Réflexions et Maximes (Vauvenargues)/701-945

Œuvres de Vauvenargues, Texte établi par D.-L. Gilbert, Furne et Cie, éditeurs (p. 472-493).

701. Les premiers écrivains travaillaient sans modèles, et n’empruntaient rien que d’eux-mêmes, ce qui fait qu’ils sont inégaux, et mêlés de mille endroits faibles, avec un génie tout divin. Ceux qui ont reussi après eux ont puisé dans leurs inventions, et par là sont plus soutenus[1] ; nul ne trouve tout dans son propre fonds.

702. Qui saura penser de soi-même, et former de nobles idées, qu’il prenne, s’il peut, hardiment, la manière et le tour des maîtres : toutes les richesses de l’expression appartiennent de droit à ceux qui savent les mettre à leur place.

703. Il ne faut pas craindre non plus de redire une vérité ancienne[2], lorsqu’on peut la rendre plus sensible par un meilleur tour, ou la joindreà une autre vérité qui l’éclaircisse, et former un corps de raisons. C’est le propre des inventeurs de saisir le rapport des choses, et de savoir les rassembler ; et les découvertes anciennes sont moins à leurs premiers auteurs qu’à ceux qui les rendent utiles.

704. On fait un ridicule à un homme du monde du talent et du goût d’écrire[3]. Je demande aux gens raisonnables : Que font ceux qui n’écrivent pas[4] ?

705. Cest un mauvais parti pour une femme que d’être coquette : il est rare que celles de ce caractère allument de grandes passions ; et ce n’est pas à cause qu’elles sont légères, comme on le croit communément, mais parce que personne ne veut être dupe. La vertu nous fait mépriser la fausseté, et l’amour-propre nous la fait haïr.

706. Est-ce force dans les hommes d’avoir des passions, ou insuffisance et faiblesse ? Est-ce grandeur d’être exempt de passions, ou médiocrité de génie ? Ou tout est-il mêlé de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse[5] ?

707. Qui est [le] plus nécessaire au maintien d’une société d’hommes faibles, et que leur faiblesse à unis, la douceur, ou l’austérité ? Il faut employer l’une et l’autre : que la loi soit sévère, et les hommes indulgents.

708. La sévérité dans les lois est humanité pour les peuples ; dans les hommes, elle est la marque d’un génie étroit et cruel : il n’y a que la nécessité qui puisse la rendre innocente[6].

709. S’il n’y avait de domination légitime que celle qui s’exerce avec justice, nous ne devrions rien aux mauvais rois.

710. Comptez rarement sur l’estime et sur le confiance d’un homme qui entre dans tous vos intérêts, s’il ne vous parle aussi des siens.

711. C’est la conviction manifeste de notre incapacité que le hasard dispose si universellement et si absolument de tout. Il n’y a rien de plus rare dans le monde que les grands talents et que le mérite des emplois : la fortune est plus partiale qu’elle n’est injuste[7].

712. Le mystère dont on enveloppe ses desseins marque quelquefois plus de faiblesse que l’indiscrétion, et souvent nous fait plus de tort[8].

713. Ceux qui font des métiers infâmes, comme les voleurs, les femmes perdues, se font gloire de leurs crimes, et regardent les honnêtes gens comme des dupes : la plupart des hommes, dans le fond du cœur, méprisent la vertu, peu la gloire[9].

714. La Fontaine était persuadé[10], comme il le dit, que l’apologue était un art divin : jamais peut-être de véritablement grands hommes ne se sont amusés à tourner des fables.

715. Une mauvaise préface allonge considérablement un mauvais livre ; mais ce qui est bien pensé est bien pensé, et ce qui est bien écrit est bien écrit[11].

716. Ce sont les ouvrages médiocres qu’il faut abréger : je n’ai jamais vu de préface ennuyeuse devant un bon livre.

717. Toute hauteur affectée est puérile ; si elle se fonde sur des titres supposés, elle est ridicule ; et si ces titres sont frivoles, elle est basse[12]: le caractère de la vraie hauteur est d’être toujours à sa place[13].

718. Nous n’attendons pas d’un malade qu’il ait l’enjouement de la santé et la force du corps ; s’il conserve même sa raison jusqu’à la fin, nous nous en étonnons ; et s’il fait paraître quelque fermeté, nous disons qu’il y a de l’affectation dans cette mort : tant cela est rare et difficile. Cependant, s’il arrive qu’un autre homme démente, en mourant, ou la fermeté, ou les principes qu’il a professés pendant sa vie ; si, dans l’état du monde le plus faible, il donne quelque marque de faiblesse.... ô aveugle malice de l’esprit humain ! il n’y a point de contradictions si manifestes que l’envie n’assemble pour nuire[14].

719.  On n’est pas appelé à la conduite des grandes affaires, ni aux sciences, ni aux beaux-arts, ni à la vertu, quand on n’aime pas ces choses pour elles-mêmes, indépendamment de la considération qu’elles attirent ; on les cultiverait donc inutilement dans ces dispositions : ni l’esprit, ni la vanité, ne peuvent donner le génie[15].

720.  Les femmes ne peuvent comprendre qu’il y ait des hommes désintéressés à leur égard[15].

721.  Il n’est pas libre à un homme qui vit dans le monde de n’être pas galant[15].

722.  Quels que soient ordinairement les avantages de la jeunesse, un jeune homme n’est pas bien venu aupres des femmes, jusqu’a ce qu’elles en aient fait un fat[15].

723.  Il est plaisant qu’on ait fait une loi de la pudeur aux femmes, qui n’estiment dans les hommes que l’effronterie.

724.  On ne loue une femme ni un auteur médiocre comme eux-mêmes se louent.

725.  Une femme qui croit se bien mettre ne soupçonne pas, dit un auteur, que son ajustement deviendra un jour aussi ridicule que la coiffure de Catherine de Médicis : toutes les modes dont nous sommes prévenus vieilliront peut-être avant nous, et même le bon ton[15].

726.  Il y a peu de choses que nous sachions bien[16].

727.  Si on n’écrit point parce qu’on pense[17], il est inutile de penser pour écrire.

728.  Tout ce qu’on n’a pensé que pour les autres est ordinairement peu naturel[18].

729.  La clarté est la bonne foi des philosophes[19].

730.  La netteté est le vemis des maîtres[19].

731.  La netteté épargne les longueurs, et tient lieu de preuves aux idées[19].

732.  La marque d’une expression propre est que, même dans les équivoques, on ne puisse lui donner qu’un sens[20].

733. Les grands philosophes sont les génies de la raison[21].

734. Pour savoir si une pensée est nouvelle, il n’y a qu’à l’exprimer bien simplement[22].

735. Il y a peu de pensées synonymes, mais beaucoup d’apprechantes[23].

736. Lorsqu’un bon esprit ne voit pas qu’une pensée puisse être utile, il y a grande apparence qu’elle est fausse[24].

737. Nous recevons quelquefois de grandes louanges, avant d’en mériter de raisonnables.

738. Les réputations mal acquises se changent en mépris.

739. L’espérance est le plus utile ou le plus pernicieux des biens.

740. L’erreur est la nuit des esprits, et le piége de l’innocence[25].

741. Les demi-philosophes ne louent l’erreur, que pour faire, malgré eux, les honneurs de la verité[26].

742. C’est être bien impertinent de vouloir faire croire qu’on n’a pas assez d’illusions pour être heureux.

743. Celui qui souhaiterait sérieusement des illusions, aurait au-delà de ses vœux.

744. Les corps politiques ont leurs défauts inévitables, comme les divers âges de la vie humaine. Qui peut garantir la vieillesse des infirmités, hors la mort[26] ?

745. La sagesse est le tyran des faibles[27].

746. Les regards affables ornent le visage des rois.

747.  La licence étend toutes les vertus et tous les vices[28].

748.  La paix rend les peuples plus heureux, et les hommes plus faibles.

749.  Le premier soupir de l’enfance est pour la liberté.

750.  L’indolence est le sommeil des esprits.

751.  Les passions [les] plus vives sont celles dont l’objet est le plus prochain, comme le jeu, l’amour, etc.

752.  Lorsque la beauté règne sur les yeux, il est probable qu’elle règne encore ailleurs[29].

753.  Tous les sujets de la beauté ne connaissent pas leur souveraine[30].

754.  Si les faiblesses de l’amour sont pardonnables, c’est principalement aux femmes, qui règnent par lui.

755.  La constance est la chimère de l’amour[31].

756.  Ceux qui ne sont plus en état de plaire aux femmes, et qui le savent, s’en corrigent[32].

757.  Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d’un jeune homme[33].

758.  Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire[33].

759.  L’utilité de la vertu est si manifeste, que les méchants la pratiquent par intérêt.

760.  Rien n’est si utile que la réputation, et rien ne donne la réputation si sûrement que le mérite[34].

761. La gloire est la preuve de la vertu.

762. La trop grande économie fait plus de dupes que la profusion[35].

763. La libéralité de l’indigent est nommée prodigalité.

764. La profusion n’avilit que ceux qu’elle n’illustre pas.

765. Si un homme, obéré et sans enfants, se fait quelques rentes viagères, et jouit par cette conduite des commodités de la vie, nous disons que c’est un fou qui s mangé son bien.

766. La libéralité et l’amour des lettres ne ruinent personne ; mais les esclaves de la fortune trouvent toujours la vertu trop achetée.

767. On fait bon marché d’une médaille, lorsqu’on n’est pas curieux d’antiquités : ainsi, ceux qui n’ont pas de sentiment pour le mérite, ne tiennent presque pas de compte des plus grands talents.

768. Le grand avantage des talents paraît en ce que la fortune, sans mérite, est presque inutile.

769. On tente d’ordinaire sa fortune par les talents qu’on n’a pas.

770. Il vaut mieux déroger à sa qualité qu’a son génie : ce serait être fou de conserver un état médiocre, au prix d’une grande fortune ou de la gloire[36].

771. Il n’y a point de vice qui ne soit nuisible, dénué d’esprit[37].

772. J’ai cherché s’il n’y avait point de moyen de faire sa fortune sans mérite, et je n’en ai trouvé aucun[38].

773. Moins on veut mériter sa fortune, plus il faut se donner de peine pour la faire.

774. Les beaux-esprits ont une place dans la bonne compagnie, mais la dernière.

775.  Les sots usent des gens d’esprit comme les petits hommes portent de grands talons[39].

776.  Il y a des hommes dont il vaut mieux se taire que de les louer selon leur mérite[40].

777.  Il ne faut pas tâcher de contenter les envieux.

778.  Le mépris de notre nature est une erreur de notre raison[41].

779.  Un peu de café après le repas fait qu’on s’estime ; il ne faut aussi, quelquefois, qu’une petite plaisanterie pour abattre une grande présomption.

780.  On oblige les jeunes gens à user de leurs biens comme s’il etait sûr qu’ils dussent vieillir.

781.  A mesure que l’âge multiplie les besoins de la nature, il resserre ceux de l’imagination.

782.  Tout le monde empiète sur un malade, prêtres, médecins, domestiques, étrangers, amis ; et il n’y a pas jusqu’a sa garde qui ne se croie en droit de le gouverner[42].

783.  Quand on devient vieux, il faut se parer[42].

784.  L’avarice annonce le déclin de l’âge et la fuite précipitée des plaisirs.

785.  L’avarice est la dernière et la plus absolue de nos passions.

786.  Les plus grands ministres ont été ceux que la fortune avait placés le plus loin du ministère[43].

787.  La science des projets consiste à prévenir les difficultés de l’execution.

788.  La timidité dans l’exécution fait échouer les entreprises téméraires[44].

789.  On promet beaucoup, pour se dispenser de donner peu[44].

790. L’intérêt et la paresse anéantissent les promesses quelquefois sincères de la vanité[45].

791. La patience obtient quelquefois des hommes ce qu’ils n’ont jamais eu l’intention d’accorder[45] ; l’occasion peut même obliger les plus trompeurs à effectuer de fausses promesses.

792. Les dons intéressés sont importuns.

793. S’il était possible de donner sans perdre, il se trouverait encore des hommes inaccessibles.

794. L’impie endurci dit à Dieu : Pourquoi as-tu fait des misérables[46] ?

795. Les avares ne se piquent pas ordinairement de beaucoup de choses[47].

796. La folie de ceux qui réussissent est de se croire habiles.

797. La raillerie est l’épreuve de l’amour-propre.

798. La gaîté est la mère des saillies.

799. Les sentences sont les saillies des philosophes.

800. Les hommes pesants sont opiniâtres.

801. Nos idées sont plus imparfaites que la langue.

802. La langue et l’esprit ont leurs bornes ; la vérité est inépuisable.

803. La nature a donné aux hommes des talents divers : les uns naissent pour inventer, et les autres pour embellir ; mais le doreur attire plus de regards que l’architecte.

804. Un peu de bon sens ferait évanouir beaucoup d’esprit.

805. Le caractère du faux-esprit est de ne paraître qu’aux dépens de la raison.

806. On est d’autant moins raisonnable sans justesse, qu’on a plus d’esprit[48].

807.  L’esprit a besoin d’être occupé ; et c’est une raison de parler beaucoup, que de penser peu.

808.  Quand on ne sait pas s’entretenir et s’amuser soi-même, on veut entretenir et amuser les autres.

809.  Vous trouverez fort peu de paresseux que l’oisiveté n’incommode ; et, si vous entrez dans un café, vous verrez qu’on y joue aux dames.

810.  Les paresseux ont toujours envie de faire quelque chose.

811.  La raison ne doit pas régler, mais suppléer la vertu.

812.  Socrate savait beaucoup moins que Bayle et que F.[49] ; il y a peu de sciences utiles.

813.  Aidons-nous des mauvais motifs pour nous fortifier dans les bons desseins[50].

814.  Les conseils les plus faciles à pratiquer sont les plus utiles[51].

815.  Conseiller, c’est donner aux hommes des motifs d’agir qu’ils ignorent[51].

816.  Nous nous défions de la conduite des meilleurs esprits, et nous ne nous défions pas de nos conseils[52].

817. L’âge peut-il donner droit de gouverner la raison ?

818.  Nous croyons avoir droit de rendre un homme heureux à ses dépens, et nous ne voulons pas qu’il l’ait lui-même.

819. Si un homme est souvent malade, et qu’ayant mangé une cerise, il soit enrhumé le lendemain, on ne manque pas de lui dire, pour le consoler, que c’est sa faute[53].

820. Il y a plus de sévérité que de justice.

821. Il faudrait qu’on nous pardonnât, au moins, les fautes qui n’en seraient pas, sans nos malheurs.

822. L’adversité fait beaucoup de coupables et d’imprudents.

823. On n’est pas toujours si injuste envers ses ennemis qu’envers ses proches[54].

824. La haine des faibles n’est pas si dangereuse que leur amitie[55].

825. En amitié, en mariage, en amour, en tel autre commerce que ce soit, nous voulons gagner ; et, comme le commerce des parents, des frères, des amis, des amants, etc., est plus continu, plus étroit et plus vif que tout autre, il ne faut pas être surpris d’y trouver plus d’ingratitude et d’injustice.

826. La haine n’est pas moins volage que l’amitié.

827. La pitié est moins tendre que l’amour.

828. Les choses que l’on sait le mieux sont celles qu’on n’a pas apprises[56].

829. Au défaut des choses extraordinaires, nous aimons qu’on nous propose à croire celles qui en ont l’air.

830. L’esprit développe les simplicités du sentiment, pour s’en attribuer l’honneur[57].

831.  On tourne une pensée comme un habit, pour s’en servir plusieurs fois[58].

832.  Nous sommes flattés qu’on nous propose comme un mystère ce que nous avons pensé naturellement.

833.  Ce qui fait qu’on goûte médiocrement les philosophes, c’est qu’ils ne nous parlent pas assez des choses que nous savons.

834.  La paresse et la crainte de se compromettre ont introduit l’honnêteté dans la dispute.

835.  Quelque mérite qu’il puisse y avoir à négliger les grandes places, il y en a peut-être encore plus à les bien remplir[59].

836.  Si les grandes pensées nous trompent, elles nous amusent[60].

837.  Il n’y a point de faiseur de stances qui ne se préfère à Bossuet, simple auteur de prose ; et, dans l’ordre de la nature, nul ne doit penser aussi peu juste qu’un génie manqué.

838.  Un versificateur ne connaît point de juge compétent de ses écrits : si on ne fait pas de vers, on ne s’y connaît pas ; si on en fait, on est son rival.

839.  Le même croit parler la langue des dieux, lorsqu’il ne parle pas celle des hommes ; c’est comme un mauvais comédien qui ne peut déclamer comme l’on parle.

840.  Un autre défaut de la mauvaise poésie est d’allonger la prose, comme le caractère de la bonne est de l’abréger.

841.  Il n’y a personne qui ne pense d’un ouvrage en prose : Si je me donnais de la peine, je le ferais mieux. Je dirais à beaucoup de gens : Faites seulement une réflexion digne d’être écrite.

842.  Tout ce que nous prenons dans la morale pour défaut n’est pas tel[61].

843.  Nous remarquons beaucoup de vices, pour admettre peu de vertus[61].

844.  L’esprit est borné jusque dans l’erreur, qu’on dit son domaine[61].

845.  L’intérêt d’une seule passion, souvent malheureuse, tient quelquefois toutes les autres en captivité ; et la raison porte ses chaines sans pouvoir les rompre[62].

846. Il y a des faiblesses, si on l’ose dire, inséparables de notre nature[63].

847. Si on aime la vie, on craint la mort[64].

848. La gloire et la stupidité cachent la mort, sans triompher d’elle[65].

849. Le terme du courage est l’intrépidité à la vue d’une mort sûre.

850. La noblesse est un monument de la vertu, immortelle comme la gloire[66].

851. Lorsque nous appelons les réflexions, elles nous fuient ; et quand nous voulons les chasser, elles nous obsèdent, et tiennent malgré nous nos yeux ouverts pendant la nuit[67].

852. Trop de dissipation et trop d’étude épuisent également l’esprit, et le laissent à sec ; les traits hardis en tout genre ne s’offrent pas à un esprit tendu et fatigué[67].

853. Comme il y a des âmes volages que toutes les passions dominent tour a tour, on voit des esprits vifs et sans assiette que toutes les opinions entraînent successivement, ou qui se partagent entre les contraires, sans oser décider[67].

854. Les héros de Corneille étalent des maximes fastueuses et parlent magnifiquement d’eux-mêmes, et cette enflure de leurs discours passe pour vertu parmi ceux qui n’ont point de règle dans le cœur pour distinguer la grandeur d’âme de l’ostentation[68].

855. L’esprit ne fait pas connaître la vertu[68].

856. Il n’y a point d’homme qui ait assez d’esprit pour n’être jamais ennuyeux.

857. La plus charmante conversation lasse l’oreille d’un homme occupé de quelque passion[69].

858.  Les passions nous séparent quelquefois de la societé, et nous rendent tout l’esprit qui est au monde aussi inutile que nous le devenons nous-mêmes aux plaisirs d’autrui[70].

859.  Le monde est rempli de ces hommes qui imposent aux autres par leur réputation ou leur fortune ; s’ils se laissent trop approcher, on passe tout à coup à leur égard de la curiosité jusqu’au mépris, comme on guérit quelquefois, en un moment, d’une femme qu’on a recherchée avec ardeur[70].

860.  On est encore bien éloigné de plaire, lorsqu’on n’a que de l’esprit[71].

861.  L’esprit ne nous garantit pas des sottises de notre humeur[71].

862.  Le désespoir est la plus grande de nos erreurs[72].

863.  La nécessité de mourir est la plus amère de nos afflictions[73].

864.  Si la vie n’avait point de fin, qui désespérerait de sa fortune ? La mort comble l’adversité[73].

865.  Combien les meilleurs conseils sont-ils peu utiles, si nos propres expériences nous instruisent si rarement[73] !

866.  Les conseils qu’on croit les plus sages sont les moins proportionnés à notre état[73].

867.  Nous avons des règles pour le théâtre qui passent peut-être les forces de l’esprit humain, et que les plus heureux génies n’exécutent que faiblement.

868.  Lorsqu’une pièce est faite pour être jouée, il est injuste de n’en juger que par la lecture[74].

869.  Il peut plaire à un traducteur[75] d’admirer jusqu’aux défauts de son original, et d’attribuer toutes ses sottises à la barbarie de son siècle. Lorsque je crois toujours apercevoir dans un auteur les mêmes beautés et les mêmes fautes, il me paraît plus raisonnable d’en conclure que c’est un écrivain qui joint de grands défauts à des qualités éminentes, une grande imagination et peu de jugement, ou beaucoup de force et peu d’art, etc. ; et, quoique je n’admire pas beaucoup l’esprit humain, je ne puis cependant le dégrader jusqu’à mettre dans le premier rang un génie si défectueux, qui choque continuellement le sens commun.

870. Nous voudrions dépouiller de ses vertus l’espece humaine, pour nous justifier nous-mêmes de nos vices, et les mettre à la place des vertus détruites ; semblables à ceux qui se révoltent contre les puissances légitimes, non pour égaler tous les hommes par la liberté[76], mais pour usurper la même autorité qu’ils calomnient.

871. Un peu de culture et beaucoup de mémoire, avec quelque hardiesse dans les opinions et contre les préjugés, font paraître l’esprit étendu.

872. Il ne faut pas jeter du ridicule sur les opinions respectées ; car on blesse par là leurs partisans, sans les confondre[77].

873. La plaisanterie la mieux fondée ne persuade point, tant on est accoutumé[78] qu’elle s’appuie sur de faux principes.

874. L’incrédulité a ses enthousiastes, ainsi que la superstition : et, comme l’on voit des dévots qui refusent à Cromwell jusqu’au bon sens, on trouve d’autres hommes qui traitent Pascal et Bossuet de petits esprits[79].

875. Le plus sage et le plus courageux de tous les hommes, M. de Turenne, a respecté la religion ; et une infinité d’hommes obscurs se placent au rang des génies et des âmes fortes, seulement à cause qu’ils la méprisent[80].

876. Ainsi[81], nous tirons vanité de nos faiblesses et de nos folles erreurs. Osons l’avouer : la raison fait des philosophes, et la gloire fait des héros ; la seule vertu fait des sages.

877.  Si nous avons écrit quelque chose pour notre instruction, ou pour le soulagement de notre cœur, il y a grande apparence que nos réflexions seront encore utiles à beaucoup d’autres ; car personne n’est seul dans son espèce, et jamais nous ne sommes ni si vrais, ni si vifs, ni si pathétiques, que lorsque nous traitons les choses pour nous-mêmes[82].

878.  Lorsque notre âme est pleine de sentiments, nos discours sont pleins d’intérêt.

879.  Le faux, présenté avec art, nous surprend et nous éblouit ; mais le vrai nous persuade et nous maîtrise.

880.  On ne peut contrefaire le génie.

881.  Il ne faut pas beaucoup de réflexions pour faire cuire un poulet[83], et cependant nous voyons des hommes qui sont toute leur vie mauvais rôtisseurs ; tant il est nécessaire, dans tous les métiers, d’y être appelé par un instinct particulier et comme indépendant de la raison.

882.  Nous sommes tellement occupés de nous et de nos semblables, que nous ne faisons pas la moindre attention à tout le reste, quoique sous nos yeux, et autour de nous[84].

883.  Qu’il y a peu de choses dont nous jugions bien[85] !

884.  Nous n’avons pas assez d’amour-propre pour dédaigner le mépris d’autrui[86].

885.  Personne ne nous blâme si sévèrement que nous nous condamnons souvent nous-mêmes[86].

886.  L’amour n’est pas si délicat que l’amour-propre[87].

887.  Nous prenons ordinairement sur nous nos bons et nos mauvais succès ; et nous nous accusons ou nous nous louons des caprices de la fortune[88].

888. Personne ne peut se vanter de n’avoir jamais été méprisé[89].

889. Il s’en faut bien que toutes nos habiletés ou que toutes nos fautes portent coup ; tant il y a peu de choses qui dépendent de notre conduite[90] !

890. Combien de vertus et de vices sont sans conséquence[90] !

891. Nous ne sommes pas contents d’être habiles, si on ne sait pas que nous le sommes ; et, pour ne pas en perdre le mérite, nous en perdons quelquefois le fruit[90].

892. Les gens vains ne peuvent être habiles, car ils n’ont pas la force de se taire[91].

893. C’est souvent un grand avantage pour un négociateur, s’il peut faire croire qu’il n’entend pas les intérêts de son maître, et que la passion le conseille ; il évite par là qu’on le pénètre, et réduit ceux qui ont envie de finir à se relâcher de leurs prétentions, les plus habiles se croyant quelquefois obligés de céder à un homme qui résiste lui-même à la raison, et qui échappe à toutes leurs prises[92].

894. Tout le fruit qu’on a pu tirer de mettre quelques hommes dans les grandes places, s’est réduit à savoir qu’ils étaient habiles.

895. Il ne faut pas autant d’acquis pour être habile que pour le paraître[93].

896. Rien n’est plus facile aux hommes en place que de s’approprier le savoir d’autrui.

897. Il est peut-être plus utile, dans les grandes places, de savoir et de vouloir se servir de gens instruits, que de l’être soi-même.

898. Celui qui a un grand sens sait beaucoup[94].

899. Quelque amour qu’on ait pour les grandes affaires, il y a peu de lectures si ennuyeuses et si fatigantes que celle d’un traité entre des princes[95].

900.  L’essence de la paix est d’être éternelle, et cependant nous n’en voyons durer aucune l’âge d’un homme, et à peine y a-t-il quelque règne où elle n’ait été renouvelée plusieurs fois. Mais faut-il s’étonner que ceux qui ont eu besoin de lois pour être justes, soient capables de les violer[96] ?

901.  La politique fait entre les princes ce que les tribunaux de la justice font entre les particuliers : plusieurs faibles, ligués contre un puissant, lui imposent la nécessité de modérer son ambition et ses violences[96].

902.  Il était plus facile aux Romains et aux Grecs[97] de subjuguer de grandes nations, qu’il ne l’est aujourd’hui de conserver une petite province justement conquise, au milieu de tant de voisins jaloux, et de peuples également instruits dans la politique et dans la guerre, et aussi liés par leurs intérêts, par les arts, ou par le commerce, qu’ils sont séparés par leurs limites.

903.  M. de Voltaire[98] ne regarde l’Europe que comme une république formée de différentes souverainetés. Ainsi, un esprit étendu diminue en apparence les objets, en les confondant dans un tout qui les réduit à leur juste étendue ; mais il les agrandit réellement, en développant leurs rapports, et en ne formant de tant de parties irrégulières qu’un seul et magnifique tableau.

904.  C’est une politique utile, mais bornée, de se déterminer toujours par le présent, et de préférer le certain à l’incertain, quoique moins flatteur ; et ce n’est pas ainsi que les États s’élèvent, ni même les particuliers.

905. Les hommes sont ennemis-nés les uns des autres, non à cause qu’ils se haïssent, mais parce qu’ils ne peuvent s’agrandir sans se traverser ; de sorte qu’en observant religieusement les bienséances, qui sont les lois de la guerre tacite qu’ils se font, j’ose dire que c’est presque toujours injustement qu’ils se taxent de part et d’autre d’injustice[99].

906. Les particuliers négocient, font des alliances, des traités, des ligues, la paix et la guerre, en un mot, tout ce que les rois et les plus puissants peuples peuvent faire[100].

907. Dire également du bien de tout le monde est une petite et mauvaise politique[101].

908. La méchanceté tient lieu d’esprit[101].

909. La fatuité dédommage du défaut de cœur[101].

910. Celui qui s’impose à soi-même, impose à d’autres[102].

911. Le lâche a moins d’affronts à dévorer que l’ambitieux.

912. On ne manque jamais de raisons, lorsqu’on a fait fortune, pour oublier un bienfaiteur ou un ancien ami ; et on rappelle alors avec dépit tout ce que l’on a si longtemps dissimulé de leur humeur[103].

913. Tel que soit un bienfait, et quoi qu’il en coûte, lorsqu’on l’a reçu à ce titre, on est obligé de s’en revancher, comme on tient un mauvais marché, quand on a donné sa parole[103].

914. Il n’y a point d’injure qu’on ne pardonne, quand on s’est vengé.

915. On oublie un affront souffert, jusqu’à s’en attirer un autre par son insolence[103].

916. S’il est vrai que nos joies soient courtes, la plupart de nos afflictions ne sont pas longues[104].

917.  La plus grande force d’esprit nous console moins promptement que sa faiblesse[105].

918.  Il n’y a point de perte que l’on sente si vivement, et si peu de temps, que celle d’une femme aimée[105].

919.  Peu d’affligés savent feindre tout le temps qu’il faut pour leur honneur[105].

920.  Nos consolations sont une flatterie envers les affligés[106].

921.  Si les hommes ne se flattaient pas les uns les autres, il n’y aurait guère de société[106].

922.  Il ne tient qu’à nous d’admirer la religieuse franchise de nos pères, qui nous ont appris à nous égorger pour un démenti[107] ; un tel respect de la vérité, parmi des barbares qui ne connaissaient que la loi de la nature, est glorieux pour l’humanité.

923.  Nous souffrons peu d’injures par bonté[108].

924.  Nous nous persuadons quelquefois nos propres mensonges pour n’en avoir pas le démenti, et nous nous trompons nous-mêmes pour tromper les autres[108].

925.  La vérité est le soleil des intelligences[109].

926.  Pendant qu’une partie de la nation atteint le terme de la politesse et du bon goût, l’autre moitié est barbare a nos yeux, sans qu’un spectacle si singulier puisse nous ôter le mépris de la culture[110].

927.  Tout ce qui flatte le plus notre vanité n’est fondé que sur la culture, que nous méprisons.

928.  L’expérience que nous avons des bornes de notre raison nous rend dociles aux préjugés, et ouvre notre esprit aux soupçons et aux fantômes de la peur[111].

929. La conviction de l’esprit n’entraîne pas toujours celle du cœur[112].

930. Les hommes ne se comprennent pas les uns les autres : il y a moins de fous qu’on ne croit[112].

931. Pour peu qu’on se donne carrière sur la religion et sur les misères de l’homme, on ne fait pas difficulté de se placer parmi les esprits supérieurs[112].

932. Des hommes inquiets et tremblants pour les plus petits intérêts affectent de braver la mort[112].

933. Si les moindres périls dans les affaires nous donnent de vaines terreurs, dans quelles alarmes la mort ne doit-elle pas nous plonger, lorsqu’il est question pour toujours de tout notre être, et que l’unique intérêt qui nous reste, il n’est plus en notre puissance de le ménager, ni même quelquefois de le connaître[113] !

934. Newton, Pascal, Bossuet, Racine, Fénelon, c’est-à-dire les hommes de la terre les plus éclairés, dans le plus philosophe de tous les siècles, et dans la force de leur esprit et de leur âge, ont cru Jésus-Christ ; et le grand Condé, en mourant, répétait ces nobles paroles : « Oui, nous verrons Dieu comme il est, sicuti est, facie ad factiem[114]. »

935. Les maladies suspendent nos vertus et nos vices[115].

936. Le silence et la réflexion épuisent les passions, comme le travail et le jeûne consument les humeurs[116].

937. Les hommes actifs supportent plus impatiemment l’ennui que le travail[117].

938. Toute peinture vraie nous charme, jusqu’aux louanges d’autrui.

939. Les images embellissent la raison, et le sentiment la persuade[117].

940. L’éloquence vaut mieux que le savoir.

94l.  Ce qui fait que nous préférons très-justement l’esprit au savoir, c’est que celui-ci est mal nommé, et qu’il n’est, ordinairement, ni si utile ni si étendu que ce que nous connaissons par expérience, ou pouvons acquérir par réflexion. Nous regardons aussi l’esprit comme la cause du savoir, et nous estimons plus la cause que son effet : cela est raisonnable. Cependant, celui qui n’ignorerait rien aurait tout l’esprit qu’on peut avoir ; le plus grand esprit du monde n’étant que science[118], ou capacité d’en acquérir.

942.  Les hommes ne s’approuvent pas assez pour s’attribuer les uns aux autres la capacité des grands emplois ; c’est tout ce qu’ils peuvent, pour ceux qui les occupent avec succès, de les en estimer après leur mort. Mais proposez l’homme du monde qui a le plus d’esprit : oui, dit-on, s’il avait plus d’expérience, ou s’il était moins paresseux, ou s’il n’avait pas de l’humeur, ou tout au contraire ; car il n’y a point de prétexte qu’on ne prenne pour donner l’exclusion à l’aspirant, jusqu’à dire qu’il est trop honnête homme, supposé qu’on ne puisse rien lui reprocher de plus plausible : tant cette maxime est peu vraie, qu’il est plus aisé de paraitre digne des grandes places, que de les remplir[119].

943.  Ceux qui méprisent l’homme se croient de grands hommes.

944.  Nous sommes bien plus appliqués à noter les contradictions, souvent imaginaires, et les autres fautes d’un auteur, qu’à profiter de ses vues, vraies ou fausses.

945.  Pour decider qu’un auteur se contredit, il faut qu’il soit impossible de le concilier.

  1. Add. : [ « Nous qui ne savons pas les langues mortes, nous puisons parmi ces derniers ; on dit là-dessus que rien n’est plus facile ; mais c’est une erreur très-injuste. » ]
  2. Rapprochez de la Maxime 398e. — G.
  3. [Oui, mais imprimer ? — V.]
  4. Dans les éditions précédentes, cette Maxime est suivie d’une pensée répétée, mot pour mot, du 28e chap. de l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain, et que, pour cette raison, nous avons supprimée. — G.
  5. Ici, Vauvenargues ne conclut pas ; mais, partout ailleurs, il déclare que le manque de passions n’est que faiblesse, et médiocrité de génie. — G.
  6. Rapprochez cette Maxime et la précédente des 302e-305e. — G.
  7. [Obscur, et peu lié. — V.] — Cette pensée est obscure ; l’auteur veut dire, je crois, que c’est la conviction que nous avons de notre incapacité, qui nous fait abandonner tant de choses au hasard. Il n’y a rien de plus rare dans le monde, dit-il ensuite, que les grands talents et que le mérite des emplois ; le mérite des emplois est une ellipse forcée. L’auteur ajoute  : la fortune est plus partiale qu’elle n’est injuste, c’est-à-dire qu’entre des concurrents sans moyens, elle n’est pas injuste en refusant un emploi à tel qui ne le mérite pas, mais partiale, en l’accordant à tel autre, qui ne le mérite pas davantage. — S. — Suard explique très-bien la dernière phrase ; mais il n’a pas compris la première ; conviction est employé par Vauvenargues dans le sens de preuve, et, en substituant ce dernier mot à l’autre, la phrase devient très-claire. — G.
  8. Rapprochez de la Maxime 104e. — G.
  9. [Cela est-il bien vrai ? — V.] — Var. : [ « Il n’est donc pas décidé qu’ils soient plus sensibles au gain qu’a l’honneur, tel qu’ils l’imaginent. » ]
  10. On ne voit pas quelle est la liaison des deux parties de cette Maxime, ce qui la rend très-obscure. En disant que jamais de véritablement grands hommes ne se sont amusés à tourner des fables, vent-il dire que c’est un art d’instinct, d’inspiration ? Mais cela pourrait se dire de beaucoup d’autres genres de talents poétiques. Faut-il le prendre dans un sens défavorable ? On a peine à le concevoir d’après les éloges qu’il donne à La Fontaine dans ses Réflexions sur les poètes. On voit plus vivement encore, dans ses Lettres à Voltaire, l’admiration que lui inspirait le talent de La Fontaine, qu’il a même défendu contre Voltaire. — S. — La liaison des deux parties de cette pensée est immédiate. Vauvenargues faisait grand cas du génie de La Fontaine (voir la 1re Réflexion critique, page 233), mais il n’estimait que médiocrement la fable, de même que le roman, l’allégorie et, en général, tous les genres de fiction. — (Voir des Romans, page 70 ; Sur le merveilleux, page 102, et un passage sur les Allégories de Rousseau, page 260.) Du reste, Voltaire qui, certes, n’etait pas prévenu en faveur de La Fontaine, trouvait cette réflexion mauvaise (exemplaire d’Aix), et c’est lui qui l’a fait retrancher à Vauvenargues. — G.
  11. [Mauvais. — V.]
  12. [Non. — V.]
  13. Voyez la Maxime 472e. — G.
  14. Rapprochez de la Maxime 141e. — G.
  15. a, b, c, d et e [Faible. — V.]
  16. [La belle nouvelle ! — V.]
  17. [Louche. — V.]
  18. Var.: « Il n’y a rien de si froid au monde que ce qu’on a pense pour les autres. »
  19. a, b et c [Mauvais. — V.]
  20. [Louche. — V.]
  21. Ici, Voltaire emploie ironiquement l’affirmation allemande ia, comme pour signifier que la proposition de Vauvenargues va de soi, et n’a pas besoin d’être énoncée. — G.
  22. [Non. — V.]
  23. [On le sait. — V.]
  24. [Fausse, non ; mais fade. — V.]
  25. [Obscur. — V.]
  26. a et b [Faible. — V.]
  27. [Obscur. — V.] — Il faut chercher dans quelques Maximes précédentes, notamment dans la 20e et ses variantes, l’explication de celle-ci. Vauvenargues ne fait pas grand état de la raison, de la réflexion, de la prudence, de la sagesse, etc. : il leur préfère le sentiment, l’instinct, le courage, ou ce qu’il appelle la vertu, en prenant le mot dans le sens de force active ; et, comme il a déclaré plus haut que la raison est inutile ou impuissante pour les faibles, il déclare ici que la sagesse n’est bonne qu’à les tourmenter, sans profit pour eux, parce que la faiblesse est un mal sans remède. — Voir aussi la Maxime 430e, et la note qui s’y rapporte. — G.
  28. La pensée de Vauvenargues est que : si la liberté illimitée étend tous les vices, elle étend aussi toutes les vertus ; dans la 675e Maxime, il dit à peu près de même que les hommes ne font jamais de si grandes choses, que lorsqu’ils peuvent faire impunément bien des sottises. Tel est son goût pour le mouvement, que la licence même ne lui, déplaît pas ; les 5e et 42e Caractères (Lentulus et Clodius) en fournissent la preuve, et pourraient servir de commentaire aux deux Maximes dont nous parlons. — G.
  29. [Mauvais. — V.]
  30. [Obscur. — V.] — La Maxime 625e fait comprendre celle-ci. — G.
  31. [Trivial. — V.]
  32. [Commun. — V.]
  33. a et b [Faible ; poésie. — V.] — Voila les deux célèbres Maximes dont nous parlons dans notre Éloge ; Voltaire les biffe sur l’exemplaire d’Aix, et Vauvenargues les met au rebut ; en effet, elles ont disparu de la 2e édition. — Voir la note de la Maxime 159e. — G.
  34. Var. : « Qui fait plus de fortunes que la réputation ? et qui donne si sûrement la réputation que le mérite ? »
  35. Rapprochez cette Maxime, et les quatre suivantes, de la 51e. — G.
  36. Voltaire trouve cette Maxime obscure. Rappelons que Vauvenargues l’écrivait, sans doute, au moment où il aspirait à la gloire des lettres ; elle devient très-claire. — G.
  37. Cette Maxime laisse à penser, par contre, que le vice, accompagné de quelque esprit, peut encore être utile, et, en effet, Vauvenargues a plusieurs fois exprimé cette idée, sous différentes formes. (Voir la 4e note dela page 53.) — G.
  38. Var. : « J’ai cherché s’il n’y avait aucun moyen de faire sa fortune sans mérite ; et, me proposant tour à tour le service des grands, celui des femmes, la souplesse et l’adulation, etc., j’ai conclu de tous ces chemins ce qu’on dit ordinairement des jeux de hasard, qu’ils ne conviennent proprement qu’à ceux qui n’ont rien à perdre. » — Rapprochez des Maximes 380e, 760e, et 768e. — G.
  39. [Un sot est-il jamais monté sur un homme d’esprit ? — V.]
  40. Cest-à-dire, je crois, qu’il y a des gens dont le mérite est dans un genre si frivole et si misérable, que les louer selon leur mérite serait les rendre ridicules. — S.
  41. Rapprochez des Maximes 75e, 285e, 458e, 461e et 463e ; cette idée est chère à Vauvenargues. — G.
  42. a et b [Faible — V.]
  43. La même pensée se retrouve, presque en mêmes termes, dans la lettre de Vauvenargues au Roi, datée d’Arras, le 12 décembre 1743. — G.
  44. a et b [Commun. — V.]
  45. a et b [Commun. — V.]
  46. C’est demander à Dieu pourquoi il a fait des hommes ; car s’il y avait seulement deux êtres parfaitement heureux, il y aurait deux dieux, ce qui impliquerait contradiction. Puisqu’il existe des êtres qui ne sont pas des dieux, il doit exister des malheureux. — F. — Mais si l’on demandait à M. de Fortia : pourquoi les uns, plutôt que les autres ? — G.
  47. Sans doute, parce que toutes leurs passions sont concentrées en une seule, ou peut-être parce qu’ils craindraient qu’on ne les crut riches. — G.
  48. C’est-à-dire que, lorsqu’on n’a point de jugement, plus on a d’esprit et plus ou déraisonne. — S.
  49. Fontenelle. — G. — L’auteur veut dire que Socrate était plus sage, et Bayle plus savant. La vie de ces deux hommes a été si différente, qu’elle ne peut guère être mise en opposition, et il fallait un fait plus évident pour prouver qu’il y a peu de sciences utiles. Sans doute, celui qui n’est que savant, et qui reste enfermé dans son cabinet, sans instruire ses semblables par un ouvrage véritablement utile, ne vaut pas l’homme vertueux qui a lu peu de livres, mais qui a consacré sa vie à faire du bien à ses semblables. Si cette vérité est celle que l’auteur a voulu prouver par cette Maxime, elle n’avait besoin que d’être énoncée ; mais il semble que Vauvenargues avait une sorte d’animosité contre Bayle. — F. — Vauvenargues n’a pas plus d’animosité contre Bayle que contre Fontenelle ; mais il n’a jamais varié dans cette opinion que le bon sens vaut mieux que le savoir, de même que l’instinct, ou le sentiment, vaut mieux que la raison. Voltaire ne reprend rien à cette Maxime, quant au fond ; il remarque seulement qu’elle n’est pas bien écrite. — G.
  50. [Mauvais. — V.] — Rapprochez de la Maxime 157e ; voir aussi la 4e note de la page 53. — G.
  51. a et b [Commun, mauvais. — V.]
  52. [Obscur. — V.] — Voici, je crois, le sens de cette pensée, dont, en effet, l’expression n’est pas assez nette:Nous ne voulons nous laisser gouverner par personne, mais nous n’en voulons pas moins gouverner les autres. — G.
  53. [Trivial. — V.] — Rapprochez de la Maxime 559e. — G.
  54. [Mauvais. — V.] — Cette Maxime n’est pas aussi mauvaise que le dit Voltaire, pour ceux qui l’entendent à demi-mot : Vauvenargues avait à se plaindre de ses proches, qui ne se défiaient pas de leurs conseils (Maxime 816e), qui, par leur âge, se croyaient en droit de gouverner sa raison (Maxime 8l7e), qui voulaient le rendre heureux à ses dépens (Maxime 818e), en cherchant à le rétenir, malgré lui, en Provence (voir la 3e note de la page 371), qui lui reprochaient la cerise imprudemment mangeé (Maxime 819e), qui se montraient, à son égard, plus sévères que justes (Maxime 820e), qui lui reprochaient des fautes qui n’en eussent pas été, sans ses malheurs (Maximes 821e), car c’est l’adversité, seule, qui l’a fait paraître imprudent er coupable (Maxime 822e), tandis que le succès l’eût justifié. Bien n’est plus logique et plus intéressant que cette suite de pensées qui s’expliquent les unes par les autres. — G.
  55. [Commun. — V.]
  56. [On a cependant appris à lire. — V.]
  57. [Mauvais. — V.] — Voir la Maxime 475e, qui ne diffère de celle-ci que que par deux mots. — G.
  58. [Mauvais. — V.]
  59. [Horace l’a dit, et mieux. — V.]
  60. [Obscur. — V.] — L’auteur veut dire qu’alors même que l’occasion de les exécuter nous manque, et que, par conséquent, ils restent à l’etat de chimères, les grands desseins nous consolent, du moins, de la réalité. Dans cette Maxime, Vauvenargues trahit une fois de plus la secrète ambition qu’il a couvée pendant toute sa vie. — G.
  61. a, b et c [Inutile. — V.]
  62. Voir la Maxime 16e. — G.
  63. [Faible et répété. — V.]
  64. [Faible. — V.] — Cela paraît hors de doute. Cependant on rencontre souvent telle ou telle personne qui aime peu la vie, et qui craint infiniment la mort. — F. — Voir les Maximes 698e-700e. — G.
  65. Il faut, je crois, l’amour de la gloire. Sans triompher d’elle, c’est-à-dire, je pense, sans la faire mépriser. — S. — Gloire veut dire ici, je crois, forfanterie, et sans triompher d’elle signifie sans parvenir à la mépriser, ou à ne pas la craindre. — G.
  66. [Faux. — V.] Rapprochez des Maximes 364e et 365e. — G.
  67. a, b et c [Commun. — V.]
  68. a et b [Répéte.] — En effet, Vauvenargues revient bien souvent sur la première de ces deux pensées. — G.
  69. [Commun.] — V.
  70. a et b [Commun. — V.]
  71. a et b [Répété et faible — V.]
  72. [Trivial. — V.] — C’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il n’y a point de mal sans remède, et que le suicide est un acte de folie. — F. — Il est douteux que Vauvenargues pense ici au suicide ; son idée est plus générale. — Rapprochez des Maximes 252e, 455e et 456e. — G.
  73. a, b, c et d [2 et 2 font 4. — V.]
  74. Var.: « Si une pièce est faite pour être jouée, il n’en faut pas juger par la lecture, mais par l’effet des représentations. »
  75. Il semble que dans cette remarque l’auteur a en vue M. et Madame Dacier, traducteurs d’Homère et d’autres anciens écrivains grecs et latins. C’est principalement Homère dont il paraît qu’il est ici question. Si cela est, Vauvenargues a eu raison de supprimer dans sa seconde édition un jugement qui ne fait pas honneur à son goût. — S. — Nous croyons que Vauvenargues veut parler de Shakespeare, et non pas d’Homère que, dans le Discours sur le Caractère des différents siècles, il défend précisément contre les reproches qu’il lui ferait ici. — G.
  76. Il faut égaliser. — S. — Voyez les Maximes 219e et 288e. — G.
  77. [Trivial. — V.]
  78. Il faut, je crois, accoutumé à voir ou à croire qu’elle a’appuie, etc. Il faudrait aussi, je crois, au lieu de qu’elle s’appuie, répéter que la plaisanterie s’appuie, autrement la phrase n’est pas claire. — S.
  79. [Faux. — V.]
  80. [Déclamation triviale. — V.] — Voltaire, en effet, ne devait guère goûter cette Maxime, pas plus que les quatre qui précèdent. — G.
  81. Cette Maxime est la conclusion de la précédente. — G.
  82. Rapprochez de la Maxime 366e et de la note qui s’y rapporte. — G.
  83. [Bas. — V.]
  84. En effet, jusqu’à ce que J.-J. Rousseau le rappelle au spectacle de la nature, le XVIIIe siècle n’est guère occupé que du spectacle de la société. — G.
  85. [Trivial. — V.] — Voir la Maxime 726e. — G.
  86. a et b [Commun et répété. — V.] — Il faut, je crois, aussi sévèrement, et ensuite, que nous ne nous condamnons. — S.
  87. [2 et 2 font 4. — V.] — La Maxime 677e est le commentaire de celle-ci. — G.
  88. [Mauvais. — V.]
  89. [Qu’importe ? — V.] — Il importait beaucoup à Vauvenargues, dont l’âme douce, mais fière, était sensible aux affronts. Voir la 2e Lettre à M. Amelot, et les 1er et 60e Caractères (Clazomène et Sénèque). — G.
  90. a, b et c [Commun et dit. — V.]
  91. [La Fontaine l’a mieux dit. — V.] — Sans doute, dans le Renard et le Corbeau. — G.
  92. [Mieux dit dans Saint-Réal, et dans Manlius — V.] — Voltaire fait allusion à le Conjuration de Venise de Saint-Réal, et à la tragédie de La Fosse. — Rapprochez des Maximes 568e—574e, qui ont également trait à la diplomatie. — G.
  93. [Faux. — V.] — La Maxime 942e est le développement de celle-ci. — G.
  94. [2 et 2 font 4. — V.]
  95. [C’est bien la peine d’imprimer cela ! — V.]
  96. a et b [2 et 2 font 4. — V.]
  97. On sait que les Grecs ont renversé et conquis le royaume de Perse, et que les Romains ont envahi presque toute la partie du monde connue de leur temps. Il est vraisemblable que l’auteur veut mettre ici en opposition, avec ces conquêtes, l’acquisition de la Lorraine faite par Louis XV, roi de France, en 1736. — F.
  98. Dans son Siècle de Louis XIV, ch. II, Voltaire développe effectivement cette grande et belle idée. Vauvenargues ne le désignait ici que par la lettre initiale de son nom. — F. — Var. : « L’équilibre que les souverains tâchent de maintenir dans l’Europe, les oblige à n’être pas plus injustes que leurs sujets, et ne fait, en quelque manière, qu’une république de tant de royaumes. » — Vauvenargues ajoute, en note : « On trouvera cette pensée mieux développée dans un ouvrage de M. de Voltaire, où je l’ai prise. » — Il est à propos de remarquer que Vauvenargues n’a pu trouver la pensée dont il s’agit que dans l’Essai sur le siècle de Louis XIV, et non pas dans le Siècle de Louis XIV lui-même, ainsi que Fortia semble l’indiquer ; ce dernier ouvrage n’a paru qu’en 1751, quatre ans après la mort de Vauvenargues, tandis que le premier est de la fin de 1739. — G.
  99. [Vous contredites le chap. du Bien et du mal moral. — V.] — Voltaire a voulu dire vous contredisez, et il fait allusion au 43e chap. de l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain. Il faut remarquer que cette idée se retrouve à peu près identique dans la Maxime 311e, où Voltaire, loin d’y rien reprendre, l’a notée du mot Bien. — G.
  100. [C’est dans la Préface du plat livre de Pecquet. — V.] — Pecquet est un obscur écrivain du 18e siècle, qui a laissé, entr’autres ouvrages, un traité sur l’Art de négocier. — G.
  101. a, b et c [Commun. — V.]
  102. [Obscur. — V.] — Cette pensée nous paraît très-claire ; on en peut, d’ailleurs, trouver l’explication dans la Maxime 459e. — G.
  103. a, b et c [Commun. — V.]
  104. [2 et 2 font 4. — V.] — Pascal avait dit : « Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige. » — Pensées, 1re Partie, art. IX, 25. — G.
  105. a, b et c [Trivial. — V.] — Rapprochez cette dernière pensée et la suivante des Maximes 535e et 536e. — G.
  106. a et b [Commun. — V.] — La Rochefoucauld a dit à peu près de même (Max. 87e):Les hommes ne vivraient pas longtemps en société, s’ils n’étaient les dupes les uns des autres. — G.
  107. [Et aussi, pour s’envoyer promener. — V.] — Ce n’est pas tout à fait le texte de la note de Voltaire ; nous avons adouci l’expression, celle dont il se sert étant à ce point énergique, qu’il n’était pas possible de la transcrire. — G.
  108. a et b [Commun. — V.]
  109. [Mauvais. — V.]
  110. Culture désigne, comme l’on voit, dans cette pensée et la suivante, l’état d’un esprit cultivé par l’instruction. — F. — Voir la Maxime 303e. — G.
  111. Voir la note de la Maxime 317e.
  112. a, b, c et d [Commun. — V.] — Var. : « Nous sied-il de braver la mort, nous qu’on voit inquiets et tremblants pour les plus misérables interêts ? »
  113. [Vieux sermons. — V.] — Vauvenargues a sacrifié cette version à Voltaire ; mais il ne lui a pas sacrifié l’idée, car on la retrouve, sous une forme plus vive encore, dans la Maxime 322e, qui appartient à la seconde édition. — G.
  114. [Capucin ! — V.] — Voir la lettre datée du mois de février 1746, où Voltaire se sert du même mot. — G.
  115. [Répété. — V.]
  116. [A examiner. — V.]
  117. a et b [Trivial ; répété mille fois. — V.]
  118. [Faux ; on peut savoir tous les vers, et en faire mal. — V.]
  119. [Contradiction. — V.] — Il n’y a là aucune contradiction ; la pensée est que, s’il est difficile de remplir les grandes places, il est plus difficile encore d’en être jugé capable, tant les hommes ont de peine à croire au mérite qui n’a pu faire encore ses preuves. Cette Maxime n’est, sans doute, comme beaucoup d’autres, qu’un retour de Vauvenargues sur lui-même, au moment où il sollicitait un emploi dans les affaires, et où ses amis l’accusaient peut-être de présomption. Quant à la dernière phrase, que Vauvenargues souligne, comme une citation, nous ne savons à qui l’attribuer ; mais La Rochefoucauld exprime une idée à peu près semblable dans sa 164e Maxime : Il est plus facile de paraître digne des emplois qu’on n’a pas, que de ceux que l’on exerce. — G.