Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme/Rêverie

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RÊVERIE

À mon ami V. P. (VICTOR PAVIE.)


Il est soir : la lune s’élance
Sur son trône mystérieux ;
Les astres roulent en silence ;
Comme un lac immobile, immense,
Mon âme réfléchit les cieux.

Dans les ondes de la pensée,
Dans ce beau lac aux sables d’or,
La voûte des cieux balancée

À mes yeux se peint, nuancée
De couleurs plus molles encor.

Amoureux de la grande image,
D’abord j’en jouis à loisir ;
Bientôt désirant davantage,
Poëte avide, enfant peu sage,
J’étends la main pour la saisir.

Adieu soudain voûte étoilée,
Blanche lumière, éclat si pur !
Au sein de mon âme ébranlée,
Phébé tremblante s’est voilée ;
L’image a perdu son azur.

Phébé, ne voile plus ta face !
Je renonce à mon fol espoir.
Lors, par degrés, le flot s’efface,
L’âme s’apaise, et sa surface
Des cieux redevient le miroir.

Irai-je, pour saisir l’image,
De l’onde encor troubler le cours ?
Non ; mais penché sur le rivage,
Puisque la nuit est sans nuage.
Je veux rêver, rêver toujours.