Révision
L’Antimilitarisme en France (extrait, Révision), Texte établi par Jean Rabaut, Hachette (p. 3-5).


RÉVISION

Gaston Couté, 1910.


I

Je suis à poil (et cependant
Je ne suis pas chez ma voisine !)
Sur moi, la toise en descendant
A fait un bruit de guillotine ;
Et voici Môssieu le Major,
Être doux comme le tonnerre,
Qui me palpe et me palpe encor
D’un geste de vétérinaire…

Alors, sans bouger le sourcil
Je me dis, pendant ce temps-là
tu n’as pas vu mon cul, le voici !
Si tu n’as pas vu mon cul, le voilà !

II

Devant moi, le nombril caché
Sous le tricolore bandage,
Les maires, témoins du marché,
S’intéressent au marchandage :
Œil sournois, œil terne et chassieux,
Regard de veau, regard de fouine,
Tous les regards de tous ces yeux
Courent sur moi comme vermine…

Alors, sans bouger le sourcil,
Je me dis, pendant ce temps-là :
Ceux qui n’ont pas vu mon cul, le voici !
Ceux qui n’ont pas vu mon cul, le voilà !

 

III

— Le gaillard n’est pas trop mal fait !
Il a même une bonne tête —…
Comme au Comice, le Préfet,
Admire aussi la belle bête :
Et j’entends ce sacré major
Louanger ensuite à son aise
Un tout autre endroit de mon corps :
Objet de gaîté bien française.

Alors, sans bouger le sourcil,
Je me dis, pendant ce temps-là :
Si tu n’as pas vu mon cul, le voici !
Si tu n’as pas vu mon cul, le voilà !

IV

De la chair jeune de vingt ans
Qu’étalera fièvre ou bataille,
Savez-vous que c’est épatant
Quand on la drogue et qu’on la taille !
Et le morticole abruti
Portant du velours sur la manche
Numérote mes abatis
Pour les lendemains de Revanche…

Alors, sans bouger le sourcil,
Je me dis, pendant ce temps-là :
Si tu n’as pas vu mon cul, le voici !
Si tu n’as pas vu mon cul, le voilà !

V


C’est la croix au dos du mouton :
Il a dit « Bon pour le service ! » ;
Un sergent vague écrit mon nom
Sur la liste des Sacrifices…
— Hé ! l’homme aux manches de velours,
Même quand on est militaire,
Faut pas vendre la peau de l’ours
Avant qu’on ne l’ait mis par terre !…

 

Si tu viens pour la mienne ici,
Je chante en m’en allant par là :
Si tu n’as pas vu mon cul, le voici !
Si tu n’as pas vu mon cul, le voilà !
 
(Paru dans : Almanach de la Guerre sociale, 1910).