Debécourt, Libraire-Éditeur (p. 61-69).


L’INDULGENCE.



Pardonnez-leur, mon Dieu, car ils ne savent ce qu’ils font.



Cette parole donne à la fois le précepte et la raison de l’indulgence. Il y a plusieurs manières de pardonner ; toutes sont bonnes, parce que toutes sont chrétiennes, mais ces pardons diffèrent entre eux, comme les vertus qui les ont produits. On pardonne, pour être pardonné ; on pardonne, parce qu’on se reconnaît digne de souffrir ; c’est le pardon de l’humilité ; on pardonne pour obéir au précepte de rendre le bien pour le mal ; mais aucun de ces pardons ne comprend l’excuse des peines qu’on nous a faites. Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « ils ne savent ce qu’ils font !  » Il y a dans ces touchantes paroles l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire. Ce qui met le comble au chagrin, c’est de trouver des torts sans excuse à ceux qu’on aime. Là, il y a une excuse : ils ne savent ce qu’ils font ! Ils nous ont déchiré le cœur, mais ils ne savaient ce qu’ils faisaient ; ils étaient aveuglés, leurs yeux étaient fermés, vos propres souffrances sont le gage de leur ignorance. La pitié est dans le cœur de l’homme ; de grands torts viennent toujours d’un grand aveuglement. Comment croire qu’on puisse causer de sang-froid et volontairement ces chagrins déchirans qui font souffrir mille morts avant de mourir ? Comment croire qu’on voudrait briser un cœur qui, peut-être, pendant des années entières, vous a chéri, adoré, excusé, qui avait fait de vous son idole ? Car telle est l’ingratitude, source des plus grands chagrins de la vie ; elle consiste à méconnaître le sentiment dont on est l’objet, parce que le cœur est incapable de les payer de retour et d’en produire de semblables : il y a là cette impuissance, cette ignorance qui font l’excuse. Donner l’affection à ceux qui ne la sentent pas, c’est vouloir donner la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds. Pardonnez-leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu’ils font ! pardonnez-leur et faites-moi la grâce de leur pardonner sans retour sur moi-même, sans que ce pardon me soit compté pour une vertu, puisqu’il n’est qu’une justice ; mais ayez pitié de moi, enseignez-moi à n’aimer que vous et donnez-moi le repos. Ainsi soit-il.