Réflexions politiques (Chateaubriand)/Texte entier

Œuvres complètes
Garnier frères (tome 7p. 57-115).

RÉFLEXIONS POLITIQUES

DÉCEMBRE 1814.

CHAPITRE PREMIER.
CAS EXTRAORDINAIRE.

Un juge établi sur un tribunal d’après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d’une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme a été justement condamné : il étoit coupable des plus grands crimes. Mais cet homme avoit un frère ; ce frère n’a pas pu et n’a pas dû se dépouiller des sentiments de la nature : ainsi, entre le juge du coupable et le frère de ce coupable, il ne pourra jamais s’établir aucune relation. Le cri du sang a pour toujours séparé ces deux hommes.

Un juge établi sur un tribunal d’après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d’une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme n’étoit pas coupable du crime dont on l’accusoit ; mais, soit prévarication, soit erreur, le juge a condamné l’innocence. Si cet homme a un frère, ce frère, bien moins encore que dans le premier cas, ne peut jamais communiquer avec le juge.

Enfin, un homme a condamné un homme à mort : l’homme condamné étoit innocent ; l’homme qui l’a condamné n’étoit point son juge naturel ; l’innocent condamné étoit un roi ; le prétendu juge étoit son sujet. Toutes les lois des nations, toutes les règles de la justice ont été violées pour commettre le meurtre. Le tribunal, au lieu d’exiger les deux tiers des voix pour prononcer la sentence, a rendu son arrêt à la majorité de quelques voix. Afin d’obtenir cette majorité, on a même été obligé de compter le vote des juges qui avoient prononcé la mort conditionnellement. Le monarque, conduit à l’échafaud, avoit un frère. Le juge qui a condamné l’innocent, le sujet qui a immolé son roi, pourra-t-il se présenter aux yeux du frère de ce roi ? S’il ne peut se présenter devant lui, osera-t-il pourtant lui écrire ? S’il lui écrit, sera-ce pour se déclarer criminel, pour lui offrir sa vie en expiation ? Si ce n’est pour dévouer sa tête, c’est du moins pour révéler quelque secret important à la sûreté de l’État ! Non : il écrit à ce frère du roi pour se plaindre d’être injustement traité ; il pousse la plainte jusqu’à la menace ; il écrit à ce frère devenu roi, et dont, par conséquent, il est devenu le sujet, pour lui faire l’apologie du régicide, pour lui prouver, par la parole de Dieu et par l’autorité des hommes, qu’il est permis de tuer son roi. Joignant ainsi la théorie à la pratique, il se présente à Louis XVIII comme un homme qui a bien mérité de lui ; il vient lui montrer le corps sanglant de Louis XVI,

Et sa tête à la main demander son salaire.

Est-ce au fond d’un cachot, dans l’exaspération du malheur, que cette apologie du régicide est écrite ? L’auteur est en pleine liberté ; il jouit des droits des autres citoyens ; on voit à la tête de son ouvrage l’énumération de ses places et les titres de ses honneurs : places et honneurs dont quelques-uns lui ont été conférés depuis la restauration[1]. Le roi, sans doute transporté de douleur et d’indignation, a prononcé quelque arrêt terrible ? Le roi a donné sa parole de tout oublier.

CHAPITRE II.
PAROLES D’UN DES JUGES D’HARRISON.

Mais le monde, comme le roi, n’a pas donné sa parole ; il pourra rompre le silence. Par quelle imprudence des hommes qui devroient surtout se faire oublier sont-ils les premiers à se mettre en avant, à écrire, à dresser des actes d’accusation, à semer la discorde, à attirer sur eux l’attention publique ? Qui pensoit à eux ? Qui les accusoit ? Qui leur parloit de la mort du roi ? Qui les prioit de se justifier ? Que ne jouissoient-ils en paix de leurs honneurs ? Ils s’étoient vantés, dans d’autres écrits, d’avoir condamné Louis XVI à mort : eh bien, personne ne vouloit leur ravir cette gloire ! Ils disent qu’ils sont proscrits : est-il tombé un cheveu de leur tête ? ont-ils perdu quelque chose de leurs biens, de leur liberté ? Pourquoi, fidèles au souvenir de nos temps de malheurs, continuent-ils à accuser leurs victimes ? Y a-t-il beaucoup de courage et de danger à braver aujourd’hui un Bourbon ? Faut-il porter dans son sein un cœur de bronze pour affronter leur bonté paternelle ? Est-il bien glorieux de rompre le silence que l’on gardoit sous Buonaparte, pour venir dire de fières vérités à un monarque qui, assis, après vingt-cinq ans de douleurs, sur le trône sanglant de son frère, ne répand autour de lui qu’une miséricorde presque céleste ? Qu’arrive-t-il ? C’est que le public est enfin obligé d’entrer dans des questions qu’il eût mieux valu ne pas agiter.

Le colonel Harrison, un des juges de Charles Ier fut, après la restauration de Charles II, traduit devant un tribunal pour être jugé à son tour. Parmi les diverses raisons qu’il apporta pour sa défense, il fit valoir le silence que le peuple anglois avoit gardé jusque alors sur la mort de Charles Ier. Un des juges lui répondit : « J’ai ouï conter l’histoire d’un enfant devenu muet de terreur en voyant assassiner son père. L’enfant, qui avoit perdu l’usage de la voix, garda profondément gravés dans sa mémoire les traits du meurtrier : quinze ans après, le reconnoissant au milieu d’une foule, il retrouva tout à coup la parole, et s’écria : Voilà celui qui a tué mon père ! Harrison, le peuple anglois a cessé d’être muet ; il nous crie, en te regardant : Voilà celui qui a tué notre père[2] ! »

CHAPITRE III.
QUE LA DOCTRINE DU RÉGICIDE A PARU EN EUROPE
VERS LE MILIEU DU XVIe SIÈCLE. BUCHANAN. MARIANA.
SAUMAISE ET MILTON.

La doctrine du régicide n’est pas nouvelle : un peu après la mort de Henri III, il parut des écrits où l’on avançoit qu’il est permis à un peuple de se défaire d’un tyran : les justifications suivent les crimes. On examina à cette époque les opinions que nous avons cru appartenir à notre siècle. Ce ne furent pas seulement les protestants qui rêvèrent des républiques ; les catholiques se livrèrent aussi aux mêmes songes. Il est remarquable que les pamphlets de ces temps-là sont écrits avec une vigueur, une science, une logique, qu’on retrouve rarement aujourd’hui.

Buchanan, dans le dialogue De Jure regni apud Scotos, et Mariana surtout, dans le traité De Rege et regis institutione, réunirent en un corps de doctrines ces idées éparses dans divers écrits.

On prétendit que Ravaillac avoit puisé dans Mariana les sentiments qui coûtèrent la vie à Henri IV. Ravaillac ne savoit pas le latin, et il n’avoit pu lire le traité De Rege ; mais il avoit pu entendre parler des opinions qui y sont déduites. Ainsi la doctrine du régicide parut d’abord dans le monde pour préconiser le crime de Jacques Clément et pour inspirer celui de Ravaillac.

La mort de Charles Ier donna une nouvelle célébrité aux principes de Buchanan et de Mariana. Un champion de l’autorité royale, Saumaise, descendit dans l’arène, armé de toute l’érudition de son siècle ; il publia son fameux traité, Defensio regia pro Carolo Io.

Il prouva d’abord l’inviolabilité et la puissance légale des rois, d’après des préceptes et des exemples puisés dans l’Ancien Testament ; il trouva ensuite dans le Nouveau Testament et dans la doctrine des Pères d’autres autorités pour foudroyer encore les principes des régicides. De là, passant aux auteurs profanes, il invoqua en faveur de l’autorité royale les plus grands philosophes et les plus grands historiens de l’antiquité. Saumaise ne resta pas sans réponse ; il eut la gloire d’avoir pour adversaire un des plus beaux génies de l’Angleterre. Milton s’étoit déjà signalé dans son ouvrage sur le Droit des Rois et des Magistrats, qui n’est qu’un commentaire du traité de Mariana. Il releva le gant jeté aux régicides. « Il réfuta Saumaise, dit Voltaire, comme une bête féroce combat un sauvage. » Il eût été plus juste de dire comme un fanatique combat un pédant. Le style latin de Milton[3] est serré, énergique ; souvent à la vigueur de l’expression on reconnoît l’auteur du Paradis perdu ; mais le raisonnement est digne de la cause que Milton avoit embrassée. Les plaisanteries ne sont pas toujours de bon goût ; l’érudition, quoique moins prodiguée que dans le traité de Saumaise, vient souvent hors de propos, et l’auteur ne répond solidement à rien.

Écoutons encore Voltaire : « Milton, dit-il, avait été quelque temps secrétaire, pour la langue latine, du parlement appelé le Rump ou le Croupion. Cette place fut le prix d’un livre latin en faveur des meurtriers du roi Charles Ier ; livre (il faut l’avouer) aussi ridicule par le style que détestable par la matière.

« On peut juger si un tel pédant atrabilaire, défenseur du plus énorme crime, put plaire à la cour polie et délicate de Charles II. »

Le grand argument de Milton étoit aussi celui des juges de Charles Ier. Il le trouvoit, comme Ludlow, dans ce texte de l’Écriture : « La terre ne peut être purifiée du sang qui a été répandu que par le sang de celui qui l’a répandu. »

Cet argument n’eût rien valu contre Louis XVI.

CHAPITRE IV.
PARALLÈLE.

Telle fut cette fameuse controverse. Ceux qui la rappellent aujourd’hui paroissent ignorer ce qu’on a dit et écrit avant eux sur ce sujet : tant ils sont faibles en preuves, en citations et en raisonnements ! De même que les régicides anglois, ils citent l’Écriture Sainte à l’appui de leur doctrine ; mais ils la citent vaguement, ou parce qu’ils la connoissent peu ou parce qu’ils sentent qu’elle ne leur est pas favorable. Les auteurs de la mort de Charles étoient pour la plupart des fanatiques de bonne foi, des chrétiens zélés qui, abusant du texte sacré, tuèrent leur souverain en conscience ; mais parmi nous, ceux qui font valoir l’autorité de l’Écriture dans une pareille cause ne pourroient-ils pas être soupçonnés de joindre la dérision au parricide ; de vouloir, par des citations tronquées, mal expliquées, troubler le simple croyant, tandis que pour eux-mêmes ces citations ne seroient que ridicules ? Employer ainsi l’incrédulité à immoler la foi ; justifier le meurtre de Louis XVI par la parole de Dieu, sans croire soi-même à cette parole ; égorger le roi au nom de la religion pour le peuple, au nom des lumières pour les esprits éclairés ; allumer l’autel du sacrifice au double flambeau du fanatisme et de la philosophie, ce seroit, il faut en convenir, une combinaison nouvelle.

Si les régicides anglois étoient, comme nous venons de le dire, des fanatiques de bonne foi, ils avoient encore un autre avantage. Ces hommes, couverts du sang de leur roi, étoient purs du sang de leurs concitoyens. Ils n’avoient pas signé la proscription d’une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards ; ils n’avoient pas apposé leurs noms, de confiance, au bas des listes de condamnés, après des noms très-peu faits pour inspirer cette confiance. Pourtant ces hommes qui n’avoient pas fait tout cela étoient en horreur : on les fuyoit comme s’ils avoient eu la peste, on les tuoit comme des bêtes fauves. Qu’il étoit à craindre que cet effrayant exemple n’entraînât les François ! Et cependant, que disons-nous à certains hommes ? Rien. Ils jouissent de leur fortune, de leur rang, de leurs honneurs. Comme le roi, nous ne leur eussions jamais parlé de ce qu’ils ont fait, s’ils n’avoient été les premiers à nous le rappeler, à se transformer en accusateurs ; et ils osent crier à l’esprit de vengeance ! Craignons plutôt que la postérité ne porte de nous un tout autre jugement, qu’elle ne prenne cette admirable facilité de tout pardonner pour une indifférence coupable, pour une légèreté criminelle ; qu’elle ne regarde comme une misérable insouciance du vice et de la vertu ce qui n’est qu’une impossibilité absolue de récriminer et de haïr.

Les Anglois qui firent leur révolution étoient des républicains sincères : conséquents à leurs principes, les premiers d’entre eux ne voulurent point servir Cromwell ; Harrison, Ludlow, Vane, Lambert, s’opposèrent ouvertement à sa tyrannie, et furent persécutés par lui. Ils avoient pour la plupart toutes les vertus morales et religieuses ; par leur conviction, ils honorèrent presque leur crime. Ils ne s’enrichirent point de la dépouille des proscrits. Dans les actes de leur jugement, lorsque le président du tribunal fait aux témoins cette question d’usage : « L’accusé a-t-il des biens et des châteaux ? » La réponse est toujours : « Nous ne lui en connoissons point. » Harrison écrit en mourant à sa femme qu’il ne laisse que sa Bible[4].

Tout homme qui suit sans varier une opinion est du moins excusable à ses propres yeux ; un républicain de bonne foi, qui ne cède ni au temps ni à la fortune, peut mériter d’être estimé, quand d’ailleurs on n’a à lui reprocher aucun crime.

Mais si des fortunes immenses ont été faites ; si, après avoir égorgé l’agneau, on a caressé le tigre ; si Brutus a reçu des pensions de César, il fera mieux de garder le silence ; l’accent de la fierté et de la menace ne lui convient plus.

« On ne pouvoit rien contre la force. »

— Vous avez pu quelque chose contre la vertu !

On donne une singulière raison de la mort de Louis XVI : on assure qu’il n’étoit déjà plus roi lorsqu’il fut jugé ; que sa perte étoit inévitable, que sa mort fut prononcée comme on prononce celle d’un malade dont on désespère.

Avons-nous bien lu, et en croirons-nous nos yeux ? Depuis quand le médecin empoisonne-t-il le malade lorsque celui-ci n’a plus d’espérance de vivre ? Et la maladie de Louis XVI étoit-elle donc si mortelle ? Plût à Dieu que ce roi, que l’on a tué parce qu’il n’y avoit plus moyen de contenir les factions, eût été la victime de ces factions mêmes ! Plût à Dieu qu’il eût péri dans une insurrection populaire ! La France pleureroit un malheur ; elle n’auroit pas à rougir d’un crime.

Vous assurez « que si les juges qui ont condamné le roi à mort se sont trompés, ils se sont trompés avec la nation entière, qui, par de nombreuses adresses, a donné son adhésion au jugement. Les gouvernements étrangers, en traitant avec ces juges, ont aussi prouvé qu’ils ne blâmoient pas le meurtre de Louis. »

Ne flétrissez point tous les François pour excuser quelques hommes. Peut-on sans rougir alléguer les adresses de ces communes gouvernées par un club de Jacobins et conduites par les menaces et la terreur ? D’ailleurs, un seul fait détruit ce que l’on avance ici. Si, en conduisant le roi à l’échafaud, on n’a fait que suivre l’opinion du peuple, pourquoi les juges ont-ils rejeté l’appel au peuple ? Si Louis étoit coupable, si les vœux étoient unanimes, pourquoi, dans la Convention même, les suffrages ont-ils été si balancés ? La haute cour qui condamna Charles le condamna à l’unanimité. La France vous rend le fardeau dont vous voulez vous décharger sur elle ; il est pesant ! mais il est à vous, gardez-le.

« Les nations étrangères ont traité avec vous ! » Ce ne fut point au moment de la mort du roi. L’assassinat de Louis, du plus doux, du plus innocent des hommes, acheva d’armer contre vous l’Europe entière. Un cri d’indignation s’éleva dans toutes les parties du monde : un François étoit insulté pour votre crime jusque chez ces peuples accoutumés à massacrer leurs chefs, à Constantinople, à Alger, à Tunis. Parce que les étrangers ont traité avec vous, ils ont approuvé la mort du roi ! Dites plutôt que le courage de nos soldats a sauvé la France du péril où vous l’aviez exposée en appelant sur un forfait inouï la vengeance de tous les peuples. Ce n’est point avec vous qu’on a traité, mais avec la gloire de nos armes, avec ce drapeau autour duquel l’honneur françois s’étoit réfugié, et qui vous couvroit de son ombre.

CHAPITRE V.
ILLUSION DES APOLOGISTES DE LA MORT DE LOUIS XVI.

Que veulent donc au fond les auteurs de ces déplorables apologies ? La république ? Ils sont guéris de cette chimère. Une monarchie limitée ? Ils l’ont ; et ils conviennent eux-mêmes que toutes les garanties de la liberté sont dans la Charte. Si nous sondons la blessure, nous trouverons une conscience malade, qui ne peut se tranquilliser, une vanité en souffrance, qui s’irrite de n’être pas seule appelée aux conseils du roi, et qui voudroit jouir auprès de lui non-seulement de l’égalité, mais encore de la préférence ; enfin un désespoir secret, né de l’obstacle insurmontable qui s’élève entre Louis XVIII et les juges de Louis XVI. Ne seroit-il pas bien plus favorable pour ces hommes de se rendre justice, d’avouer ingénument leurs torts, de convenir qu’ils ne peuvent pas être une société pour le roi, de reconnoître ses bontés au lieu de se sentir humiliés de son silence, de la paix qu’il leur accorde et du bonheur qu’il répand sur eux pour toute vengeance ?

Il est assez probable toutefois qu’ils ne se mettent si fort en avant que parce qu’ils se font illusion sur leur position : il faut les détromper.

Ce n’est pas sans raison qu’ils nous répètent que la France entière est coupable avec eux de la mort du roi. « Si on nous frappe, disent-ils, on frappera bientôt ceux qui nous suivent : nous sommes la première phalange ; une fois rompue, le reste sera enfoncé de toutes parts. » Ils espèrent ainsi enrôler beaucoup de monde sous leur drapeau et se rendre redoutables par cette espèce de coalition.

D’abord on ne veut point les atteindre ; on ne les menace point. Pourquoi sont-ils si susceptibles ? Pourquoi prendre les pleurs que l’on répand sur la mémoire de Louis XVI pour des actes d’accusation ? Faut-il, pour ménager leur délicatesse, s’interdire tous regrets ? La douleur est-elle une vengeance, le repentir une réaction ? En admettant même que ces personnes eussent de justes sujets de crainte, elles sont complètement dans l’erreur lorsqu’elles s’imaginent que tous les François font cause commune avec elles. La mort du roi et de la famille royale est le véritable crime de la révolution. Beaucoup d’autres actes de cette révolution sont des erreurs collectives, souvent expiées par des vertus et rachetées par des services, des torts communs qui ne peuvent être imputés à des particuliers, des malheurs qui sont le résultat des passions, le produit du temps et l’inévitable effet de la nécessité.

Mais les auteurs de la mort du roi ont une cause parfaitement isolée : sous ce rapport, ils n’inspirent aucun intérêt.

Ce n’est point ici une vaine supposition : la formation de la chambre des pairs a amené nécessairement quelques exclusions : le peuple s’en est-il affligé ? La chambre des députés comptoit parmi ses officiers inférieurs quelques personnes assez malheureuses pour avoir participé à la mort de Louis XVI : elle les a invitées à se retirer. La nation n’a vu dans cette conduite que l’interprétation de ses propres sentiments. Tous les exemples nobles et utiles devoient être donnés par les dignes représentants du peuple françois : un d’entre eux a fait lui-même le courageux aveu de sa faute, en s’exilant du milieu de ses collègues. Se juger ainsi, c’est ôter à jamais aux autres le droit de juger ; c’est sortir de la classe des coupables pour entrer dans celle des infortunés.

Ceux qui ont prononcé l’arrêt de Louis XVI doivent donc perdre la pensée de rattacher tous les François à leur cause. Il faut encore qu’ils ne mettent pas trop leur confiance en leur propre nombre. En effet, ne conviendroit-il pas de retrancher de ce nombre ceux qui ont voté la mort avec l’appel au peuple, ou avec une condition tendant à éloigner l’exécution ? Ceux-là avoient peut-être la pensée de sauver leur maître. Dans un pareil temps, vingt-quatre heures étoient tout ; on pouvoit croire que des votes qui présentoient un espoir de salut, sans heurter de front la fureur révolutionnaire, étoient plus propres à sauver le roi qu’un non absolu. C’est une erreur, une faiblesse ; mais qui n’a point d’erreurs, de faiblesses ? Transportons-nous à ces moments affreux ; voyons les bourreaux, les assassins remplir les tribunes, entourer la Convention, montrer du doigt, désigner au poignard quiconque refusoit de concourir à l’assassinat de Louis XVI. Les lieux publics, les places, les carrefours retentissoient de hurlements et de menaces. On avoit déjà sous les yeux l’exemple des massacres de septembre, et l’on savoit à quels excès pouvoit se porter une populace effrénée.

Il est certain encore qu’on avoit fait des préparatifs pour égorger la famille royale, une partie des députés, plusieurs milliers de proscrits, dans le cas où le roi n’eût pas été condamné. Troublé par tant de périls, un homme croit trouver un moyen de concilier tous les intérêts ; il s’imagine que par un vote évasif il sauvera la famille royale, suspendra la mort du roi et préviendra un massacre général : il saisit avidement cette fatale idée ; il prononce un vote conditionnel. Mais ses collègues ne s’y trompent pas ; ils devinent son intention, rejettent avec fureur l’appel au peuple, les conditions dilatoires, et comptent le vote pour la mort. Cet homme est-il coupable ? Oui, selon le droit ; non, peut-être, d’après l’intention. Il ne s’agit pas ici de principes rigoureux ; car dans ce cas, ceux même qui auroient voté pour la vie du roi n’en seroient pas moins criminels de lèse-majesté, comme le remarquèrent les juges anglois dans le procès des régicides. Mais nos malheurs ont été si grands, qu’ils sont sortis de toute comparaison et de toute règle. Il est aisé de dire aux jours du bonheur et de la sécurité : « J’aurois agi ainsi ; je me serois conduit comme cela. » C’est au jour du combat que l’on connoît ses forces. Nous ne devons point juger à la rigueur ce qui a été dit ou fait sous la pointe du poignard ; dans ce cas une bonne intention présumée fait l’innocence ; le reste est du temps et de l’infirmité humaine.

Il faut encore faire une classe à part de ceux qui, appelés depuis la mort du roi aux grandes places de l’État, ont tâché d’expier leurs premières erreurs en sauvant des victimes, en résistant avec courage aux ordres sanglants de la tyrannie, et qui depuis la Restauration ont montré par leur obéissance et leur désir d’être utiles à la monarchie combien ils étoient sensibles à la miséricorde du roi.

Voilà donc le foible bataillon de ceux qui se croient si forts diminué de tout ce qui ne doit pas entrer dans leurs rangs. Ils se trompent encore davantage lorsqu’ils s’écrient qu’ils sont la sauvegarde de quiconque a participé à nos troubles. Il seroit, au contraire, bien plus vrai de dire que si quelque chose a pu alarmer les esprits, c’est le pardon accordé aux juges du roi.

Ce pardon a quelque chose de surhumain, et les hommes seroient presque tentés de n’y pas croire : l’excès de la vertu fait soupçonner la vertu. On seroit disposé à dire : « Le roi ne peut traiter ainsi les meurtriers de son frère ; et puisqu’il pardonne à tous, c’est que dans le fond de sa pensée il ne pardonne à personne. » Ainsi le respect pour la vie, la liberté, la fortune, les honneurs de ceux qui ont voté la mort du roi, au lieu de tranquilliser la foule, eût pu servir à l’inquiéter.

Mais le roi ne veut proscrire personne : il est fort, très-fort ; aucune puissance ne pourroit aujourd’hui ébranler son trône. S’il vouloit frapper, il n’auroit besoin d’attendre ni d’autres temps ni d’autres circonstances ; il n’a aucune raison de dissimuler. Il ne punit pas, parce que, comme son frère, de douloureuse et sainte mémoire, la miséricorde est son partage, et que, comme Louis XVI encore, il ne voudroit pas pour sauver sa vie répandre une seule goutte de sang françois. Il a de plus donné sa parole. Aucun François, à son exemple, ne désire ni vengeances ni réactions. Que demande-t-on à ceux qui ont été assez malheureux pour condamner à mort le fils de saint Louis et d’Henri IV ? Qu’ils jouissent en paix de ce qu’ils ont acquis ; qu’ils élèvent tranquillement leurs familles. Il n’est pas cependant si dur, lorsqu’on approche de la vieillesse, qu’on a passé l’âge de l’ambition, qu’on a connu les choses et les hommes, qu’on a vécu au milieu du sang, des troubles et des tempêtes, il n’est pas si dur d’avoir un moment pour se reconnoître, avant d’aller où Louis XVI est allé. Louis XVI a fait le voyage, non pas dans la plénitude de ses jours, non pas lentement, non pas environné de ses amis, non pas avec tous les secours et toutes les consolations, mais jeune encore, mais pressé, mais seul, mais nu ; et cependant il l’a fait en paix.

Ceux qui l’ont contraint de partir si vite veulent-ils prouver au monde qu’ils sont dignes de la clémence dont ils sont l’objet ? Qu’ils n’essayent plus d’agiter les esprits, de semer de vaines craintes. Tout bon François doit aujourd’hui renfermer dans son cœur ses propres mécontentements, en eût-il de raisonnables. Quiconque publie un ouvrage dans le but d’aigrir les esprits, de fomenter des divisions, est coupable. La France a besoin de repos : il faut verser de l’huile dans nos plaies, et non les ranimer et les élargir. On n’est point injuste envers les hommes dont nous parlons : plusieurs ont des talents, des qualités morales, un caractère ferme, une grande capacité dans les affaires et l’expérience des hommes. Enfin, si quelque chose les blesse dans la restauration de la monarchie, qu’ils songent à ce qu’ils ont fait, et qu’ils soient assez sincères pour avouer que les misères dont ils se choquent sont bien peu de chose au prix des erreurs où ils sont eux-mêmes tombés.

CHAPITRE VI.
DES ÉMIGRÉS EN GÉNÉRAL.

Nous trouvons dans les pamphlets du jour beaucoup d’aigreur contre cette classe de François malheureux, et toujours le triste sujet de la mort du roi revient au milieu de ces plaintes : « Ce sont les émigrés qui ont tué le roi ; ce sont les émigrés qui nous rapportent des fers ; ce sont eux qui accusent de tous les crimes les hommes amis de la liberté : il faut avoir été Vendéen, Chouan, Cosaque, Anglois, pour être bien accueilli à la cour : et pourtant qu’a fait la noblesse, qu’a fait le clergé pour le roi ? etc. »

On dit qu’un homme est la cause de la mort de son ami lorsque cet homme, jugeant mal d’un événement, a choisi pour sauver son ami, un moyen qui ne l’a pas sauvé ; mais s’est-on jamais imaginé de prendre à la lettre cette expression hyperbolique ? A-t-on jamais comparé sérieusement le meurtrier réel d’un homme avec l’ami de cet homme ? Pour soutenir une cause qu’il eût mieux valu ne pas rappeler, comment un esprit éclairé n’a-t-il pu trouver que ce misérable sophisme ?

L’émigration étoit-elle une mesure salutaire ou funeste ? On peut avoir sur ce point différentes opinions. Il faudroit d’abord savoir si cette mesure n’étoit point forcée ; si des hommes insultés, bridés dans leurs châteaux, poursuivis par les piques, traînés à l’échafaud, ne se sont point vus contraints d’abandonner leur patrie ; si, trouvant dans les champs de leur exil des princes proscrits comme eux, ils n’ont pas dû leur offrir leurs bras. Ceux qui leur font un crime aujourd’hui d’être sortis de France ne savent-ils pas, par leur propre expérience, qu’il y a des cas où l’on est obligé de fuir, de s’échapper la nuit par-dessus des murs, et d’aller confier sa vie à une terre étrangère ? Peuvent-ils nier la persécution ? Les listes n’existent-elles pas ? ne sont-elles pas signées ? Une seule de ces listes ne se monte-t-elle pas à quinze ou dix-huit mille personnes, hommes, femmes, enfants et vieillards ?

Ferons-nous valoir une autre raison de la nécessité de l’émigration ? Ce n’est pas une loi écrite, mais c’est le droit coutumier des François : l’honneur. Partout où on le place, cet honneur, à tort ou à raison, il oblige. Quand on veut raisonner juste, il faut se mettre à la place de celui pour qui on raisonne. Une fois reconnu qu’un gentilhomme devoit aller se battre sur le Rhin, pouvoit-il n’y pas aller ? Mais par qui reconnu ? Par le corps, par l’ordre de ce gentilhomme. L’ordre se trompoit. Soit : il se trompoit comme ce vieux roi de Bohême qui, tout aveugle qu’il étoit, voulut faire le coup de lance à Crécy, et y trouva la mort. Qui l’obligeoit à se battre, ce vieux roi aveugle ? L’honneur : toute l’armée entendra ceci.

Qu’a fait la noblesse pour le roi ? Elle a versé son sang pour lui à Haguenau, à Weissembourg, à Quiberon ; elle supporte aujourd’hui pour lui la perte de ses biens. L’armée de Condé, qui, sous trois héros, combattoit à Berstheim en criant vive le roi ! ne le tuoit pas à Paris[5].

Mais, en restant en France, les émigrés auroient sauvé le roi. Les royalistes anglois, qui ne sortirent point de leur pays, arrachèrent-ils à la mort leur malheureux maître ? Est-ce aussi Clarendon et Falkland qui ont immolé Charles, comme Lally-Tolendal et Sombreuil ont égorgé Louis ?

Qu’a fait le clergé pour le roi ? Interrogez l’église des Carmes, les pontons de Rochefort, les déserts de Sinnamary, les forêts de la Bretagne et de la Vendée, toutes ces grottes, tous ces rochers où l’on célébroit les saints mystères en mémoire du roi-martyr ; demandez-le à tous ces apôtres qui, déguisés sous l’habit du laïque, attendoient dans la foule le char des proscriptions pour bénir en passant vos victimes ; demandez-le à toute l’Europe, qui a vu le clergé françois suivre dans ses tribulations le fils aîné de l’Église, dernière pompe attachée à ce trône errant, que la religion accompagnoit encore lorsque le monde l’avoit abandonné. Que font-ils aujourd’hui ces prêtres qui vous importunent ? Ils ne donnent plus le pain des la charité, ils le reçoivent. Les successeurs de ceux qui ont défriché les Gaules, qui nous ont enseigné les lettres et les arts, ne font point valoir les services passés ; ceux qui formoient le premier ordre de l’État sont peut-être les seuls qui ne réclament point quelque droit politique ; sublime exemple donné par les disciples de celui dont le royaume n’étoit pas de ce monde ! Tant d’illustres évêques, doctes confesseurs de la foi, ont quitté la crosse d’or pour reprendre le bâton des apôtres. Ils ne réclament de leur riche patrimoine que les trésors de l’Évangile, les pauvres, les infirmes, les orphelins, et tous ces malheureux que vous avez faits.

Ah ! qu’il faudroit mieux éviter ces récriminations, effacer ces souvenirs, détruire jusqu’à ces noms d’émigrés, de royalistes, de fanatiques, de révolutionnaires, de républicains, de philosophes, qui doivent aujourd’hui se perdre dans le sein de la grande famille ! Les émigrés ont eu peut-être leurs torts, leurs foiblesses, leurs erreurs ; mais dire à des infortunés qui ont tout sacrifié pour le roi que ce sont eux qui ont tué le roi, cela est aussi trop insensé et trop cruel ! Et qui est-ce qui leur dit cela, grand Dieu !

Les émigrés nous apportent des fers. On regarde, et l’on voit d’un côté un roi qui nous apporte une Charte, telle que nous l’avions en vain cherchée, et où se trouvent les bases de cette liberté qui servit de prétexte à nos fureurs ; un roi qui pardonne tout, et dont le retour n’a coûté à la France ni une goutte de sang ni une larme ; on voit quelques François qui rentrent à moitié nus dans leur patrie, sans secours, sans protections, sans amis ; qui ne retrouvent ni leurs toits ni leurs familles ; qui passent sans se plaindre devant leur champ paternel labouré par une charrue étrangère, et qui mangent à la porte de leurs anciennes demeures le pain de la charité. On est obligé de faire pour eux des quêtes publiques : l’homme de Dieu[6] qui les suit comme par l’instinct du malheur est revenu avec eux des terres lointaines ; il est revenu établir parmi nous, pour leurs enfants, les écoles qu’alimentoit la piété des Anglois. Il ne manqueroit plus, pour couronner l’œuvre, que d’établir ces écoles dans un coin de l’antique manoir de l’émigré, de lui préparer à lui-même une retraite dans ces hôpitaux fondés par ses ancêtres, et où son bien sert aujourd’hui à donner aux pauvres un lit qu’il n’a plus. Ce n’est pas nous qui faisons cette peinture, ce sont des membres de la chambre des députés, qui n’ont point vu dans ces infortunés des triomphateurs, mais des victimes.

Et ces Vendéens, et ces chouans, à qui tout est réservé, vous importunent de leur faveur, de leur éclat ! Leur pauvreté honorable, leur habit aussi ancien que leur fidélité, leur air étranger dans les palais, ont été pourtant l’objet de vos railleries, lorsque ces loyaux serviteurs sont accourus du fond de la France à la grande, à la merveilleuse nouvelle du retour inespéré de leur roi. Jetons les yeux autour de nous, et tâchons, si nous le pouvons, d’être justes. Par qui la presque totalité des grandes et des petites places est-elle occupée ? Est-ce par des chouans, des Vendéens, des Cosaques, des émigrés, ou par des hommes qui servoient l’autre ordre de choses ? On n’envie point, on ne reproche point les places à ces derniers : mais pourquoi dire précisément le contraire de ce qui est ? Il n’étoit pas si frappé de la prospérité des émigrés, ce maréchal de France qui a sollicité quelques secours pour de pauvres chevaliers de Saint-Louis : « Car, disoit-il noblement, ou il faut leur ôter leur décoration, ou leur donner le moyen de la porter. » Sous l’uniforme françois, il ne peut y avoir que des sentiments généreux.

Le véritable langage à tenir sur les émigrés, pour être équitable, c’est de dire que la vente de leurs biens est une des plus grandes injustices que la révolution ait produites ; que l’exemple d’un tel déplacement de propriétés au milieu de la civilisation de l’Europe est le plus dangereux qui ait jamais été donné aux hommes ; qu’il n’y aura peut-être point de parfaite réconciliation entre les François, jusqu’à ce qu’on ait trouvé le moyen, par de sages tempéraments, des indemnités, des transactions volontaires, de diminuer ce que la première injustice a de criant et d’odieux. On ne s’habituera jamais à voir l’enfant mendier à la porte de l’héritage de ses pères. Voilà ce qu’il y a de vrai d’un côté. Il est vrai, de l’autre, que le roi ni les chambres n’ont pu violemment réparer une injustice par des actes qui auroient compromis la tranquillité de l’État ; car enfin on a acheté sous la garantie des lois : les propriétés vendues ont déjà changé de main ; il est survenu des enfants, des partages. En touchant à ces ventes, on troubleroit de nouvelles familles, on causeroit de nouveaux bouleversements. Il faut donc employer pour guérir cette plaie les remèdes doux qui viennent du temps ; il faut qu’un esprit de paix préside aux mesures que l’on pourra prendre. Le désintéressement et l’honneur sont les deux vertus des François : avec un tel fonds on peut tout espérer. On dit que le projet du roi est de donner chaque année une somme sur la liste civile pour secourir les propriétaires et favoriser les arrangements mutuels. Le roi est la gloire et le salut de la France.

CHAPITRE VII.
SINGULIÈRE MÉPRISE SUR L’ÉMIGRATION.

En examinant de plus près l’opinion des écrivains opposants, on s’aperçoit qu’ils sont tombés dans une singulière méprise, soit qu’ils l’aient fait à dessein, soit qu’ils aient erré de bonne foi. Ne sembleroit-il pas, à les entendre, que l’émigration entière vient de rentrer avec le roi ? Ignore-t-on que presque tous les émigrés sont revenus en France il y a déjà quatorze ou quinze ans ; que les enfants de ces émigrés, soit volontairement, soit de force, les uns atteints par la conscription, les autres enlevés pour les écoles militaires ; ceux-ci pressés par le défaut absolu de fortune, ceux-là obligés de servir pour soustraire leur famille à la persécution ; que les enfants de ces émigrés, disons-nous, ont pris des places sous Buonaparte ? Il a loué lui-même leur courage, leur désintéressement, et leur fidélité à leur parole quand une fois ils l’ont donnée ; beaucoup d’entre eux ont reçu des blessures sous ses drapeaux : des chefs de chouans, des Vendéens ont défendu leur patrie contre les ennemis. On comptoit dans nos armées les premiers gentilshommes de nos provinces, et les descendants de nos familles les plus illustres. Représentants de l’ancienne gloire de la France, ils assistoient, pour ainsi dire, à sa gloire nouvelle. Dans cette noble fraternité d’armes, ils oublioient nos discordes civiles, et en servant leur patrie ils apprenoient à servir un jour leur roi. Ces hommes qui auroient pu regretter le rang et la fortune de leurs aïeux, ces rejetons des connétables et des maréchaux de France qui portaient le sac du soldat, nous menaceroient-ils de la résurrection de tous les préjugés ? Ils ont du moins appris que dans le métier des armes tout soldat est noble, et que le grenadier a ses titres de gentilhomme écrits sur le papier de sa cartouche.

C’est donc en vain que la malveillance chercher à créer des distinctions et des partis : il n’y en a point, il n’y en peut pas avoir. Si Louis XVIII ne vouloit remplir les places que d’hommes tout à fait étrangers à la révolution, qui seroit pur à ses yeux ? Mais le roi, et ses preuves sont faites, est aussi impartial qu’il est éclairé ; il ne sépare point ceux qui ont servi le roi de ceux qui ont servi la patrie. Ne dénaturons point les faits pour soulager notre humeur ; ne prêtons point au prince des sentiments qui ne sont pas les siens, et ne cherchons point à créer des partis, en prétendant en trouver là où il n’en existe pas.

CHAPITRE VIII.
DES DERNIERS ÉMIGRÉS.

Ainsi, tout le raisonnement des pamphlets contre les émigrés, sophistique par la forme, n’est point solide par le fond : il porte sur une base fausse ; car la grande, la véritable émigration est depuis longtemps rentrée en France. Elle a pris des intérêts communs avec le reste des Francois par des alliances, des places, des liens de reconnoissance et des habitudes de société. Tout se réduit donc à cette petite troupe de proscrits que Louis XVIII ramena à sa suite. Voudriez-vous que dans son exil le roi n’eût pas conservé un ami ? C’est ce qui arrive assez souvent aux princes malheureux. Vous êtes donc effrayés de quelques vieillards qui viennent, tout chargés d’ans et dépouillés par tant de sacrifices, se réchauffer un moment au soleil de la patrie ? Nous avons déjà parlé de leur détresse ; faudroit-il, pour mieux vous tranquilliser, qu’ils fussent encore durement rejetés par leur roi ? « Compagnons vieillis avec moi dans la terre étrangère, leur diroit le monarque, me voilà revenu dans mon palais ; j’ai retrouvé mon peuple, mon bonheur, la gloire de mes aïeux : vous, vous avez tout perdu pour moi ; vos biens sont vendus, les cendres de vos pères dispersées : adieu, je ne vous connois plus. » Et où iront-ils, Ces compagnons du malheur du roi, ceux qui ont dormi dans l’exil, la tête appuyée sur les fleurs de lis presque effacées par le sang et les larmes ; ceux qui se consoloient en entourant de leurs respects et de leurs communes misères le roi de l’adversité ? Ne permettez-vous point que Louis XVIII leur prête un coin de son manteau ? Voulez-vous qu’il prenne un air sévère quand il les voit, qu’il ne leur adresse jamais une de ces paroles qui payent en France tous les services ? Vous le voulez indulgent, miséricordieux, et vous exigez qu’il soit ingrat ? Admirons nos rois d’avoir été aimés dans le malheur et d’aimer dans la prospérité.

CHAPITRE IX.
S’IL EST VRAI QU’ON SOIT PLUS INQUIET AUJOURD’HUI QU’ON NE L’ÉTOIT AU MOMENT DE LA RESTAURATION.

« Au retour des Bourbons, dit-on encore, la joie fut universelle ; il n’y eut qu’une opinion, qu’un sentiment : les anciens républicains, particulièrement opprimés, applaudirent franchement à la restauration. Aujourd’hui les partis renaissent, cette heureuse confiance est ébranlée, etc. » Nous avons été aussi témoin des premiers moments de la restauration, et nous avons observé précisément le contraire de ce que l’on avance ici. Sans doute il y eut du bonheur, de la joie à l’arrivée des Bourbons ; mais il s’y mêloit beaucoup d’inquiétude. Les anciens républicains étoient bien loin surtout d’être si satisfaits, d’applaudir avec tant de cordialité. Plusieurs d’entre eux songeoient à se retirer, et avoient tout préparé pour la fuite. Et en quoi avoient-ils été particulièrement opprimés sous Buonaparte ? Ils jouissoient d’une grande fortune ; ils occupoient les premières places de l’État. Quoi ! c’étoient les Bourboniens, les royalistes qui jouissoient de la faveur sous la tyrannie ? On croit rêver.

La vérité est que la confiance ne fut point entière au premier moment du retour du roi : beaucoup de gens étoient alarmés, les provinces même agitées, incertaines, divisées ; l’armée ne savoit si on lui compteroit ses souffrances et ses victoires ; on craignoit les fers, on redoutoit les vengeances.

Mais peu à peu le caractère du roi étant mieux connu, les frayeurs se calmèrent ; on vit luire l’aurore d’une paix et l’espérance d’un bonheur sur lesquels on ne comptoit presque plus. Rassurés sur les opinions qu’on avoit eues, sur les votes que l’on avoit émis, tous les partis placèrent dans le monarque une juste confiance.

Depuis ce temps le roi n’a cessé de prendre de nouvelles forces, et la France de marcher vers la prospérité. Chaque jour le très-petit nombre d’opposants diminue ; les contes absurdes, les terreurs populaires, s’évanouissent ; le commerce renaît, les manufactures refleurissent, les impôts se payent, une immense dette est comblée ; l’armée n’a plus qu’un seul et même esprit ; les prisonniers et les soldats licenciés sont retournés au sein de leurs familles ; les officiers, avec une retraite honorable, jouissent dans leurs foyers de l’admiration due à leur courage ; la conscription, abolie, ne fait plus trembler les mères ; la plus entière liberté d’opinions dans les deux chambres, dans les livres, dans les journaux, dans les discours, annonce que nous sommes enfin rendus à notre dignité naturelle ; on se sent en pleine jouissance de ses droits. La main sur le cœur, de quoi se plaindroit-on ? De qui et de quoi a-t-on peur ? Jamais calme fut-il plus profond après la tempête ? Les libelles que nous combattons ne sont-ils pas même la preuve de la plus entière liberté, comme de la force du gouvernement ? Tout marche sans effort, sans oppression : les étrangers sont confondus et presque jaloux de notre paix et de notre prospérité. On n’entend parler ni de police, ni de dénonciation, ni d’un acte arbitraire du pouvoir, ni d’exécution, ni de réaction publique, ni de vengeance particulière.

Les magistrats ont seuls agi quand ils ont cru voir des coupables, et cela s’est borné à l’arrestation de quelques individus remis en liberté aussitôt que l’on a reconnu qu’ils n’avoient pas outre-passé la loi. On va, on vient, on fait ce qu’on veut. N’est-on pas content ? Les chemins sont ouverts ; qu’on demande des passeports, qu’on emporte sa fortune, chacun est le maître : à peine rencontre-t-on un gendarme. Dans un pays où plus de quatre cent mille soldats ont été licenciés, il n’y a pour ainsi dire pas une porte fermée et pas un voleur de grand chemin. Les créatures, les parents de Buonaparte sont partout ; ils jouissent de la protection des lois. S’ils ont des pensions sur l’État, le roi les paye scrupuleusement. S’ils veulent sortir du royaume, rentrer, porter des lettres, en rapporter, envoyer des courriers, faire des propositions, semer des bruits et même de l’argent, s’assembler en secret, en public, menacer, répandre des libelles, en un mot, conspirer, comme nous l’avons dit ailleurs, ils le peuvent ; cela ne fait de mal à personne. Ce gouvernement de huit mois est si solide, que fît-il aujourd’hui fautes sur fautes il tiendroit encore, en dépit de ses erreurs. Le frère de Louis XVI, la famille de Louis XVI, la charte qui garantit nos libertés, ce sont là des puissances que rien ne peut ébranler. Immobile sur son trône, le roi a calmé les flots autour de lui : il n’a cédé à aucune influence, à aucune impulsion, à aucun parti. Sa patience confond, sa bonté subjugue et enchaîne, sa paix se communique à tous. Il a connu les propos que l’on a pu tenir, les petites humeurs que l’on a témoignées, les folles démarches que l’on a pu faire : tout cela s’est évanoui devant son inaltérable sérénité. Lorsque autrefois, en Allemagne, il fut frappé d’une balle à la tête, il se contenta de dire : « Une ligne plus haut, et le roi de France s’appeloit Charles X ; » et il n’en parla plus. Lorsqu’il reçut l’ordre de quitter Mittau, au milieu de l’hiver, il ne fit pas entendre une plainte. Cette magnanimité sans ostentation qui lui est particulière, ce sang-froid que rien ne peut troubler, le suivent aujourd’hui au milieu de ses prospérités. On lui adresse une apologie de la mort de son frère, il la lit, fait quelques observations, et la renvoie à son auteur. Et pourtant il est roi ! et pourtant il pleure tous les jours en secret la mort de ce frère ! En entrant pour la première fois aux Tuileries, le jour de son arrivée à Paris, il se jeta à genoux : « Ô mon frère, s’écria-t-il, que n’avez-vous vu cette journée ! Vous en étiez plus digne que moi. » Quand on s’approche de lui, il a toujours l’air de vous dire : « Où pourriez-vous trouver un meilleur père ? Laissez-moi panser vos blessures ; j’oublie les miennes pour ne songer qu’aux vôtres. Est-ce à mon âge, après mes malheurs, que je puis aimer le trône pour moi-même ? Je suis là pour vous, et je veux vous rendre aussi heureux que vous avez été infortunés. »

Quiconque jette les yeux autour de soi, au dedans et au dehors, et ne comble pas de bénédictions le prince que le ciel nous a rendu, n’est pas digne d’être gouverné par un tel prince.

CHAPITRE X.
SI LE ROI DEVOIT REPRENDRE LES ANCIENNES FORMULES DANS LES ACTES ÉMANÉS DU TRÔNE.

Vient ensuite un autre genre de plaintes : comme des enfants gâtés à qui l’on ne refuse rien, nous ne savons à qui nous en prendre de notre bonheur. « Le roi a voulu recevoir la couronne comme un héritage, et non comme un don du peuple ; il s’est donné le titre de roi de France, et non de roi des François ; il a repris l’ancienne formule : Par la grâce de Dieu, etc. »

Nous voulons une monarchie, ou nous n’en voulons point. Si nous la voulons, désirons-nous qu’elle soit élective ? Dans ce cas, nous avons raison de trouver mauvais que le roi ait daté sa Charte de l’an dix-neuvième de son règne, et de s’appeler Louis XVIII. Mais si, connoissant les inconvénients de la monarchie élective, nous revenons à la monarchie héréditaire, incontestablement la meilleure de toutes, le roi a dû dire : « Je règne parce que mes ancêtres ont régné ; je règne par les droits de ma naissance, sauf à moi à convenir avec mes peuples d’une forme d’institution qui régularise mon pouvoir, assure la liberté civile et politique et soit agréable à tous. » Rien alors n’est plus conséquent que la conduite du roi : nous ne sommes point une répu- blique, et il n’a pas dû reconnoître la souveraineté du peuple : nous ne sommes point une monarchie élective, et il n’a pu revenir par voie d’élection. Si vous sortez de là, tout est confondu. Il semble toujours à certains esprits exaltés qu’un roi anéantit la loi, ou que la loi va faire disparaître le roi : loi et roi sont fort compatibles, ou plutôt c’est une et même chose, selon Cicéron et le bon sens.

C’est une chicane bien misérable encore que celle qui regarde le titre de roi de France. Les Anglois ne sont-ils pas libres ? Cependant Charles II a daté la déclaration donnée à Breda de l’an douzième de son règne, et l’on dit Roi d’Angleterre (King of England), et non pas Roi des Anglois {King of the English). Est-il plus noble d’ailleurs que le roi soit, par son titre, propriétaire des François (Roi des François), que propriétaire de la France (Roi de France) ? Ne vaudroit-il pas mieux qu’il possédât la terre que l’homme ? Car roi des François ne voudroit pas dire qu’il a été choisi, élu par eux, puisque la monarchie est héréditaire, mais qu’il en est le maître, le possesseur. Tous ces raisonnements sont, de part et d’autre, de méchantes subtilités : au fond il ne s’agit pas de tout cela. Sous la première race de nos rois, on disoit roi des Francs, rex Francorum. Pourquoi ? Parce que les Francs étoient non une nation, mais un petit peuple barbare et conquérant, presque sans lois, et surtout sans propriétés fixes : ils n’avoient donc alors qu’un général, qu’un capitaine, qu’un chef, qu’un roi, dux, rex Francorum. Sous la seconde race, le titre d’empereur se mêla à celui de roi, et n’emporta encore que l’idée d’un chef de guerre, imperator. Sous la troisième race, on commença à dire roi de France, rex Franciæ, parce qu’alors le peuple franc, par son mélange avec les Gaulois et les Romains, étoit devenu une nation attachée au sol de la France, remplaçant les lois salique, gombette et ripuaire de la première race, les capitulaires de la seconde, par l’usage du droit romain, par des coutumes écrites, recueillies vers le temps de Charles VIII[7], substituant des tribunaux sédentaires à des tribunaux errants, et marchant à grands pas vers la civilisation. Tout n’est pas dans le Contrat social ; étudions un peu l’histoire de France : nous ne serons ni si prompts à condamner ni si superbes dans nos assertions.

La formule par la grâce de Dieu se défend d’elle-même : tout est par la grâce de Dieu. Franchement, tâchons, si nous pouvons, d’être libres et heureux, et même, s’il le faut absolument, par la grâce de Dieu ! Cela est un peu dur, il est vrai ; mais enfin on n’a pas toujours ce que l’on veut. Pour nous consoler, nous penserons que les plus grands philosophes ont cru qu’une formule religieuse étoit aussi favorable à la politique qu’à la morale. Cicéron remarque que la république romaine ne dut sa grandeur qu’à sa piété envers les dieux. Nos petites impiétés politiques auroient fait grand’pitié aux anciens. « Soit qu’on bâtisse une cité nouvelle, dit Platon, soit qu’on en rebâtisse une ancienne tombée en décadence, il ne faut point, si on a du bon sens, qu’en ce qui appartient aux dieux, aux temples, on fasse aucune innovation contraire à ce qui aura été réglé par l’oracle. »

Enfin, dans toute constitution nouvelle, il est bon, il est utile qu’on aperçoive les traces des anciennes mœurs. Pourquoi la république françoise n’a-t-elle pu vivre que quelques moments ? C’est (indépendamment des autres causes qui l’ont fait périr) qu’elle avoit voulu séparer le présent du passé, bâtir un édifice sans base, déraciner notre religion, renouveler entièrement nos lois et changer jusqu’à notre langage. Ce monument flottant en l’air, qui n’avoit d’appui ni dans le ciel ni sur la terre, s’est évanoui au souffle de la première tempête.

Au contraire, dans le pays où il s’est opéré des changements durables, on voit toujours une partie des anciennes mœurs se mêler aux mœurs nouvelles, comme des fleuves qui viennent à se réunir, et qui s’agrandissent en confondant leurs eaux. Dans la république romaine, on conserva la plus grande partie des institutions monarchiques : « Le nom seul du roi fut changé, dit Cicéron, la chose resta[8]. »

Ce nom même de roi fut jugé si sacré, qu’on le garda parmi les choses saintes, en l’attribuant au chef des sacrifices : rex sacrificulus ou rex sacrorum. À Athènes, la dignité de roi des sacrifices étoit le partage du second archonte, ἄρχων βασιλεὺς, et elle passoit pour une des premières de l’État. La constitution des Anglois porte de profondes marques de son origine gothique. « Le roi, dit Montesquieu, y conserve, avec une autorité limitée, toutes les apparences de la puissance absolue. » Dans certains cas, on le sert à genoux, on lui parle dans le langage le plus soumis et le plus respectueux ; en un mot, on lui parle comme à la loi, dont il est la principale source.

Il y a plus : presque toutes les coutumes normandes et les lois saxonnes subsistent encore en Angleterre, même celles qui paroissent aujourd’hui les plus éloignées de nos mœurs. Ainsi, dans quelques comtés, un mari peut exposer sa femme au marché public, ce qui remonte à l’ancien droit d’esclavage. Qui croiroit que dans un pays si libre on retrouve tout ce qui rappelle les siècles que nous appelons de servitude, et contre lesquels nous avons tant déclamé ? C’est que nos voisins ont été plus raisonnables que nous ; c’est que pour fonder quelque chose ils se sont servis de la base qu’ils ont trouvée ; c’est qu’ils ont le bon esprit de laisser les lois caduques mourir de mort, sans hâter leur destruction par une violence dangereuse. Quelques politiques pourront prendre tout cela pour de l’esclavage ; et c’est avec cette exagération qu’on passe des excès de la démagogie à la soumission la plus lâche sous un tyran : rien de bon sans la raison.

Enfin, ce Guillaume III, ce monarque qu’on n’appela au trône d’Angleterre que sous la condition d’accepter la constitution de 1688, fut aussi roi, lui et ses successeurs, de droit divin et par la grâce de Dieu : It was observed, dit Smollet, the king who was made by the people, had it in his power to rule without them; to govern jure divino, though he was created jure humano.

« On remarqua que le roi choisi par le peuple pouvoit, s’il le vouloit, gouverner sans le peuple et régner de droit divin, quoiqu’il eût été établi de droit humain. »

Les Anglois en sont-ils moins libres aujourd’hui ? N’est-ce pas, au contraire, ce qui a affermi chez eux la liberté, en lui donnant un caractère sacré ? Ainsi les mœurs de nos pères, conservées dans de vieilles formules, dans le souvenir de notre ancien droit politique, porteront quelque chose de religieux dans les institutions nouvelles. La monarchie françoise est un arbre antique dont il faut respecter le tronc, si nous voulons greffer sur ses branches de nouveaux fruits. Cet arbre de la patrie, qui nous a donné ses fruits pendant quatorze cents ans, peut encore en nourrir d’aussi beaux, quoique d’une autre espèce, si l’on sait bien profiter de sa sève. Fût-il d’ailleurs aussi desséché qu’il est vigoureux, à l’ombre de la religion, et par la grâce de Dieu, il auroit bientôt repris sa verdure : le bâton d’Aaron refleurit dans l’Arche.

Il est fâcheux qu’une révolution si longue et si terrible ne nous ait pas mieux instruits, que nous en soyons encore à ces éléments de la politique, à nous disputer sur des mots : ayons la chose, sans nous embarrasser comment nous l’avons ; ayons une liberté monarchique et sage : peu importe que nous la tenions des mains d’un chancelier en simarre, et qu’elle parle le langage gothique des Harlay et des L’Hospital, ou plutôt il importe beaucoup qu’elle soit fille de nos mœurs, et qu’à ses traits nous reconnoissions notre sang.

CHAPITRE XI.
PASSAGE D’UNE PROCLAMATION DU ROI.

Voici un autre grief : « Le roi a dit, dans une de ses proclamations, que tout le monde conserveroit ses places, et cependant quelques personnes les ont perdues. »

Le reproche est étrange ! Le roi a-t-il pu prendre l’engagement de ne déplacer absolument qui que ce fût ? Quoi ! par le seul fait de la présence du roi, toutes les places de l’État seroient devenues places à vie ! le moindre commis à la barrière se seroit trouvé dans le cas du chancelier ! Le moyen alors de gouverner ? Louis XVIII, comme Hugues Capet, auroit confirmé ou établi en arrivant le système des fiefs ! il y auroit eu autant de petits et de grands souverains qu’il y a de grandes et de petites places en France ! il ne restoit plus qu’à les rendre héréditaires. Le roi n’auroit pu renvoyer un juge prévaricateur, un receveur infidèle, un homme repoussé par l’opinion publique : il auroit fallu nommer dans tous ces cas un administrateur en attendant la démission ou la mort du titulaire.

Que veut donc dire cette phrase : « Tout le monde conservera ses places ? » Elle veut dire, selon le sens commun, que tout homme contre lequel il n’y aura pas de raisons invincibles, soit du côté de la capacité, soit sous le rapport moral, restera dans le poste où le roi l’aura trouvé, ou bien qu’il sera appelé à d’autres fonctions ; elle veut dire qu’on ne sacrifiera pas un parti à un autre ; que le nom de royaliste et de républicain ne sera ni un droit d’admission ni une cause d’exclusion, et qu’enfin les seuls et véritables titres aux places seront la probité et l’intelligence. Dans ce cas le roi n’a-t-il pas suivi exactement ce qu’il avoit promis ? Nous avons déjà fait remarquer que la presque totalité des emplois étoit entre les mains des personnes qui ont servi l’ordre de choses détruit par la restauration.

De la plainte générale passant à la plainte particulière, on cite les membres du sénat qui n’ont pas été admis dans la chambre des pairs. Il ne falloit pas toucher une pareille question, il ne falloit pas rappeler au public que tel homme qui a fait tomber la tête de Louis XVI reçoit une pension de 36,000 francs de la main de Louis XVIII. Loin de se plaindre il falloit se taire ; il falloit sentir que de pareils exemples produisent un tout autre effet que d’attirer l’intérêt sur ceux dont on se fait les défenseurs. Tant de malheureux proscrits pour la cause royale, tant d’honnêtes républicains qui n’ont par devers eux aucun crime pourroient tomber dans le découragement. Les uns sont réduits par leur loyauté à la plus profonde misère, les autres sont restés dans leur première indigence pour n’avoir pas voulu profiter de nos malheurs : ils se livreroient à des réflexions étranges à la vue de ces juges du roi qui possèdent des châteaux, des traitements, des cordons, des places même et des honneurs. N’insistons pas sur cette idée : nous trouverions peut-être que les honnêtes gens n’ont jamais été mis à une plus rude épreuve, et nous jetterions sur le bien et sur le mal, sur les bonnes et sur les mauvaises actions des doutes capables d’ébranler la vertu même.

Dans la vérité, on ne fait pas sérieusement aux ministres du roi le reproche que nous examinons ; car on insinue qu’ils ont conservé dans la chambre des pairs certains membres du sénat que (selon les auteurs des pamphlets) on aurait dû renvoyer ; d’où il résulte qu’on est conduit dans ces plaintes plus par un esprit de parti que par un sentiment de justice, et qu’on est bien moins fâché que tel homme soit exclu de la chambre des pairs que fâché que tel autre homme y soit admis.

CHAPITRE XII.
DES ALLIÉS ET DES ARMÉES FRANÇOISES.

À travers les déclamations on voit percer une inimitié secrète contre les puissances alliées qui nous ont aidés à rompre nos chaînes.

Si les alliés sont entrés en France, à qui la faute en est-elle ? Est-ce au roi, ou à l’homme de l’île d’Elbe ? Y sont-ils entrés pour Louis XVIII ? Ils désiroient sans doute que les François, revenus de leurs erreurs, rappelassent leur souverain légitime ; ils le désiroient comme le moyen le plus prompt et le plus sûr de faire cesser les maux de l’Europe ; ils le désiroient pour la cause de la justice, de l’humanité et des rois ; ils le désiroient encore à raison de l’amitié particulière qu’ils portoient à Louis XVIII, de l’estime qu’ils faisoient de ses vertus : mais ce vœu secret de leur cœur étoit à peine pour eux une foible espérance. Ayant, après tout, d’autres intérêts que les nôtres, ils se devoient à leurs peuples de préférence à nos malheurs ; ils ne pouvoient songer à prolonger sans fin les calamités de la guerre ; ils auroient, quoique à regret, traité avec Buonaparte s’il avoit voulu mettre la moindre justice dans ses prétentions. Combien de fois ne s’est-il pas vanté pendant le congrès de Châtillon d’avoir la paix dans sa poche ? Une fois même on l’a crue signée ; et en effet elle étoit près de l’être. Les Bourbons n’étoient pour rien dans ces mouvements, ou du moins ils n’y étoient que pour des vœux subordonnés aux chances de la guerre, aux événements et aux combinaisons politiques. Ils n’avoient ni soldats, ni argent, ni crédit. On n’avouoit pas même leur présence sur le continent ; et à Paris c’étoit un problème de savoir si quelques-uns d’entre eux étoient ou n’étoient pas sortis d’Angleterre.

Les malheurs de la guerre ne peuvent donc être imputés à nos princes : la chose est si évidente qu’on n’a pas osé les leur reprocher. Très-certainement (et nous le sentons peut-être plus vivement qu’un autre) c’est une chose peu agréable pour un peuple de voir les étrangers dans le cœur de son pays ; mais l’événement arrivé par la faute d’un homme qui lui-même étoit étranger à la France, pourroit-on ne pas reconnoître ce que la conduite des ennemis a eu de noble et de généreux ? Ils ont donné à Paris un exemple unique dans l’histoire, et qui peut-être ne se renouvellera plus. Y avoit-il rien de plus insensé, de plus absurde, de plus déloyal, que cette dernière guerre déclarée par Buonaparte à Alexandre ? Il sera éternellement beau, éternellement grand, d’être sorti des cendres de Moscou pour venir conserver les monuments de Paris. Et l’Autriche qui avoit tant fait de sacrifices, et la Prusse si cruellement ravagée, n’avoient-elles point de vengeances à exercer ? Et pourtant les souverains alliés, admirant notre courage, oubliant leurs injures, poussant la délicatesse jusqu’à ne pas vouloir entrer dans le palais de nos rois, n’ont para attentifs qu’à notre bonheur. Refuserions-nous à l’un des premiers hommes de ce siècle, à lord Wellington, les éloges moins dus encore à ses talents qu’à son caractère ? Mais la part une fois faite, ces justes louanges une fois données à des monarques, à des hommes, à des peuples qui les méritent, nous rentrons dans tous nos droits. Ces louanges ne sont point prises sur celles qui appartiennent à nos armes. En quoi sommes-nous humiliés ? On est venu à Paris ? Eh bien ! ne sommes-nous pas entrés dans presque toutes les capitales de l’Europe ? Si on cessoit d’être juste envers notre gloire, ce seroit à nous de nous en souvenir. Les Romains disoient : L’amour de la patrie ; nous, nous disons : L’honneur de la patrie. L’honneur est tout pour nous. Malheur à qui oseroit nous frapper dans cet honneur où un François place toute sa vie !

Mais, grâce à Dieu, personne ne nous dispute ce qui nous appartient légitimement. Qui donc méconnoît l’héroïsme de notre armée ? Sont-ce ces émigrés qui ont été accusés chez l’étranger de s’enorgueillir des victoires même qui leur fermoient le chemin de leur patrie ? Qui ne connoît l’admiration du roi et de nos princes pour nos soldats ? L’armée françoise est tout l’honneur de la France : si ses succès n’avoient pas fait oublier nos crimes, dans quelle dégradation ne serions-nous pas tombés aujourd’hui ! Elle nous déroboit au mépris des nations, en nous couvrant de ses lauriers ; à chaque cri d’indignation échappé à l’Europe, elle répondoit par un cri de triomphe. Nos camps étoient un temple pour la gloire, un asile contre la persécution : là se réfugioient tous les François qui cherchoient à se soustraire aux violences des proconsuls. Nos soldats n’ont partagé aucune de nos fureurs. En Angleterre, le parlement vouloit sauver Charles Ier, et l’armée le fit mourir ; en France, la Convention conduisit Louis XVI à l’échafaud, et l’armée ne prit aucune part à ce crime : elle l’auroit sans doute prévenu[9] si elle n’eût été alors occupée à repousser les ennemis. Lorsqu’on lui ordonna de ne faire aucun quartier aux Anglois et aux émigrés, elle refusa d’obéir. Persécutée comme le reste de la France par des ingrats qui lui devoient tout, elle étoit souvent sans solde, sans vivres et sans vêtements ; elle se vit suivre par des commissaires qui traînoient avec eux des instruments de mort, comme si le boulet ennemi n’emportoit pas encore assez de nos intrépides soldats ! On envoyoit nos généraux au supplice ; on faisoit tomber la tête du père de Moreau, tandis que ce grand capitaine reculoit les frontières de la France. C’est Pichegru, ce sont d’autres chefs fameux, qui conçurent les premiers l’idée de rendre le bonheur à notre pays en rappelant notre roi. Honneur donc à cette armée si brave, si sensible, si touchée de la gloire, qui, toujours fidèle à ses drapeaux, oubliant les folies d’un barbare, retrouva assez de force, après la retraite de Moscou, pour gagner la bataille de Lutzen ; qui, poussée et non accablée par le poids de l’Europe, se retira en rugissant dans le cœur de la France, défendit pied à pied le sol de la patrie, se préparoit encore à de nouveaux combats lorsque, placée entre un chef qui ne savoit pas mourir et un roi qui venoit de fermer ses blessures, elle s’élança toute sanglante dans les bras du fils de Henri IV !

Non, les événements glorieux ne sont ni oubliés ni défigurés, comme on voudroit le faire croire ; on n’a point perdu, quoi qu’on en dise, la partie d’honneur : cette partie-là ne sera jamais perdue par les François. Eh ! n’est-elle pas mille fois gagnée, puisqu’elle nous a valu notre roi, et qu’elle nous a fait sortir d’esclavage ? C’est un si grand bien d’être délivré du despotisme, qu’on ne sauroit trop l’acheter.

Si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, notre repos devoit être encore troublé, des François peuvent retrouver des victoires ; mais où retrouve-t-on un peuple lorsqu’une longue servitude l’a flétri ? Pour nous, nous le dirons avec franchise, nous aimerions mieux la France resserrée dans les murs de Bourges, mais libre sous un roi légitime, qu’étendue jusqu’à Moscou, mais esclave sous un usurpateur ; du moins on ne nous verroit pas adorer les fureurs et bénir les mépris d’un indigne maître, baiser ses mains dégouttantes du sang de nos fils, offrir des sacrifices à sa statue, et porter son buste orné de pourpre sur la tribune aux harangues. Les Romains étoient un grand peuple quand ils ne passoient pas la frontière des Samnites : qu’étoient-ils lorsque gouvernés par Néron ils commandoient sur les rives du Rhin et de l’Euphrate ?

CHAPITRE XIII.
DE LA CHARTE. QU’ELLE CONVIENT AUX DEUX OPINIONS QUI PARTAGENT LA FRANCE.

Ici finit ce que notre tâche avoit de pénible : nous n’avons plus de sujets douloureux à rappeler. Le principal écrivain que nous avons combattu a raison dans les dernières pages de son ouvrage ; il nous dit « que la Charte offre assez de garanties pour nous sauver tous ; qu’il faut nous créer une opinion publique, nous attacher à notre patrie. » Belles paroles auxquelles nous souscrivons de grand cœur. Et qui pourroit se plaindre de cette Charte ? Elle réunit toutes les opinions, réalise toutes les espérances, satisfait tous les besoins. Examinons-en l’esprit : nous trouverons dans cet examen un nouveau sujet de reconnoissance pour le roi.

Les François, indépendamment des divisions politiques, naturelles et nécessaires à une monarchie, se partagent aujourd’hui en deux grandes classes : ceux qui ne sont pas obligés de travailler pour vivre, et ceux que la fortune met dans un état de dépendance : occupés de leur existence physique, les seconds n’ont besoin que de bonnes lois ; mais les premiers, avec le besoin des bonnes lois, ont encore celui de la considération. Ce besoin est dans tous les cœurs ; il n’y a point de puissance humaine qui parvînt aujourd’hui à le détruire ou qui le choquât impunément. C’est une conséquence nécessaire de l’égalité qui s’est établie dans l’éducation et dans les fortunes. Tout homme qui lit passe (et trop souvent pour son malheur) de l’empire des cou- tumes à l’empire de sa raison ; mais enfin ce sentiment est noble en lui-même : le heurter seroit dangereux.

De plus, il faut se souvenir que depuis soixante ans les François se sont accoutumés à penser librement sur tous les sujets : depuis vingt ans, ils ont mis en pratique toutes les théories qu’ils s’étoient plu à former. Des essais sanglants sont venus les détromper ; cependant les idées d’une indépendance légale et légitime ont survécu : elles existent partout, dans le soldat sous la tente, chez l’ouvrier dans sa boutique. Si vous voulez contrarier ces idées, les resserrer dans un cadre où elles ne peuvent plus entrer, elles feront explosion, et en éclatant causeront des bouleversements nouveaux. Il est donc nécessaire de chercher à les employer dans un ordre de choses où elles aient assez d’espace pour se placer et pour agir, et où cependant elles rencontrent une digue assez forte pour résister à leurs débordements.

C’est ce que le roi a merveilleusement senti, et c’est à quoi il a pourvu par la Charte : toutes les bases d’une liberté raisonnable y sont posées ; et les principes républicains s’y trouvent si bien combinés, qu’ils y servent à la force et à la grandeur de la monarchie.

D’une autre part, vous ne pouvez pas arracher les souvenirs, ôter aux hommes les regrets de ce passé que l’on aime et que l’on admire d’autant plus qu’il est plus loin de nous. Si vous prétendez forcer les sentiments des vieux royalistes à se soumettre aux raisonnements du jour, vous produirez une autre espèce de réaction. Il faut donc trouver un mode de gouvernement où la politique de nos pères puisse conserver ce qu’elle a de vénérable, sans contrarier le mouvement des siècles. Eh bien, la Charte présente encore cette heureuse institution : là se trouvent consacrés tous les principes de la monarchie. Elle convient donc également, cette Charte, à tous les François : les partisans du gouvernement moderne parlent au nom des lumières qui leur semblent éclairer aujourd’hui l’esprit humain ; les défenseurs des institutions antiques invoquent l’autorité de l’expérience : ceux-ci plaident la cause du passé, ceux-là l’intérêt de l’avenir. Les républicains disent : « Nous ne voulons pas retourner à la féodalité, aux superstitions du moyen âge. » Les royalistes s’écrient : « Nous ne voulons pas, de constitution en constitution, nous égarer dans de vains systèmes, abandonner ces idées morales et religieuses qui ont fait la gloire et le bonheur de nos aïeux, » Aucun de ces excès n’est à craindre dans l’espèce de monarchie rétablie par le roi : dans cette monarchie viennent se confondre les deux opinions ; l’une ou l’autre comprimée produiroit de nouveaux désastres. Les idées nouvelles donneront aux anciennes cette dignité qui naît de la raison, et les idées anciennes prêteront aux nouvelles cette majesté qui vient du temps.

La Charte n’est donc point une plante exotique, un accident fortuit du moment ; c’est le résultat de nos mœurs présentes ; c’est un traité de paix signé entre les deux partis qui ont divisé les François : traité où chacun des deux abandonne quelque chose de ses prétentions pour concourir à la gloire de la patrie.

CHAPITRE XIV.
OBJECTIONS DES CONSTITUTIONNELS CONTRE LA CHARTE. DE L’INFLUENCE MINISTÉRIELLE ET DE L’OPPOSITION.

« Mais, disent les constitutionnels, la Charte est incomplète : il faudroit que la chambre des pairs fût héréditaire, que l’on pût entrer plus jeune à la chambre des députés, qu’il y eût un ministère et non pas des ministres[10], que les ministres fussent membres des deux chambres, que ces ministres fussent de bonne foi ; que l’opposition ne fût pas une opposition sans richesses, sans pouvoir, sans influence, sans moyen de contre-balancer l’influence ministérielle. Qu’est-ce qu’une ancienne et une nouvelle noblesse conservée ? Qu’est-ce que des lettres d’anoblissement, lorsque par le fait il n’y a qu’une noblesse politique ? »

Les François auront-ils toujours cette impatience déplorable qui ne leur permet de rien attendre de l’expérience et du temps ? Quoi ! depuis le printemps dernier il n’y a pas eu assez de miracles ! Tout doit être aujourd’hui complet, parfait, achevé. La constitution angloise est le fruit de plusieurs siècles d’essais et de malheurs, et nous en voulons une sans défaut dans six mois ! On ne se contente pas de toutes les garanties qu’offre la Charte, de ces grandes et premières bases de nos libertés ; il faut sur-le-champ arriver à la perfection : tout est perdu parce qu’on n’a pas tout. Au milieu d’une invasion, dans les dangers et dans les mouvements d’une restauration subite, on voudroit que le roi eût eu le temps de porter ses regards autour de lui, pour découvrir les éléments de ces choses que l’on réclame ! Devoit-il tout précipiter ? Ce qu’il a osé faire même n’est-il pas prodigieux ? Nous qui commençons ce gouvernement, ne nous manque-t-il rien pour le bien conduire ? Ne vaut-il pas mieux qu’il se corrige progressivement avec nous que de devancer notre éducation et notre expérience ? Un seul article de la Charte place notre constitution au-dessus de toutes celles qui ont été jusque ici le plus admirées : nous sommes le premier peuple du monde dont l’acte constitutionnel ait aboli le droit de confiscation ; par là est à jamais tarie une source effroyable de corruption, de délation, d’injustices, de crimes. Et voilà le seul jugement que le roi ait porté sur la révolution, la seule condamnation dont il l’ait frappée !

On parle des ministres : on se fait une idée ridicule et exagérée de leur influence. D’abord ils sont responsables[11] ; et c’est déjà une chose assez menaçante pour eux que ce glaive suspendu sur leur tête. Ensuite nous avons contre leur incapacité une garantie qui tient à la nature même de nos institutions. Nous sommes à peu près sûrs que les hommes les plus distingués par leurs talents seront appelés au timon de l’État ; car un homme absolument nul ne peut occuper longtemps une première place sous un gouvernement représentatif. Attaqué par la voix publique et dans les deux chambres, il seroit bientôt obligé de descendre du poste où la seule faveur l’auroit fait monter. La nation est donc pour toujours à l’abri de ces ministres qui n’ont pour eux que l’intrigue, et dont l’impéritie a perdu plus d’États que les fautes mêmes des rois.

Soupçonner la bonne foi des ministres est absurde. Est-ce avec une nation aussi éclairée, aussi spirituelle, qu’on pourroit employer de petites ruses ? Tous les yeux seroient à l’instant ouverts. Aujourd’hui il est dans l’intérêt du gouvernement de marcher à la tête des choses, et non d’être forcé de les suivre : il n’y a donc rien à craindre de ce côté.

Quant à l’opposition, nous convenons qu’elle ne peut jamais être en France de la même nature qu’en Angleterre. Parmi nous, les fortunes ne sont pas assez grandes, le patronage des familles n’est pas assez étendu pour que l’opposition trouve en elle-même de quoi résister à l’influence ministérielle. Mais si elle n’a pas cette force d’intérêts que lui donnent ses richesses chez nos voisins, elle exerce en revanche une force d’opinion bien plus vive. Qu’un homme de talent et de probité se trouve, non par contradiction, mais par conviction, opposé aux ministres, il obtiendra dans les deux chambres et dans la France entière une prépondérance que tout le poids de la couronne pourroit seul balancer. Un discours éloquent et juste remuera bien autrement notre chambre des députés qu’un discours semblable prononcé dans la chambre des communes en Angleterre, Sous ce rapport, notre nation est si sensible qu’il est à craindre qu’elle ne soit, comme Athènes, trop soumise aux inspirations de ses orateurs.

Les mystères de l’opinion et du caractère des peuples échappent à toutes les théories et ne peuvent être soumis à aucun calcul. Observez ce qui se passe aujourd’hui dans la chambre des députés : elle est laissée entièrement à elle-même ; l’influence que les ministres y exercent se réduit à quelques politesses qui ne changent pas le sort d’un seul député. Eh bien, qu’arrive-t-il ? La majorité suit tranquillement sa conscience, louant, blâmant ce qu’elle trouve de bon ou de mauvais. Une chose se fait particulièrement remarquer : toutes les fois qu’il s’est agi d’affaires d’argent, les chambres n’ont pas hésité ; le noble désintéressement de la nation s’est montré dans toute sa franchise : ainsi la liste civile, les dettes du roi, n’ont pas rencontré d’opposition. On auroit pu croire que la loi sur les émigrés alloit échauffer les partis : au grand étonnement de tous, la chambre a été plus favorable que la loi. Les François se croient déshonorés quand on les force à s’occuper de leurs intérêts. Admirable générosité qui tient au génie d’une nation particulièrement monarchique et guerrière ! Admirable nation, si facile à conduire au bien ! Oh ! que ceux qui l’ont égarée ont été coupables !

Mais a-t-on traité d’autres sujets, les chambres se sont divisées selon les principes et les idées de chacun : l’opposition ne s’est plus formée de tels et tels individus ; elle a grossi, diminué, grossi encore, sans égard à aucun parti : on auroit cru qu’il n’y avoit pas de ministres, tant on avoit oublié que c’étoient eux qui avoient proposé la loi, pour ne s’occuper que de la loi même. Nous ne connoissons rien de plus propre à honorer le caractère national que la conduite actuelle de nos deux chambres ; on voit qu’elles ne cherchent que le bien de l’État : généreuses sur tout ce qui touche à l’honneur, attentives à nos droits politiques, elles ont voté l’argent sans opposition et défendu la liberté de la presse avec chaleur. C’est qu’en effet cette dernière question pouvoit diviser et embarrasser les meilleurs esprits. Quand on voit d’un côté Genève mettre des entraves à la liberté de la presse, et de l’autre une partie de l’Allemagne et la Belgique proclamer cette liberté, on peut croire qu’il n’étoit pas si aisé de décider péremptoirement.

Nous avons montré par les faits mêmes combien il est difficile, chez une nation brillante et animée, de maîtriser les esprits. Les François ont toujours été libres au pied du trône : nous avions placé dans nos opinions l’indépendance que d’autres peuples ont mise dans leurs lois. Cette habitude de liberté dans la pensée fait que nous nous soumettons rarement sans condition aux idées d’autrui : le député qui auroit le plus promis à un ministre de voler dans le sens de ce ministre, au moment de la délibération pourroit bien lui échapper. Avec le caractère françois, l’opposition est plus à craindre que l’influence ministérielle.

CHAPITRE XV.
SUITE DES OBJECTIONS DES CONSTITUTIONNELS. ORDRE DE LA NOBLESSE.

« Qu’est-ce, dit-on, qu’une noblesse qui n’est pas celle de la chambre des pairs ? Qu’est-ce que des anoblissements, etc. »

Ceci tient à la racine des choses : il faut s’expliquer.

Montesquieu a donné l’honneur pour âme à la monarchie, et la vertu pour principe à la république. L’honneur, selon lui, réside surtout dans le corps de la noblesse, partie intégrante et nécessaire de toute monarchie qui n’est pas le despotisme.

Mais dans une monarchie mixte, les corps constitués tenant à la partie républicaine du gouvernement, l’un (la chambre des pairs) à l’aristocratie, l’autre (la chambre des députés) à la démocratie, il s’ensuit que les deux corps ont pour base, pour esprit et pour but, la vertu, c’est-à-dire la liberté, sans laquelle il n’y a point de vertu politique.

Où donc résidera essentiellement le principe de la monarchie ? Dans la couronne ? Sans doute. Mais la couronne ne peut seule le défendre : elle seroit bientôt envahie par le principe républicain, et la constitution seroit détruite. Ainsi il faut en dehors de cette constitution un corps de noblesse qui soit comme la sauvegarde de la couronne et l’auxiliaire du principe monarchique.

Maintenant observons que la noblesse n’est pas composée d’un seul et unique principe : elle en renferme évidemment deux, l’honneur et la vertu, ou la liberté. Quand elle agit en corps et par rapport à la monarchie en général, elle est conduite par l’honneur, elle est monarchique : quand elle agit pour elle-même, et d’après la nature de sa propre constitution, elle est mue par la liberté ; elle est républicaine, aristocratique.

D’après ces vérités incontestables, voyons ce qui arrivoit à la noblesse dans l’ancienne monarchie et de quelle manière elle se combinoit avec le corps politique.

La noblesse, sous la première et la seconde race de nos rois, se présentoit tout entière aux assemblées de la nation ; alors les gentilshommes jouissoient en corps, et dans leur intégrité, de tous leurs droits, droits qui tenoient au principe de la liberté par leur principe aristocratique, et au principe de l’honneur par leur côté monarchique.

Sous la troisième race, quand les états généraux succédèrent aux assemblées de mars et de mai, la noblesse se contenta d’envoyer des députés à ces états : alors elle ne jouit plus en corps de la plénitude de ses droits. La moitié de ces droits, ceux qui tenoient au principe de liberté, les droits républicains ou aristocratiques, furent transmis par elle à ses représentants, tandis qu’elle continuoit de garder en corps ses droits monarchiques, c’est-à-dire ceux qui découloient du principe d’honneur. Cela duroit jusqu’à la fin des états généraux, où, la mission des représentants de la noblesse venant à finir, cette noblesse réunissoit de nouveau ses deux principes et les droits dérivés de ces deux sources.

Eh bien, la seule chose qui, sous le rapport de la noblesse, distingue aujourd’hui notre dernière constitution, c’est que ce qui n’arrivoit que par intervalles sous la vieille monarchie est devenu permanent dans la nouvelle.

La noblesse, représentée dans la chambre des pairs, a transmis pour toujours à cette chambre son principe de liberté, ses droits républicains et aristocratiques, tandis qu’elle reste au dehors conservatrice du principe d’honneur, fondement réel de la monarchie.

On voit par là que cette noblesse n’est point du tout incompatible avec nos nouvelles institutions ; qu’elle n’est point en contradiction avec la nature du gouvernement ; que ce gouvernement n’a pu ni dû la détruire ; qu’il a seulement divisé les éléments qui la composoient, séparé son double principe, et que la noblesse subsiste à la fois dans la chambre des pairs comme pouvoir aristocratique, et hors de la chambre des pairs comme force monarchique.

Elle n’exerce plus ses droits politiques, parce qu’elle en a remis l’usage à la chambre des pairs, qui la représente sous les rapports républicains ; mais elle exerce tous ses droits d’honneur ; elle appuie de cette force, si grande en France, l’autorité monarchique, qui pourroit être envahie sans ce rempart.

Telle est l’action de ce corps qui vous paroît inutile, et qui n’est autre, par le fond, que celui de la chambre des pairs. Il n’y a point deux noblesses dans l’État : il n’y en a qu’une, qui se divise en deux branches, et chacune de ces branches a des fonctions distinctes et séparées.

Loin donc de nuire à l’État, cette noblesse, toute d’honneur, réduite à son principe le plus pur, est un contre-poids placé hors du centre du mouvement pour régulariser ce mouvement et maintenir l’équilibre de l’État. C’est ensuite un refuge pour tous les souvenirs, pour toutes les idées qui, ne trouvant pas leur place dans les nouvelles institutions, ne manqueroient pas de les troubler. Les gentilshommes, en maintenant le principe même de la monarchie, seront encore les conservateurs des traditions de l’honneur, les témoins de l’histoire, les hérauts d’armes des temps passés, les gardiens des vieilles chartes et les monuments de la chevalerie. Considérés seulement comme propriétaires, ces hommes, distingués par leur éducation, deviendront, comme nous le dirons bientôt, une excellente pépinière d’officiers, d’orateurs et d’hommes d’État.

Tout ceci n’est point une théorie plus ou moins ingénieuse, imaginée pour expliquer une constitution qui n’a point eu d’exemple chez les autres peuples. Il y a aussi en Angleterre une ancienne noblesse, plus fière de descendre des Bretons, des Saxons, des Danois, des Normands, des Aquitains, que d’occuper un siège dans la chambre des pairs. Cette noblesse étoit autrefois si hautaine, que nul ne pouvoit s’asseoir à la table d’un baron s’il n’étoit chevalier. Aujourd’hui elle est aussi entêtée de son blason, de ses quartiers, que les patriciens, à Rome, étoient orgueilleux de leur naissance et de leur droit d’images, jus imaginum. Le fief appartient entièrement à l’aîné, selon la coutume de Normandie. Il y a des hérauts d’armes et des rois d’armes qui tiennent registre de tous les nobles des provinces[12]. Cette noblesse détruit-elle la noblesse politique fondée dans cette même chambre des pairs ? Non ; mais elle sert à augmenter le poids et la dignité de la couronne. À Athènes même, ne considéroit-on pas ces familles de nobles qui remontoient au temps des rois ?

Une fois prouvé qu’un corps de noblesse intermédiaire peut et doit exister dans une monarchie mixte, qu’il n’y dérange aucun des ressorts politiques, on n’a pas besoin de défendre les anoblissements. Le roi d’Angleterre fait aussi des chevaliers et des baronets. Il y a une autre sorte d’anoblissement qui s’acquiert par la profession des arts libéraux, ou en vivant d’un revenu libre ; dans ce cas, l’anobli reçoit les armoiries qu’il choisit des mains du héraut d’armes. Ces récompenses du souverain ne détruisent point l’égalité devant la loi, et sont un moyen d’encourager le mérite et la vertu.

CHAPITRE XVI.
OBJECTIONS DES ROYALISTES CONTRE LA CHARTE.

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Les royalistes disent : « C’est en invoquant les progrès des lumières avec les mots de liberté et d’égalité que l’on a précipité la France dans tous les malheurs ; le nom même de constitution est odieux et presque ridicule. On ne transporte point ainsi chez un peuple le gouvernement d’un autre peuple : les gouvernements naissent des mœurs, et sont fils du temps ; restons François, et ne soyons pas Anglois ; ce qui est bon pour eux est mauvais pour nous. Nous sommes trop légers pour nous occuper sérieusement des soins publics, trop faciles à nous enflammer, trop enclins aux discours inutiles, trop peu épris du bien général, pour avoir des assemblées délibérantes. Nous aurons toujours de l’honneur, fondement de notre monarchie, mais nous n’aurons point cet esprit public qui tient à un autre principe de gouvernement. Notre position continentale même ne nous permet pas de pareilles formes politiques. Tandis que dans les deux chambres nous délibérerons sur la levée d’une armée, les ennemis arriveront à Paris. Si le roi, au contraire, dispose à son gré des soldats, il détruira quand il voudra notre prétendue constitution. »

On voit que des deux côtés nous ne dissimulons point les objections, et que nous les présentons dans toute leur force.

Nous avouerons d’abord que l’on a si étrangement abusé de ces mots, progrès des lumières, constitution, liberté, égalité, qu’il faut du courage aujourd’hui pour s’en servir dans un sens raisonnable. Les plus énormes crimes ont été commis, les doctrines les plus funestes se sont répandues au nom des lumières. Le ridicule et l’horreur sont venus s’attacher à ces phrases philosophiques, prodiguées sans mesure par des libellistes et des assassins. On a égorgé les blancs pour prouver la nécessité d’affranchir les noirs : la raison a servi à détrôner Dieu, et le perfectionnement de l’espèce humaine nous a fait descendre au-dessous de la brute.

Mais, d’un autre côté, n’avons-nous pas reçu une autre leçon ? Pour nous sauver des systèmes d’une philosophie mal entendue, nous nous sommes précipités dans les idées opposées. Qu’en est-il advenu ? Qui voudroit, qui oseroit aujourd’hui vanter le pouvoir arbitraire ? Les excès d’un peuple soulevé au nom de la liberté sont épouvantables, mais ils durent peu, et il en reste quelque chose d’énergique et de généreux. Que reste-t-il des fureurs de la tyrannie, de cet ordre dans le mal, de cette sécurité dans la honte, de cet air de contentement dans la douleur et de prospérité dans la misère ? La double leçon de l’anarchie et du despotisme nous enseigne donc que c’est dans un sage milieu que nous devons chercher la gloire et le bonheur de la France. Prenons-y garde, d’ailleurs : si, exaspérés par le souvenir de nos maux, nous les attribuons tous aux lumières, on nous dira que la dévastation du Nouveau Monde, les massacres de l’Irlande et ceux de la Saint-Barthélemy ont été causés par la religion : que si Louis XVI a été traîné à l’échafaud par des philosophes, Charles Ier y a été conduit par des fanatiques. Cette manière de raisonner de part et d’autre ne vaut donc rien : ce qui est bon reste bon, indépendamment du mauvais usage que les hommes en ont pu faire.

Cette difficulté sur les mots une fois écartée, venons au fond des objections.

On dit : « Les gouvernements sont fils des mœurs et du temps. Restons François ; ne transportons point chez nous les institutions d’un autre peuple, bonnes pour eux, mauvaises pour nous, »

Il y a ici une grande erreur. Il ne faut pas s’imaginer du tout que la forme actuelle de notre gouvernement soit une chose absolument nouvelle pour nous ; que de plus elle ait été inventée par les Anglois, et qu’avant eux personne n’avoit songé qu’il pût exister un gouvernement participant des trois pouvoirs, monarchique, aristocratique et démocratique.

D’abord, tous les anciens ont pensé que le meilleur gouvernement possible seroit celui qui réuniroit ces trois pouvoirs. C’étoit l’opinion de Pythagore et d’Aristote. « Je conclus avec Platon, dit Cicéron, que la meilleure forme de gouvernement est celle qui offre l'heureux mélange de la royauté, de l’aristocratie et de la démocratie[13]. » C’étoit ce qu’avoit fait Lycurgue[14] à Sparte. Écoutons Polybe : « Le plus parfait de tous les gouvernements ne seroit-il pas celui dont les pouvoirs se serviroient de contre-poids, où l’autorité du peuple réprimeroit la trop grande puissance des rois, et où un sénat choisi mettroit un frein à la licence du peuple[15] ? »

Tacite partageoit cette opinion : il pensoit, à la vérité, qu’un tel gouvernement étoit si parfait, qu’il ne pouvoit exister chez les hommes[16]. Mais nous avons fait remarquer ailleurs qu’il avoit été réservé au christianisme de réaliser ce beau songe des plus grands génies de l’antiquité[17]. En effet, le gouvernement représentatif est né des institutions chrétiennes.

Des autorités imposantes ne prouveroient pas que des peuples doivent renverser leur gouvernement, lorsqu’il est établi, pour en prendre un plus parfait ; mais quand ces peuples ont changé de constitution au milieu d’une révolution violente, si la nouvelle constitution se trouve être dans les formes regardées comme les plus belles, par un Lycurgue, un Aristote, un Platon, un Polybe, un Tacite, cela doit donner de la confiance : on peut croire qu’on ne s’est pas tout à fait trompé.

Montesquieu, après avoir fait un éloge pompeux du gouvernement anglois, prétend qu’on en découvre l’origine chez les Germains peints par Tacite[18], et que ce beau système a été trouvé dans les bois.

S’il en est ainsi, en l’adoptant aujourd’hui, nous ne ferions nous-mêmes, comme les Anglois, que reprendre le gouvernement de nos pères ; mais soit qu’il vienne des Francs, nos aïeux, soit qu’il ait été produit par la religion chrétienne, soit qu’il découle de ces deux sources, il est certain qu’il est conforme à nos mœurs actuelles, qu’il ne les contrarie point, et qu’il n’est point parmi nous une production étrangère.

Dans le moyen âge, toute l’Europe, excepté peut-être l’Italie et une partie de l’Allemagne, eut à peu près la même constitution : les cortès en Espagne, les états généraux en France, les parlements en Angleterre, étoient fondés sur le système représentatif. L’Europe, marchant d’un pas égal vers la civilisation, seroit arrivée pour tous les peuples à un résultat semblable, si des causes locales et des événements particuliers n’avoient dérangé l’uniformité du mouvement.

La France eut à repousser des invasions, sa noblesse périt presque tout entière aux champs de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. Des armées régulières, établies de bonne heure par nos rois, achevèrent de rendre les gentilshommes inutiles, sinon comme chefs, du moins comme soldats. Les fiefs, par suite du renversement des fortunes, commencèrent à tomber dans les mains des roturiers. La partie aristocratique de la constitution perdant ses forces, la partie monarchique accrut les siennes. Les communes, vexées par les bizarreries de la féodalité, cherchèrent à se mettre à l’abri sous l’autorité royale. L’invariable succession de nos monarques affermissoit chaque jour les racines du trône. Une fois l’équilibre rompu, le gouvernement représentatif cessa de suivre sa direction naturelle. Au lieu de se fixer et de se régulariser, comme en Angleterre, il se désunit, et laissa prédominer la couronne. Les états généraux, rarement convoqués, et toujours dans des moments de troubles, voulurent profiter de ces moments pour ressaisir leurs droits, et commencèrent à ne paroître plus que des corps turbulents et dangereux : sachant qu’ils seroient bientôt dissous, ils se hâtoient de tout envahir, dans l’espoir de conserver quelque chose. Cette conduite acheva de les discréditer. S’ils avoient été appelés à des époques fixes, ils n’auroient pas montré cette jalousie ; et, au lieu de ne songer qu’à eux-mêmes, ils se seroient occupés de l’État. Tout se resserra donc autour d’un trône éclatant qu’occupoient tour à tour les meilleurs et les plus grands princes, tandis qu’une autre partie du pouvoir des états généraux tomboit entre les mains du parlement de Paris.

Ce corps puissant s’étoit élevé lentement et en silence : d’abord ambulant, ensuite sédentaire à Paris, il avoit acquis, par son intégrité et ses lumières, une considération méritée. Dès son origine il avoit sapé les fondements de la féodalité et circonscrit les juridictions seigneuriales. La cour des pairs, laïques et ecclésiastiques, qui formoit la haute cour ou le grand conseil du roi, se réunissoit au parlement dans les causes importantes, avec les princes du sang, et quelquefois avec le roi même. Cette réunion donna au parlement quelque chose de la composition des états généraux. Ceux-ci n’étant convoqués que de loin à loin, le peuple s’habitua à regarder le parlement comme le corps qui les remplaçoit dans l’intervalle des sessions. Le droit de remontrance fit entrer dans ce corps une partie du droit public relatif à la levée des impôts. Ainsi croissant en renommée par la vertu, la science et la gravité de ses magistrats, par la sagacité de ses décisions, le parlement se trouva peu à peu investi d’une puissance politique d’autant plus respectable, qu’elle étoit jointe à la puissance judiciaire. À l’époque des troubles de la Ligue, placé à la tête d’une faction, il exerça presque toutes les fonctions des états généraux, et décida des droits de Henri IV à la couronne. Les états généraux convoqués sous Louis XIII n’ayant rien produit, et Richelieu ayant achevé la ruine du pouvoir aristocratique, le parlement resta seul chargé de défendre le peuple contre la couronne, et une véritable révolution fut accomplie dans l’État. On a pu reprocher aux parlements quelques erreurs ; mais ces erreurs ne peuvent balancer les services qu’ils ont rendus à la France : ils l’ont éclairée dans les temps de ténèbres, défendue contre la barbarie féodale, et, après l’érection de la monarchie absolue sous Louis XIV, ils ont été, de fait, les seuls représentants, et souvent les représentants courageux de nos libertés.

L’Angleterre, partie du même but, arriva à un autre terme. Ses guerres d’Écosse n’étoient rien pour elle et ne menaçoient point son existence ; ses guerres de France, soutenues par des François, furent heureuses. Rassurée contre les dangers du dehors, elle put s’occuper au dedans de son administration politique. Les querelles de ses rois affoiblirent la puissance monarchique et fortifièrent la partie aristocratique du gouvernement. La noblesse demeura longtemps souveraine : ce ne fut que sous le règne de Henri VII que les comtés, jusque alors héréditaires, se changèrent en titre de dignité. L’autorité militaire des gentilshommes ne diminua presque point, parce qu’on ne fut point obligé d’avoir de bonne heure, comme en France, des troupes disciplinées. Le génie d’Alfred, perpétué dans l’institution des jurés, avoit fait entrer par l’ordre judiciaire les idées démocratiques dans le principe de l’État. Le gouvernement féodal, inconnu des Saxons, introduit en Angleterre par la conquête des Normands, n’y jeta jamais de profondes racines. Plus tard, Édouard III renonça à la langue françoise, ordonna que les actes publics fussent écrits en anglois, et fit revivre ainsi une partie de l’ancien esprit des Germains.

Le parlement (autrement les états généraux) conserva pour toutes ces causes son autorité primitive : souvent assemblé, bientôt il ne fut plus possible au monarque de marcher sans lui. L’orgueil des grands barons anglois fit que le conseil du roi, ou la chambre des pairs, des barons, des lords (ce qui est la même chose sous différents noms), ne se mêla point aux chevaliers ou simples gentilshommes dans les assemblées de la nation. Les communes, appelées par Leicester, sous Henri VIII, à ces assemblées, se réunirent aux chevaliers, après en avoir été séparées quelque temps. Ainsi se formèrent dans le parlement d’Angleterre deux chambres distinctes, tandis qu’en France l’égalité des gentilshommes, pauvres ou riches, ne permit point à la noblesse de se diviser en deux corps, et nos états généraux, délibérant en commun bien qu’ils votassent par ordre, se trouvèrent avoir manqué l’établissement de la balance de leurs pouvoirs.

Enfin la révolution religieuse produite par la violence de Henri VIII diminua l’influence de l’ordre du clergé dans la chambre des lords. Le pouvoir aristocratique, affoibli à son tour par cet événement, vit par ce même événement s’augmenter le pouvoir démocratique dans la chambre des communes. À peu près égales en force, les trois puissances de la monarchie primitive s’attaquèrent, et en vinrent à une lutte sanglante, sous les règnes malheureux des Stuarts : aucune des trois n’étant parvenue à opprimer les deux autres, la constitution des Anglois sortit de ce terrible et dernier combat.

Ainsi, nous avons eu autrefois le môme gouvernement que l’Angleterre ; et nous conservons en nous, comme elle les avoit en elle-même, tous les principes de son gouvernement actuel. Voltaire observe très-bien quelque part que le parlement d’Angleterre n’est autre chose qu’une imitation perfectionnée de nos états généraux ; et d’Aguesseau dit, avec autant de fondement, que l’on retrouve toutes nos lois dans les vieilles lois de la Grande-Bretagne.

Dans des questions de cette importance et de cette nature, il faut marcher le flambeau de l’histoire à la main : c’est le moyen de se guérir de beaucoup de préventions et de préjugés. Il n’est donc pas question dans tout ceci de se faire Anglois ; l’Europe, qui penche avec nous vers un système de monarchie modérée, ne se fera pas angloise : ce que l’on a, ce que l’on va avoir est le résultat naturel des anciennes monarchies. L’Angleterre a devancé la marche générale d’un peu plus d’un siècle, voilà tout.

CHAPITRE XVII.
SUITE DES OBJECTIONS.
QUE NOUS AVONS ESSAYÉ INUTILEMENT DE DIVERSES CONSTITUTIONS. QUE NOUS NE SOMMES PAS FAITS POUR DES ASSEMBLÉES DÉLIBÉRANTES.

On se récrie avec une sorte de justice sur la multitude de nos constitutions ; mais est-ce une raison pour ne pas en trouver une qui nous convienne ? Combien de fois les Anglois en changèrent-ils avant d’arriver à celle qu’ils ont aujourd’hui ? Le rump, le conseil des officiers de Cromwell, les différentes sectes religieuses, enfantoient chaque jour des institutions politiques, que l’on se hâtoit de proclamer comme des chefs-d’œuvre : cela a-t-il rendu ridicule leur dernière constitution et nui à son excellence et à son autorité ?

Nous ne sommes pas faits, ajoute-t-on, pour des assemblées délibérantes. Mais n’en avons-nous jamais eu, de ces assemblées ? Autre erreur historique, plus frappante encore que la première. Nos pères étoient-ils moins ardents que nous ? Ces Francs, qu’Anne Comnène vit passer à Constantinople, qui étoient si impétueux, si vaillants, qui ne pouvoient consentir à se tenir découverts devant Alexis ; ces Francs irascibles, impatients, volontaires, n’avoient-ils pas des conseils de baronnie, des assemblées de province, des états-généraux de la langue d’oil et de la langue d’oc ? Lorsque, sous Philippe de Valois, s’éleva la querelle entre les juridictions seigneuriales et ecclésiastiques, vit-on jamais rien de plus grave que ce qui se passa alors ? C’étoient pourtant les deux premiers ordres de la monarchie qui, dans toute leur puissance, luttoient pour leurs privilèges. La cause fut plaidée devant Philippe : Pierre de Cugnières, chevalier, personnage vénérable, tenant à la fois à la robe et à l’épée, pour mieux convenir aux deux hautes parties contendantes, portoit la parole en qualité d’avocat général et de conseiller du roi. Cette première réclamation du droit civil contre le droit canonique produisit dans la suite l’appel comme d’abus, sauvegarde de la justice : dans le temps des bonnes mœurs, tout fait naître les bonnes lois. On admira dans cette grande affaire la piété et la justice du roi, la respectueuse hardiesse de l’orateur de la partie civile et la dignité du clergé. Ce fut un beau spectacle que celui de ces prélats et de ces chevaliers jurant sur leurs croix et sur leurs épées de s’en rapporter à l’intégrité du roi, plaidant la cause de la religion et de la noblesse devant un monarque fils aîné de l’Église et le premier comme le plus ancien gentilhomme de son royaume.

Quatre ou cinq siècles plus haut, nous trouvons ces mêmes François délibérant aux assemblées de Mars et de Mai ; et, pour que nous n’en puissions douter, le temps nous a transmis leurs décisions dans le recueil des Capitulaires. Plus haut encore, nous les verrons fixant par les lois gombette, allemande, ripuaire et salique, le tarif des blessures. Leur terrible justice consistoit alors à imposer leur épée : ils parloient éloquemment sur ce droit public de leur façon. Ils discutoient sur la longueur, la largeur et la profondeur de la plaie : s’ils avoient fait tomber une partie du crâne d’un homme, ils consentoient à payer quelques sous d’or ; plus si cet homme étoit Franc, moins s’il étoit Romain ou Gaulois. Mais il falloit que l’os abattu en valût la peine, et que lancé à travers un espace de douze pas, il fît résonner un bouclier. Enfin, dans les forêts de la Germanie, nous apercevons nos pères délibérant autour d’une épée nue, plantée au milieu du Mallus, ou décidant de la paix ou de la guerre, la coupe à la main : « alors que le cœur, dit Tacite, ne peut feindre, et qu’il est disposé aux entreprises généreuses ».

Pourquoi donc le peuple, qui a toujours parlé et délibéré en public dans les temps de sa barbarie, comme à l’époque de sa civilisation, qui a produit des ministres et des magistrats comme Suger, Nogaret, Pierre de Cugnières, Sully, L’Hospital, de Thou, Mathieu Molé, Lamoignon, d’Aguesseau ; des publicistes comme Bodin et Montesquieu ; des orateurs comme Massillon et Bossuet, n’entendroit-il rien aux lois et à l’éloquence ? Enfin, n’avons-nous pas déjà vingt-cinq années d’expérience ? Et n’est-ce rien, pour un peuple comme celui-ci, qu’un quart de siècle ? Quelques-uns de nos ministres actuels ont paru à la tribune avec éclat, et connoissent tous les fils qui font mouvoir le corps politique. Nos erreurs passées nous serviront de leçons ; nous en avons déjà la preuve dans la modération et le bon esprit des deux chambres.

CHAPITRE XVIII.
SUITE DES OBJECTIONS. NOTRE POSITION CONTINENTALE.

« Notre position continentale nous oblige à avoir une nombreuse armée : si cette armée dépend des chambres, nous serons envahis avant que les chambres aient délibéré ; si la couronne dispose des soldats, la couronne peut opprimer les deux chambres. »

Cette objection, la plus spécieuse de toutes, se résout comme celle de l’opposition, par la puissance de l’opinion. Croit-on de bonne foi que si l’ennemi étoit sur la frontière, les chambres pussent refuser une armée au roi ; que des propriétaires voulussent se laisser envahir ? Loin de se rendre populaires par ce refus, elles soulèveroient contre elles la nation. Chez un peuple si sensible à l’honneur, si épris de la gloire des armes, la foule passeroit à l’instant dans le parti de la couronne, et la constitution seroit anéantie. D’ailleurs une invasion est-elle si subite, si imprévue, que l’on n’en ait pas reçu des avis longtemps d’avance ? Est-ce avec une poignée de soldats qu’une nation voisine entreroit en France ? N’auroit-elle pas été obligée de rassembler des troupes, de les faire marcher ; n’aurions-nous rien su de ses mouvements et de ses préparatifs ?

Toutefois, comme il ne s’agit point d’imiter les Anglois, de se laisser dominer par des systèmes, d’adopter entièrement une constitution, sans égard aux habitudes, aux mœurs, à la position d’un peuple, comme si le même vêtement convenoit à tous les hommes, il est évident qu’il faut laisser au pouvoir exécutif en France une bien plus grande force qu’en Angleterre. Le roi doit être plus libre dans ses mouvements, parce que la France est plus grande, plus exposée aux combinaisons de la politique extérieure. L’Angleterre n’a rien à craindre pour son existence d’un ennemi étranger ; mais en France, il peut survenir une guerre qui mette l’État en péril. Beaucoup d’intérêts que l’on soumet à la discussion publique chez nos voisins demandent parmi nous du secret, et ne pourroient être débattus sans danger dans nos deux chambres. En France, il est essentiel de regarder toujours à deux choses : au gouvernement du dedans et aux affaires du dehors. Tandis qu’on se livreroit à des abstractions poli- tiques, et qu’on auroit l’œil fixé sur les astres, on pourroit tomber dans un abîme. Pour prévenir ce malheur, il faut que le trône, placé comme un bouclier devant nous, nous garantisse de tous les coups qu’on voudroit nous porter : il faut qu’il soit en avant-garde de la nation ; qu’environné d’éclat et de dignité, il en impose par sa puissance et par sa splendeur. L’autorité du roi doit être dégagée de beaucoup d’entraves pour agir avec vigueur et rapidité ; elle doit avoir, dans certains cas, quelque chose de la dictature à Rome ; et c’est surtout dans ce moment que nous devons tendre à augmenter le pouvoir monarchique, à l’investir de toute la force nécessaire au salut de l’État. Notre monarchie, toute libre au dedans, doit rester toute militaire au dehors. En Angleterre, l’armée est presque une affaire de luxe ; en France, c’est une chose de première nécessité. C’est par cette raison que le militaire et la noblesse auront toujours dans notre France une tout autre considération que celle dont ils jouissent en Angleterre. Chez nos voisins, un riche brasseur de bière, un manufacturier opulent, peuvent paroître à la patrie aussi dignes des places et des honneurs qu’un capitaine, parce qu’en effet ils sont autant, et plus que lui, nécessaires à la prospérité commune ; mais en France le soldat qui nous met à l’abri de la conquête, qui nous garantit du joug étranger, est un homme qui non-seulement exerce la profession la plus noble, mais qui suit encore la carrière la plus utile à l’État. De là doivent naître des différences essentielles dans l’opinion des deux pays, et conséquemment des différences considérables dans les institutions politiques. L’air bourgeois ne convient point à notre liberté ; et les François ne la suivront qu’autant qu’elle saura cacher son bonnet sous un casque.

Mais ceci nous ramène à la seconde partie de l’objection. Si vous donnez, dit-on, au roi une pareille force, il détruira la liberté et opprimera les deux chambres.

Ce seroit sans doute un grand malheur si notre nouveau gouvernement plaçoit continuellement la France entre la servitude et la conquête, mais il n’en est pas ainsi. Le roi peut être absolu pour les affaires du dehors, sans être oppresseur au dedans. L’opinion publique vient encore ici à notre secours. Dans l’état actuel des choses, on ne pourroit faire impunément violence aux députés : à l’instant l’impôt seroit suspendu ; il faudroit, pour le lever, autant de régiments que de villages, autant d’armées que de provinces. Nous n’attribuons rien de trop ici à l’opinion. Elle est si puissante que Montesquieu n’a pas craint d’en faire le seul principe de la monarchie : la liberté est un principe, un fait ; mais l’honneur n’est que la plus belle des opinions. Il a eu raison, Montesquieu ; et l’opinion a toujours tout fait en France. Nous en avons une preuve aussi noble qu’éclatante : tout esclave en mettant le pied sur le sol françois est libre. Est-ce en vertu d’une loi positive ? Non, c’est en vertu de l’opinion ; et cette opinion, transformée en coutume, a force de loi devant les tribunaux.

Sous l’ancienne monarchie l’opinion tenoit pour ainsi dire lieu de charte. Un couplet, une plaisanterie, une remontrance, arrêtoient, comme par enchantement, les entreprises du pouvoir. Tout devenoit un frein contre l’autorité absolue, jusqu’à la politesse de nos mœurs. Pourquoi donc cette opinion, si puissante autrefois, auroit-elle perdu sa force ? Pourquoi ne seroit-elle plus rien, précisément parce qu’elle peut s’exprimer avec plus de liberté ? Mais il n’en est pas ainsi : nous voyons tous les jours qu’un article de gazette fait nos craintes et nos espérances.

Il est aisé, dira-t-on, de se tirer d’affaire en répondant par des dénégations, en disant : « Cela n’arrivera pas ; » en se jetant dans de grands raisonnements sur l’opinion. Comme l’avenir n’est pas là pour vous démentir, on peut sortir ainsi d’embarras, mais on ne fait pas naître la conviction.

Nous comprendrions cette réplique si elle nous étoit faite par d’autres que par ceux qui pourroient nous l’adresser ; car, que disent ces personnes quand on attaque l’ancien ordre de choses, quand on leur soutient, par exemple, qu’aucun homme n’étoit à l’abri d’un coup d’État, de la violence d’un ministre ? Elles répondent que cela n’arrivoit pas, et que l’opinion s’opposoit à ces actes arbitraires du pouvoir. Elles ont raison de répondre ainsi, et leur réponse est fort bonne ; mais alors elles doivent trouver juste qu’on oppose à leur attaque les mêmes armes et qu’on se couvre du même bouclier. Remarquez qu’il ne seroit pas question, dans le cas qu’on nous propose, d’un fait obscur, d’une persécution individuelle et presque ignorée : il ne s’agiroit rien moins, que des deux chambres refusant une armée au roi, ou du roi faisant marcher des soldats contre les deux chambres. Certes, si l’opinion peut avoir une influence prononcée, c’est dans un moment pareil.

Au reste, il y a des choses qui ne peuvent être appuyées de démonstrations mathématiques, et qui n’en restent pas moins prouvées. Tout n’est pas positif dans la science du gouvernement : le système des finances en Angleterre ne repose-t-il pas sur une fiction ? Il y a des mystères de politique, comme il y a des mystères de religion ; le jeu des constitutions, leur marche, leur influence, sont d’une nature inexplicable. Combinés avec les mœurs, les passions et les événements, les corps politiques, attirés, repoussés, balancés, combattus, produisent des effets que toute la sagacité humaine ne peut calculer. Ce vague, cette incertitude, ces grandes choses qui ne produisent rien, ces petites causes d’où sortent tant de grands résultats, ces illusions, cette puissance de l’opinion si souvent trompeuse, se retrouve dans tout ce qui touche aux gouvernements, dans tout ce qui prend place dans l’histoire. Par exemple, n’est-on pas toujours tenté de supposer des talents supérieurs à l’homme qui joue un rôle extraordinaire ? Souvent cet homme est moins que rien ; la gloire a ses méprises comme la vertu. Il y a des temps surtout où la fortune célèbre ses fêtes ; espèces de saturnales où l’esclave s’assied sur le trône du roi. Quand on vient à regarder de près les hommes qui conduisent le monde dans ces temps de délire, on demeure plus étonné de leur néant qu’on n’étoit surpris de leur existence, on est frappé du peu de talent qu’il faut pour décider du sort des empires, et l’on reconnoît qu’il y a dans les affaites humaines quelque chose de fatal et de secret qu’on ne sauroit expliquer.

CHAPITRE XIX.
S’IL SEROIT POSSIBLE DE RÉTABLIR L’ANCIENNE FORME DE GOUVERNEMENT.

Enfin, quand les objections contre le nouvel ordre de choses seroient aussi fortes qu’elles nous semblent peu solides, voici qui répond à tout : on ne peut pas faire que ce qui est ne soit pas, et que ce qui n’est pas existe. Le roi nous a donné une charte : notre devoir est donc de la soutenir et de la respecter. Il y a d’ailleurs aujourd’hui une opinion générale qui domine toutes les opinions particulières : c’est l’opinion européenne, opinion qui oblige un peuple de suivre les autres peuples. Quand de toutes parts tout s’avance vers un but commun, il faut, bon gré, mal gré, se laisser aller au cours du temps.

Avant la découverte de l’imprimerie, lorsque l’Europe étoit sans chemins, sans postes, presque sans communications ; lorsqu’il étoit difficile et dangereux d’aller de Paris à Orléans, parce que le seigneur de Montlhéry, un Montmorency, faisoit la guerre au roi de France, ce qui se passoit dans un pays pouvoit rester longtemps ignoré dans un autre. Mais aujourd’hui qu’une nouvelle arrive en quinze jours de Pétersbourg à Paris ; que l’on reçoit en quelques minutes aux Tuileries une dépêche de Strasbourg et même de Milan ; que toutes les nations se connoissent, se sont mêlées, savent mutuellement leur langue, leur histoire ; que l’imprimerie est devenue une tribune toujours ouverte, où chacun peut monter et faire entendre sa voix, il n’est aucun moyen de s’isoler et d’échapper à la marche européenne.

Les hommes ont mis en commun un certain nombre de connoissances que vous ne pouvez plus leur retirer. Le roi l’a jugé ainsi, parce qu’il est profondément éclairé, et il nous a donné la Charte. Est-ce donc parce que nous manquions autrefois d’une constitution ? Non, sans doute. Eh ! pourquoi n’aurions-nous pas eu de constitution ? Parce qu’elle n’étoit pas écrite ? La constitution de Rome et celle d’Athènes l’étoient-elles ? Seroit-il même exactement vrai de dire que celle dont l’Angleterre jouit actuellement est une constitution écrite ? Certes, il seroit fort extraordinaire que la France eût existé comme nation pendant douze cents ans sans gouvernement et sans lois. L’ancienne constitution de la monarchie étoit excellente pour le temps : Machiavel, qui s’y connoissoit, en fait l’éloge. Rien n’étoit plus parfait que la balance des trois ordres de l’État tant que cette balance ne fut point rompue. Rien de plus admirable et de plus complet que les ordonnances des rois de France ; là se trouvent consacrés tous les principes de nos libertés. Il n’y a peut-être pas un seul cas d’oppression qui n’y soit prévu, et auquel nos monarques n’aient essayé d’apporter remède. Il est bien remarquable que les anciens troubles de la France aient eu pour cause des guerres étrangères et des opinions religieuses, et que jamais ces troubles n’aient été produits par l’ordre politique.

Les hommes dans l’ancienne France étoient classés moins par les divisions politiques que par la nature de leurs devoirs : ainsi, le premier ordre de l’État étoit celui qui prioit Dieu pour le salut de la patrie et qui soulageoit les malheureux. Cette fonction étoit regardée comme la plus sublime, et elle l’étoit en effet. Le guerrier suivoit le prêtre, parce que l’homme qui verse son sang pour la défense de la patrie, et dont le métier est de mourir, est un homme plus noble que celui qui s’est consacré à des travaux mécaniques. Remarquez qu’au temps de la féodalité, les vassaux allant à la guerre, il en résultoit que le laboureur étoit soldat : aussi, dans nos opinions, l’épée et le soc de la charrue étoient nobles, et le gentilhomme ne dérogeoit point en labourant le champ de son père. Les communes venoient ensuite, et s’occupoient des arts utiles à la société. On ne sauroit croire à combien de vertus cette division dans l’ordre des devoirs étoit favorable, à quels sacrifices elle condamnoit le prêtre, à quelle générosité, à quelle délicatesse dans les sentiments elle forçoit le gentilhomme, tandis qu’elle entretenoit dans la classe la plus nombreuse la fidélité, la probité, le respect des lois et des mœurs. C’est ce qui a fait, n’en doutons point, la longue existence de l’ancienne monarchie.

Malheureusement ce bel édifice est écroulé. Il ne s’agit pas de savoir s’il étoit plus solide et plus parfait que celui qu’on vient d’élever ; si l’ancien gouvernement, fondé sur la religion comme les gouvernements antiques, produit lentement par nos mœurs, notre caractère, notre sol, notre climat, éprouvé par les siècles, n’étoit pas plus en harmonie avec le génie de la nation, plus propre à faire naître de grands hommes et des vertus que le gouvernement qui le remplace aujourd’hui. Il n’est pas question d’examiner encore si ce qu’on appelle le progrès des lumières est un progrès réel ou une marche rétrograde de l’esprit humain, un retour vers la barbarie, une véritable corruption de la religion, de la politique et du goût. Tout cela peut se soutenir : ceux qui prendroient en main cette cause ne manqueroient pas de raisons puissantes et surtout de sentiments pathétiques pour justifier leur opinion. Mais il faut dans la vie partir du point où l’on est arrivé. Un fait est un fait. Que le gouvernement détruit fût excellent ou mauvais, il est détruit ; que l’on ait avancé, que l’on ait reculé, il est certain que les hommes ne sont plus dans la place où ils se trouvoient il y a cent ans, bien moins encore où ils étoient il y a trois siècles. Il faut les prendre tels qu’ils sont, et ne pas toujours les voir tels qu’ils ne sont pas et tels qu’ils ne peuvent plus être : un enfant n’est pas un homme fait, un homme fait n’est pas un vieillard.

Quand nous voudrions tous que les choses fussent arrangées autrement qu’elles le sont, elles ne pourroient l’être. Déplorons à jamais la chute de l’ancien gouvernement, de cet admirable système dont la durée seule fait l’éloge ; mais enfin notre admiration, nos pleurs, nos regrets ne nous rendront pas Du Guesclin, La Hire et Dunois. La vieille monarchie ne vit plus pour nous que dans l’histoire, comme l’oriflamme que l’on voyoit encore toute poudreuse dans le trésor de Saint-Denis sous Henri IV : le brave Crillon pouvoit toucher avec attendrissement et respect ce témoin de notre ancienne valeur ; mais il servoit sous la cornette blanche triomphante aux plaines d’Ivry, et il ne demandoit point qu’on allât prendre au milieu des tombeaux l’étendard des champs de Bouvines.

Nous avons montré ailleurs[19] que les éléments de l’ancienne monarchie ont été dispersés par le temps et par nos malheurs : l’esprit du siècle a pénétré de toutes parts ; il est entré dans les têtes et jusque dans les cœurs de ceux qui s’en croient le moins entachés.

Il y a plus : si ceux qui pensent, sans y avoir bien réfléchi, qu’il est possible de rétablir l’ancien gouvernement, obtenoient la permission de tenter cet ouvrage, nous les verrions bientôt, perdus dans un chaos inextricable, renoncer à leur entreprise. D’abord, pas un d’entre eux ne désireroit remettre les choses absolument telles qu’elles étoient : autant de provinces, autant d’avis, de prétentions, de systèmes ; on voudroit détruire ceci, conserver cela ; chacun iroit, à main armée, demander à son voisin compte de sa propriété.

Se représente-t-on ce que deviendroit la France le jour où l’on remettroit en vigueur les ordonnances relatives aux preuves de noblesse exigées des officiers de l’armée ? Supposons encore que le roi régnant seul, et ayant toujours à payer 1700 millions de dettes, sans compter les dépenses courantes, eût dit à son ministre des finances de lui présenter un plan ; que le ministre eût formé son plan tel que nous l’avons vu ; que, sans pouvoir expliquer ses raisons, sans pouvoir entrer dans la discussion publique de ses moyens, le ministre, muni d’un arrêt du conseil, eût voulu mettre ce plan à exécution : nous demandons encore ce que seroit devenue la France. Le parlement de Paris, forcé à l’enregistrement, n’auroit-il fait aucune remontrance ? Les parlements des provinces n’auroient-ils point élevé la voix ? Les pays d’états n’auroient-ils point réclamé ? La noblesse et le clergé n’auroient-ils point fait valoir leurs privilèges ? Les peuples, toujours disposés à refuser l’impôt, émus par toutes ces oppositions, ne se seroient-ils point révoltés ? Une pareille résistance au moment où un levain de discorde fermentoit encore parmi nous nous auroit, n’en doutons point, précipités dans une nouvelle révolution. Eh bien, grâce à la Charte, le budget discuté dans les deux chambres a semblé nécessaire par le fait, ingénieux dans ses ressources : il a passé paisiblement ; et le peuple, satisfait d’avoir été consulté dans ses représentants, s’est soumis à des impôts qui jadis l’auroient soulevé d’un bout à l’autre de la France.

Mais il y a dans le nouvel ordre de choses des personnes qui vous déplaisent, qui vous semblent odieuses. Eh bien, elles passeront, la France restera. Les esprits, après une révolution, sont lents à se calmer. On se rappelle d’avoir vu tel homme dans telle circonstance : on ne peut se persuader que cet homme soit devenu un bon citoyen, qu’il puisse être employé utilement. C’est un mal inévitable ; mais ce mal ne doit pas faire renoncer au bien de la patrie. En 1605 Henri IV partoit pour le Limousin ; il y avoit déjà seize années qu’il étoit monté sur le trône, et pourtant Malherbe lui disoit :

Un malheur inconnu glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes :
La plupart de leurs vœux tendent au changement ;
Et comme s’ils vivoient des misères publiques,
Pour les renouveler ils font tant de pratiques,
Que qui n’a point de peur n’a point de jugement.
Nous voyons les esprits nés à la tyrannie,
Ennuyés de couvrir leur cruelle manie,
Tourner tous leurs conseils à notre affliction ;
Et lisons clairement dedans leur conscience
Que s’ils tiennent la bride à leur impatience,
Nous n’en sommes tenus qu’à sa protection (d’Henri IV).

Qu’il vive donc. Seigneur, et qu’il nous fasse vivre !

Après la restauration de Charles II en Angleterre, les esprits restèrent agités. Le premier moment de joie une fois passé, les hommes qui avoient suivi des principes opposés dans le cours de la révolution continuèrent à se haïr. Les whigs et les tories descendirent de ces factions. Il y avoit même quelques furieux qui regardoient les régicides condamnés comme des martyrs de la bonne vieille cause, « of the old good cause ». Ils prétendoient qu’à leur mort Harrison, Cook et Peter avoient été très-certainement revêtus du Seigneur, « cloathed with the Lord ». Ils n’étoient couverts que du sang de leur roi.

Concluons de tout ceci que ceux qui regrettent l’ancien gouvernement doivent s’attacher au nouveau, parce qu’il est très-bon en soi, parce qu’il est le résultat obligé des mœurs du siècle, parce qu’enfin la fatale nécessité a détruit l’autre, et qu’on ne se soustrait point à la nécessité.

CHAPITRE XX.
QUE LE NOUVEAU GOUVERNEMENT EST DANS L’INTÉRÊT DE TOUS. SES AVANTAGES POUR LES HOMMES D’AUTREFOIS.

Il nous en a coûté beaucoup pour démontrer à des hommes dignes de tous les respects qu’ils ne peuvent pas obtenir ce qu’ils désirent. Nous regrettons peut-être autant et plus qu’eux ce qui a cessé d’exister ; mais enfin nous ne pouvons pas faire que le xixe siècle soit le xvie, le xve, le xive. Tout change, tout se détruit, tout passe. On doit pour bien servir sa patrie se soumettre aux révolutions que les siècles amènent, et pour être l’homme de son pays il faut être l’homme de son temps. Hé ! qu’est-ce qu’un homme de son temps ? C’est un homme qui, mettant à l’écart ses propres opinions, préfère à tout le bonheur de sa patrie ; un homme qui n’adopte aucun système, n’écoute aucun préjugé, ne cherche point l’impossible, et tâche de tirer le meilleur parti des éléments qu’il trouve sous sa main ; un homme qui, sans s’irriter contre l’espèce humaine, pense qu’il faut beaucoup donner aux circonstances, et que dans la société il y a encore plus de foiblesses que de crimes : enfin, c’est un homme éminemment raisonnable, éclairé par l’esprit, modéré par le caractère, qui croit, comme Solon, que dans les temps de corruption et de lumière il ne faut pas vouloir plier les mœurs au gouvernement, mais former le gouvernement pour les mœurs.

Notre Charte constitutionnelle a précisément ce dernier caractère ; il nous reste à montrer qu’elle est également favorable aux intérêts des sujets et du monarque.

Nous dirons à la noblesse[20] : De quoi pouvez-vous vous plaindre ? La Charte vous garantit tout ce qu’il y avoit d’essentiel dans votre ancienne existence. Si elle n’a pu faire que vous jouissiez de quelques droits depuis longtemps détruits dans l’opinion avant de l’être par les événements, elle vous assure d’autres avantages. Vous occupiez les places d’officiers dans l’armée : eh bien, vous pouvez encore les remplir ; seulement vous les partagerez avec les François qui ont reçu une éducation honorable. On ne vous fait en cela aucune injustice : il en étoit ainsi autrefois dans la monarchie. Aux yeux de nos rois, le premier titre d’un guerrier étoit la valeur. « Pour être faits chevaliers, dit du Tillet, ils ont toujours choisi le chevalier le plus renommé en prouesse et chevalerie, et non celui qui est du plus haut lignage, n’ayant égard qu’à la seule vaillance[21]. »

Autrefois, quels étoient l’espoir et l’ambition d’un gentilhomme ? De devenir capitaine après quarante années de service, de se retirer sur ses vieux jours avec la croix de Saint-Louis et une pension de 600 francs[22]. Aujourd’hui, s’il suit la carrière militaire, un avancement rapide le portera aux premiers rangs. À moins d’une étrange faveur ou d’une action extraordinaire, un cadet de Gascogne ou de Bretagne seroit-il jamais devenu sous l’ancien régime colonel, général, maréchal de France ? Si, réunissant toute sa petite fortune, il faisoit un effort pour venir solliciter quelque emploi à Paris, pouvoit-il aller à la cour ? Pour jouir de la vue de ce roi qu’il défendoit avec son épée, ne lui falloit-il pas être présenté, avoir monté dans les carrosses ? Quel rôle jouoit-il dans les antichambres des ministres ? Qu’étoit-ce, en un mot, aux yeux d’un monde ingrat et frivole qu’un pauvre gentilhomme de province ? Souvent d’une noblesse plus ancienne que celle des courtisans qui occupoient sa place au Louvre, il ne recevoit de ces enfants de la faveur que des refus et des mépris. Ce brave représentant de l’honneur et de la force de la monarchie n’étoit qu’un objet de ridicule par sa simplicité, son habit et son langage : on oublioit que Henri IV parloit gascon, et que son pourpoint étoit percé au coude.

Le temps de ces dédains est passé : dans les provinces, vous gentilshommes, vous jouirez de la considération attachée à votre famille ; à Paris, vous entrerez partout, en entrant dans le palais de vos rois. Une carrière immense et nouvelle s’ouvre pour vous auprès de cette ancienne carrière militaire qui ne vous est point fermée. Vous pouvez être élus membres de la chambre des députés : redoutables[23] à ces ministres qui vous repoussoient autrefois, vous serez courtisés par eux ; devenus pairs du royaume, appelés peut-être au timon de l’État, nouveaux chefs de votre antique famille, et patrons de votre province, ce sort éclatant sera l’ouvrage de vos propres mains. Qu’est-ce que l’ancien gouvernement pouvoit vous offrir de comparable ? Nous ne vous entretenons ici que de vos intérêts matériels ; nous ne vous parlons pas de cette gloire, partage certain de celui qui consacre ses jours à défendre le roi, à protéger le peuple, à éclairer la patrie, de celui qui soutient, avec les autels de la religion, les droits de la raison universelle, et qui combat pour les principes de cette liberté sage sans laquelle, après tout, il n’y a rien de digne et de noble dans la vie humaine.

Burnet, réfléchissant sur la révolution qui a donné à l’Angleterre cette constitution tant admirée, observe que de son temps les gentilshommes anglois avoient de la peine à s’y soumettre, trouvant mauvais que le roi ne fût pas assez roi[24]. Eh bien, ces gentilshommes qui se plaignoient alors sont les ancêtres des Pitt, des Burke, des Nelson, des Wellington ; leur roi est devenu un des plus puissants rois de la terre ; leur pays s’est élevé au plus haut degré de prospérité sous une constitution qui répugnoit d’abord à leur raison, à leurs mœurs, à leurs souvenirs.

Qui pourroit donc s’opposer, parmi nous, à la généreuse alliance de la liberté et de l’honneur ? Ces deux principes ne sont-ils pas, comme nous l’avons prouvé, ceux qui constituent essentiellement la noblesse ? Pourquoi un gentilhomme n’obtiendroit-il pas, dans l’ordre nouveau de la monarchie, toute la considération dont il jouissoit dans l’ordre ancien ? La constitution, loin de lui rien ravir, lui rend cette importance aristocratique qu’il avoit perdue, et dont les ministres du pouvoir, tantôt par ruse, tantôt par force, avoient mis tous leurs soins à le dépouiller. Excepté dans les cas si rares de l’assemblée des états généraux, quelle part la noblesse avoit-elle aux opérations du gouvernement ? N’étoit-ce pas le parlement de Paris qui exerçoit les droits politiques ! Il étoit pourtant assez dur pour l’antique corps de la noblesse de n’influer en rien dans la chose publique, de voir l’État marcher à sa ruine, sans être même appelé à donner son opinion[25]. Quelques droits féodaux tombés en désuétude valent-ils les droits politiques qui sont rendus aux gentilshommes ? Ces droits conservés par la chambre des pairs, tandis qu’ils peuvent (eux gentilshommes) entrer dans la chambre des députés, sont des biens qui compensent pour la noblesse les petits avantages de l’ancien régime, nous voulons dire de l’ancien régime tel qu’il étoit, tout affoibli et tout dénaturé à l’époque de la révolution. Rien n’empêche, après tout, un gentilhomme d’être citoyen comme Scipion, et chevalier comme Bayard : l’esclavage n’est point le caractère de la noblesse. Dans tous les temps, en mourant avec joie pour ses princes, elle a défendu respectueusement, mais avec fermeté, ses droits contre les prérogatives de la couronne. Elle redevient aujourd’hui une barrière entre le peuple et le trône, comme elle l’étoit autrefois. Lorsque Charles Ier leva l’étendard de la guerre civile, la noblesse angloise courut se ranger autour de son roi ; mais avant de combattre pour lui elle lui déclara qu’en le défendant contre les rebelles, elle ne prétendoit point servir à opprimer la liberté des peuples ; et que si l’on vouloit employer ses armées à un pareil usage, elle seroit obligée de se retirer. Ce généreux esprit anime également la noblesse françoise : nos chevaliers sont les défenseurs du pauvre et de l’orphelin. « Eh Dieu ! disoit Bertrand Du Guesclin à Charles V, faites venir avant les chaperons fourrés, c’est à savoir prélats et avocats qui mangent les gens. À telles gens doit-on faire ouvrir les coffres, et non pas à pauvres gens qui ne font que languir ? Je vois aujourd’hui advenir le contraire : car celui qui n’a qu’un peu, on lui veut tollir ; et celui qui a du pain, on lui en offre. »

Peut-être direz-vous que, dépouillés de certains hommages qu’on vous rendoit et qui vous distinguoient, vous avez perdu le caractère extérieur de la noblesse. Mais, à différentes époques, et dans diverses assemblées des états généraux, les gentilshommes avoient renoncé à d’importantes prérogatives. Ils avoient consenti à la répartition égale des impôts. Si donc les derniers états généraux se fussent séparés sans que la révolution eût eu lieu, la noblesse, privée de ses privilèges par l’abandon volontaire qu’elle en avoit fait, se fût-elle pour cela regardée comme anéantie ? Non sans doute : appliquez ce raisonnement à l’état actuel. Toutefois il nous paroîtroit nécessaire qu’à l’avenir on accordât à la noblesse, comme aux chevaliers romains, quelques-uns de ces honneurs qui annoncent son rang aux yeux du peuple ; sans quoi les degrés constitutionnels de la monarchie ne seroient point marqués, et nous aurions l’air d’être soumis au niveau du despotisme oriental. Il faut surtout que les pairs jouissent des plus grands privilèges, qu’ils aient des places désignées dans les fêtes publiques, qu’on leur rende des honneurs dans les provinces ; qu’en un mot, on reconnoisse tout de suite en eux les premiers hommes de l’État.

Au reste, comme nous ne voulons rien dire qui ne soit fondé en raison et de la plus stricte vérité, nous ne prétendons pas que tous les avantages dont nous avons parlé dans ce chapitre puissent être recueillis immédiatement. La carrière militaire, par exemple, sera quelque temps fermée, à cause du grand nombre d’officiers demeurés sans emploi, et qui doivent être préférés. Mais quel qu’eût été le gouvernement établi par la restauration, cet inconvénient auroit toujours existé. La renaissance de l’ancienne monarchie n’auroit pu ni diminuer le nombre ni effacer les droits de tant de François qui ont versé leur sang pour la patrie. Ainsi la Charte n’entre pour rien dans cet embarras du moment. D’ailleurs, comme nous l’avons fait observer en parlant de l’émigration, un très-grand nombre de gentilshommes sont déjà placés dans l’armée. Enfin, ce n’est pas toujours pour soi qu’on bâtit dans cette vie. C’est aux peuples que sont permis le long espoir et les vastes pensées.

Quant à la haute noblesse, dont nous n’avons point parlé à propos de la Charte, elle y trouve si évidemment son avantage, qu’il seroit superflu de s’attacher à le montrer. Comme c’étoit elle surtout qui avoit le plus perdu dans la destruction du pouvoir aristocratique de la France, c’est elle aussi qui gagne le plus à l’ordre de choses qui rétablit ce pouvoir. Les hommes qui portent ces noms historiques auxquels la gloire a depuis longtemps accoutumé notre oreille rentrent dans la possession de leurs droits : c’est un sort assez remarquable de servir à fonder la nouvelle monarchie dans la chambre des pairs de Louis XVIII, après avoir formé la base de l’ancienne monarchie dans la cour des pairs de Hugues Capet.

Ainsi la Charte, qui rend aux gentilshommes leur ancienne part au gouvernement, et qui les rapproche en même temps du peuple pour le protéger et le défendre, ne fait que les rappeler au premier esprit de leur ordre. Les plus hautes et les plus brillantes destinées s’ouvrent devant eux : il leur suffît, pour y atteindre, de bien se pénétrer de leur position, sans regarder en arrière, et sans lutter vainement contre le torrent du siècle.

CHAPITRE XXI.
QUE LA CLASSE LA PLUS NOMBREUSE DES FRANÇAIS DOIT ÊTRE SATISFAITE DE LA CHARTE.

Ceci n’a plus besoin d’être prouvé. Tout ce que nous avons dit le démontre suffisamment : la Charte nous fait jouir enfin de cette liberté que nous avons achetée au prix du plus pur sang de la France. Elle donne un but à nos efforts, elle ne rend pas vains tant de malheurs et tant de gloire ; en investissant l’homme de sa dignité, elle ennoblit nos erreurs. Chacun peut se justifier à ses propres yeux, chacun peut se dire : « Voilà ce que j’avois désiré. Les droits naturels sont reconnus ; tous les François appelés aux emplois civils, aux grades militaires, à la tribune des deux chambres, peuvent également s’illustrer au service de la patrie. » Ce n’est point une espérance, c’est un fait. Et tel homme qui peut se dire aujourd’hui : « Je suis pair de France sous le roi légitime, » doit trouver que la Charte est déjà une assez belle chose, et qu’il est un peu différent d’être pair sous Louis XVIII ou d’être sénateur sous Buonaparte.

Qu’auroient pu attendre les vrais républicains dans l’ordre politique que la restauration a détruit ? L’égale admission aux places, aux honneurs ? Ils en jouissent sous le roi légitime, ils n’en auroient jamais joui sous l’étranger. Déjà les distinctions les plus outrageantes étoient établies. Il étoit plus difficile d’approcher du dernier subalterne du palais que de pénétrer aujourd’hui jusqu’à la personne du monarque. Ceux qui ont voulu sincèrement la liberté doivent bénir la Charte. Pouvoient-ils raisonnablement espérer un résultat aussi heureux de leurs efforts et de nos discordes ? Quel seroit l’homme assez insensé pour rêver la république après l’expérience ? L’étendue de la France, le génie de la nation, mille souvenirs odieux ne s’opposent-ils pas d’une manière invincible à cette forme de gouvernement ? Quiconque trouveroit qu’il est esclave avec la représentation des deux chambres, qu’il est esclave avec le droit de pétition, avec l’abolition de la confiscation, avec la sûreté des propriétés, l’indépendance personnelle, la garantie contre les coups d’État, prouveroit qu’il n’a jamais été de bonne foi dans ses opinions, et qu’il ne sera jamais digne d’être libre.

CHAPITRE XXII.
QUE LE TRÔNE TROUVE DANS LA CHARTE SA SÛRETÉ ET SA SPLENDEUR.

Quant au roi, seroit-il plus le maître en vertu des anciens règlements que par la Charte qu’il nous a donnée ? D’un bout de la France à l’autre, une loi passée dans les deux chambres met à sa disposition notre vie, nos enfants, notre fortune. Qu’il parle au nom de la loi, et nous allons tous nous immoler pour lui. A-t-il à essuyer ces remontrances sans fin, souvent justes, mais quelquefois inconsidérées, quand il a besoin du plus foible impôt ? Rencontre-t-il dans toutes les provinces, dans toutes les villes, dans tous les villages, des privilèges, des coutumes, des corps qui lui disputent les droits les plus légitimes, ôtent au gouvernement l’unité d’action et la rapidité de la marche ? Derrière les deux chambres, rien ne peut l’atteindre ; uni aux deux chambres, sa force est inébranlable. Les orages sont pour ses ministres ; la paix, le respect et l’amour sont pour lui. S’il est entraîné vers la gloire militaire, qu’il demande, il aura des soldats. S’il chérit les arts et les talents, un gouvernement représentatif est surtout propre à les faire éclore. S’il se plaît aux idées politiques, s’il cherche à perfectionner les institutions de la patrie, oh ! comme tout va seconder ce penchant vraiment royal ! Et pourquoi les Bourbons seroient-ils ennemis de tout changement dans le système politique ? Celui qui vient de finir avoit-il toujours existé ? La monarchie a changé de forme de siècle en siècle.

La race auguste et immortelle des rois capétiens a vu, immobile sur ce trône, passer à ses pieds nos générations, nos révolutions et nos mœurs ; elle a survécu aux coups que nos bras parricides lui ont quelquefois portés, et elle n’en recueille pas moins dans son sein ses enfants ingrats. Nous devons tout à cette famille sacrée, elle nous a faits ce que nous sommes ; elle existoit pour ainsi dire avant nous ; elle est presque plus françoise que la nation elle-même. Sous les deux premières races, tout étoit romain et tudesque, gouvernement, mœurs, coutumes et langage. La troisième race a affranchi les serfs, institué la représentation nationale par les trois ordres, les parlements ou cours de justice, composé le code de nos lois, établi nos armées régulières, fondé nos colonies, bâti nos forteresses, creusé nos canaux, agrandi et embelli nos cités, élevé nos monuments, et créé jusqu’à la langue qu’ont parlée Du Guesclin et Turenne, Ville-Hardouin et Bossuet, Alain Chartier et Racine. Louis XVIII nous rendra florissants et heureux avec deux chambres, de môme que ses pères nous ont rendus puissants avec les états généraux. Il trouvera lui-même sa grandeur dans nos nouvelles destinées. La monarchie renaît dans ses antiques racines, comme un lis qui a perdu sa tige pendant la saison des tempêtes, mais qui sort au printemps du sein de la terre : ex omnibus floribus orbis elegisti tibi lilium unum[26].

CHAPITRE XXIII.
CONCLUSION.

Toute l’Europe paroît disposée à adopter le système des monarchies modérées : la France, qui a donné cette impulsion générale, est maintenant forcée de la suivre. Rallions-nous donc autour de notre gouvernement. Que l’amour pour le roi et pour le pays natal, que l’attachement à la Charte, composent désormais notre esprit !

Grâce au roi, au roi seul, nous conservons tout entière la France de Louis XIV. Vauban en a posé les limites mieux qu’elles ne seroient marquées par les fleuves et les montagnes. L’étendue naturelle d’un empire n’est point fixée par des bornes géographiques, quoi qu’on en puisse dire, mais par la conformité des mœurs et des langages : la France finit là où on ne parle plus françois. Ces citoyens de Hambourg et de Rome, qui corrompoient notre langue dans le sénat, qui n’avoient et ne devoient avoir pour nous qu’une juste haine, auroient amené notre ruine comme peuple, de même que les Gaulois et les autres nations subjuguées détruisirent la patrie de Cicéron en entrant dans le sénat romain. Nous sommes encore ce que nous étions. Un million de soldats sont encore prêts, s’il le faut, à défendre des millions de laboureurs. Notre terre, comme une mère prévoyante, multiplie ses trésors et ses secours, bien au delà du besoin de ses enfants. Quatre cent mille étrangers et nos propres soldats ont ravagé nos provinces, et deux mois après on a été obligé de faire une loi pour la libre exportation des grains. Que manque-t-il à cet antique royaume de Clovis, dont saint Grégoire le Grand louoit déjà la force et la puissance ? Nous avons du fer, des forêts et des moissons ; notre soleil mûrit les vins de tous les climats ; les bords de la Méditerranée nous fournissent l’huile et la soie, et les côtes de l’Océan nourrissent nos troupeaux. Marseille, qui n’est plus, comme du temps de Cicéron, battue des flots de la Barbarie, appelle le commerce du monde ancien, tandis que nos ports, sur l’autre mer, reçoivent les richesses du Nouveau Monde. À chaque pas se retrouvent dans la France les monuments de trois grands peuples, des Gaulois, des Romains et des François. Cette France fut surnommée la mère des rois : elle envoya ses enfants régner sur presque tous les trônes de l’Europe, et jusqu’au fond de l’Asie. Sa gloire, qui ne passera point, croîtra encore dans l’avenir. Transformés par de nouvelles lois, les François recommencent des destinées nouvelles. Nous aurons même un avantage sur les peuples qui nous ont précédés dans la carrière où nous entrons ; car ils y ont déjà vieilli, et nous, nous y descendons avec la vigueur de la jeunesse.

Accoutumés aux grands mouvements depuis tant d’années, remplaçons la chaleur des discordes et l’ardeur des conquêtes par le goût des arts et les glorieux travaux du génie. Ne portons plus nos regards au dehors ; écrions-nous, comme Virgile, à l’aspect de notre belle patrie :

Salve, magna parens frugum....
Magna virum !

Et pourquoi ne pas le dire avec franchise ? Certes, nous avons beaucoup perdu par la révolution ; mais aussi n’avons-nous rien gagné ? N’est-ce rien que vingt années de victoires ? N’est-ce rien que tant d’actions héroïques, tant de dévouements généreux ? Il y a encore parmi nous des yeux qui pleurent au récit d’une noble action, des cœurs qui palpitent au nom de patrie.

Si la foule s’est corrompue, comme il arrive toujours dans les discordes civiles, il est vrai de dire aussi que dans la haute société les mœurs sont plus pures, les vertus domestiques plus communes ; que le caractère françois a gagné en force et en gravité. Il est certain que nous sommes moins frivoles, plus naturels, plus simples ; que chacun est plus soi, moins ressemblant à son voisin. Nos jeunes gens, nourris dans les camps ou dans la solitude, ont quelque chose de mâle ou d’original qu’ils n’avaient point autrefois. La religion, dans ceux qui la pratiquent, n’est plus une affaire d’habitude, mais le résultat d’une conviction forte ; la morale, quand elle a survécu dans les cœurs, n’est plus le fruit d’une instruction domestique, mais l’enseignement d’une raison éclairée. Les plus grands intérêts ont occupé les esprits ; le monde entier a passé devant nous. Autre chose est de défendre sa vie, de voir tomber et s’élever les trônes, ou d’avoir pour unique entretien une intrigue de cour, une promenade au bois de Boulogne, une nouvelle littéraire. Nous ne voulions peut-être pas nous l’avouer, mais au fond ne sentons-nous pas que les François sont plus hommes qu’ils ne l’étoient il y a trente ou quarante ans ? Sous d’autres rapports, pourquoi se dissimuler que les sciences exactes, que l’agriculture et les manufactures ont fait d’immenses progrès ? Ne méconnoissons pas les changements qui peuvent être à notre avantage ; nous les avons payés assez cher.

Cessons donc de nous calomnier, de dire que nous n’entendons rien à la liberté : nous entendons tout, nous sommes propres à tout, nous comprenons tout. En lui témoignant de la considération et de la confiance, cette nation s’élèvera à tous les genres de mérite. N’a-t-elle pas montré ce qu’elle peut être dans les moments d’épreuve ? Soyons fiers d’être François, d’être François libres sous un monarque sorti de notre sang. Donnons maintenant l’exemple de l’ordre et de la justice, comme nous avons donné celui de la gloire ; estimons les autres nations sans cesser de nous estimer. Les révolutions et les malheurs ont des résultats heureux, lorsqu’on sait profiter des leçons de l’infortune : les fureurs de la Ligue ont sauvé la religion ; nos dernières fureurs nous laisseront un état politique digne des sacrifices que nous avons faits.

Que tous les bons esprits se réunissent pour prêcher une doctrine salutaire, pour créer un centre d’opinions d’où partiront tous les mouvements. Les Chambres doivent s’attacher étroitement au roi, afin que le roi soit plus libre d’exécuter les projets qu’il médite pour le bonheur de son peuple. Loyauté dans les ministres, bonne foi de tous les côtés, voilà notre salut. Respect et vénération pour notre souverain, liberté de nos institutions, honneur de notre armée, amour de notre patrie : voilà les sentiments que nous devons professer. Hors de là, nous nous perdrons dans des chimères, dans de vains regrets, dans des humeurs chagrines, des récriminations pénibles ; et après bien des contestations, le siècle nous ramènera de force à ces principes dont nous aurons voulu nous écarter. Nous le voyons, par exemple : il y a vingt-six ans que la révolution est commencée. Une seule idée a survécu ; l’idée qui a été la cause et le principe de cette révolution, l’idée d’un ordre politique qui protège les droits du peuple sans blesser ceux des souverains. Croit-on qu’il soit possible d’anéantir aujourd’hui ce que les fureurs révolutionnaires et les violences du despotisme n’ont pu détruire ? La Convention nous a guéris pour jamais du penchant à la république ; Buonaparte nous a corrigés de l’amour pour le pouvoir absolu. Ces deux expériences nous apprennent qu’une monarchie limitée, telle que nous la devons au roi, est le gouvernement qui convient le mieux à notre dignité comme à notre bonheur.

  1. Mémoire au roi, par M. Carnot.
  2. The Judict. Arraign. Trial of twenty nine Regicides, p. 56.
  3. Joannis Miltonis pro populo anglicano Defensio.
  4. Trial of the Reg.
  5. M. le duc de Bourbon fut blessé d’un coup de sabre dans cette brillante affaire, et un boulet de canon pensa emporter à la fois les trois héros.
  6. M. l’abbé Carron.
  7. La plus ancienne des coutumes recueillies est celle du Ponthieu, par ordre de Charles VIII, 1495.
  8. De Leg., iii, 7.
  9. Voyez le discours de M. de La Fayette dans l’ouvrage de M. Hue.
  10. J’ai proposé toutes ces améliorations à Gand, dans mon Rapport sur l’état de la France : on a fait droit depuis à ce que je demandois alors. On voit du moins mu fidélité à mes idées. Voyez ci-après le Rapport au roi.
  11. Je conviens qu’ils ne le sont pas assez : il faut absolument une loi.
  12. Smith, De Reg. Angl., La Roque, Traité de la Noblesse.
  13. Fragm. Republ., lib. ii.
  14. Architas, in Siob.
  15. Polyb., Excerpt., lib. vi, cap. viii et ix.
  16. Tac., Ann., iv, 33.
  17. Génie du Christianisme.
  18. Esprit des Lois, liv. ix, chap. vi.
  19. De l’État de la France au mois de mars et au mois d’octobre de la même année. (Voyez p. 46.)
  20. Tout ce qui suit et tout ce qui précède mécontenta d’abord les hommes que je voulois consoler : aujourd’hui ces mêmes hommes me rendent justice ; ils ont pris part au gouvernement représentatif, et ils en ont connu les ressources.
  21. Recueil des Lois de France.
  22. On a dit que c’étoit là précisément ce qu’il y avoit de beau dans l’ancien ordre de choses : c’est confondre les choses, et mieux sentir que bien raisonner. Ne s’aperçoit-on pas que plus le gentilhomme se montre ici admirable, moins le gouvernement paroît généreux, et que l’éloge de l’un est la critique de l’autre ?
  23. J’aurois l’air de prophétiser après l’événement, si heureusement les Réflexions politiques n’avoient été publiées au mois de décembre 1814.
  24. Réflex. sur les Mém. hist. de la Grande-Bretagne, p. 54.
  25. La noblesse n’exerçoit de droits politiques que dans les pays d’états.
  26. Esdr.