Révolution et contre-révolution en Allemagne/Rémy/Introduction

Traduction par Léon Remy.
L’Allemagne en 1848Schleicher (p. ix-xii).

INTRODUCTION




« Révolution et Contre-Révolution en Allemagne » ou « l’Allemagne en 1848 », forme une série d’articles publiés par Marx en anglais dans la Daily Tribune de New-York, en 1851 et en 1852.

La fille de l’auteur, Eleanor Marx, les a réunis et publiés en volume[1] ; c’est à cette édition que nous avons emprunté les titres placés en tête des chapitres.

K. Kautsky en a fait paraître une traduction allemande en 1896, chez Dietz, à Stuttgart[2].

Nous croyons utile de donner quelques renseignements sur l’organe qui a inséré les correspondances de Marx, sur les conditions dans lesquelles se trouvait ce dernier au moment où il les a composées[3].

Sur la situation générale de l’Europe et des partis révolutionnaires de cette époque Engels nous renseigne assez complètement dans la préface qu’il écrivit pour l’édition de propagande des « Révélations sur le procès des communistes de Cologne », et qui se trouve reproduite en tête de la seconde partie de ce volume. Certaines affirmations, certaines prédictions que les faits ont démenties y sont suffisamment expliquées.

Quant à l’organe qui accepta les articles de Marx, le Daily Tribune de New-York, c’était un journal à tendances fouriéristes. Il est aujourd’hui parfaitement réactionnaire. Il avait été créé en 1841 par Horace Greeley, fouriériste militant et fondateur de la célèbre « phalange » de Brookfarm. L’un des sociétaires de celle-ci, Dana, fit, au cours d’un voyage à Londres en 1848, la connaissance des réfugiés allemands, en particulier de Freiligrath. À son retour en Amérique, il devint rédacteur en chef de la Tribune (1851) et offrit à Marx d’y collaborer probablement sur les indications de Freiligrath.

Marx avait quitté l’Allemagne en 1843, après la suppression de la Rheinische Zeitung, et se rendit d’abord à Paris. Bientôt il fut expulsé de France, puis de Belgique. Après la révolution de 1848, il put rentrer dans le premier de ces pays, qu’il quitta d’ailleurs bientôt pour aller publier en Allemagne, à Cologne, la Neue rheinische Zeitung. Cette publication fut à son tour supprimée, et Marx revint en France, avec sa famille. Mais les temps avaient déjà changé, et il fut obligé d’en partir encore une fois ; il se rendit à Londres où il s’établit définitivement.

Marx a commencé à collaborer à la Tribune au moment où ses conditions d’existence étaient des plus précaires. Ses principaux collaborateurs étaient Bruno Bauer, Bayard, Taylor, Ripley, etc. C’est dans ce même journal que Marx a publié ses articles sur les relations de lord Palmerston avec le Gouvernement russe.

Dana rendit à Marx un signalé service : il lui permit de vivre et de se livrer aux travaux économiques qui allaient l’absorber à peu près complètement. Il lui fournit, en outre, le moyen de se disculper d’infâmes accusations. Vogt, dans une brochure publiée en 1859, avait reproché à Marx de « vivre de la sueur de l’ouvrier » ; la National Zeitung, renchérissant encore, l’accusa de recevoir des subsides de la police et de fabriquer de faux billets. Le procureur de Berlin ayant refusé de donner suite à une plainte déposée par Marx, celui-ci se trouvait désarmé, quand Dana lui écrivit une lettre où il le disculpait entièrement ; il expliquait que Marx était un des collaborateurs les mieux payés, disait le haut prix en lequel on tenait ses correspondances et lui témoignait enfin publiquement toute son estime.

Les articles de Marx complètent nécessairement son XVIII Brumaire[4] ; tous deux se rapportent à la même époque. Ils ont été écrits en 1851 et 1852, alors que Marx ne se trouvait que depuis dix-huit mois à Londres.

Cette série d’articles est restée inachevée. Elle contient dix-neuf articles au lieu de vingt. Le vingtième a peut-être été écrit ; mais il n’a jamais paru. La Tribune était probablement trop absorbée, à cette époque, par une élection présidentielle. Ce dernier article devait être consacré à exposer quelles étaient les forces restées en Allemagne pour préparer les mouvements futurs. C’est de ce sujet que traitent les « Révélations sur le procès des communistes de Cologne, » que nos lecteurs trouveront au cours de ce volume. Le vide se trouvera ainsi comblé.


  1. Revolution and Counter-Revolution or Germany in 1848, by Karl Marx, edited by Eleanor Marx Aveling, London. Swan Sonnenschein, 1896.
  2. Revolution und Kontre-Revolution in Deutschland, von Karl Marx, ins Deutsche übertragen von K. Kaustsky. Stuttgart. Verlag von I. H. W. Dietz, 1896.
  3. Les renseignements qui suivent ont été tirés des préfaces dont Eleanor Marx et Kautsky ont fait précéder les éditions anglaise et allemande.
  4. Cf. La lutte des classes en France. — Le XVIII Brumaire de Louis Bonaparte, par Karl Marx, traduit de l’allemand par Léon Remy. Librairie Reinwald, Paris, 1900.