Réponse d'un soldat patriote à un aristocrate

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VERS (*) qui ont donné lieu à cette réponse, insérés dans le no 98 des Actes des Apôtres, feuille périodique :


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No 1.

 Mais, je vois le premier des princes d’autrefois !
Ah ! je n’en doute point, combattant pour le trône,
Ce prince généreux, par de vaillants exploits,
Va rendre en ce jour l’éclat à la couronne.

No 2.

Que vois-je ? justes dieux ! ô douleur ! ô chagrin !

No 3.

Les emblèmes sacrés de nos vertus guerrières,
Ces drapeaux, ces guidons, tous ces fiers ornemens
Portés par des bourreaux, suivis par des brigands,
À la révolte, au crime, ont servi de bannière :

No 4.

Ces officiers bourgeois, ces colonels marchans,
Profanent des combats l’honorable carrière.

No 5.

L’uniforme est porté par d’impurs fastieux.

 

No 6.

 Nos soldats, ces guerriers fiers et valeureux,
Qui jadis à leurs pieds enchaînoient la victoire,
Vendus à des brigands aussi vils à mes yeux.

No 7.

 Pour de l’or ont vendu leur honneur et leur gloire.

No 8.

 Et le nom de soldat est avili par eux.

No 9.

 Régiment corrompu, timide, mercenaire,
Aussi vil à la paix qu’il fut lâche à la guerre,
Tu viens de couronner Dettingue et Fontenoy
En vendant ton honneur et trahissant ton roi.
Ah ! pour le crime seul tu montres du courage !


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RÉPONSE.



No I.

 Tu t’abuses, Damis, sur la grandeur des Rois.
Si l’orgueil jusqu’à nous fit la splendeur du trône,
C’est à l’illusion qu’il le dut autrefois ;
Elle seule enfanta les vains titres qu’il donne.
Être juste, être bon, voilà de beaux exploits !
Par l’éclat des vertus doit briller la couronne.

No II.[1]

D’une horde infernale insensé défenseur,
Qui prodigues ainsi les faveurs du Parnasse,

 
N’attends pas qu’Apollon pardonne à ton erreur :
D’un abus si coupable, il fait rarement grâce.
Toi-même, en vain, prétends t’arracher à ton cœur :
Eh ! déjà ta fureur aux remords y fait place.

No III.

D’une honteuse erreur déchirant le bandeau,
Vois l’emblème sacré de la vertu guerrière
Par l’amour du devoir, chez un peuple nouveau,
De la fraternité devenir la bannière ;
Et la saine raison, de son divin flambeau
Répandre les bienfaits sur la nature entière.

No IV.

Respecte, imite ou crains ces officiers marchands[2]
Qui fond à leur patrie un digne sacrifice.
Différant en noblesse à ces prétendus grands,
Chez qui l’ambition tenait lieu de service,
Ils sauront aux combats, par de plus sûrs garants,
Illustrer leur carrière, en vengeant la justice.

No V.

Sous le voile imposteur d’un zèle officieux,
Prêtant du patriote et les traits et la forme,
L’habit cache, il est vrai, plus d’un séditieux ;
Mais, dès qu’un nouvel ordre impose la réforme,
Quiconque sert l’abus est lui seul factieux ;
Il n’appartient qu’à lui de souiller l’uniforme.

 

No VI.

Eh quoi ! verra-t-on moins aux pieds de nos soldats
L’inconstante victoire enchaînée, asservie ;
Quand, éclairés enfin qu’ils n’alloient aux combats,
Que pour servir l’orgueil d’une engeance ennemie,
Ils ont fait le serment de consacrer leur bras,
Aux dieux de leurs foyers, aux dieux de leur patrie ?

No VII.

 LE Pactole à leurs yeux a coulé sans effet.
Au bonheur de l’État leur ame est trop sensible,
Pour jamais seconder un coupable projet ;
Toujours le cœur bien né s’y montre inaccessible.
L’honneur est un écueil où le vif intérêt
Rencontre, en se brisant, un obstacle invincible.

No VIII.

 Amirez ces guerriers, dont les soins précieux
Au barbare despote arrachant la victoire,
Du métier de Soldat font un titre à nos yeux !
Ingrats, qui leur deviez jusques à votre gloire,
Sans eux vous rougiriez de nommer des aïeux,
Pas même devenus le mépris de l’histoire.

No IX.

 Peut-on nommer timide, un vieux enfant de Mars[3]
Qui s’oppose avec force au malheur de la terre !…
Au saint nom de patrie armé de toutes parts,

 
Fièrement il s’avance, et lançant son tonnerre,
À ses pieds fait tomber de superbes remparts.
Être vils !… est-ce ainsi qu’on est lâche à la guerre ?

No X.

 Sur ces pas un grand peuple, aux yeux de l’univers
Vengeant sa dignité, du honteux esclavage
Par un effet subit pulvérise les fers.
Libre, il vole aussitôt au milieu du carnage,
Poussé par l’ascendant des devoirs les plus chers,
Dans le sang des bourreaux effacer son outrage.

No XI.

 Tel on vit Jupiter foudroyer ses titans,
Élevé jusqu’au dieu, ce peuple, en sa colère,
Déconcerta des siens les efforts impuissants :
Dès lors les abîmant dans le sein de la terre,
Il dit à ses voisins : « apprenez que les grands,
Comme nous, sont sujets à l’extrême misère ».

No XII.

 Moi-même, (il m’en souvient avec ravissement)
Quand pour insinuer une horrible maxime
Les tigres s’écriaient impitoyablement :
« Soldats ! Obéissez, le devoir vous l’imprime »,
Indigné, je refuse[4] et réponds fièrement :
Alors qu’il est cruel, obéir est un crime.

  1. Allusion à la versification. Qu’avais-je à répondre à des pleurs si énergiquement exprimés par le [mot effacé].
  2. Trop fier pour m’abaisser jusqu’à répondre par de plates invectives, je me suis borné aux termes que me prescrivoient à la fois mon caractère et ma bienveillance.
  3. Je ne puis, par délicatesse, répondre à l’Auteur du tissu aristocratique, sur l’inculpation qu’il fait au régiment des Gardes-Françoises, dont il est clair qu’il veut parler. Comme j’ai eu le bonheur de servir dans ce corps, je serais taxé de partialité ; mais que n’aurais-je pas à répondre ? Chaque mot feroit rougir… Eh ! Que dis-je ?… J’oubliais que le méchant n’avait point d’âme… Je dirai seulement qu’un revers, de convention, un échec préparé de loin par des chefs, n’est pas la faute des soldats, et le méchant comprendra ce langage qui lui est familier.
  4. Je servois au régiment des Gardes-Françaises à l’instant de la révolution, en qualité de fusilier, quelques tems avant la prise de la Bastille, la compagnie de Roussy à laquelle j’appartenois étant à Versailles ; on donne ordre un après-midi de se tenir prêt ; on fait mettre les soldats sur un rang, & les officiers viennent avec une aménité que je ne leur avois jamais reconnue (je fais néanmoins quelques exceptions), prendre la main des soldats, leur disant : « mes amis, vous promettez de faire tout ce que nous vous dirons pour le service du roi » abusant d’un nom cher & sacré pour surprendre, sous l’apparence du devoir, des soldats toujours soumis à sa loi, leur air d’empressement, leur langage, la crainte de ne pas réussir qui étoit peinte sur leur visage, trahissant leur secret, déposoit contre eux dans mon cœur. La démarche me devint suspecte. Je refuse de me placer dans le rang ; on me presse, je m’obstine, & seul je résiste aux efforts réunis contre moi ; le capitaine veut me présenter la main, je retire la mienne & tremble de m’engager ; mon exemple entraîner (sic) & le projet échoue ; si quelqu’un ose me démentir, j’attesterai mes braves & dignes camarades, aujourd’hui attachés aux bataillons du Petit-Saint-Antoine & des Minimes ; j’en attesterai tous les sergens et caporaux, j’oserai plus ; j’en attesterai mon ci-devant capitaine lui-même.