Répertoire national/Vol 1/Les Boucheries

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 153-156).

1827.

LES BOUCHERIES.

FÊTES RURALES DU CANADA.


Oui, les jeux les plus doux sont les jeux du village,
Et le sage y sourit sans cesser d’être sage.
Homme pur, homme franc, colon du Canada,
Sache à jamais bénir la main qui t’accorda
Le sol qui te nourrit, ces eaux dont tu t’abreuves.
Maître d’un pays libre, et roi du roi des fleuves,
Que peut-il te manquer ? quels seraient tes désirs ?
Tu sais innocemment varier tes plaisirs :
Ici c’est un repas où la gaité préside,
Là je vois sautiller la bergère timide,
Plus loin de vieux parents à leur tendre neveux
Apprennent l’art de vivre et l’art de vivre heureux :
Leurs gestes, leurs discours respirent la franchise ;
L’éloquence du cœur plaît, entraîne, électrise ;
Et dans ces entretiens se montrent tour à tour
La piété, l’honneur, l’allégresse et l’amour.

De ces heureux colons comment peindre les fêtes ?
Les frimas les plus durs, les plus longues tempêtes
En vain de leur gaité voudraient fléchir les traits.
Ils n’adorent qu’un Dieu, c’est le Dieu des bienfaits :
Ils n’adressent qu’à lui leurs soupirs et leurs larmes ;
Pour eux chaque saison produit de nouveaux charmes ;
Ranimés au printemps, l’été les rajeunit.
Ils cueillent en automne, et l’hiver les unit.


Déjà le froid Décembre a blanchi la chaumière ;
Du flambeau de la nuit, la jalouse lumière
S’élance sur la neige, attaque ses flocons
Et joint à leur éclat l’éclat de ses rayons.
D’une double blancheur l’élégante parure
Change la nuit en jour, embellit la nature,
Et montre les défauts du rimeur babillard
Qui dans ses vers malins peint l’hiver en vieillard.

Cependant l’homme heureux, le villageois modeste,
Au coin de son foyer, près d’une table agreste,
Redit à ses enfants : « C’est demain, oui, demain
« Que le pourceau choisi grognera sous ma main ;
« Oui, Pierrot, oui, Colas ; oui, Nanon, oui, Marie,
« C’est demain ; » à ces mots, la famille ravie,
Pierrot, Colas, Nanon joignent les sauts aux cris ;
Et Marie au berceau dort au milieu des ris.

Du plus léger sommeil on a compté les heures :
L’aurore brille enfin sur ces humbles demeures ;
L’enfant au chant du coq joint sa perçante voix,
Et déjà tout s’agite et s’apprête à la fois.

Bientôt l’homme des champs amène la victime ;
Aux cris de l’animal, on s’empresse, on s’anime :
La mère avec transports rôde de tous côtés,
Polit la table ronde et le vase argenté,
Tandis qu’en son fauteuil la bonne aïeule assise,
Prête l’oreille au bruit du couteau qui s’aiguise,
Et sourit aux enfants qui célébrant leur jeu,
D’un bûcher mal construit alimentent le feu.
Dix jeunes marcassins, au groin assez agile,
S’avancent, sont chassés, reviennent à la file,
Et par les sons aigus de leur gémissement,
Semblent se lamenter du sort de leur parent.
Soudain le villageois frappe la bête impure ;
Le sang, à bouillons noirs, ruisselle de sa hure,
Découle dans le vase, et suivant les apprêts,
Sous des doigts ménagers forme d’excellents mêts,
Qui mêlés avec art rehaussent la gogaille.
La victime s’étend sur le bûcher de paille,
Sur son corps l’eau bouillante est versée à grands seaux ;
Les plus légères mains font glisser les couteaux
Qui du grognon défunt enlèvent la dépouille ;

Et bientôt sont formés la succulente andouille,
Le boudin lisse et gras, le saucisson friand,
Et plusieurs mêts exquis, savourés du gourmand.
Ainsi le bon pourceau change pour notre usage,
Et ses pieds en gelée, et sa tête en fromage.
On taille, on coupe, on hache, et des hachis poivrés
Sortent les cervelats, et les gâteaux marbrés.
L’un remplit les boyaux, l’autre enfle les vessies ;
On partage, on suspend les entrailles farcies ;
Un lard épais et blanc étale ses rayons ;
Ici brille la hure, et plus loin les jambons ;
Et là se met à part la côtelette plate,
Qu’un sel conservateur rendra plus délicate ;
Tous les morceaux enfin, même le plus petit,
Sont rangés avec art et flattent l’appétit.
La famille aussitôt borde la table ronde,
Et du Dieu qui fait tout, bénit la main féconde.
Prodigue sans excès, un nectar généreux
Passe du père au fils et les rend plus joyeux.
Chaque enfant à l’envie dépèce sa grillade :
L’hypocrite matou médite une escalade,
Et d’un œil bien fixé, contemple en miaulant,
Des boudins suspendus l’appareil attrayant.
Tandis que Hanidor, vigilant et fidèle,
Dévore le morceau qu’on devait à son zèle.

Cependant la famille a préparé ses dons,
Dons sincères, dons purs. Riche, lis ces leçons !
Gaîment on court à table, on en sort avec joie ;
On porte au pauvre honnête un morceau de sa proie ;
Obliger est tout dire — ah ! si l’homme est content,
C’est alors que son cœur se fond dans un présent.

Ainsi ces francs colons s’obligent l’un et l’autre ;
Tel est le vœu sacré de leur premier apôtre :
« Mes enfants, aimez-vous, et vous serez heureux,
« L’union fait la force, et nous rend généreux ;
« La plus belle vertu, la charité chrétienne,
« Est celle que Dieu prêche, et qu’il faut qu’on obtienne. »
De famille en famille on voit les mêmes traits,
La même bonne humeur, et les mêmes bienfaits,
Et dans ce pays libre une vertu commune
De mille humbles maisons paraît n’en former qu’une.

Peuple franc, sois béni ! qu’un éternel bonheur
Règne dans tes foyers, et surtout dans ton cœur.
Toujours digne du sang qui coule dans tes veines,
Imite tes ayeux, ris au milieu des peines ;
Et souviens-toi toujours qu’une douce gaité,
Du corps comme de l’âme assure la santé.