Réflexions sur le procès de la Reine

RÉFLEXIONS
SUR
LE PROCÈS
DE LA REINE,
Par UNE FEMME.






Aoust 1793.


AVERTISSEMENT.


Mon nom ne pouvant être utile, doit rester inconnu ; mais pour affirmer l’impartialité de cet écrit, j’ai besoin de dire, que parmi les femmes appellées à voir la Reine, je suis une de celles qui a eu avec cette Princesse le moins de relations personnelles ; ces réflexions donc méritent la confiance de tous les cœurs sensibles, puisqu’elles ne sont inspirées que par les mouvemens dont ils sont tous animés.






RÉFLEXIONS
SUR
LE PROCÈS
DE LA REINE.



Mon projet n’est point de défendre la Reine comme un Jurisconsulte ; j’ignore de quelle loi l’on peut se servir pour l’atteindre, et ses Juges eux-mêmes ne s’essayeront pas à l’apprendre ; ce qu’ils appellent l’opinion ; ce qu’ils croyent la politique, sera leur motif et leur but. Les mots de plaidoyer, de preuve, de jugement, sont une langue convenue entre le Peuple et ses chefs ; et c’est à d’autres signes qu’on peut présager le sort de cette illustre infortunée. Je vais donc seulement parler à l’opinion, analyser la politique, raconter ce que j’ai vu, ce que je sais de la Reine, et représenter les suites affreuses qu’auroient sa condamnation. Oh ! vous, femmes de tous les pays, de toutes les classes de la société, écoutez-moi avec l’émotion que j’éprouve ; la destinée de Marie Antoinette contient tout ce qui peut toucher votre cœur, si vous êtes heureuses, elle l’a été ; si vous souffrez, depuis un an, depuis plus long-tems encore toutes les peines de la vie ont déchiré son cœur ; si vous êtes sensibles, si vous êtes mères, elle a aimé de toutes les puissances de l’ame, et l’existence a pour elle encore le prix qu’elle conserve, tant qu’il peut nous rester des objets qui nous sont chers. Je ne veux prononcer aucune opinion politique, je craindrois de distraire, d’éloigner un seul intérêt de l’auguste personne que je vais défendre : républicains, constitutionnels, aristocrates, si vous avez connu le malheur, si vous avez eu le besoin de la pitié, si l’avenir offre à votre pensée une crainte quelconque, réunissez-vous tous pour la sauver ? Quoi, la mort termineroit une si longue agonie ! quoi, le sort d’une créature humaine pourroit aller aussi loin en infortune ! Ah ! mourrons, si cela est possible, n’existons pas dans un monde où de telles chances errent sur la destinée ! Mais je dois contenir la profonde tristesse qui m’accable ; je ne voudrois que pleurer, et cependant il faut raisonner, discuter un sujet qui bouleverse l’ame à chaque instant.

La calomnie s’est attachée à poursuivre la Reine, même avant cette époque où l’esprit de parti a fait disparoître la vérité de sur la terre. Une triste et simple raison en est la cause, c’est quelle étoit la plus heureuse des femmes, Marie Antoinette la plus heureuse ! hélas ! tel fut son sort, et le destin de l’homme est si déplorable que le spectacle d’une éclatante prospérité pèse sur le cœur de tous. Combien de fois n’ai-je pas entendu raconter l’arrivée en France, de la fille de Marie Thérèse, jeune, belle, réunissant à la fois la grace et la dignité, telle que dans ce tems on se seroit imaginé la Reine des Français, imposante, et douce, elle pouvoit se permettre tout ce que sa bonté lui inspiroit, sans jamais rien faire perdre à la majesté de ce rang qu’on exigeoit d’elle alors de respecter. L’ivresse des Français en la voyant fut inexprimable, le Peuple la reçut, non-seulement comme une Reine adorée, mais il sembloit aussi qu’il lui sçavoit gré d’être charmante et que ses attraits enchanteurs agissoient sur la multitude comme sur la Cour qui l’environnoit. Il n’y a pas cinq ans encore, et alors toute sa vie politique, tout ce qui lui a mérité l’amour ou la haine étoit écoulé, il n’y a pas cinq ans, et j’ai vu tout Paris se précipiter sur ses pas avec transport, ces mêmes routes qu’on lui fait parcourir de supplice en supplice, étoient jonchées de fleurs sur son passage, elle doit reconnoître les mêmes traits qui l’ont accueillie, les mêmes voix qui s’élevoient au Ciel en l’implorant pour elle. Et depuis ce tems qu’est-il arrivé ? Son courage et son malheur. Cet enthousiasme dont le souvenir ajoute à l’amertume de sa destinée, cet enthousiasme dont le souvenir aussi doit inquiéter les Français et les rendre douteux de leurs nouveaux jugemens, ne pourroit décider l’opinion de l’Europe sur la Reine, mais en écartant même le respect profond qu’inspire son auguste infortune, au nom seul de la vérité, il est ordonné de dire que personne ne différe autant qu’elle de la réputation que ses ennemis ont tenté de lui donner, on n’a pas même cherché la vraisemblance dans le mensonge, tant on a compté sur l’envie, tant elle sçait répondre à l’affreuse attente des calomniateurs.

La Reine ne s’est d’abord occupée des affaires, que pour accomplir quelques actes de bienfaisance ou de générosité, on a quelquefois trouvé quelle étoit trop facile pour les uns et les autres ; et cette femme si courageuse en présence de la mort a pu être accusée de foiblesse quand le malheur ou l’amitié désiroient de se servir d’elle, mais en parcourant les régistres des finances, l’on peut voir que ses dons mêmes ne se sont élevés qu’à la somme la plus modérée, et il faut bien égarer le Peuple pour parvenir à lui persuader que les impôts dont il étoit surchargé, venoient de dépenses qui ne s’élevoient pas à la hauteur du quart de la liste civile décrétée par l’Assemblée constituante.

La guerre d’Amérique, les déprédations des Ministres, des abus de tous genres inconnus à une jeune Reine, comme à la plupart des hommes d’État d’alors, causérent ce déficit dans les finances, dont les effets ont été si terribles, mais est-il possible d’oser l’attribuer à deux ou trois millions distribués chaque année en bienfaits, dont la plupart retournoient entre les mains du pauvre et de l’infortuné. Vous quelle a sécouru, vous qui êtes parmi ce Peuple aujourd’hui tout puissant, dites si vous souffrirez qu’au nom de votre intérêt on punisse la Reine des généreux effets de sa pitié pour vous ? Et vous mères de famille, qu’une prédilection si touchante l’engageoit à préférer, dites si c’est vous qui demandez qu’on l’accuse pour les dons quelle vous a prodigués ! Le Roi aimoit la Reine avec tendresse, et son dévouement pour lui, et ses vertus maternelles ont bien justifié ce sentiment, mais cependant il ne la consulta presque jamais sur le choix de ses Ministres. M. de Maurepas dès les premiers jours du régne de Louis XVI, se montra contraire à la Reine, il rivalisa sa jeune influence sur un jeune Roi, et parvint à l’écarter absolument des affaires dont les goûts de son âge l’éloignoient déjà naturellement. M. de Maurepas fit renvoyer deux Ministres citoyens, M. Turgot et M. Necker, et la Reine marqua publiquement quelle estimoit et regrettoit tous les deux. M. de Vergennes continua gravement les frivoles systêmes de M. de Maurepas, et craignant de même l’ascendant de la Reine, de même il sût détourner le Roi de s’y livrer. M. de Calonne lui succéda, et rien n’est plus connu que l’aversion énergique de la Reine contre ce Ministre, son esprit aimable, cependant, sembloit devoir séduire ceux dont le jugement ne seroit pas uniquement guidé par la réflexion, la Reine qui eut trouvé dans la facilité du caractère de M. de Calonne, tant de moyens de satisfaire ses goûts, s’ils avoient été prodigues ; la Reine sortant tout-à-coup du cercle habituel de ses devoirs et de ses amis, attaqua ce Ministre élégant avec l’austérité de la morale et de la raison, décida le Roi à le renvoyer, et signala par cet acte et par la nomination de l’Archevêque de Sens, sa premiere influence sur les affaires publiques, j’en appelle à tous ceux qui placés près de la Cour, ont pu sçavoir avec certitude l’histoire intime de la France, est-il une autre époque du régne du Roi, dans laquelle la Reine lui aye fait adopter ses conseils ? Et n’est-il pas certain que jusques à ce tems elle jouït de l’éclat du trône sans rechercher son autorité ?

Ce ministère de l’Archevêque de Sens, cause immédiate de la Révolution, peut-être blâmé par les partisans du systême aristocratique, mais assûrément les démocrates doivent l’approuver, c’est par cette administration que le germe de tous leurs principes a été développé, le Ministre opposa lui-même les Communes au Parlement, à la Noblesse, au Clergé, le Roi déclara que le droit d’imposer ne lui appartenoit pas, les États Généraux furent promis, tous les Français invités à publier leur avis sur le mode de convocation, enfin les observateurs de ce tems crurent deviner que l’Archevêque de Sens vouloit une révolution en France, et depuis il l’a professé lui-même par sa conduite et ses discours. J’ignore jusques à quel point la Reine savoit son secret, mais quand le seul Ministre quelle a fait nommer s’est montré démocrate, quand la seule époque dans laquelle elle ait pris quelque part aux affaires est celle où les principes de ce jour ont commencés à être admis, comment peut-on l’accuser d’être ennemie de la liberté ? Comment peut-on lui trouver des crimes ? Des crimes ! Ah ! quelle expression en parlant d’elle ! jadis peut-être, brillante et frivole comme le bonheur et la beauté, son caractère ne s’est prononcé, n’a attiré l’attention de l’Europe, n’a redoublé la haine de ses détracteurs que par des traits de courage et de sensibilité qui supposent toutes les vertus. Qu’a-t-on fait pour détacher les Français de cet aimable objet si semblable a tout ce qui savoit leur plaire ? On leur a dit que Marie Antoinette détestoit la France, qu’elle étoit Autrichienne et c’est par ce nom que dans leur fureur ses ennemis l’ont toujours appellée, certains de frapper ainsi l’esprit du peuple, qu’un mot égare, qu’un mot rallie, qui ne se passionne jamais que pour les idées qui s’expriment par un seul mot. L’envie voyoit que tous les cœurs étoient prêts à chérir Marie Antoinette, le plus sûr moyen de les éloigner étoit de leur persuader qu’ils n’obtiendroient que haine pour prix de leur amour, bientôt on y réussit ; étoit-il cependant assez insensé de croire que la Reine, partie de Vienne à treize ans, ne pouvant obtenir dans sa Patrie qu’un rang secondaire la préféroit à la France dont elle étoit Reine, à la France séjour si délicieux, aux Français avec lesquels sa grace et sa gaieté lui donnoient alors tant d’analogie. Ah ! lorsqu’en la nommant je viens à parler d’éclat et de gaieté, mon cœur se serre douloureusement, je me rappelle ce tombeau placé près des lieux où l’on donnoit des fêtes, avec cette inscription et moi aussi je vivois en Arcadie, elle existe encore l’infortunée qui me retrace ce souvenir, mais hélas cette triste allusion n’en est que plus déchirante, les fêtes c’étoit un trône, la tombe c’est un cachot. Toutes les vraisemblances doivent prouver l’attachement de la Reine pour la France et quels faits peut-on alléguer pour détruire de si fortes conjectures ? L’alliance de l’Autriche avec la France ? C’est en 1756, avant la naissance de Marie Antoinette quelle a été conclue, depuis aucune raison de la rompre ne s’étoit présentée, aucun Ministre ne l’avoit proposé. Il est vrai que la Reine ne s’est pas mêlée de la politique de France uniquement pour brouiller sa mere ou son frere avec son mari, il est vrai que toute sa vie est une preuve de son respect pour les liens de la nature, mais une vertu loin d’effrayer doit rassûrer sur toutes les autres, elles s’entraînent réciproquement, et si la Reine se fut montrée l’adversaire de sa propre famille, c’est alors que sa Patrie adoptive, que la France auroit dû se défier d’elle. La lumiere a été portée dans tout ce qu’on croyoit le plus secret, des milliers d’observateurs ont été chargés d’examiner les traces de l’ancien Gouvernement, on a honoré la dénonciation, épouvanté la fidélité, offert à la terreur la sécurité dégagée de la honte, au fanatisme le succès à l’abri du danger, toutes les passions humaines ont été mises en liberté pour se diriger toutes contre la puissance passée, contre des objets qu’on se souvient d’avoir envié, qu’on est certain de ne plus craindre, voilà les moyens d’attaque, et voyez quels sont les preuves, les faits qu’on a conquis ! existe-t-il un seul indice de la connivence de la Reine avec les Autrichiens, d’un secours particulier donné par la France à cette Cour, d’une seule démarche étrangère au traité public conclu entre les deux Puissances ? Ah ! la plus belle justification de cette malheureuse victime, ce sont les accusations dont on l’accable ! quelle vague, quelle fureur, que d’insultes, que d’adresse, que de moyens étrangers à la vérité, plus efficaces qu’elle sur un Peuple passionné, mais qui ne peuvent, un instant même, faire illusion aux hommes éclairés, et leur ôtent jusqu’à la douloureuse consolation de découvrir quelques torts qui puissent diminuer l’amertume de leur pitié.

Cependant pour exciter la multitude on n’a cessé de répéter que la Reine étoit l’ennemie des Français, et l’on a donné à cette inculpation les formes les plus féroces, je ne sais rien de plus coupable que de s’adresser au Peuple avec des mouvemens passionnés, on peut les pardonner à l’accusé, mais dans l’accusateur l’éloquence même est un assassinat ! Cette classe de la société qui n’a pas le tems d’opposer l’analyse à l’assertion, l’examen à l’émotion, gouvernera comme elle est entraînée, si en lui accordant un grand pouvoir on ne fait pas un crime national de tous les genres d’altération à la vérité, la vraisemblance n’est rien pour l’homme qui n’a pas réfléchi d’avance, au contraire même, plus il est étonné plus il se plaît à croire. La Reine auroit voulu le malheur de l’Empire où elle régnoit, de la Nation sur laquelle reposoit sa gloire, son bonheur et sa couronne ! mais c’est assez la juger par son intérêt, elle mérite davantage, elle est bonne par sa nature, elle est bonne à ses propres périls.

Dites, vous qui l’accusez, dites quel est le sang, quels sont les pleurs quelle a jamais fait couler ? Dans ces anciennes prisons que vous avez ouvertes, avez-vous trouvé une seule victime qui accusa Marie Antoinette de son sort ? Aucune Reine pendant le tems de sa toute puissance ne s’est vue calomniée aussi publiquement, et plus on étoit certain quelle ne vouloit point punir, plus on multiplioit les offenses, je vois qu’elle fut l’objet de traits sans nombre d’ingratitude de milliers de libelles, de procès révoltans et je cherche en vain la trace d’une action vengeresse. Il est donc vrai qu’elle n’a causé le malheur de personne, celle qui souffre ces tourmens inouis ! Il n’entre pas même de ressentiment dans les supplices qu’on lui fait éprouver ! Qu’est-il donc arrivé à l’homme pour abjurer ainsi tout sentiment d’humanité ? Comment renouvelle-t-il cette inépuisable fureur ? Quelle force ou quelle foiblesse donne à des passions factices cet ascendant terrible ?

Telle a été la conduite de la Reine tandis qu’elle régnoit, tandis que ses véritables sentimens ponvoient se satisfaire sans crainte, ce seroit bien assés je crois, pour repousser tous les soupçons dont on l’a environnée pendant la révolution, comment auroit-elle développé un caractère si différent de celui qu’elle avoit prouvé jusqu’alors, à l’époque où se trouvant aux prises avec le malheur, elle a réuni toutes ses forces pour une résolution sublime, pour une résolution que la gloire et le Ciel peuvent seuls récompenser, celle de s’attacher au sort de son époux et de ses enfans, et dans l’orage des événemens politiques de se fixer à l’accomplissement des vertus intérieures, mais sa constance dans cette route a demandé tant d’héroisme, que les révolutionnaires ont dû bénir le sort du sentiment qui décida la Reine à borner à l’exercice de ses devoirs particuliers, l’emploi de ce courage surnaturel. La vénération de l’Europe ne peut jamais se détacher de la mémoire de Louis XVI, devant ce tribunal il faudroit s’il étoit possible réunir plus intimément encore le nom de la Reine à celui de son auguste époux, cependant les variations de systême qu’on peut reprocher aux derniers tems de l’administration, la constante incertitude de ses principaux agents, sont une preuve manifeste qu’ils n’étoient pas soumis à l’autorité de la Reine ; c’est un fait positif que la plupart d’entre eux peuvent à peine se vanter de l’avoir vue, et dans leurs délibérations, personne n’a dû reconnoître l’intrépide fermeté de la fille de Marie Thérèse. On sçait seulement que le 6. Octobre, le 20. Juin, le 10. Août, lorsqu’il fut proposé de se défendre en exposant le sang des Français, la Reine n’écouta plus que les sentimens d’une femme, la sollicitude d’une mère, et ne redevint un héros qu’au moment où l’on menaça sa propre vie. Vous qui l’avez vu regarder ses enfans, vous qui sçavez que nul péril ne put la résoudre à se séparer de son époux, alors que tant de fois les chemins lui furent ouverts pour retourner dans sa Patrie, croyez-vous que son cœur étoit barbare ou tyrannique ? Ah ! qui sait aimer n’a jamais fait souffrir, qui peut être puni dans l’objet qu’il chérit redoute la vengeance céleste ; oui, si parmi les Juges de Marie Antoinette, il en est un qui soit père, qui ressente une affection douce, il sera juste et courageux, à travers les calomnies que l’on apprête, l’instinct de l’ame lui fera découvrir la vérité, et des souvenirs et des rapprochemens sensibles le rendront incapable d’achever un tel malheur.

Mais de quelle ruse ne se sert pas la haine, elle sçait comme l’amour tout ce qui peut émouvoir, et d’avance elle prévient tous les effets de la vérité, elle cherche bassement à déjouer le respect, l’intérêt que doit inspirer la Reine, par ce genre de calomnie dont il est si facile de flétrir toutes les femmes, par ce genre de calomnie dont l’injustice même peut avilir presqu’autant que la vérité, mais cependant la Reine est par sa destinée au-dessus de ce sort commun des femmes, trop d’éclat environne son existence pour ne pas dissiper tous les mensonges, ceux qui l’ont entourée, les seuls vrais juges de sa vie privée sçavent qu’elle ne fut point indigne des vertus qui depuis quatre ans la font admirer de l’Europe entiére, l’ame s’affoibliroit en se dégradant, et celle qui par sa seule fierté s’est aggrandie dans l’infortune, s’est relevée en présence de l’outrage, ne s’étoit jamais abaissée à ses propres yeux. Vous essayerez en vain de l’humilier, vous l’appellerez de nom méprisans, vous la jetterez dans une prison infamante, vous la trainerez à la barre de votre tribunal, mais par tout elle vous apparoîtra comme la fille de Marie Thérèse, tantôt vous croirez la voir lorsque le 6. Octobre elle s’avança sur ce balcon en présence du Peuple, environnée de ses deux enfans, le charme de son cœur et la gloire de sa vie, la multitude irritée lui cria point d’enfans, la Reine à ces mots terribles, craignant de leur faire partager son péril se hâta de les éloigner, mais elle revint aussitôt pour se livrer seule, ou ne pas déshonorer la nation Française, en paroissant la soupçonner ; le soir de ce même jour aussi calme que dans une entrée triomphale, elle s’adressa au Maire de Paris, pour l’assurer qu’elle et le Roi se remettoient avec confiance à la garde du Peuple de Paris, confiance d’estime, confiance de courage, laquelle veut-on tromper ? Vous vous rappellerez le 20. Juin, lorsque sa seule présence désarma les projets qui depuis ont éclaté, restée belle à force de courage, ses ennemis ne furent plus écoutés du Peuple qui la regardoit, mais à la fin de ce jour mémorable, son fils fut séparé d’elle par la multitude qui l’environnoit, à cet instant, tout son courage l’abandonna, un grenadier de la Garde-Nationale le rapporta dans ses bras, et l’élevant au-dessus de la foule, avança d’un moment le bonheur de sa mère, la Reine alors tombant à genoux se prosterna devant son libérateur, auguste reconnoissance, spectacle plus imposant que le trône dont elle descendoit ! Mais si devant le tribunal où la Reine doit être traduite, elle conserve encore toute sa fierté, que le Peuple du moins ne s’irrite pas à cet aspect, qu’il honore le courage en sachant approuver jusqu’à la noble résistance dont il se croiroit l’objet. Si vous voulez affoiblir ce grand caractère, amenez lui ses enfans, mais n’esperez rien de vos supplices, ils ne l’empêcheront pas de se conserver toute entiére pour le jugement de l’histoire et l’éclat du nom de son fils. Ah ! loin de l’en haïr, intéressez-vous à ce sublime exemple, si vous êtes républicains, respectez les vertus que vous devez imiter, cette ame qui ne sçait point se courber, cette ame auroit aimé la liberté Romaine, et vous avez besoin de son estime alors même que vous la persécutez.

L’on a tant de peine a concevoir la possibilité d’une atrocité qu’il en coute extrêmement pour s’attacher à l’examen des motifs qui peuvent y décider, il le faut cependant pour mieux les combattre, et je m’essaye à ce travail aussi pénible que nouveau.

Les hommes principaux d’un parti populaire, cherchent tous les moyens de lier le Peuple indissolublement à leur propre cause, ils sçavent que dans toutes les révolutions la gloire ou les revers n’appartiennent qu’aux chefs, et craignans que le Peuple ne se fie à cette certitude, ils veulent s’identifier avec lui de toutes les manieres, ils tâchent de lui persuader qu’il est le véritable auteur des actes qui ne laissent après eux aucun espoir de retour ; mais d’abord, l’exécution du Roi réunit ces cruels avantages. La Convention pour multiplier les Juges de Louis XVI, perdre la trace de sa condamnation dans la multitude qui l’auroit porté, la Convention s’est fait applaudir par des spectateurs nombreux, s’est assurée de plusieurs adresses de divers Départemens du Royaume, a commandé que cent mille hommes en armes le jour de la mort du Roi consentissent par leur silence à cette terrible catastrophe ; si la subdivision infinie de cette énorme action ne suffisoit pas pour attacher le Peuple au destin de ceux qui l’ont ordonnée, s’il venoit à penser qu’un Empire consistant plus encore dans la Nation que dans son sol, quels que soyent les opinions de ceux qui gouvernent, ils ne peuvent pas vouloir détruire ce qu’ils aspirent à dominer, et que la multitude étant un être collectif, peut ressentir le poids des loix générales, mais jamais l’atteinte des vengeances individuelles, si le Peuple rassuré par cette opinion, vouloit favoriser un autre parti en France, s’il ne redoutoit rien pour lui de la mort du Roi, est-ce celle de la Reine qui pourroit l’effrayer ? Il me semble, il est vrai, qu’il y auroit dans le supplice de cette malheureuse Princesse quelque chose de plus révoltant encore pour les ames généreuses, étrangère, femme, on violeroit en elle et les loix de l’hospitalité et celles de la nature, les circonstances actuelles aussi donneroient peut-être à cet attentat une plus haute importance politique, mais ces considérations sont faites pour ne frapper que le petit nombre, et le dernier terme de toutes les idées qui peuvent émouvoir le Peuple, se trouvoit dans l’exécution du Roi. La condamnation de la Reine seroit donc un crime inutile et par cela même plus avilissant, on y verroit ou le besoin de la férocité ou la terreur panique du remords. Imagineroit-on de redoubler le courage du Peuple en l’enyvrant du sang d’une nouvelle victime, mais cette affreuse ressource est maintenant épuisée, soit qu’on ait tellement accoutumé à l’idée de la mort que la prodiguer encore n’exciteroit plus aucun genre d’émotion, soit que toutes les ames absorbées par l’intérêt de leur propre malheur ne puissent plus s’agiter au nom même de la vengeance. Voudroit-on enfin donner au Peuple une plus grande confiance dans la situation des affaires en se décidant à prendre une résolution plus dangereuse que toutes les autres, mais combien ce calcul seroit faux, ce qui suppose le calme, c’est la sagesse des délibérations, mais tous les excès sont également une preuve du trouble de l’ame, et c’est la raison seule qui tout à la fois, ou préserve des périls, ou témoigne qu’on a cessé de les craindre. Ces motifs pourroient-on dire, ces motifs ne sont point la véritable cause du danger qui menace la Reine, mais son nom, mais son fils inspirent plus d’intérêt que le reste de la famille des Bourbons, plus de vœux se réuniroient autour d’elle, il faut donc se hâter de l’immoler, et sçavez-vous pourquoi cette auguste infortunée captive encore les cœurs Français, c’est parce qu’on est certain que ses sentimens ont été favorables à la vraie liberté, c’est parce qu’on a la preuve quelle s’est constamment opposée aux projets hostiles des Princes Français, et n’a voulu former aucune coalition avec eux, c’est parce que sa mort aideroit de plusieurs manieres ceux qui conçoivent l’espoir de vous asservir, c’est enfin parce qu’elle a plus de modération, et moins de ressentiment, parce qu’elle a reçu la leçon du malheur comme un ange et comme un philosophe, qu’elle a plus de partisans ; est-ce aussi sur ces accusations que vous la condamnerez ? Vous n’oseriez avouer ce terrible secret, mais pourriez-vous espérer de le cacher ? Et ne sçavez-vous pas que tout ce qui est écrit en lettres de sang sera lû par l’Univers ! Mais votre intérêt même combat encore ce nouvel argument, le sentiment que de certaines ames ne peuvent jamais détacher d’un grand malheur, se reporte successivement sur les individus de cette famille qui survivent à ceux qu’on immole. Les Français qui verserent des pleurs sur le destin du Roi, ont consacrés à la Reine l’affection déchirante qu’ils ressentoient pour son Époux ; et si la Reine périssoit à son tour, si le jeune enfant héritier de tant d’infortunes, mourroit privé des soins de sa touchante mere, on s’attacheroit aux restes de cette race persécutée, et les Princes qu’on repousse aujourd’hui, intéresseroient encore quand il n’existeroit plus qu’eux. Ah ! si vous craignez la Reine parce qu’on l’aime davantage, c’est elle cependant dont la liberté, dont le séjour hors de France, vous seroit le moins redoutable, il est des obstacles qui peuvent irriter l’ambition, mais le cours d’infortunes que Marie Antoinette a parcouru, détrompe des hommes et de la vie, au sortir du tombeau, l’on n’aspire pas au Trône, et cette longue infortune ôte presque jusqu’au besoin du bonheur, sa piété religieuse, sa tendresse dévouée, tout vous est garant qu’elle a détaché son cœur d’elle-même, et que le retour à l’existence, à la nature, suffiroit pour occuper le peu d’années dont il lui reste encore la force. Peut-être réserve-t-on sa délivrance comme un moyen de négocier avec les Autrichiens ? sans doute qu’en remettant entre les mains de l’Empereur, la Reine et ses enfans, on obtiendroit beaucoup du petit-fils de Marie-Thérése, et l’Europe entiere est tellement attachée par l’étonnante histoire de ces victimes infortunées, qu’en faisant cesser leurs malheurs, on soulageroit tout ce qui pense ; mais quand des considérations politiques détourneroient les Puissances de céder à la seule voix du sentiment, quelle honte pour les Français de condamner la Reine parce qu’elle seroit sans défense ! ils auroient accordé sa vie à la terreur, ils la refuseroient à la justice, et leur dépit atroce et pusillanime s’exerceroit sur une femme après s’être assuré qu’elle restoit sans appui. Non, je ne puis le croire, non le passé quel qu’il soit, ne donne point encore l’idée d’une telle action ! mais les inspirateurs de cet attentat ignoreroient-ils ce qu’ils ajouteroient à l’énergie de l’armée des Autrichiens par la nouvelle du supplice de Marie Antoinette ? ce qui a doublé la force des troupes françaises depuis un an, ce qui rend les guerres civiles plus sanglantes que toutes les autres, c’est que chaque soldat fait plus qu’obéir, il combat par sa propre impulsion, pour le succès de son sentiment individuel, hé bien, vous auriez créé parmi les Allemands un mouvement national en sacrifiant la fille de Marie Thérése, il n’est pas un Hongrois qui ne vit en vous un ennemi personnel. Ah ! quand ils jurerent à l’illustre mere d’Antoinette de mourir pour la défense de son fils, quand un vœu libre, universel, revêtu de tous les caracteres de souveraineté que vous reconnoissez, lia le Peuple à sa cause, pensez-vous que si le génie de l’histoire leur eût présenté sa fille captive, outragée, immolée, cette Nation n’eût pas répété mille fois le serment de la venger ; vous n’aurez point à combattre les satellites d’un despote, mais les courageux amis d’une malheureuse victime, des soldats enthousiastes à leur tour, invincibles comme les vrais défenseurs d’une liberté généreuse. Peut-être une sombre fureur persuaderoit-elle à quelques-uns que toute la puissance de l’avenir ne pourroit rien diminuer de l’horreur qu’inspire les jours sanglans qui servent d’époque à cette année terrible ; j’ignore s’il existe un terme au-delà duquel de nouveaux événemens ne produisent plus de nouvelles sensations, mais il est certain du moins que la France gouvernée, dominée successivement par tant d’individus divers, ne présente que des régnes momentanés, qui ne chargeant aucun homme du poids de l’histoire de tous, permettent à chacun de s’absoudre par une action généreuse. Ah ! que la défense de la Reine, que sa liberté soyent l’objet d’une telle émulation, ces Juges qui vont prononcer sur son sort, par leur petit nombre, par leurs fonctions, sont désignés à l’attention de l’Europe, aucun emploi, aucune Puissance étrangère à leur mission solemnelle ne peut effacer en eux le caractère d’assassins ou de libérateur de la Reine, n’étant point revêtus de la représentation nationale, ce sont les cris des tribunes de Paris, ou la voix de leur conscience, qu’ils peuvent appeller le vœu de la France, est-ce à leur terreur qu’ils veulent céder ? Est-ce à la vertu qu’ils sçavent obéir ? Ah ! s’ils donnoient l’exemple de résister aux passions momentanées, comme ils enchaineroient puissamment l’avenir, les chances du hazard seroient fixées en leur faveur, l’estime des hommes, ce bien dont les jouissances se multiplient sous tant de formes, dans tous les tems, dans tous les pays, se placeroit entre eux et le malheur, et cette gloire ils la devroient au mépris d’un péril plus éclatant que redoutable, le Peuple Français, je le crois encore, peut-être ému par le courage et la vertu, le fanatisme des opinions politiques le dénature, mais lorsque des républicains le rappelleroient à ses sentimens naturels, le menaceroient de leur résignation, défieroient sa fureur en s’y livrant sans résistance, non ils n’auroient rien à craindre, on pourroit envier leur mort, mais je répondrois de leur vie. Peuple français, ne trompez pas ce dernier mouvement, ce dernier reste des antiques souvenirs, si vous êtes vaincus, en préservant la Reine vous laissez quelques sentimens doux à ses amis, ils pourront parler encore de votre courage et de votre infortune : Voulez-vous trouver l’art de deshonorer la valeur, et de faire peur de la pitié ? Si vous êtes vainqueurs, si vous repoussez une seconde fois l’ennemi de votre territoire, vous vous croirez triomphans comme la nature même des choses, hé bien c’est alors que si vous persistez dans votre cruauté, si vous immolez la Reine, vos succès mêmes périront au milieu de vous, ne vous y trompez pas ; c’est peut-être la destruction de la Royauté, des Ordres privilégiés qui irrite contre vous la plupart des Gouvernemens de l’Europe, mais ce qui souleve les Nations, c’est la barbarie de vos décisions, vous gouvernez par la mort, la force qui manque à la nature de votre Gouvernement, vous la retrouvez dans la terreur, et là où il existoit un Trône vous avez élevé un échaffaut ! ce qui fit la force des premiers principes de la révolution, c’est qu’ils sembloient le retour aux idées naturelles ; quel plus terrible renversement des sentimens innés dans le cœur de l’homme que l’ostentation de la cruauté, que cette éloquence qui ne s’aide que de la menace, que ses sermens qui ne promettant que la mort, dans la sorte d’ivresse où plonge une révolution, on oublie jusqu’à sa propre nature, on croit le reste du monde changé comme soi-même ; mais l’homme de tous les pays, de toutes les opinions frémit à la redoutable pensée de la mort, et si l’on peut parvenir à l’enlever à cette sensation primitive, dès qu’il revient à lui, il déteste les moyens terribles qui l’ont détourné d’un sentiment invincible, d’un retour personnel, de l’humanité. Ah ! je veux vous parler selon vos désirs, arbitres de la vie de la Reine, je veux vous implorer, soyez justes, soyez généreux envers Marie Antoinette ; soyez aussi, soyez jaloux de sa gloire ; en l’immolant vous la consacrez à jamais. Vos ennemis vous ont fait plus de mal par leur mort que par leur vie ; vous étiez tout puissans quand vous avez commencé à punir, et si vous aviez été clémens envers eux, c’est alors qu’on auroit pû les croire coupables. Si les chances de la prospérité vous reviennent une seconde fois, si la Providence protectrice de la liberté veut une seconde fois donner à la France et les moyens de l’acquérir, et ceux de la faire aimer des hommes, les esprits fatigués par tant de cruelles secousses, quels que soyent leurs opinions, quels que soyent leurs souvenirs embrasseroient facilement la plus legére espérance : le repos et la paix, voilà peut-être aujourd’hui toute l’ambition des plus habiles ! vous disposez de la France, de ce pays si nécessaire à ceux qui l’ont habité, ah ! si vous parliez d’union et de sécurité à tous les Français, si vous rassuriez l’Europe par des principes d’ordre et de justice, vous ne prévoyez pas vous même combien de sacrifices vous obtiendriez ! Si vous êtes destinés à terminer heureusement cette guerre, essayez sur vos concitoyens la puissance de la générosité, elle s’étend, elle pénétre, où vos commandemens sont forcés de s’arrêter ; et cette génération qui s’avance est tellement accablée d’infortune, que depuis la vie jusqu’au bonheur tout lui sembleroit de nouveaux dons ; mais surtout sauvez la Reine, on ne pourroit supporter cette nouvelle catastrophe, redoutez les forces du désespoir, et que les pleurs du monde obtiennent ou de votre orgueil ou de votre pitié le salut de cette touchante victime. Mais pourquoi me diront les Philosophes de ce tems, pourquoi votre cœur déjà ne s’est-il pas autant attendri sur le sort de tant d’infortunées que le cours de la révolution a vu périr ? seriez-vous du nombre de ceux qui plaignent un Roi plus qu’un autre homme ? oui je suis de ce nombre, mais ce n’est point par la superstition de la Royauté, c’est par le culte sacré du malheur, je sçais que la douleur est une sensation relative, quelle se compose des habitudes, des souvenirs, des contrastes, du caractère enfin, résultat de ces diverses circonstances ; et quand la plus heureuse tombe dans l’infortune, quand une Princesse illustre est livrée à l’outrage, je mesure la chute, et souffre de chaque degré. Enfin la Reine seroit coupable, l’Univers entier ne s’intéresseroit pas à sa destinée qu’après l’année quelle vient de vivre, nul homme, nulle association d’hommes n’a le droit de lui donner la mort ; cette longue suite de souffrances pénétre d’un sombre respect, elle devoit périr mille fois sous tant de coups redoublés, la nature, le Ciel en la sauvant vous l’ont déclaré sacrée ! depuis un an que le secret le plus impénétrable entoure sa prison, on a dérobé tous les détails de ses douleurs, mille précautions ont été prises pour en étouffer le bruit, un tel mystère honore le Peuple Français, et tout mon espoir est dans les motifs qui l’ont fait juger nécessaire. Il auroit sçu ce Peuple qu’on apporta devant la fenêtre de la prison de Marie Antoinette, la tête de son amie, ignorant les fatales nouvelles de ce jour épouvantable, on la força par un barbare silence de s’étudier à reconnoître ces traits ensanglantés, et d’apprendre à travers l’horreur de la nature, et l’effroi de ces sens, que celle qui l’avoit aimée mouroit victime de son attachement pour elle, cruels ordonnateurs de cette scène, qui vites devant vous son malheureux objet prêt à mourir de désespoir, saviez vous tout ce que les circonstances, la cause de la mort de Madame de Lamballe, devoient ajouter de déchiremens à la douleur de la Reine, et les mouvemens d’un cœur sensible, ces mouvemens qui devoient tant vous être inconnus, les aviez vous appris pour être plus certains de vos coups ? pendant le procès du Roi chaque jour abreuvoit sa famille d’une nouvelle amertume, il est sorti deux fois avant la derniere, et la Reine retenue captive ne pouvant parvenir à sçavoir ni la disposition des esprits, ni celle de l’Assemblée, lui dit trois fois adieu dans les angoisses de la mort, enfin le jour sans espérance arriva, celui que les liens du malheur lui rendoient encore plus cher, le protecteur, le garant de son sort et de celui de ses enfans, l’intérêt tout puissant de son ame suspendue, cet homme dont le courage et la bonté sembloient avoir doublé de force et de charmes à l’approche de la mort, dit à son épouse, à sa céleste sœur, à ses enfans un éternel adieu, cette malheureuse famille voulut s’attacher à ses pas, leurs cris furent entendus des voisins de leur demeure, et ce fut le père, l’époux infortuné qui se contraignit à les repousser, craignant d’expirer dans leurs bras, ne voulant pas d’une mort si douce, et se réservant pour le supplice dont sa constance devoit faire la gloire de la Religion, et l’exemple de l’Univers. Le soir les portes de la prison ne s’ouvrirent plus, et cet événement dont l’impression remplit alors le monde, fut concentré dans la méditation solitaire de deux femmes malheureuses, qui ne furent soutenues que par l’attente du même sort. Nul respect, nulle pitié, ne consola leur misère, mais rassemblant tous leurs mouvemens au fond de leur cœur, elles surent y nourrir la douleur et la fierté ; cependant douces et calmes au milieu des outrages, leurs gardiens se virent obligés de changer sans cesse les soldats apposés à leur captivité, de choisir avec soin pour cette fonction les caractères les plus endurcis, de peur qu’individuellement elles ne reconquissent la Nation entiére. Depuis l’affreuse époque de la mort du Roi, la Reine a découvert s’il étoit possible de nouveaux soins à donner à ses enfans, pendant la maladie de sa fille il n’est aucun genre de services que sa tendresse inquiete n’ait voulu lui prodiguer, il sembloit qu’elle avoit besoin de contempler sans cesse les objets qui lui restoient encore pour retrouver la force de vivre, et cependant un jour on est venu lui ôter son fils, l’enfant pendant deux fois 24 heures a refusé de prendre aucune nourriture, jugez quelle est sa mere par le sentiment énergique et profond qu’à cet âge déjà elle a sçû lui inspirer ! malgré ses pleurs au péril de sa jeune vie on a persisté à les séparer, ah ! comment avez-vous osé dans la fête du 10 Août mettre sur les pierres de la Bastille des inscriptions qui consacroient la juste horreur des tourmens qu’on y avoit soufferts, les unes peignoient les douleurs d’une longue captivité, les autres l’isolement, la privation barbare des dernieres ressources, et ne craigniez-vous pas que ces mots, ils ont enlevé le fils à sa mere, ne dévorassent tous les souvenirs dont vous retraciez la mémoire !

Voilà le tableau de l’année que cette femme infortunée vient de parcourir ! et cependant elle existe encore, elle existe parce qu’elle aime, parce qu’elle est mere ; ah ! sans ce lien sacré pardonneroit-elle les vœux qui voudroient prolonger sa vie ? mais lorsque malgré tant de maux il vous reste encore du bien à faire, traînerez-vous du cachot au supplice cette intéressante victime, regardez-là cruels ! non pour être désarmés par sa beauté, mais si les pleurs l’ont flétrie, pour contempler les traces d’une année de désespoir, que vous faudroit-il de plus si elle étoit coupable ? et que doivent donc éprouver les cœurs certains de son innocence ?

Je reviens à vous, femmes immolées toutes dans une mere si tendre, immolées toutes par l’attentat qui seroit commis sur la foiblesse, par l’anéantissement de la pitié, c’en est fait de votre empire si la férocité règne, c’en est fait de votre destinée si vos pleurs coulent en vain, défendez la Reine par toutes les armes de la nature, allez chercher cet enfant qui périra s’il faut qu’il perde celle qui l’a tant aimé, qui sera bientôt aussi lui-même un objet importun par l’inexprimable intérêt que tant de malheurs feront retomber sur sa tête, qu’il demande à genoux la grace de sa mere, l’enfance peut prier, l’enfance s’ignore encore !

Mais malheur au Peuple qui auroit entendu ses cris en vain, qui repousseroit tous les sentimens du cœur, ce n’est pas à lui que la liberté seroit destinée, et l’espoir des Nations qui se détache avec tant d’effort du destin de la France, ne pourroit plus entrevoir dans l’avenir, aucun événement réparateur de cette génération désolée.