Réflexions sur la révolution de France - 1819/L’Éditeur aux lecteurs

Traduction par J. A. A***, sur la troisième édition.
Adrien Égron (p. ix-xii).


L’ÉDITEUR AUX LECTEURS.



« Les opinions changent avec l’âge (disait M. de Fontanes, pair de France, le 2 mars 1816) ; elles se modifient d’après les situations diverses où l’homme est placé. Tel a consumé sa jeunesse dans les orages des factions, qui devient sage à la fin de sa vie. La modération succède à la violence. Quel esprit est assez faux, quel cœur est assez pervers pour ne pas écouter, tôt ou tard, les leçons de l’expérience et du malheur ? » … La sagesse de ce langage, qui semble être celui de la raison, fut appréciée, à un très-petit nombre d’exceptions près, par tous ceux que l’âge et l’expérience ont éclairés sur le danger des innovations, des essais et des changemens subits en matière de religion et de politique ; mais il resta encore beaucoup de sourds et d’aveugles, et il est un grand nombre de gens qui, avides de nouveautés, ont besoin d’être entourés de flambeaux pour apercevoir enfin l’abîme où ils nous entraînent avec eux. Nous croyons pourtant que, semblables aux premiers enthousiastes de la révolution, ils sont plutôt égarés que corrompus. Nous leur offrons donc avec confiance les cris d’alarme d’un véritable ami de la liberté, d’un ennemi déclaré de la tyrannie, soit qu’elle se présente sous le manteau doré d’une monarchie absolue, soit qu’elle traîne les haillons d’une absolue démocratie. Oui, il doit plaire à tous les gens raisonnables, celui qui, en cent endroits de ses ouvrages, plaide éloquemment la cause des Gouvernemens mixtes, et qui proscrit également « le despotisme anarchique et barbare de la Turquie, sous lequel, dit-il, la race humaine se fond et s’anéantit dans les langueurs d’une paix pire que les ravages de la guerre, et le despotisme anarchique des démagogues, qui, séduits, comme les Péliades, par les perfides conseils de la Médée révolutionnaire, égorgent les hommes pour les rajeunir, et versent tout le sang d’un peuple pour le régénérer ! »

Instruit par de longues études de l’histoire, et surtout par celle des révolutions de sa patrie, Burke prévit, du premier coup d’œil, les désastreux résultats des principes révolutionnaires de 1789 ; il le peignit en traits de feu, et avec toute l’ardeur et la loyauté d’un homme qui ne fut jamais ni l’instrument du pouvoir ni le flatteur des grands ; d’un homme dont presque toute la carrière fut un combat pour la liberté des autres. Mais il ne fut point compris, ni même écouté ; il prêchait au sein du désert, ou plutôt au milieu du fracas des plus horribles tempêtes. Cependant les hauts intérêts dont traitaient ses brûlans écrits, étaient précisément ceux qui nous, occupent encore aujourd’hui, et sur lesquels nous sommes encore tout neufs, à en juger par le peu d’accord qui règne entre les opinions de ceux qui sont chargés de faire marcher notre Charte, au moyen de lois et d’institutions organiques. L’hérédité et la suc cession au trône, la division des grands pouvoirs dans un gouvernement, la religion de l’État, l’autorité du monarque, les attributions constitutionnelles des Chambres législatives, l’existence d’une noblesse héréditaire, les élections et les électeurs, la liberté de la presse, le système financier, l’établissement d’une armée active, et d’une Garde nationale : telles sont les importantes questions qu’il examine et qu’il discute avec toute la sagacité et la profondeur que personne n’ose plus lui refuser aujourd’hui[1].

Nul moment n’était clone plus favorable pour remettre au jour les Réflexions de M. Burke sur la révolution de France[2]. Puissent ses leçons n’être pas de nouveau données en pure perte Puissent nos hommes d’état être moins présomptueux que ceux de 1789, dont plusieurs comptent encore dans leurs rangs ! Puissent-ils surtout ne pas oublier que leurs devanciers furent poussés par des successeurs qui ne les valaient pas, et que ceux-ci furent poussés à leur tour par des successeurs pires encore, comme les flots seront poussés par les flots tant que soufflera le vent des orages.

A***, Éditeur.
  1. M. l’abbé de Pradt lui-même l’appelle le Tacite de la révolution.
  2. La tempestivité même (il est de mode de placer partout ce mot aujourd’hui) nous a paru si pressante, qu’elle nous a forcé de hâter un peu la mise au jour de cet ouvrage. Nous demanderons donc grâce pour quelques imperfections, qui peuvent se rencontrer dans cette édition.