Révélations sur le procès des communistes de Cologne/V

Révélations sur le procès des communistes de Cologne
Traduction par Léon Remy.
L’Allemagne en 1848Schleicher (p. 372-375).

CHAPITRE V

LE SUPPLÉMENT DU CATÉCHISME ROUGE


À l’audience du 27 octobre, l’inspecteur de police Junkermann de Crefeld dépose que : « il a saisi un paquet d’exemplaires du catéchisme rouge, adressé à un garçon d’un restaurant de Crefeld et portant le timbre de Düsseldorf. Ce paquet était accompagné d’une circulaire supplémentaire sans signature. L’expéditeur n’a pas été découvert. » « Cette circulaire parait, comme le remarque le ministère public, émaner de la main de Marx. »

Dans l’audience du 28 octobre, l’expert (??) Renard reconnaît dans la circulaire l’écriture de Marx. La voici :

« Citoyens ! comme vous avez toute notre confiance, nous vous envoyons 50 exemplaires du rouge que vous devrez, le samedi 5 juin, à onze heures du soir, glisser sous les portes de citoyens révolutionnaires reconnus, de préférence d’ouvriers. Nous comptons avec certitude sur votre vertu civique, et nous attendons de vous la mise à exécution de cette prescription. La Révolution est plus proche que beaucoup ne le croient.

« Vive la Révolution !

Berlin, mai 1852.

« Salut et fraternité. »
Le Comité révolutionnaire.


Le témoin Junkermann déclare encore que « le paquet en question a été adressé au témoin Chianella. »

Le président de police de Berlin, Hinkeldey, conduisait, pendant la prévention des accusés de Cologne, la manœuvre comme général en chef. Les lauriers de Maupas l’empêchaient de dormir.

Aux débats figurent deux directeurs de police, l’un vivant, l’autre mort, un conseiller de police, — mais c’était Stieber — deux lieutenants de police, dont l’un fait continuellement le voyage de Londres à Cologne, l’autre celui de Cologne à Londres, des myriades d’agents et de sous-agents, nommés, anonymes, hétéronymes, pseudonymes, réguliers et irréguliers. Enfin un inspecteur de police.

Dès que la Kölnische Zeitung arriva à Londres, avec les dépositions du 27 et du 28 octobre, Marx alla trouver le magistrat de Malborough street, copia le texte de la circulaire, donné par le journal, fit légaliser cette copie, puis fit la déclaration solennelle suivante :

1o Qu’il n’avait pas écrit cette circulaire ;

2o Qu’il n’avait appris l’existence de celle-ci que par la Kölnische Zeitung ;

3o Qu’il n’avait jamais vu le soi-disant catéchisme rouge ;

4o Qu’il n’avait jamais, en aucune façon, contribué à le répandre.

Remarquons en passant qu’une « déclaration » semblable, faite devant le magistrat, comporte, quand elle est fausse, toutes les suites d’un faux serment.

Le document précédent fut envoyé à Schneider II, mais parut en même temps dans le Morning advertiser. On avait pu se convaincre, au cours du procès, que la poste prussienne se faisait du secret postal cette singulière conception qu’elle avait le devoir de tenir secrètes aux destinataires les lettres qui lui étaient confiées. Le procureur général s’opposa à ce que les documents fussent produits, même à titre de pièces de comparaison. Le parquet général savait, en effet, qu’un seul coup d’œil jeté de la circulaire et sur la copie dûment légalisée, que Marx en avait faite, ne pouvait permettre à la sagacité des jurés de ne pas reconnaître la tromperie, l’imitation intentionnelle de son écriture. Dans l’intérêt de la moralité de l’État prussien, le parquet général protesta contre toute comparaison.

Schneider II remarqua que le « destinataire Chianella, qui avait donné à la police des renseignements complaisants sur les expéditeurs probables et s’était même offert à remplir le rôle de mouchard, n’avait jamais pensée le moins du monde à Marx. »

Quiconque a jamais lu une ligne de Marx, ne peut lui attribuer la paternité de cette circulaire mélodramatique. L’heure fantastique, minuit, l’opération singulièrement compromettante et consistant à glisser du « rouge » sous les portes des Philistins de la Révolution — tout cela pouvait convenir à l’esprit d’un Kinkel, de même que « la vertu civique », la « certitude » avec laquelle on « comptait sur l’exécution » militaire de la « prescription », relevaient de l’imagination de Willich. Mais comment Kinkel-Willich pouvaient-ils arriver à écrire de l’écriture de Marx leurs recettes révolutionnaires.

Risquons une hypothèse sur la genèse, « peu éclaircie encore », de cette circulaire en écriture contrefaite : la police trouva à Crefeld les cinquante catéchismes rouges accompagnés de l’agréable et brillante circulaire. Elle la fit copier en contrefaisant l’écriture de Marx, à Cologne ou à Berlin, « qu’importe ! » Dans quel but ? « Pour donner à sa marchandise une valeur d’autant plus grande. »

Le parquet général lui-même n’osa pas recourir à cette circulaire dans sa catilinaire. Il la laissa de côté. La lettre d’envoi ne contribua donc pas à faire constater « l’état de cause réel », qui faisait défaut.