Récit d’un berger au balet de Madame

Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 170-173).


XXIX

RECIT D’UN BERGER
au balet de madame
princesse d’espagne

1615


Houlete de Louys, houlete de Marie,
Dont le fatal appuy met nostre bergerie
Hors du pouvoir des loups,
Vous placer dans les cieux en la mesme contrée
Des balances d’Astrée,
Est-ce un prix de vertu qui soit digne de vous ?

Vos penibles travaux, sans qui nos pasturages,
Battus depuis cinq ans de gresles et d’orages,
S’en alloient desolez,
Sont-ce pas des effets que, mesme en Arcadie,
Quoy que la Grece die,
Les plus fameux pasteurs n’ont jamais égalez ?


Voyez des bords de Loire et des bords de Garonne
Jusques à ce rivage où Thetis se couronne
De bouquets d’orangers,
À qui ne donnez-vous une heureuse bonace,
Loin de toute menace
Et de maux intestins et de maux estrangers ?

Où ne voit-on la paix, comme un roc affermie,
Faire à nos Gerions detester l’infamie
De leurs actes sanglans,
Et la belle Cerés, en javelles seconde,
Oster à tout le monde
La peur de retourner à l’usage des glans ?

Aussi dans nos maisons, en nos places publiques,
Ce ne sont que festins, ce ne sont que musiques
De peuples réjouys ;
Et, que l’astre du jour, ou se leve ou se couche,
Nous n’avons en la bouche
Que le nom de Marie et le nom de Louys.

Certes une douleur quelques ames afflige,
Qu’un fleuron de nos lys, separé de sa tige
Soit prest à nous quitter ;
Mais, quoy qu’on nous augure et qu’on nous face craindre,
Elize est-elle à plaindre
D’un bien que tous nos voeux luy doivent souhaitter ?


Le jeune demy-dieu qui pour elle soupire
De la fin du Couchant termine son empire
En la source du jour.
Elle va dans ses bras prendre part à sa gloire :
Quelle malice noire
Peut sans aveuglement condamner leur amour ?

Il est vray qu’elle est sage, il est vray qu’elle est belle,
Et nostre affection pour autre que pour elle
Ne peut mieux s’employer.
Aussi la nommons-nous la Pallas de cet âge ;
Mais que ne dit le Tage
De celle qu’en sa place il nous doit envoyer ?

Esprits mal avisez, qui blâmez un échange
Où se prend et se baille un ange pour un ange,
Jugez plus sainement.
Nostre grande bergere a Pan qui la conseille :
Seroit-ce pas merveille
Qu’un dessein qu’elle eust fait n’eust bon évenement ?

C’est en l’assemblement de ces couples celestes
Que, si nos maux passez ont laissé quelques restes,
Ils vont du tout finir.
Mopse, qui nous l’asseure, a le don de predire,
Et les chesnes d’Épire
Sçavent moins qu’il ne sçait des choses à venir.


Un siecle renaistra comblé d’heur et de joye,
Où le nombre des ans sera la seule voye
D’arriver au trépas.
Tous venins y mourront comme au temps de nos peres,
Et mesme les viperes
Y picqueront sans nuire, ou n’y picqueront pas.

La terre en tous endroits produira toutes choses ;
Tous metaux seront or, toutes fleurs seront roses,
Tous arbres oliviers ;
L’an n’aura plus d’hiver, le jour n’aura plus d’ombre,
Et les perles sans nombre
Germeront dans la Seine au milieu des graviers.

Dieux, qui de vos arrests formez nos destinées,
Donnez un dernier terme à ces grands hymenées,
C’est trop les differer ;
L’Europe les demande, accordez sa requeste :
Qui verra cette feste
Pour mourir satisfait n’aura que desirer.