Répertoire national/Vol 1/L’Art Indéfinissable

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 89-90).

1816.

L’ART INDÉFINISSABLE.


Comment donc définir le grand art de la guerre ?
Il est partout connu ; partout il est mystère.
Dirai-je que cet art, honorable, odieux,
Sert, en les révoltant, et la terre et les cieux ?
On le loue, on le blâme, on le cherche, on l’évite :
Enfin c’est un fléau qu’on craint et qu’on mérite.
Les guerriers sont, dit-on, aussi sages que foux,
Modestes comme fiers, et moins cruels que doux :
Ce sont des vérités qui passent pour des fables,
L’art et les artisans sont indéfinissables.
Tel qui brave la mort est un homme d’honneur ;
Tel qui la donne montre et de l’âme et du cœur :
C’est la loi qui l’ordonne, et la loi la plus dure
Fait taire, en combattant, la loi de la nature.
On estime sa vie, on la livre au plus fort ;
On admire un rival, on lui donne la mort.


On dit : « Vaincre ou mourir, » et voilà ce que l’on nomme,
Dans les termes de l’art, le vrai devoir de l’homme.
Quand dans des flots de sang on a trempé ses mains,
Environnés de morts, on dit : « soyons humains. »
Le vainqueur fait agir les vertus et les crimes ;
Sauve ou livre à son gré mille et mille victimes.
Le plus beau des combats n’est qu’une belle horreur ;
Et la plus belle mort n’est qu’un heureux malheur.
Le héros est couvert et de honte et de gloire ;
Il se vante et rougit de la même victoire.
Qu’on soit, comme guerrier, triomphant ou battu,
La vertu devient crime, et le crime vertu.
Que dire et que penser ? C’est un affreux problème,
Qui seul nous montre trop la vengeance suprême.
Taisons-nous. Dieu le veut ; et ses plus grands fléaux
Engendrent à la fois et les biens et les maux.

J. D. Mermet.