l’hypothèse de la matière subtile et active, imprimant le mouvement à la matière indifférente. De l’immortalité. De l’immortalité selon une secte de lettrés. De l’immortalité selon’ Socrate. Du Phédon. De la preuve de l’immortalité que l’on prétend trouver dans le désir que nous en avons ; et de celle que l’on déduit de la sorte d’impossibilité de concevoir la cessation de notre être.

De la liberté. Si tout est nécessaire, comment aucun individu peut-il être libre ? s’il en est autrement, comment l’univers subsiste-t-il ?




SOMMAIRE
De la treizième Rêverie.



De l’hypothèse la plus naturelle sur les élémens principes. Deux principes reconnus presqu’universellement. De la matière active et de la matière inerte. De l’optimisme. Si l’absence de tout mal est nécessaire au bonheur de l’être sensible. En quoi pourroit consister la perfection de l’univers. Du système qui n’admet qu’un seul élément principe. Dans quel sens la nature est une. De l’élément actif, ou feu élémentaire. Opinion de Diderot dans l’interprétation de la nature. Du double mouvement primitif. Conjecture de Buffon.




SOMMAIRE
De la quatorzième Rêverie.



Dépendance factice de l’homme. Effort qu’il fait pour s’assujettir lui-même. Altération des mœurs et affoiblissement de l’ame produits par la complication des intérêts, la multitude des choses de la vie, et l’inextricable opposition entre les objets de nos passions. Quels hommes et quelles mœurs cet ordre de choses, produit nécessairement. De l’irrésolution et de la versatilité de la vie fruit inévitable d’une trop grande liberté de choix. De la liberté ; elle consiste à être selon sa nature. De la liberté civile, de la liberté politique, considérées dans ce sens. Suites du commerce, de la grandeur et du faste des états. Faux principes dont s’autorise cette classe d’hommes qui domine en disant qu’elle gouverne.

Nécessité de la subversion générale de nos innovations. On ne réforme point les abus, on ne fait que les interrompre. Des âmes petites et pusillanimes qui veulent que tout soit ingénieux, faute de concevoir que quelque chose puisse être grand ; et qui veulent un pays célèbre, n’ayant aucune idée d’une patrie qui seroit heureuse.




SOMMAIRE
De la quinzième Rêverie.




Volentem fata ducunt, nolentem trahunt.


L’Imprévoyance naturelle portoit les hommes à s’abandonner au cours des choses ; la sagesse le leur prescrit également ; mais la différence parmi nous est si grande entre les diverses situations de la vie, il y a tant à risquer ou à espérer, que l’on cherche continuellement à déterminer son sort. Tout est vainement bouleversé dans l’agitation de ces efforts multipliés et inalliables. Cette indifférence, vœu de la sagesse et repos de la vie, ne peut être générale que dans des institutions qui nivellent et simplifient nos destinées.

Du besoin d’activité naturel à l’âge d’accroissement. Du besoin de repos naturel à l’âge d’altération et de dépérissement. Le moment de la plus grande énergie est celui où ces deux impulsions se trouvent le plus également contrebalancées.

De l’homme sans passions ; du besoin qu’il a d’un moteur pris hors de lui-même. De l’indifférence et de l’apathie dans lesquelles il doit tomber naturellement. Supériorité d’une impulsion rapide et involontaire sur un effort raisonné. Inconséquence de cette morale qui cherche à éteindre les passions, et veut ensuite de la force et du zèle. Sans les passions il n’est point de morale. Dans la vie morale comme sur les mers, un calme absolu est plus funeste que la tempête. Effets de cet état de découragement et de dégoûts. Difficultés d’y remédier même par la philosophie. Différence entre la vie du zélateur de la sagesse et celle de l’homme désabusé et fatigué de toute chose.

Effets des occupations habituelles. Effets du goût de l’ordre appliqué constamment aux petites choses. Notre cœur cherche, quelque part que ce soit, un mobile auquel il puisse se livrer. Les lois sont fondées sur la nécessité de donner à tous une détermination d’ensemble, et de n’être pas dans une perpétuelle délibération. Il faut que les institutions soient telles que la raison puisse s’abandonner à leurs suites naturelles, et que l’intérêt individuel aime à s’y abandonner.

Du génie. Du génie de l’instituteur des peuples. Il réunit l’étendue, l’ordre et l’énergie. Il ne peut être dans l’ordre social, qu’un seul objet digne d’une grande ame. Le sage aime à se circonscrire, mais si son génie et les circonstances lui permettent de servir les hommes, il ne peut s’abandonner au repos philosophique. Du sentiment profond d’ordre et d’harmonie qui caractérise le sage. Il est inaccessible à toute prévention. Il juge les choses selon leur nature et non selon leurs rapports accidentels. Du dédain avec lequel la science sans profondeur rejette les erreurs sans y savoir chercher les vérités qu’elles couvrent. De la manière dont le vrai sage étudie la nature et l’homme. Comment les hommes mirent le difficile à la place du bon et changèrent les impulsions utiles en vertus austères. Que tout mal est abus, dégénération ; et que rien peut-être n’a été erroné dans son principe.




SOMMAIRE
De la seizième Rêverie.



Si les suites de ce que nous appelons la perfectibilité de l’espèce humaine sont des maux irrémédiables. Si l’homme est réellement par-tout semblable. Si les institutions que l’on prétend impossibles, n’ont pas été réalisé partiellement. Des effets réels de cette industrie qui cherche sans cesse un nouvel objet, et veut tout perfectionner en proposant à sa vanité des produits toujours plus difficiles, et à son avidité des plaisirs toujours plus grands. Des effets que font sur nous les peintures pastorales, quelque défigurées qu’elles soient par un pinceau mesquin, fleuri et maniéré.




SOMMAIRE
De la dix-septième Rêverie.



De ce qu’il faut à la félicité individuelle de l’homme. Des illusions qu’il doit abandonner. Quels objets il peut proposer à ces affections qui l’entraînent si facilement dans des voies funestes.

Terre circonscrite propre au bonheur d’un petit nombre d’hommes qui voudraient cesser de dissiper leurs jours. Isle dans le lac de Bienne. Ineffable quiétude de cette terre isolée. Lac de Bienne. Jura. Grande chaîne des Alpes. Chillon. Effets moraux des mots et des dénominations. Du langage qui peint, et de celui qui définit. Des Alpes, de leurs pâturages élevés, de leurs vallées, de leurs habitudes nomades. Repos moral dans ces régions silencieuses. Lenteur et permanence de toutes choses dans l’Hasly et l’Underwalden. Mœurs des hautes vallées.

Des lieux qui conviennent à une vie paisible, à une association d’hommes indifférens aux séductions de la vie agitée. De ceux qu’il faut à une ame forte, à l’homme isolé qui cherche des sensations selon ses besoins, et des hommes selon la nature. Pouvoir des sons sur l’homme. L’ouïe est de tous nos sens celui qui nous ébranle et nous modifie le plus profondément, et qui agit le plus sur ce que l’on nomme la sensibilité morale. De la succession des sons. De la musique.

Vieillesse inévitable de l’espèce humaine. Vieillesse du globe. Progrès du siècle présent. Possibilité pour l’homme d’une extension beaucoup plus grande encore. Limites insurmontables de ses facultés passives. Des tems de superstitions et de servitude. De l’époque où tout sera indifférent, ridiculisé et avili. Des lieux où l’homme pourroit encore s’arrêter et prévenir une plus funeste déviation.



FIN.
  1. Ce que nous nommons délicatesse dans nos sociétés actuelles.