Rêveries d’après guerre sur des thèmes anciens/03

Rêveries d’après guerre sur des thèmes anciens
Revue des Deux Mondes6e période, tome 44 (p. 307-339).
RÊVERIES D’APRÈS GUERRE
SUR
DES THÈMES ANCIENS

III[1]
LE CHEMIN DES ÉCOLIERS

Sollicité à la flânerie, j’ouvre un vieux livre, de ceux qu’on ne consulte guère, mais que l’on garde pourtant par l’habitude invétérée de voir leur dos terni toujours à la même place de la bibliothèque. Le volume date de 1816, l’époque où les titres longs et consciencieux étaient en faveur ; celui-ci est un modèle de scrupule et de prolixité : il est ainsi libellé : Biographie moderne ou galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire, contenant les portraits politiques des Français de l’un et l’autre sexe, morts ou vivans, qui se sont rendus plus ou moins célèbres, depuis le commencement de la révolution jusqu’à nos jours, par leurs talens, leurs emplois, leurs malheurs, leur courage, leurs vertus ou leurs crimes. L’appât est alléchant ; par malheur, soit que les auteurs de ce dictionnaire biographique fussent sincèrement d’ardens royalistes, soit que l’éditeur, avisé et pratique, eût exigé d’eux, par crainte de la censure et dans l’intérêt de la vente, qu’ils ne lésinassent point sur la quantité de l’encens dont on savait l’odeur particulièrement agréable au gouvernement d’alors, leurs appréciations sont empreintes d’une partialité aussi exagérée que divertissante.

Rien, d’ailleurs, ne dispose mieux l’esprit à une tolérante philosophie que de feuilleter un répertoire du genre de celui-ci ; c’est, à proprement parler, une promenade dans un cimetière : on rencontre tant de noms de pauvres gens pour jamais oubliés et qui pourtant s’étaient évertués à faire dans le fracas du grand drame un peu de bruit ! Ils ont pu se croire, un court instant, assurés de la renommée ; peut-être ont-ils conçu l’illusion de la gloire. Si l’on excepte quelques-uns que la postérité connaît et dont elle s’occupe, soit pour les exalter, soit pour les maudire, que d’efforts ignorés, que d’émotions en pure perte, que d’habiletés déçues, quel tumulte vain d’ambitions, d’intrigues, de combinaisons et d’embarras !

Ce qui frappe plus encore à parcourir cette nomenclature des ouvriers d’une grande heure, c’est l’adaptation aux rôles les plus divers de cette génération issue, entre 1755 et 1770, de tous les milieux sociaux de France ; à mesure que les pages tournent, l’étonnement s’accroît : il semble qu’un malicieux hasard ait mêlé toutes les conditions et toutes les compétences, comme un joueur de loto mêle dans un sac, en les secouant, les boules numérotées dont quelques-unes sont destinées à l’avantage de marquer les quines. L’un, petit robin de province, résigné à son médiocre cabinet d’avocat, deviendra le plus redouté des dictateurs et son nom sera répété jusqu’aux extrémités du monde ; ce hobereau oisif, qui n’a jamais pensé qu’à la chasse et aux filles, commandera des armées et traitera d’égal à égal avec les puissances ; un autre, né noble et riche, finira cuisinier dans un office de Londres ; celui-ci, fils de paysan, deviendra le souverain d’un grand pays ; celui-là, simple moine, sera duc et millionnaire ; voici des ouvriers nommés généraux, des employés promus législateurs, des bourgeois salués Altesses, de simples commis érigés ambassadeurs, des cultivateurs bombardés préfets et des clercs de procureurs parés du titre de prince. Ce qui n’est pas le moins surprenant, c’est que tous, princes, préfets, ambassadeurs, altesses, législateurs, généraux, ducs, rois, cuisiniers, chefs de partisans ou dictateurs, dans l’emploi inattendu dont la loterie des circonstances les gratifiait, se sont manifestés habiles, témoignant d’aptitudes, souvent de talens notoires, parfois de génie ; et ils devaient, dans leur nouvelle incarnation, affronter les plus grandes difficultés que jamais hommes aient eu à résoudre ; ils avaient, en quelque sorte, à fonder un monde, et ils y ont réussi en un tournemain, sans qu’aucun d’eux ait pu prévoir le sort qui les guettait tous, sans qu’aucun s’y fut préparé.

Faut-il croire que le peuple de notre France est si opulemment doué qu’il suffit de s’en remettre au hasard pour rencontrer parmi ses enfans de toutes les classes des administrateurs parfaits ou des stratèges émérites ? Ou bien doit-on penser que l’instruction reçue, en ce temps-là, dès le collège, par ces futurs rénovateurs de la société, avait été si solide et si étendue qu’ils se trouvaient aptes à tous les rôles et possédaient d’avance un savoir et des lumières qui leur rendirent aisée la tâche imprévue ? Cette question, quoique d’intérêt rétrospectif, n’est cependant pas sans un semblant d’actualité : ceux qui, avec une vaillance si obstinée, combattent depuis plus de trois ans pour notre indépendance, seront en droit d’exiger, au retour, après la victoire, une existence améliorée ; ils la réclameront et n’admettront pas qu’on la leur marchande. C’est, une fois de plus, un état social à renouveler, et certains esprits moroses, réfractaires à l’illusion, proclament déjà que la chose n’ira point sans traverses et qu’on pénètre dans l’inextricable. Gens de peu de foi en la féconde ingéniosité de la France, sortie déjà de bien d’autres labyrinthes. Mais sommes-nous suffisamment préparés à un pareil labeur ? Notre génération qui devra le mener à bien a-t-elle, comme celle de 1789, les connaissances indispensables à l’accomplissement d’un si lourd devoir ? Qu’avaient appris nos pères de plus que nous, et d’où tiraient-ils tant d’assurance, de « dispositions » et d’autorité ? La plus sûre façon de nous en informer est de les interroger eux-mêmes et de glaner dans l’histoire de leur vie les souvenirs de « leurs années d’apprentissage. »


Qu’enseignait-on aux enfans et aux jeunes gens à l’époque de l’ancien régime, alors que la sage prévoyance de nos pères, fondée sur une lointaine tradition, appréhendait autant le pédantisme que l’ignorance ? On leur enseignait « à vivre, » programme d’études qui paraît bien superficiel en comparaison de celui dont sont écrasés nos écoliers d’aujourd’hui. Les pédagogues de ce temps-là, fidèles au précepte d’Aristote professant que « la préoccupation exclusive des idées d’utilité ne convient ni aux âmes nobles, ni aux hommes libres, » étaient en outre persuadés que, pour conserver intactes les qualités de naturel, d’aisance et de grâce qui faisaient la supériorité de notre nation, il ne faut point mettre à la gêne l’esprit des jeunes Français et que « tout ce qui le guinde lui nuit. » Mercier même prétendait que a la direction, en ce genre, abâtardit beaucoup plus qu’elle n’élève[2] ; » et, comme l’étude des lettres anciennes passait pour être « une source d’enthousiasme, » on se félicitait lorsqu’un adolescent, ses classes terminées, connaissait parfaitement Homère, Virgile, Tacite, Horace, Tite-Live et Cicéron, et savait versifier facilement en latin ; tout le reste passait pour superflu. Si l’on ajoute que la « méthode attrayante » déjà préconisée par Platon, par saint Jérôme, par Érasme, par Montaigne et par Fénelon, avait été mise en honneur et en pratique par Mme de Maintenon, grande éducatrice, qui s’ingéniait" à réjouir l’éducation de ses élèves[3], » ainsi que par les Pères Jésuites, réputés maîtres en ces matières et dont la maxime était « qu’il faut faire du travail un amusement et de l’obéissance un plaisir[4], » on reconnaîtra que le chemin par où l’on conduisait alors les écoliers était facile et riant d’aspect : chacun y pouvait s’attarder ou presser le pas pour cueillir la fleur qui lui plaisait et choisir le détour qui semblait être le plus conforme à ses goûts et à ses forces. Une si agréable et libre promenade développait les personnalités, autant que les compriment et les étouffent l’entassement et la poussée en masse sur le rail des redoutables programmes uniformément imposés à nos enfans.

Dans les vingt années qui précédèrent la Révolution, époque à laquelle il faut se fixer pour connaître ce qu’était la France telle que l’avaient faite dix siècles de tradition prudemment respectée, nul système : les parens élèvent leurs fils et leurs filles comme il leur convient ; dans la noblesse et dans la bourgeoisie, on a le choix entre le collège, le préceptorat et les pensions particulières. Celles-ci sont nombreuses à Paris : j’en compte, en 1787, plus de vingt, presque toutes situées dans les faubourgs, « dont l’air est très salubre, » affirment la plupart des prospectus : les prix varient de 500 à 1 200 livres par an, suivant l’élégance et la tenue de la maison. Rue de Seine-Saint-Victor, cours d’éducation de M. Verdier, dont les pensionnaires sont logés, à leur convenance, en commun ou en chambres ; point de contrainte : « il y a un uniforme pour ceux qui veulent le suivre, » insinue l’annonce. À Passy, pension du sieur Husson, à qui « l’on doit savoir gré de l’attention qu’il a prise à ne point surcharger les jeunes gens par trop d’application. » La plus aristocratique de ces maisons paraît être celle ouverte « pour la jeune noblesse, rue de Berri, par les sieurs Loiseau et Lemoine, et qui ne reçoit pas plus de trente élèves : ceux-ci sont assujettis à un uniforme dont la splendeur doit ravir leur jeune coquetterie : « habit écarlate, veste chamois et culotte de même couleur[5]. » Dans toutes ces pensions, la règle, s’il en est une, se dissimule le plus possible ; toute indépendance est laissée aux jeunes gens ; ils vont, à leur fantaisie, diner en ville ou reçoivent qui leur convient : beaucoup ont avec eux leur précepteur, qui est censé veiller à leur conduite dont se désintéresse complètement le chef de l’institution.

Ah ! ces précepteurs ! Ils abondent : toute famille aisée s’en attache un pour le moins, pauvre hère dont l’unique souci sera de satisfaire, afin de ne point perdre sa place, à tous les caprices du pupille qui lui est confié ; les parens ne l’ignorent pas et ferment les yeux. Ceux de ces Mentors dont quelques mémoriaux nous ont conservé la silhouette, semblent échappés des chapitres de Gil Blas. Celui qu’on adjoint à Dufort de Cheverny sortant du collège, s’appelle Porlier ; c’est un ancien enfant de chœur, élevé dans la maîtrise d’une cathédrale, bon musicien par conséquent, homme d’esprit et d’agréable société ; au physique, grand, haut en couleurs, le nez retroussé, fort grêlé de petite vérole, d’abord assez rébarbatif. Dès la première rencontre, il est bien convenu, entre l’élève et son professeur, que celui-ci ne parlera jamais à celui-là d’études, ni de travail, ni de rien qui puisse gêner ses caprices. Moyennant quoi, on mène très bon ménage : le jeune homme s’amuse et « le gouverneur » en fait autant de son côté. Au reste, comme Dufort, très familiarisé avec le latin et « nul » en toute autre matière, éprouve, — chose à noter, — un grand désir de s’instruire, il prend au hasard des maîtres de tout : un maître de danse, un maître de violon, un maître « à écrire, » un maître de guitare, un maître de vielle…[6] Tel est l’usage d’alors ; « les maîtres, » comme les précepteurs pullulent : « Il y en a de toute espèce : pour l’hébreu, pour l’anglais, pour la théologie, pour l’écriture, pour la musique, pour le bon ton, pour tous les jeux possibles. Ils courent le matin, battant tous les quartiers. C’est un spectacle assez plaisant de voir, dans la même antichambre, un maître d’échecs et de tric-trac et un maître d’histoire attendre vis-à-vis l’un de l’autre le réveil de M. le marquis ; le musicien qui doit leur succéder fait crier le violon qu’il accorde sur le perron de l’escalier[7]. » De ce pêle-mêle ahurissant, Dufort recueillera des fruits inattendus : tact, esprit, délicatesse, courage civique, culte fervent des lettres et de l’étude ; il s’acquittera, en diplomate avisé, des difficiles fonctions d’introducteur des ambassadeurs et écrira des Mémoires qui comptent parmi les plus charmantes autobiographies que nous ont laissées les lettrés du XVIIIe siècle.

Un autre mémorialiste qui doit à la publication posthume de ses Souvenirs le renom de conteur émérite et de spirituel écrivain, le général baron Thiébault, lui, reçut tout de la nature, car, jusqu’à dix-huit ans, il n’apprit rien, absolument rien : son père, éducateur éminent et expérimenté, ne le mit dans un aucun collège, ne lui donna aucun maître ; sa jeunesse n’eut pas d’autre directeur « qu’un petit drôle de vingt ans qui, à vingt sols par jour, venait trois fois la semaine, durant six mois, » sous prétexte de donner à l’enfant des leçons de latin, lui parler « de sornettes et de polissonneries. » Son instruction ainsi terminée, Thiébault savait quelques vers de Racine, jouait parfaitement du violon qu’il avait appris seul, et sifflait à miracle, au point d’illusionner les rossignols eux-mêmes, qui, le prenant pour un confrère, répondaient à ses modulations. Comment ce jeune homme si bien doué réussit-il à obtenir « avec distinction » le diplôme de bachelier en droit ? C’est une énigme dont il garde la clef, notant cependant que son père, justement inquiet du résultat de cette bravade, avait envoyé, la veille de l’épreuve, aux examinateurs, « une caisse de cinquante livres de bougies, » afin d’assurer à son téméraire rejeton l’indulgence de la Faculté. Il faut dire, à l’honneur des examinateurs de ce temps-là, qu’ils renvoyèrent le cadeau, non point froissés du procédé, mais déclarant qu’ils avaient été émerveillés des connaissances du candidat et que celui-ci ne devait rien qu’à son savoir[8] !

M. Thiriot est le précepteur de Frenilly ; c’est un honnête et pauvre professeur, « un don Quichotte en perruque à marteaux, habit, veste et culotte noirs, l’idéal du cuistre, du pédant ; d’ailleurs le meilleur homme du monde, mais le tyran du barbarisme et le fléau du solécisme. » Là aussi, pourtant, on pratiquait la « méthode attrayante : » à la maison de campagne de Saint-Ouen, où l’on passait la belle saison, on s’assemblait, filles et garçons, chez le père de Frenilly ; il y avait, outre les enfans de la maison, les cousines Adèle et Félicité de Chazet, et Mlle Necker dont la mère habitait une propriété voisine. On déjeunait gaiement, on faisait une partie de cerf-volant dans le jardin ; puis les parens dictaient le thème d’une composition que chaque élève rédigeait isolément : le devoir terminé, les concurrens jouaient aux barres ou couraient sur les pelouses ; l’aréopage se constituait et examinait les copies ; le prix était une couronne de roses et l’accessit un bouquet. « De mon enfance je ne me rappelle que jeux et plaisirs, » écrira plus tard le trop heureux Frenilly. De fait, on n’imagine point apprentissage plus bénin et plus orné. Après Thiriot vient Guiraudet : tête en parallélipipède, teint olive, mains taillées en épaules de mouton et emmanchées de doigts d’un tel diamètre que le malheureux qui patauge tout le jour sur le piano, ne parvient jamais à toucher moins de deux notes à la fois ; honteux, du reste, d’être précepteur, persuadé que cet emploi est une dérogation humiliante, il se refuse opiniâtrement à s’occuper de tout ce qui concerne l’instruction ou l’éducation de son élève. Durant six ans, celui-ci n’apprend rien de ce maître original. Ensemble ils sont assidus au théâtre, ou « perdent leur temps très volontiers, » visitant les monumens de Paris, les manufactures, les galeries de tableaux ; ou bien ils vont, deux ou trois fois la semaine, flâner chez les beaux esprits qui tiennent cercle et reçoivent tout venant : c’est ainsi que l’adolescent peut voir chez eux Condorcet, l’abbé Maury, d’Alembert, Marmontel et l’abbé Delille. Car c’est un fait à remarquer qu’à ce futur « ultra, » royaliste forcené, champion fanatique du trône et de l’autel, — au point que Louis XVIII lui-même, grand amateur de calembours et d’à peu près, le surnommera Monsieur de Frénésie, — on s’est ingénié, alors qu’il était enfant, à inspirer la vénération des incrédules et à imposer les leçons des philosophes. Quand il avait neuf ans, sa mère a voulu qu’il s’entretînt avec Voltaire, en séjour d’apothéose final à l’hôtel de Villette, rue de Beaune. On n’entrait point facilement chez le patriarche ; mais Mme de Frenilly comptait sur la grâce de son fils pour forcer la porte close de l’idole. Durant huit jours, elle lui bourre la tête de plusieurs centaines de vers extraits de Mérope, de Zaïre ou de la Pucelle, de façon qu’il soit en état de répondre par une citation flatteuse à toutes les questions prévues du grand homme. On lui met un habit vert pomme doublé de satin rose, des bas de soie, une épée au côté et on le dépose au Pont-Royal en lui indiquant la maison où il doit pénétrer par surprise. Il entre dans la cour, s’enfile dans un petit escalier, ouvre une porte et se trouve face à face avec un grand squelette enseveli dans un large fauteuil, et dont le crâne est couvert d’un bonnet de fourrure. « Oh ! le joli enfant, dit une voix caverneuse, — celle du squelette. Comment vous appelle-t-on ? — Monsieur, je m’appelle Frenilly, répond le jeune visiteur à la mémoire duquel toutes les citations si laborieusement entonnées échappent instantanément. — Et qui est votre père ? — Pas un vers pour répondre à cette question. — Monsieur, il est receveur général. » Sur quoi il salue, sort à reculons, non sans jeter un regard de regret sur un énorme gâteau de Savoie dont il n’ose demander une tranche… Et le lendemain, le Journal de Paris imprimait que, — prodige de l’esprit nouveau ! — un enfant presque en bas âge s’était échappé de ses langes pour aller rendre hommage à Voltaire[9].

Arrivé à l’âge mûr, devenu député et pair de France, Frenilly traitera ce même Voltaire « d’homme fatal qui ne mérite que mépris et aversion » et considérera comme des fous ou des criminels tous ces philosophes dont on a pris soin de lui inculquer l’admiration. Les jeunes Français, soumis à un vieil atavisme de fronde et d’insubordination, — si bien qu’on les a comparés aux chevaux de Marly, « toujours tenus en bride et toujours cabrés, » — sont-ils donc à ce point férus de contradiction et épris de contrastes, si mobiles dans leurs goûts et si indociles par tempérament qu’ils prennent instinctivement le contre-pied de tout ce qu’ils soupçonnent qu’on leur a enseigné par force et qu’ils n’acceptent comme assimilables que les connaissances acquises de leur plein gré ? On trouverait là l’explication de certains à-coups de notre histoire : la génération née sans baptême, au temps de la Raison et de l’Être suprême, suivra dévotement les processions de 1816, se bousculera aux sermons de l’abbé Legris-Duval, et élèvera sur tout le territoire des « croix démissions ; » — celle qu’astreint à la piété le gouvernement de la Restauration fournira les insurgés de 1830 qui pilleront Saint-Germain l’Auxerrois et l’archevêché de Paris ; — toute liberté d’enseignement est laissée, durant les vingt ans du second Empire, aux congrégations religieuses, et voici ceux qu’elles ont instruits, parvenus au pouvoir, expulsant de leurs chaires leurs anciens maîtres et préconisant « l’école sans Dieu, » — d’où sort à son tour une nouvelle levée de jeunes gens qu’on assure être enclins au césarisme et dont on peut constater la sympathique tolérance et le goût inespéré pour les pieuses traditions de nos pères. De tels reviremens justifient le jugement de Tocqueville écrivant que notre nation, « jamais si libre qu’il faille désespérer de l’asservir, ni si asservie qu’elle ne puisse encore briser le joug…. finit par devenir un .spectacle inattendu à elle-même et demeure souvent aussi surprise que les étrangers à la vue de ce qu’elle vient de faire[10]. »

Sans quitter l’anecdote et en revenant bien vile aux éducateurs de l’ancien temps, on rencontrerait des exemples assez frappans de cette inconstance mutine. Comme il convient de se borner, on ne donnera place ici qu’à cette constatation, recueillie par Cheverny, pensionnaire au collège Louis-le-Grand : en cet établissement fameux, les élèves pratiquaient avec passion tous les jeux de hasard ; pas une récréation qui ne se passât au piquet, au tric-trac, au quadrille ou au quinze : cette fureur, peut-être fomentée discrètement par des maîtres bien avisés, était « entrée dans l’éducation. » Or, ce même Cheverny a remarqué au cours de sa vie que, de tous ceux de ses camarades qui avaient, en leur temps d’écolier, avec un fol emportement, tenté de pénétrer les caprices de la dame de pique ou les mystères du cornet, aucun ne fut atteint plus tard de la passion du jeu : seuls, M. de Genlis et M. de Sillery, qui s’étaient toujours refusés à toucher une carte ou à jeter un dé, devinrent les plus gros joueurs de Paris et laissèrent leur fortune sur le tapis des tripots[11].


La vie de collège de ce temps-là était, en effet, rendue aussi agréable et aussi douce que possible par des régens dont la principale préoccupation était de ne violenter en rien et de ne pas surmener les jeunes intelligences dont ils assumaient la direction, imbus de ce principe, formulé par Joubert, qu’« il faut laisser à chacun, en se contentant de les perfectionner, sa mesure d’esprit, son caractère et son tempérament. » Il est, d’ailleurs, assez difficile de pénétrer rétrospectivement dans l’intimité d’un grand établissement d’éducation d’autrefois : les renseignemens à ce sujet paraissent être assez rares, et, par surcroît, on a tant et si obstinément déformé, en ceci comme sur bien d’autres points, la réalité, que, lorsque nous l’apercevons dans les récits des contemporains, nous la trouvons tellement différente de ce dont on nous endoctrine, que nous avons peine à l’accepter. Ce qui surprendrait le plus, sinon les orateurs de réunions électorales qui, je l’espère pour eux, le savent, quoiqu’ils le taisent avec opiniâtreté, du moins leurs auditeurs convaincus que l’ancien régime, méfiant et tyrannique, obligeait les Français d’avant l’aube révolutionnaire à pourrir dans la plus sordide ignorance, c’est que non seulement l’enseignement primaire était, depuis Louis XIV, obligatoire, mais que, dès l’époque de la Régence, l’enseignement secondaire, si coûteux aujourd’hui et réservé seulement aux enfans des favorisés de la fortune, était donné gratuitement par l’Université[12]. De là une première dissemblance par quoi les collèges de jadis différaient grandement de nos lycées actuels. Ce qu’on payait, dans les collèges, ce n’étaient point la science ni les maîtres, accessibles à tous les sujets du royaume, à quelque rang social qu’ils appartinssent, mais « la pension, » dont le prix variait, comme en toute hôtellerie, suivant le train et les exigences du pensionnaire. Car on tolérait es exigences : les riches avaient leur chambre, ou même un appartement composé de plusieurs pièces ; le précepteur choisi par la famille ne quittait pas l’enfant à son entrée au collège et s’y installait avec lui. Le 8 août 1786, quittance est donnée par M. Duval, proviseur et supérieur du collège d’Harcourt, pour « un quartier et demi, — quatre mois et quinze jours sans doute, — de la pension du jeune Montbreton, — plus tard Norvins, — et de « Monsieur son instituteur ; » la somme reçue est de 444 livres, ce qui n’est pas cher pour le logement, la nourriture et l’entretien de deux personnes durant la moitié de l’année scolaire[13]. À Louis-le-Grand, vers la même époque, la pension d’un élève est de 530 livres par an, « plus 48 livres une fois payées en entrant[14] ; » mais le chiffre s’augmente, bien entendu, si le pensionnaire débarque, comme le cas est fréquent, avec son précepteur et un ou plusieurs domestiques. Harcourt recrute la plupart de ses élèves dans la haute bourgeoisie et dans la noblesse de robe ; la noblesse d’épée et de cour envoie de préférence ses enfans à Louis-le-Grand, où certains mènent une existence quasi-fastueuse. Mais l’une et l’autre des institutions comptent également des externes, ou des pensionnaires appartenant aux familles du « Tiers » ou du commerce ; elles ont surtout leurs boursiers, et ceux-ci sont en si grand nombre qu’ils donnent le ton et font la loi à leurs camarades plus fortunés.

Le boursier, lui, ne paye pas pension : il est entièrement défrayé, et l’établissement qui l’héberge est désintéressé de ses débours par la rente attribuée au titulaire. Ces rentes sont, pour l’ordinaire, de fondation fort ancienne ; celle, par exemple, dont bénéficie, à Louis-le-Grand, le jeune Maximilien de Robespierre, date de l’an 1308 ; elle est à la nomination de l’abbé de Saint-Vaast. Quand Robespierre entre, en cinquième, au grand collège parisien pour le début de l’année scolaire 1769-1770, il a onze ans. Il se rencontre là avec Camille Desmoulins, boursier du chapitre de Laon, et avec Tondu, futur ministre de la Guerre pendant la Révolution, boursier du chapitre de Noyon. Les deux demoiselles de Robespierre, Charlotte et Henriette, tandis que leur frère aîné est instruit aux frais de la grande abbaye artésienne, sont également boursières dans un pensionnat religieux ; et quand Maximilien quittera Paris après douze ans de séjour, sa pension d’étudiant sera transmise à son frère Augustin[15]. À Louis-le-Grand, le nombre des bourses est de six cents[16], de quoi le collège tire une rente de 450 000 livres ; et l’on n’imagine point, quelque vastes que fussent les bâtimens dont avaient été dépossédés les Pères Jésuites, comment la maison pouvait abriter tant de pensionnaires gratuits en même temps qu’un si grand nombre de payans : il semble bien que les premiers avaient la préférence ; les riches le cédaient aux pauvres et n’occupaient que les places laissées par ceux-ci disponibles.

Car les boursiers sont les rois du collège : ils sont en possession d’un titre qui oblige l’établissement à, les loger, à les nourrir, à les instruire, à les fournir de tout ce qui leur est nécessaire. Outre qu’ils forment la majorité des pensionnaires, l’autorité du principal est sur eux à peu près nulle : il ne peut expulser un boursier sans lui faire un procès devant un conseil composé de hauts dignitaires de l’Université, procès soumis par voie d’appel au Parlement de Paris[17] ! L’excédent des revenus du collège est employé en récompenses pour les boursiers : ils demeurent dans l’établissement et continuent à être entretenus par lui, leurs études terminées, tout le temps qu’ils suivent les cours des facultés de théologie, de médecine ou de droit, et quand ils regagnent enfin leur province ou se fixent à Paris, ils reçoivent encore, sur la caisse du pensionnat, une gratification qui les aidera dans leur première installation[18]. On n’aperçoit rien, dans notre société si parfaitement administrée, d’équivalent à ces charités plusieurs fois séculaires, se transmettant de générations en générations au profit d’étudians méritans et pauvres auxquels elles ouvrent toutes grandes les portes de l’avenir, ainsi relié au passé par des sentimens de gratitude et de vénération.

Quelle peut être l’existence entre ces écoliers déshérités de la fortune et ces brillans gentilshommes qui mènent sous le même toit un train de cour ? L’inégalité des conditions ne va-t-elle point susciter des jalousies ? Ne verra-t-on point morgue d’un côté, envie de l’autre ? Non point : « La camaraderie couvre tout. L’ordre social est alors si solidement, si naturellement établi par une longue tradition que jamais grandeur plus voisine, plus provocante, ne fut mieux supportée. » Les Montmorency, les Rohan, les Tavannes, les Duras, sont assis sur les mêmes bancs, à la chapelle, à l’étude et en classe, que les fils des artisans fournisseurs de leurs maisons. En ce temps lointain, toute profession a son costume et tout enfant adopte l’habillement de son père ; donc, différence totale de la toilette parmi les condisciples ; les uns sont vêtus de gros drap ou de futaine ; ils portent des bas de laine ou de fil, suivant la saison ; leurs manchettes sont de simple mousseline et leurs jabots sans broderie ; — les autres ont des justaucorps de satin pailleté, à larges basques, ou de brocart à fleurs, dentelles précieuses aux poignets et au col, la jambe moulée dans un étui de soie, et des escarpins à talons blancs. En certaines circonstances seulement, les apparences s’égalisent sous « la robe du collège, » espèce de tunique sans manches qui se passe par-dessus l’habit. En dépit de cette diversité qui paraît choquante à notre sotte susceptibilité égalitaire, point de rancunes accumulées d’une part, nul dédain de l’autre : ni roturiers, ni nobles, ni pauvres, ni riches, ne sont gênés de la promiscuité quotidienne. Ceux-là même qui, plus tard, pour l’abattre, secoueront avec le plus d’acharnement le vieux monde, n’élèveront pas une critique contre ce pêle-mêle dont, modestes boursiers, ils n’ont pas été humiliés. Ni le fiel accumulé de Robespierre, ni la verve débridée de Camille n’auront un mot d’amertume pour les souvenirs du collège qui n’ont laissé en leur esprit qu’attendrissement et reconnaissance.

En classe, si quelque accroc est fait à cette égalité de convention, c’est par ceux des élèves qui nous sembleraient devoir être les plus intéressés à son maintien : quand un jeune seigneur obtient un succès, une récompense, des félicitations, ses camarades du « tiers » l’applaudissent et le complimentent avec plus d’entrain que s’ils s’adressaient à l’un des leurs : ce n’est pas flatterie, c’est satisfaction : « J’ai souvent remarqué, rapporte un ancien élève d’Harcourt et de Louis-le-Grand, que la classe savait bien plus de gré à un noble d’y obtenir une bonne place qu’à un roturier… » On se réjouissait de reconnaître laborieux celui qui n’avait pas besoin d’assurer son avenir[19]. Les jours de sortie, — et ils revenaient fréquemment, — « la cour du collège se transformait en véritable salle de spectacle : les camarades en quartier faisaient la haie pour voir les camarades en chambres passer et monter en voiture ; » le défilé de ces élégans qu’un carrosse pompeux attendait à la porte et autour desquels s’empressaient les valets de pied, était salué de railleries « dans le genre de celles dont les piétons de Longchamp régalaient les gens à équipage. » C’était un charivari amical : les quolibets pleuvaient sur les privilégiés qui ripostaient de leur mieux, avouant, pourtant, que la réplique valait moins que l’apostrophe, laquelle l’emportait « par le droit du bon sens populaire et de la raison pratique[20]. »

Et les études ? On serait tenté d’affirmer que c’était l’accessoire, tant était grande la liberté laissée à tout élève de suivre ou de déserter les cours. Si l’on excepte les auteurs latins et grecs, seuls objets recommandés à l’application de tous, le reste n’était « qu’art d’agrément. » À Juilly même, où la discipline passait pour plus stricte et le programme mieux défini, l’étude des mathématiques n’était pas obligatoire : le P. Fouché, — le futur ministre de la police, — qui les professait, n’avait affaire qu’à des auditeurs de bonne volonté[21]. « Les sciences, au dire d’un sage de ce temps-là, sont un aliment qui enfle ceux qu’il ne nourrit pas ; il faudrait le leur interdire. Ce mets vanté leur fait dédaigner une autre nourriture qui serait meilleure pour eux, aveuglés et flattés qu’ils sont de leur faux embonpoint ; » tandis que, d’après le même penseur, « en apprenant le latin à un enfant, on lui apprend à être juge, avocat, homme d’État. L’histoire de Rome, même celle de ses conquêtes, enseigne à la jeunesse la fermeté, la justice, la modération, l’amour de la Patrie. Les actions et les mots, les discours et les exemples, tout concourt dans les livres latins à former des hommes publics ; ces livres suffiraient pour apprendre au magistrat quels sont ses devoirs et quels doivent être ses mœurs, ses talens et ses travaux[22]. » C’est à l’envahissement de l’industrialisme qu’est due la progressive extension de l’étude des sciences exactes ; au XVIIIe siècle, ce néologisme et l’état d’esprit qu’il désigne étaient également inconnus : ignorance enviable ! Nous subissons l’expérience que les progrès scientifiques « ne suffisent pas à transformer la terre en un paradis, mais peuvent fort bien, dans des mains criminelles, la transformer en un chaos et en un enfer[23]. » Donc, pour nos prudens aïeux, rien que des « belles-lettres, » et point autres que celles de l’antiquité : « le programme tout entier circonscrit dans les limites des histoires grecque et romaine et dans celle du vieux monde asiatique et égyptien. » On pénètre Hérodote, Quinte-Curce, Tacite, Horace, Virgile, Homère, même Lucain ; on rêve d’Hector, de Brutus, de Tarquin, d’Achille, de Cassius, de Pompée, d’Annibal, d’Ulysse, et leurs belles aventures sont lentement ressassées jusqu’au rabâchage ; car c’est encore un axiome des vieux pédagogues que « l’esprit des enfans ne s’intéresse pas à ce qu’il ne fait qu’effleurer : il n’aime avec ardeur que ce qu’il embrasse pleinement. » La fréquentation de tous ces héros à casque et à glaive a pour effet immanquable d’inspirer à leurs jeunes admirateurs l’amour des grands exploits et la haine des tyrans : « Il est sûr, remarque Mercier, qu’on rapporte de l’étude du latin un certain goût pour la république et qu’on voudrait pouvoir ressusciter celle dont on lit la grande et vaste histoire : il est sûr qu’en entendant parler du Sénat, de la liberté, de la majesté du peuple romain, de ses victoires, de la juste mort de César, du poignard de Caton qui ne put survivre à la destruction des lois, il en coûte pour sortir de Rome et pour se retrouver bourgeois de la rue des Noyers[24]. » L’ancien régime réputé si tyrannique et si odieusement jaloux d’éteindre toute lumière, qu’on a été obligé d’inventer le mot obscurantisme pour qualifier dignement son goût volontaire de l’ignorance, cet ancien régime s’applique, comme à plaisir, à façonner des républicains. Norvins, cité plus haut, sort du collège à seize ans, emportant le souvenir d’une institution toute démocratique, et Camille Desmoulins jette l’effroi dans sa petite ville de Guise, dont les habitans se voient déjà à la Bastille pour l’avoir entendu, un jour de vacances, réciter les leçons incendiaires qu’il apprend à Louis-le-Grand[25]. Et Mercier, goguenard, reprend : « C’est pourtant dans une monarchie qu’on entretient perpétuellement les jeunes gens de ces idées étrangères… et c’est un roi absolu qui paye des professeurs pour vous expliquer gravement toutes les éloquentes déclamations lancées contre le pouvoir des rois ; de sorte qu’un élève de l’Université, quand il se retrouve à Versailles et qu’il a un peu de bon sens, songe malgré lui à tous les fiers ennemis de la royauté : il lui faut du temps pour se familiariser avec un pays qui n’a ni tribuns, ni décemvirs, ni sénateurs, ni consuls[26]. » Au reste, Robespierre l’avouera plus tard : « Les collèges, dira-t-il le 18 juin 1793, ont été des pépinières de républicains. »

Aussi n’est-ce pas sans étonnement qu’on entendra, en cette même année 1793, les auteurs de la pétition présentée à la Convention au nom des autorités et du peuple de Paris, affirmer, dans un jargon alors nouveau, mais que les professions de foi des candidats au mandat législatif nous ont rendu depuis trop familier, que « tous les collèges sont voués à la barbarie du moyen âge, » qu’ils sont « le repaire des préjugés entassés depuis des siècles, et tel est le vice de leur organisation qu’on en sort avec l’ignorance acquise, » ce qui n’était point flatteur à entendre pour tous ces députés auxquels on s’adressait et qui, pour la majorité, élevés gratuitement en ces collèges tant décriés, demeuraient cependant bien convaincus de leur savoir et ne professaient pas la timidité de l’ignorance. C’est le même esprit d’ingratitude qui dictera à Daunou son rapport du 23 vendémiaire an IV, où il traitera les anciens collèges de l’Université « d’institutions bizarres qui fatiguaient et dépravaient la jeunesse…, où rien n’était destiné à développer l’homme, ou même à le commencer. » D’ailleurs, la règle s’est établie chez nous, depuis cette époque, de flétrir audacieusement, et de parti pris, tout ce qu’avaient institué nos pères. On s’est fort égayé, jadis, aux dépens de ce bon abbé Loriquet, dont la fameuse phrase sur « le général Bonaparte, lieutenant de S. M. Louis XVIII, » est encore à découvrir, bien qu’elle soit pour le plus grand nombre un article de foi. Aujourd’hui, dans le camp opposé, « Loriquet s’appelle légion[27]. » Qu’on entretienne soigneusement l’électeur dans la persuasion que ses ancêtres étaient des esclaves, condamnés par la dureté des tyrans à ne jamais connaître « les bienfaits de l’instruction, » dont il s’imagine être lui-même un produit achevé, cela s’explique par la nécessité de flatter cet élément conscient et de lui inspirer, par contraste, l’admiration des institutions actuelles. Ce qui surprend davantage, c’est de rencontrer, en des ouvrages sérieux et manifestement dus à des hommes grandement instruits, des « clichés » qu’on croirait empruntés aux plus vulgaires harangues électorales. Est-il, par exemple, équitable d’affirmer qu’en exigeant, par les ordonnances de 1693, 1698 et 1724, l’obligation de l’instruction primaire, Louis XIV et Louis XV eurent simplement pour but de compléter l’action des dragonnades ; et que les seules fois où le pouvoir royal soit intervenu en cette matière, c’était pour faire œuvre, non de progrès, mais de tyrannie, pour tourner l’école en instrument d’oppression des consciences ? Les doktors de l’Allemagne moderne ont eu bien aisé de dépriser notre France et de présenter son histoire comme étant une succession ininterrompue d’opprobres, de servitude et d’abjection : ils n’ont eu qu’à recueillir toutes les invectives au passé que l’on placarde sur nos murs à l’approche des élections. Jules Ferry, il y a quelque trente-cinq ans, s’indignait déjà, de ce dénigrement systématique : « Ne croyons pas, conseillait-il, qu’il soit bon de dire : par delà telle date éclatante et rénovatrice, il n’y a rien dans notre histoire, rien que des tristesses, rien que des misères, rien que des hontes. Cela n’est pas vrai, d’abord ; et ensuite, cela n’est pas sain pour la jeunesse[28]. » Nous irons tout à l’heure flâner autour des écoles primaires de l’ancien régime ; pour le moment, qu’il suffise de constater que l’esprit de l’Université, au temps de Louis XV et de Louis XVI, n’est pas du tout empreint de « cléricalisme. » Ses tendances sont contraires : toute indépendance d’opinion ou même de méthode est laissée aux collégiens, au point que la discipline en est atteinte : en 1744, un professeur d’Harcourt s’est mis dans l’idée de dicter le cours de philosophie : ses jeunes auditeurs protestent : ils déclarent que « ça les fatigue. » Le conseil s’assemble et donne raison aux élèves : ils seront dispensés de rédiger le cours et devront seulement en présenter la copie « établie par une main mercenaire : » lucrative aubaine pour les écrivains publics du quartier[29]. À Louis-le-Grand, la tolérance est semblable : l’abbé Poignard, le proviseur, autorise d’Alembert à entretenir des relations avec plusieurs de ses écoliers et ne voit aucun inconvénient à ce qu’il vienne au collège semer dans ces jeunes esprits le bon grain de la philosophie. L’abbé Bérardier, qui succède à l’abbé Poignard, se montre plus libéral encore : c’est de son consentement, au moins tacite, que certains de ses administrés vont en pèlerinage à Ermenonville pour rendre hommage à J.-J. Rousseau, très « à la mode » parmi la jeunesse d’alors. Nous ne connaissons la visite faite par Robespierre, encore pensionnaire du collège, au misanthrope « promeneur solitaire » que par une phrase de l’Incorruptible : « Je t’ai vu dans tes derniers jours ; j’ai contemplé tes traits augustes…, » et nous ignorons quel put être l’entretien de ce vieillard et de cet adolescent dont l’un devait tenter, quinze ans plus tard, de mettre en pratique les rêveries de l’autre. On est un peu mieux renseigné sur l’accueil que reçut, de Jean-Jacques, Lazare Carnot, alors élève d’une école préparatoire. Ayant entrepris, en compagnie d’un camarade, le même dévot pèlerinage, il fut fort peu gracieusement rabroué de cette escapade par le philosophe qui ne répondit aux protestations de ses jeunes disciples que par des rebuffades[30]. Peu importe : il convient seulement de retenir qu’on peut malaisément accuser d’oppression de consciences les ecclésiastiques qui, aux écoliers dont ils dirigeaient l’éducation, permettaient d’écouter les leçons du maître de l’Encyclopédie et de témoigner leur admiration à l’auteur du Contrat social.


Si l’on pénètre dans les institutions consacrées à cette même époque à l’instruction des jeunes filles, on trouve une discipline plus stricte à certains égards, mais aussi le même respect de la personnalité, le même souci d’une formation intellectuelle spontanée, et encore une indulgence d’avance acquise à l’esprit frondeur et aux velléités d’indépendance. Un exemple tout d’abord : à l’Abbaye-aux-Bois, maison aristocratique et qui ne compte que des élèves nobles, une révolte éclate : refus d’obéissance, meubles brisés, barricades, ultimatum présenté aux maîtresses par les insurgées : elles menacent Mme de Rochechouart, la directrice, de s’emparer, par force, de Mme Saint-Jérôme, — une surveillante détestée, cause de l’émeute, — et de la fouetter « aux quatre coins du couvent. » Tout s’apaise bientôt, le calme règne ; mais, quelques jours plus tard, une pensionnaire sollicite de cette même directrice je ne sais quelle faveur : « Moi, je n’étais pas de la révolte, » insinue-t-elle pour se faire valoir. « Ah ! vraiment ! Je vous en fais bien mon compliment ! » riposte sèchement Mme de Rochechouart ; et, lui tournant le dos, elle la congédie sans l’entendre[31].

Ce n’est point que les éducateurs du vieux temps favorisent le désordre ; mais il me paraît qu’ils redoutent, comme un achoppement à leur tâche, l’excès de subordination. Cette tâche consiste à développer le caractère des enfans plutôt qu’à le façonner ; ils respectent les impulsions de chacun de leurs élèves, ses inclinations, ses caprices mêmes : ce ne sont pas des plantes de serre qu’ils cultivent, en caisses, sous verre, toutes pareilles et bien alignées, mais des fleurs des champs et des bois qu’ils laissent croître librement, en se contentant d’écarter d’elles l’ivraie ou les parasites dangereux. De là, peut-être, cette infinie variété de types, de goûts et d’aptitudes qui se constate chez nos ancêtres ; de là cette collection d’originaux que, pour la grande joie du lecteur, on voit passer dans les Mémoires du temps.

De cette même Abbaye-aux-Bois le régime paraît si singulier à notre jugement actuel qu’il nous semble relever du domaine des contes ou de la fantaisie d’un librettiste ; nous le connaissons par le journal qu’a tenu avec persévérance la future princesse Hélène de Ligne, pensionnaire de la maison depuis sa dixième année. La fillette reçoit de ses parens 30 000 livres par an pour subvenir aux dépenses de son train : elle a un logement particulier, une bonne, une femme de chambre et une gouvernante. Le couvent possède un théâtre élégant, avec décors, accessoires et costumes ; deux fameux comédiens, Molé et Larive, enseignent la déclamation ; les ballets sont dirigés par les premiers danseurs de l’Opéra. Hélène profite si bien de leurs leçons qu’elle excelle dans l’art de Vestris et que la directrice l’envoie quelquefois donner des représentations en ville, chez des amies de sa famille. Souvent les pensionnaires s’offrent entre elles des goûters, des soupers, de petites fêtes intimes. Le correctif est dans la règle qui leur impose à tour de rôle les soins du ménage et les astreint aux plus humbles besognes : Mlles de Montbarrey et de la Roche-Aymon sont préposées à la lingerie ; Mlles de Beaumont et d’Armaillé, aux comptes ; Mlle de Barbentane, à la surveillance de la porte ; Mlle de Vogüé, à la cuisine ; Mlles d’Uzès et de Boulainvilliers, au balayage ; Mlles de Rohan, de Galard et d’Harcourt, à l’allumage et à l’entretien des lampes. On s’aperçut même un jour qu’un étroit commerce d’amitié régnait entre les nobles demoiselles chargées de la cuisine et les gâte-sauces de l’hôtel Beaumanoir, l’immeuble mitoyen, lesquels, à travers une grille d’égout, conversaient avec les élèves et les bourraient de friandises[32].

Penthemont rivalise avec l’Abbaye-aux-Bois : fondé aux environs de Beauvais, en pleine campagne, sur la pente d’un mont, — étymologie peu ardue, — ce couvent s’est établi à Paris, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : c’est la coutume que les princesses, voire les princesses du sang royal, y passent deux ou trois ans pour s’y former aux belles manières. La pension n’est pas coûteuse ; elle est de deux prix, au choix : 700 livres et 1 000 livres. Pourtant Penthemont est un palais : larges escaliers, grands vestibules, hautes fenêtres, portiques à colonnes, terrasses, quinconces et parterres ; le réfectoire, lambrissé magnifiquement, ressemble à une salle à manger seigneuriale ; la chère est simple, mais exquise. La règle est accommodée aux égards que réclament la naissance et l’avenir des élèves : le lever n’est point trop matinal, ni le coucher trop tardif ; récréations nombreuses et parloir fréquent. Les maîtres n’emploient que des termes choisis. Un uniforme gracieux ne dépare point la tournure des futures duchesses et des futures marquises : elles portent des vêtemens à l’ampleur et à la majesté orientales, à croire qu’elles vont donner une représentation d’Esther ou d’Athalie[33].

Non loin de cet Éden de la pédagogie féminine est la maison de l’Enfant-Jésus, dirigée par les Filles de Saint-Thomas de Villeneuve ; on y admet les jeunes demoiselles moins fortunées, mais on exige qu’elles puissent faire preuve de deux cents ans de noblesse, et l’on accepte de préférence celles dont les parens ont été au service du Roi. À l’intérieur de la maison, elles sont vêtues de soie et « en robes de cour, » qu’elles dépouillent, je le suppose, pour vaquer aux soins du poulailler, du jardin, de la buanderie, de l’apothicairerie et autres « objets de ménage ; » car telles sont leurs occupations[34]. On leur apprend aussi à diriger plus de huit cents femmes et filles que les religieuses hébergent et nourrissent gratuitement, qu’elles emploient à filer du coton et du lin, qu’elles instruisent pour les établir ensuite. La laiterie de l’Enfant-Jésus donne du lait à plus de deux mille enfans, et la boulangerie distribue cent mille livres de pain aux pauvres. « Institution utile, modèle d’humanité et de saine politique, due au célèbre Longuet, curé de Saint-Sulpice, » remarque Mercier[35].

Elles sont nombreuses à Paris, ces communautés qui, recevant à la fois les pensionnaires payantes et les gratuites, trouvent dans les ressources fournies par les premières le moyen de subvenir aux besoins des autres. Il y a les Miramiones, ou Filles de Sainte-Geneviève, qui tiennent un pensionnat renommé, instruisent en même temps les jeunes filles du peuple et soignent les pauvres blessés ; — il y a les Filles de l’Instruction chrétienne, rue du Pot-de-Fer, qui « enseignent aux jeunes filles à faire des ouvrages pour gagner leur vie, » et prennent en pension, moyennant quatre à cinq cents livres, les demoiselles de la bourgeoisie ; — les Filles de la Providence, ou communauté de Saint-Joseph, rue Saint-Dominique, dont l’institut « a pour objet de recevoir les pauvres filles de l’âge de neuf à dix ans, et de leur apprendre à travailler, afin que, à dix-huit ou vingt ans, elles soient en état de se marier ou d’entrer au service de quelque dame ; » — les Filles de Sainte-Agnès, rue Plâtrière, chez qui les ouvrières s’initient gratuitement au raccommodage des dentelles et à la réparation des tapisseries ; — les Dames de Saint-Aure, les Dames du Calvaire, la maison de la Mère de Dieu, rue du Vieux-Colombier ; les Ursulines, les Augustines, les Filles-Dieu, les Filles de Saint-Chaumont, les Dames de Sainte-Elisabeth[36]

On décuplerait aisément la nomenclature : toutes reçoivent des riches le pain qu’elles assurent aux pauvres dont elles se répartissent les misères avec une ingéniosité édifiante : tel ordre a choisi les infirmes, tel autre les enfans en bas âge, dont les parens sont impotens ; celui-ci ne s’occupe que des orphelines ; celui-là recueillera seulement les filles d’ouvriers blessés. À feuilleter les annuaires de l’ancien Paris où sont énumérées ces œuvres d’éducation et de charité, on est frappé de la préoccupation unanime : instruire la jeunesse et rapprocher, le plus possible, les gens aisés, des déshérités de la fortune. Pour ceux qu’effaroucherait une si longue liste de communautés religieuses et qui réclameraient le droit à la laïcité, il faut relever encore nombre de pensionnats tenus par de simples bourgeoises et dont les annonces sont généralement libellées sur le modèle alléchant adopté par la veuve Royer, laquelle se pique « de former les élèves à ces manières polies et honnêtes qui décèlent une bonne éducation, » et à ce passage de Mercier notant qu’au coin de toutes les rues sont des écriteaux : Cours gratuit d’architecture, cours gratuit de langue anglaise, cours gratuit d’histoire, cours gratuit de belles-lettres, cours gratuit de géographie, de français, d’orthographe…, etc.[37]. : Il eût fallu que nos pères fussent doués d’une singulière opiniâtreté pour « pourrir dans l’ignorance » que nous leur reprochons témérairement, en un pays où le savoir était si répandu qu’on le donnait à tous pour rien et qu’il se trouvait réduit à raccrocher ainsi les passans.

Resterait à connaître les résultats de si grands efforts : au point de vue de l’instruction proprement dite, ils étaient minces sans doute : tandis que leurs frères n’approfondissaient que l’histoire de l’antiquité et les langues anciennes, les filles de la noblesse et de la bourgeoisie étudiaient le clavecin, la harpe, la danse, le dessin et la déclamation. Quand une demoiselle ayant terminé ses classes savait assez bien la mythologie et pouvait réciter de mémoire quelques passages du poème de la Religion, des Fables de La Fontaine, un chant ou deux de la Henriade et la tragédie d’Athalie, on se déclarait très satisfait. De science, point ; d’histoire ancienne ou d’histoire de France, quelques prudentes lectures sévèrement choisies. Les institutrices suivaient à la lettre le principe de Fénelon disant du cerveau des jeunes personnes : « On ne doit verser dans un réservoir si petit et si précieux que des choses exquises. » Cette parcimonie de connaissances n’était pas due à l’insouciance ou à la légèreté des parens et des maîtres : il faut y voir « un plan préconçu et l’application d’un précepte. » Le XVIIIe siècle professait l’horreur des pédantes : « Les savantes sont des pestes ! » s’écriait avec répulsion l’excellent abbé de Saint-Pierre, auteur d’un grave traité de pédagogie féminine[38] ; et Rousseau, tant écouté alors, avait renchéri : « A-t-on jamais vu que l’ignorance ait nui aux mœurs ? »

« Eh ! quoi ? diront nos bachelières, pas même l’orthographe ? » Non ! La majorité de nos bisaïeules et bon nombre de nos arrière-grands-pères se souciaient, aussi peu que Martine, des relations du participe avec son complément et n’avaient jamais tenté de percer le mystère des verbes à double radical. Était-ce un mal ? La question est discutable, puisqu’elle a été discutée, et que Gaston Paris, écrivant la préface d’une grammaire, décochait cette boutade, inattendue en pareille place : « On jette des regards pleins d’étonnement et presque d’effroi sur l’époque barbare où on n’apprenait pas la grammaire française ; on oublie seulement que c’est l’époque où ont vécu les meilleurs auteurs de notre langue, et que ces « femmelettes » du temps de Louis XIV, dont Courier disait qu’elles écrivaient mieux que les plus habiles de notre temps, n’avaient jamais appris un mot de grammaire, non plus, d’ailleurs, que leurs illustres contemporains. Henri Heine a dit que si les Romains ont conquis le monde, c’est qu’ils n’avaient pas à apprendre le latin ; je suis parfois tenté de dire que si Pascal, La Fontaine, Bossuet, Voltaire, ont si admirablement écrit le français, c’est qu’ils n’avaient pas eu à apprendre la grammaire. Il est vrai qu’ils faisaient des « fautes d’orthographe » qui les auraient fait refuser, sur deux lignes de leur copie, à l’examen primaire le plus inférieur[39]. » Observation qui aurait délicieusement réjoui Flaubert, lequel avait remarqué que nul grammairien n’a jamais su écrire, et qui appuyait son paradoxe sur de tels exemples qu’il le faisait irréfutable[40],

Oui, quand nous ouvrons les chiffonniers où dorment les vieilles lettres ou les Mémoires de ces femmes si peu lettrées, nous y découvrons des billets charmans et des récits pleins de grâce, de malice, d’esprit et de bonne humeur, empreints de cette philosophie aimable et résignée, fleur précieuse des âmes où tout est ordonné et qui n’espèrent de la vie terrestre que ce qu’il est sage d’en attendre : un peu de joie et beaucoup de peine, de grands devoirs et de petits plaisirs ; de cet amalgame elles composaient le tranquille bonheur du foyer, étant convaincues de ce précepte édicté par l’abbé Fleury dans son Traité du choix et de la matière des études : « Consolez-vous de l’ignorance de tout ce que l’on peut se passer de savoir et ne pas laisser que d’être heureux. » Assaillies par de terribles épreuves, ces filles de l’Abbaye-au-Bois et de Penthemont, auxquelles on n’avait guère appris que la danse, le clavecin, les révérences, la déclamation, — et le catéchisme, — se trouvèrent être subitement et spontanément instruites de tout ce qui leur était nécessaire pour braver héroïquement l’orage. Au lieu de nous gausser de leur manque de savoir, nous devons admirer ces Françaises d’autrefois qui supportèrent, avec l’intrépide fermeté de l’homme d’Horace, l’effondrement d’un monde. Elles aussi, comme les compagnons de leur parcours sur la terre, eurent à subir de redoutables reviremens : elles demeurèrent fières et dignes dans les prisons comme sur l’échafaud ; aux prises avec les nécessités et les misères de l’exil, elles ébahirent les étrangers par leur ingéniosité laborieuse et leur adroite ardeur à s’évertuer ; et quand les survivantes rentrèrent au pays, leurs châteaux détruits ou vendus, leurs biens morcelés, elles s’activèrent si laborieusement aux reconstitutions que, vingt ans après le grand déluge, aussi allègrement subi qu’une simple averse, la France était prospère et opulente au point que ses ennemis en pleuraient de rage. On ne leur avait pas commenté Kant ni Fichte ; elles n’étaient pas nietzschéennes, nos fortes aïeules ; pourtant nous ne pouvons souhaiter rien de plus, au cours des années d’angoisse que nous vivons et pour les temps difficiles qui vont suivre, que de retrouver dans les Françaises d’aujourd’hui les égales de celles qui surent jadis accomplir ces miracles de courage et de persévérance, sans perdre un instant la préoccupation de plaire, voire de rire et de se parer.


Mais les femmes sont les femmes, et seul, à ce qu’enseignent les sages, celui qui n’en connaît aucune peut garder la prétention de disserter d’elles. Il nous demeure plus surprenant que de faibles hommes fussent, par des pédagogues expérimentés, embarqués pour la vie tumultueuse, sans autre bagage intellectuel que beaucoup de grec et beaucoup de latin, deux langues qui ne sont plus parlées par personne. On a vu que nos pères considéraient l’étude des lettres anciennes comme une panacée et un talisman ; le but des maîtres n’était point alors de bourrer les jeunes cerveaux d’une masse de connaissances également imposées à tous, mais de mettre chacun d’eux en mesure d’apprécier celles qui lui semblaient le mieux assimilables et de le laisser « se cultiver seul, au hasard des impulsions de sa curiosité. » Nos méthodes actuelles sont justifiées peut-être par les nouvelles conditions de la vie ; celle-là était, à coup sûr, excellente en un temps où l’on cherchait à développer plutôt qu’à briser l’initiative personnelle. On citerait maint exemple fameux de ce laisser-aller raisonné et des surprises qui en résultèrent ; car l’Esprit ne supporte pas de direction : « il souffle où il veut. » Un garçon parfumeur découvre, dans de vieux papiers d’emballage, un volume dépareillé de Molière, qui lui révèle « les beautés de la langue française et lui inspire un vif désir de s’instruire. » Cet élève du hasard, pour avoir lu le Malade imaginaire et Pourceaugnac, deviendra un docteur réputé et un écrivain original : c’est Pariset, qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie de Médecine[41]. Un petit Malouin de la même époque a pour premiers instituteurs un maître d’écriture à perruque de matelot qui lui donne des coups de poing sur la nuque et lui fait copier continuellement deux vers de Boileau, et une vieille bonne femme qui, à grand’peine, lui apprend à lire : à part cela, il croît sans études, déboutonné, débraillé, barbouillé, égratigné, meurtri comme les polissons de la ville avec lesquels il vagabonde sur la plage. À douze ans, il est placé au petit collège d’une bourgade bretonne : il s’éprend des mathématiques, art d’agrément qu’il étudie dans sa chambre, et se passionne pour Horace. Comme ses parens veulent qu’il soit marin, on l’envoie au collège de Rennes, où il devient habile aux échecs et au billard. Le reste de son enfance et de sa jeunesse est consacré aux rêveries, aux promenades, à la chasse ; l’étang, les bois, les landes qui entourent la demeure paternelle, « voilà ses véritables maîtres. » Ainsi est élevé celui qui sera un jour René de Chateaubriand. Réfléchissant plus tard à ses débuts dans la vie, il écrira : « Telle chose que vous croyez mauvaise met en valeur les talens de votre enfant ; telle chose qui vous semble bonne étoufferait ces mêmes talens… J’ignore si l’éducation que j’ai reçue est bonne en principe… Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle a rendu mes idées moins semblables à celles des autres hommes[42]. » La diversité des intelligences et, par suite, l’extrême variété des talens, tel était le séduisant avantage de cette apparente insouciance, avantage réduit au minimum par notre égalitaire pédagogie moderne qu’un prôneur de l’ancienne tradition comparait malicieusement à la marmite des noces de Gamache : « Tout y mijote dans la même sauce, et ça ne fait pas de bon ragoût. »

Il est vrai qu’il convient de remarquer combien les débuts de l’adolescent dans la vie différaient en ce temps-là de ce qu’ils sont aujourd’hui. Le chancelier Pasquier qui a connu et comparé les deux époques, celle qui précéda la Révolution et celle de Louis-Philippe, est conduit par ce parallèle à des réflexions précieuses : après avoir reconnu que les études de son jeune temps « n’étaient pas fortes » et raconté que, ses classes vite terminées, il fit son droit sans application, persuadé, à l’égal de tous ses contemporains, qu’il ne pouvait mieux employer ses heures qu’en les consacrant à l’équitation, à l’escrime et à la danse, il se demande, ainsi que nous le faisions tout à l’heure, comment ont pu sortir « d’un enseignement si incomplet, des hommes qui, dans toutes les carrières, ont rempli des postes importans avec éclat en des temps particulièrement difficiles. » Par une raison très simple : la vie des affaires commençait beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui : à quinze ans on entrait dans l’armée ; à quatorze ans dans la marine, et les officiers de ce corps passaient pour les plus instruits de l’Europe. On était, à vingt ans, conseiller au Parlement ; on avait voix délibérative à vingt-cinq. Dans l’administration, aucune règle n’était prescrite pour l’âge, et, généralement, cet âge était très précoce. On ne pouvait imposer à des candidats si jeunes des examens aussi ardus que ceux dont on barricade l’entrée des carrières devant ceux qui s’y présentent après leur majorité accomplie : d’où Pasquier conclut que « l’on serait fondé à dire que Vauban n’eût pas été en état de satisfaire à l’examen que doit subir pour y être admis un aspirant à l’École polytechnique. »

Pasquier poursuit de la sorte : « Il y a deux éducations : la première est le produit des études classiques ou spéciales ; mais après celle-là vient l’autre qui résulte du milieu dans lequel le jeune homme vit à sa sortie de l’école, des exemples, des impressions, des traditions qu’il reçoit. De nos jours, cette seconde instruction a perdu la plus grande partie de sa valeur et de sa puissance. Celui qui entre dans le monde à vingt-deux ou vingt-trois ans croit n’avoir plus rien à apprendre : il a, le plus souvent, une confiance absolue en lui-même et un profond dédain pour tout ce qui ne partage pas les opinions qu’il s’est déjà faites. Il en était autrement sous le régime précédent : la jeunesse entrait avec timidité dans le monde qui, de si bonne heure, lui était ouvert ; elle ne pouvait se dissimuler son insuffisance ; la société parmi laquelle il fallait se percer une route était spirituelle, distinguée, solidement établie sur une hiérarchie immuable et consacrée par le temps ; on y était né, il y fallait vivre, on y devait mourir[43]. » De là l’obligation de s’en montrer digne. Et ce futur chancelier confesse quels sont d’abord son embarras et sa confusion en présence de ses anciens, chez qui, à dix-sept ans, il est admis à fréquenter. Plus de trente salons lui font accueil ; les nombreuses réunions sont rares : il n’y a ni bals, ni concerts, ni cohues, mais causeries agréables et solides entre personnes accoutumées à se retrouver ; des parlementaires qu’il y rencontre, il admire « la gravité, l’élégance de vie, une inclination très vive vers les jouissances de l’esprit et des connaissances fort étendues ; » il y a là M. Bochart de Saron qui consacre ses loisirs à l’astronomie ; M. Dionis du Séjour qui suit d’Alembert de très près dans les hautes régions de la géométrie ; la poésie aussi a ses adeptes : M. Ferrand compose des tragédies et M. de Favières rime des livrets d’opéras-comiques ; on ne parle jamais politique, mais littérature, philosophie, pièces de théâtre, ouvrages nouveaux ; la connaissance des lettres anciennes dont tous, jeunes et vieux, sont nourris, est la base commune, la « matière première » de ces discussions, le terrain d’entente de ces esprits si divers. D’ailleurs, ces anciens n’ont, eux non plus, en leur temps de collège, rien appris d’autre : c’est, non point sur les bancs de l’école, par force et à coups de pensums, mais à leur entrée dans l’existence, déjà en âge d’en apprécier l’importance, qu’ils ont pris, de leurs prédécesseurs, ce goût des nobles choses et des travaux sérieux. On eût été mal venu alors de bafouer les aïeux et de triompher de leur ignorance, puisque c’était d’eux-mêmes qu’on recevait par transmission le germe de tout ce qui faisait l’agrément et l’ornement intellectuels de la vie.

À peine reçu dans ce monde délicat et lettré, Pasquier sentit son insuffisance. Soucieux de n’y être point trop inférieur, il s’appliqua aux lectures suivies et attentives ; n’étant plus un enfant et s’y adonnant de son plein gré, il y trouva grand plaisir : tel auteur grave, qui l’eût rebuté quelques mois auparavant si ses professeurs lui en avaient imposé le devoir, lui sembla plein d’attraits puisqu’il s’en révélait les beautés à lui-même, et c’est ainsi que ces esprits d’autrefois étaient volontairement conquis, et pour toujours, au culte des grands penseurs et des parfaits modèles. Le cas de Pasquier fut celui de bien d’autres : toute la jeunesse d’alors, à peine libérée de la tutelle des pédagogues, éprouvait le besoin de s’instruire : « on se ferait difficilement une idée de ce mouvement intellectuel, » écrivait, au temps de Louis-Philippe, le chancelier de France se remémorant ses années d’avant la tourmente révolutionnaire ; « on suivait les cours du lycée, dont les professeurs étaient La Harpe, Fourcroy, Garat, de Parcieux ; l’élite de la société parisienne s’y pressait, » et là, du moins, chacun s’ingéniait à s’instruire suivant ses facultés naturelles et à ne suivre que les leçons vers lesquelles l’attiraient ses dispositions et ses préférences.


Ce prurit de savoir était-il le premier indice du mal sournois dont la France était atteinte et que Rivarol a nommé « la maladie du bonheur ? » Déjà il avait pour résultats des singularités qui déconcertaient : on vit, par exemple, des Français se prendre d’engouement pour le roi de Prusse ; on cherchait à connaître, pour l’imiter, ce qui se faisait ou se disait à Londres. Il sourdait de divers côtés des velléités d’innovations brusques, tapageuses : quelques-uns se faisaient une réputation à heurter les vieux préjugés et à braver l’opinion, et c’est alors qu’on commença à parler de certaines excentricités pédagogiques, traitées d’extravagances par les gens pondérés, mais qui plaisaient à d’autres par leur nouveauté même et leur parfum exotique. Ainsi on court à Ermenonville pour contempler la famille du châtelain, M. de Girardin, vêtue à l’anglaise : le père, les enfans, les domestiques, sont habillés de toile bleue d’Oxford, vestes, culottes et guêtres uniformes. Mme de Girardin et ses femmes portent un costume de même étoffe, avec un large tablier et un chapeau noir. Dans la cour du château est un grand mât de trente pieds, au haut duquel les petits Girardin, s’ils veulent manger, doivent aller décrocher leur repas. Ils viennent à pied d’Ermenonville à Paris, dix bonnes lieues[44], et la première fois qu’ils apparaissent aux Tuileries, dans leurs vestes de toile, les cheveux tondus et les jambes gainées d’un pantalon, — un pantalon ! — parmi leurs camarades de même âge, poudrés, sanglés, manchettes aux poings, bas de soie aux mollets et chapeaux à trois cornes en tête, c’est une stupeur dont les contemporains gardaient encore le frisson cinquante ans plus tard. La huée fut d’abord générale, puis on s’accoutuma à ce « débraillé, » on l’envia, on ne voulut plus d’autre costume[45].

L’éducation des jeunes princes d’Orléans donne aussi matière aux bavardages et soulève presque un scandale. Le Duc les a confiés à une amie très chère, Mme de Genlis ; et celle-ci a elle-même été élevée de façon à ne jamais croire qu’elle pût devenir une imposante éducatrice. Alors qu’elle était enfant, son père lui donne pour institutrice une danseuse, Mlle Mion, qui s’enivre. Mlle Mion, remerciée, est remplacée par un danseur qui est en même temps maître d’armes et qui enseigne l’escrime à son élève. Pour parfaire ses études, Mlle de Mars, sa gouvernante, l’initie à l’abrégé d’histoire du P. Buffier ; mais au bout de huit leçons, le livre est jugé trop ennuyeux par le professeur et par l’écolière qui, d’un commun accord, donnent la préférence au roman de Clélie et aux pièces de théâtre. Ceci conduit à jouer la comédie ; l’enfant remplit le rôle de l’Amour : son costume est si joli, — habit couleur de rose, recouvert de dentelles parsemées de petites fleurs artificielles, le tout ne venant qu’aux genoux, — que le père décide qu’elle n’en portera plus d’autre : elle aura un habit d’amour pour les jours ouvrables et un habit d’amour pour les dimanches et fêtes. Et on la rencontre au loin dans la campagne, en bottines « paille et argent, » des ailes bleues au dos, les cheveux au vent, un collier de fausses pierres au cou, un carquois à l’épaule et un arc à la main, — à moins qu’elle ne tienne dans ses paumes fermées des araignées ou des crapauds, bêtes pour lesquelles elle éprouve une répulsion justifiée que ses parens l’obligent à vaincre…

Jugez jusqu’à quel point les vocations triomphent des efforts les plus soutenus : cette fille à qui l’on a appris la danse, le piano, le chant, la harpe, les armes, l’art dramatique et la façon des fleurs artificielles, ne reçoit jamais une leçon d’écriture. Elle passera néanmoins sa longue vie à écrire ; elle sera l’auteur d’un nombre redoutable de volumes qui, tous, traiteront des plus graves questions d’éducation et de la manière de s’y prendre pour élever sérieusement les jeunes filles et les préparer aux épreuves de la vie[46] !

C’est donc à cette inspirée que M. le Duc d’Orléans s’en remit d’acheminer ses filles et ses fils vers leurs hautes destinées, et ce qui étonnera davantage, c’est qu’elle y réussit à miracle : soit que, avec leur instinct de jeunes Français affinés, ils eussent tôt senti tout le ridicule de leur éducatrice et que leur personnalité les eût mis en garde contre tant d’innovations ; soit que, doués de cet esprit d’opposition qui fermente en chacun de nous, ils eussent pris au contre-pied la masse écrasante de préceptes et de maximes que la sémillante matrone leur avait inculqués, le roi Louis-Philippe et sa sœur Madame Adélaïde se montrèrent, au cours de leur vie tourmentée et semée d’écueils, pratiques, équilibrés, méthodiques, réfléchis, toutes qualités dont Mme de Genlis n’avait jamais possédé aucune. Elle avait entrepris, pour sa plus grande gloire, de les conduire à la perfection par un chemin encore inexploré et si semé de casse-cou, que jamais autre précepteur n’eût osé y engager ses élèves : elle attachait à chacun des pieds du jeune Duc de Montpensier un poids de 23 livres, le suspendait par les mains à une barre fixe et l’obligeait à lever alternativement et à étendre les jambes. M. de Beaujolais portait des seaux d’eau pesant 92 livres bien comptées. On ne peut savoir tout le bien que ces deux jeunes princes retirèrent de cette gymnastique, car ils moururent jeunes, apparemment avant que la méthode eût donné tout son profit. En ce qui concerne le Duc de Chartres et sa sœur, il est manifeste que le régime fut à l’une et à l’autre très favorable. Mme de Genlis imagine, afin de les rompre à la fatigue, de les chausser de bottes à semelles de plomb : chacun des souliers du futur roi des Français pèse une livre et demie, ce qui ne l’empêche pas de fournir des courses, d’exécuter des sauts, et de parcourir trois ou quatre lieues à pied, d’un pas rapide et sans repos. Les brodequins de Mlle d’Orléans pèsent deux livres : elle ne les quitte que pour danser.

On organise dans le jardin de Bellechasse, antre de cette éducation régénératrice, des courses de vitesse et des courses d’haleine : à douze ans, la petite princesse court durant une lieue « exactement mesurée ; » et tout ceci est excellent, encore que les bonnes gens s’effarent de cet inédit. Il y a, à Bellechasse, un maître danseur de corde, « exercice, note judicieusement Mme de Genlis, qui apprend à marcher avec sûreté et adresse dans les sentiers les plus étroits et les plus escarpés ; » on interrompt les leçons, on se lève, on met aux épaules des élèves une lourde hotte, on monte, on descend, ainsi chargé, plusieurs étages ; M. de Chartres arrive à porter de la sorte 225 livres. Il y a un tour dans l’antichambre, car on apprend le métier de tourneur, et bien d’autres : ceux de gainier, de doreur sur bois, de vannier, de menuisier ; on fabrique des lacets, de la gaze, des cartonnages, des fleurs artificielles, du papier marbré, des grillages de bibliothèque, des ouvrages en papier mâché et des plans en relief ; la maison est construite, meublée et ornée de façon que, en se livrant à ces travaux manuels, les princes s’instruisent de tout sans peine et par surcroît ; les tapisseries représentent, peints sur fond bleu, les médaillons des sept rois de Rome, des empereurs et des impératrices jusqu’à Constantin le Grand, « avec leurs noms et leurs dates ; » les dessus de portes reproduisent les traits particuliers de l’histoire ancienne ; deux grands paravens portent les effigies de tous les rois de France, les écrans à main ou montés figurent « des traits mythologiques. » L’escalier est géographique : il y a des cartes depuis le seuil jusqu’aux greniers, « celles du Midi au bas des degrés, et celles du Nord au deuxième étage, » comme il convient. On ne peut lever les yeux, tourner la tête, s’asseoir, entrer, descendre, monter, sortir, marcher, s’étendre, manger, sans recevoir une leçon de quelque chose. La lanterne magique est « historique, » et si l’on va respirer au jardin, un pharmacien botaniste est là qui détaille les plantes, leurs vertus médicinales et enseigne l’usage qu’on doit en faire. Le maître de musique est allemand, le valet de chambre italien, le majordome anglais et le professeur de dessin polonais. Le moral n’est point, du reste, négligé ; Mme de Genlis a acheté en Angleterre deux jeunes filles jolies comme les amours ; elle les a affublées des noms romanesques d’Hermine et de Paméla ; ces deux nymphes vivent avec les jeunes princes, partagent leurs leçons, leurs jeux, leurs gymnastiques et leurs exercices de force, et ce n’est point là ce qui surprend le moins. Car les bavards s’en donnent à cœur joie des excentricités de Bellechasse : ceux-ci se lamentent, quelques-uns approuvent, beaucoup se scandalisent ; tous, en fin de compte, s’accordent pour rire ; mais le bon public ne douta plus que la gouvernante avait entrepris de conduire à la démence la progéniture de la maison d’Orléans quand, le 9 juillet n89, on vit débarquer dans Paris un cyclope, avec une massue, un œil au milieu du front et une peau de bête autour des reins. On conduisit le personnage au poste, on le questionna avec défiance : c’était un peintre, nommé Giroux, arrivant de Saint-Leu, où Mme de Genlis et ses élèves étaient en villégiature dans un château dont le parc, bien entendu, se contournait en carte de géographie et dont les cours d’eau se découpaient en baies, en caps, en isthmes, en golfes ou en détroits. Surpris en pleine représentation mythologique par la rumeur qu’une émeute venait d’éclater à Paris, M. Giroux n’avait pas pris le temps de quitter son costume de « leçon de choses » et était accouru aux nouvelles sans même penser au déplorable anachronisme qu’offrait le spectacle de Polyphème en cabriolet[47].

On s’attarderait trop à conter les bizarreries de la gouvernante princière : elle tiendra place en toute histoire de la pédagogie, car elle fut, sinon la première, du moins la plus audacieuse à rompre avec les prudens usages et les sages accoutumances de nos ancêtres. Sa manière caractérise ce besoin d’innover, cet amour du hasardeux dont fut prise la France à la fin du XVIIIe siècle. Filleul de tous les bons génies qui l’avaient comblé de dons, notre pays était déjà guetté par deux perfides sirènes, les fées Utopie et Exotisme, qu’il n’avait jamais conviées à son aide et dont il avait dédaigné jusqu’alors les incantations et les sortilèges. Mais follement et sans cesse épris du « meilleur, » si généreux qu’il en rêve l’expansion par toute la terre, pour le trouver à tout prix il se laissera séduire par les charmes trompeurs de ces dangereuses enchanteresses, et quand il s’apercevra qu’il a été leurré, et que la mer sur laquelle elles l’ont embarqué est hérissée de traîtres récifs, il sera trop tard pour virer de bord et pour faire voile vers le port assuré de la tradition méconnue.


G. LENOTRE.

  1. Voyez la Revue du 1er et 15 mai 1917.
  2. Mercier, Le nouveau Paris, VI, 31.
  3. Lettres et entretiens, I, 34.
  4. Quicherat, Histoire du Collège Sainte-Barbe, II, 60.
  5. Thierry, Guide de l’Amateur et de l’étranger, 1787, I, 8, 54 et II, 155.
  6. Mémoires de Dufort de Cheverny, I, 15.
  7. Tableau de Paris, 1785, II, 122.
  8. Mémoires du général baron Thiébault.
  9. Souvenirs du baron de Frenilly, publiés par M. Arthur Chuquet, 16, 17, 18, et, pour ce qui précède, passim.
  10. Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution. Livre III, chap. VIII.
  11. Dufort de Cheverny, Mémoires cités.
  12. Lettres patentes pour l’instruction gratuite en l’Université de Paris, 4 avril 1719. — « … Ordonnons qu’à compter du 1er avril présente année, l’instruction de la jeunesse sera faite gratuitement dans les collèges de plein exercice de notre fille aînée ladite Université de Paris, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, les régens desdits collèges puissent exiger aucuns honoraires de leurs écoliers… » (Jourdan, Decrusy et Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, tome XXI, p. 173.) Les collèges « de plein exercice, » c’est-à-dire disposant de professeurs attitrés et n’étant point dans l’obligation d’envoyer leurs pensionnaires suivre les cours d’autres établissemens, étaient à cette époque ceux d’Harcourt, du Cardinal-Lemoine, de Navarre, de Montaigu, du Plessis, de Lisieux, de La Marche, des Grassins et de Beauvais.
  13. Norvins, Mémorial, I, 10, note.
  14. Thierry, Guide de l’amateur et de l’étranger, 1787, II, 323.
  15. J.-A. Paris, La Jeunesse de Robespierre, p. 20 et suiv.
  16. J.-A. Paris, La Jeunesse de Robespierre.
  17. J .-A. Paris, La Jeunesse de Robespierre, p. 26.
  18. La gratification de Robespierre, en date du 19 juillet 1781, fut de 600 livres. J.-A. Paris, ouv. cit., p. 28.
  19. Mémorial de Norvins, I, 11 et suiv.
  20. Mémorial de Norvins, loc. cit.
  21. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, I, 40.
  22. Joubert, Pensées, édition Perrin, 242-243.
  23. Antonin Eymieu, La Providence et la guerre, p. 308.
  24. Tableau de Paris, I, 256.
  25. Édouard Fleury, Camille Desmoulins.
  26. Tableau de Paris, loc. cit.
  27. X. Aubriet, Les représailles du sens commun, p. 50.
  28. Discours au Sénat. Séance du 10 juin 1882.
  29. L. Bouquet, L’Ancien collège d’Harcourt et le lycée Saint-Louis.
  30. Mémoires sur Carnot par son fils.
  31. Marquis de Ségur, Esquisses et récits, p. 182.
  32. Marquis de Ségur, Esquisses et récits, passim.
  33. Comte Ducos, La Mère du duc d’Enghien, p. 48 et suiv.
  34. Thierry, Guide de l’amateur et de l’étranger, II, p. 447.
  35. Tableau de Paris, IV, p. 142.
  36. Thierry, passim.
  37. Tableau de Paris, 1, 297.
  38. Marquis de Ségur, L’Éducation des filles, conférence faite à la Ligue de l’Action sociale de la femme.
  39. Gaston Paris, Préface de la Grammaire raisonnée de la langue française, par Léon Clédat, p. VII.
  40. Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, II, 340.
  41. Docteur Poumiès de la Siboulie, Souvenir d’un médecin de Paris, p. 51.
  42. Mémoires d’Outre-Tombe, édition Biré, J, 60-61.
  43. Histoire de mon temps. Mémoires du chancelier Pasquier, I, 16 et suiv.
  44. Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, p. 108.
  45. Souvenirs de Frenilly, 20.
  46. Mémoires de Mme la comtesse de Genlis, I, 23 et suiv.
  47. Mémoires de Mme la comtesse de Genlis, IV, 1 ; et, pour ce qui précède, III, 101, 154 et suiv.