Règlement et Système D


RÈGLEMENT et SYSTÈME D

Séparateur


Les Compagnies de Chemins de fer
ignorent les Combattants




En avant, la musique !


Notre camarade Paul Tapponnier, député de la Haute-Savoie, exposait récemment à M. le ministre des Travaux publics que les sorties diverses bénéficiaient de réductions en chemins de fer et sur certains réseaux particulièrement, alors que les délégations d’anciens combattants se rendant en groupe à des cérémonies commémoratives ou à certains anniversaires, en pèlerinage sur les tombes de camarades, ne peuvent en profiter. Il demandait donc que ces avantages puissent leur être accordés.

Sur quoi M. le ministre lui répondit que le département des Travaux publics a déjà signalé tout particulièrement aux grandes administrations de chemins de fer les desiderata des anciens combattants relatifs aux pèlerinages qu’ils effectuent dans la zone des armées. Ces administrations ont objecté que, d’une part, les groupements dont il s’agit n’étaient pas dans les conditions requises pour bénéficier des nouveaux tarifs G. V. 8 et 108, et que, d’autre part, les réseaux, en raison des difficultés actuelles de leur exploitation, avaient dû suspendre toute réduction de tarif non prévue au cahier des charges.

Il n’est pas permis de douter de la bonne volonté de M. Le Trocquer, non plus que de son désir de voir accorder satisfaction aux A .C. À ces derniers, il a donné constamment les marques d’une sollicitude attentive et pleine d’intérêt.

Que n’en peut-on dire autant des dirigeants des grandes Compagnies !

Chaque fois que pareille demande leur fut faite, identique refus la suivit.

Les desiderata des anciens combattants, groupés en association, ne peuvent-ils donc être accueillis ?

Réglementairement, non, répondent les Compagnies. Les tarifs G. V. 8 et 108 désignent nommément les sociétés admises à ce bénéfice : sociétés musicales, sociétés de gymnastique, sociétés sportives. Ils ne font pas mention des sociétés d’anciens combattants.

Ingénument, ceux-ci avaient pensé à une assimilation possible, qui, dans leur esprit, ne pouvait souffrir de difficultés. Cent raisons, autant économiques que sentimentales, militaient en leur faveur, et ils s’étonnaient d’abord, s’indignaient bientôt d’une opposition pour eux incompréhensible.

Les anciens combattants et leurs familles se rendant chaque année, en de nombreux pèlerinages, aux divers points de l’ancien front, ne créent-ils pas un mouvement de voyageurs intéressant ?

Tous les Français n’avaient-ils pas le devoir d’assurer, chacun dans la mesure de ses moyens, l’hommage aux morts de la guerre et le culte du souvenir ?

Tarifs G. V. 8 et 108 répondent les réseaux !

Au surplus, cette interprétation n’a jamais fléchi à l’égard des anciens combattants. Les compagnies ont toujours ignoré et continuent de vouloir ignorer ceux qui les ont défendues.

Intraitables, inhumaines, elles ont refusé encore, tout dernièrement, d’accorder aux vétérans de Reischoffen la moindre réduction, et l’on a vu deux de ces nobles vieillards. Le colonel Bobinot, âgé de 85 ans, obligé de se rendre de Dijon à la manifestation de Reischoffen en 3e classe, et le colonel Billet, âgé de 86 ans, y aller de Fismes dans les mêmes conditions.

Combien n’y sont pas allés, en raison des prix du voyage ?

Eh bien ! Il faut dire le mot : c’est dégoûtant ! Quand l’application d’un règlement atteint une telle étroitesse, elle n’est plus que de la muflerie.

Où seraient donc les tarifs G. V. 8 et 108 sans les combattants ? Au reste, une excellente occasion s’est présentée d’y inscrire leurs groupements, lors du vote du nouveau régime des chemins de fer.

Pourquoi les Compagnies s’y sont-elles alors refusées ? En raison des difficultés actuelles, de leur exploitation, elles ont dû suspendre, disent-elles, toute réduction de tarif, et la meilleure manière de ne point accorder de réduction c’est, tout naturellement, de ne pas admettre de nouveaux bénéficiaires.

Quelle belle blague ! Mais ne nous attardons pas à une inutile indignation. Vous pensez bien qu’en France, le pays du système D, tout peut s’arranger quand on sait s’y prendre.

Aux A. C. pas de tarif de faveur, c’est entendu ; aux bigophones, par contre, toutes les réductions autorisées ! Et qui donc, je vous le demande un peu, empêche un bigophoniste d’être un ancien combattant ?

Associations, sections, constituez-vous, par ailleurs, en société de bigophones ou de tout autre instrument de musique. Il vous en coûtera 2 francs, le prix d’une feuille de papier timbré qui contiendra votre déclaration à la préfecture… Et les Compagnies se feront un plaisir de vous accorder le meilleur tarif pour vous rendre bigophoner à Soissons, à Binarville, à Reims comme à Pont-à-Mousson. Quatre mille de vos adhérents, s’il leur plaît, pourront accompagner leurs camarades bigophonistes autant qu’ils seront eux-mêmes instrumentistes.

Le règlement des réseaux prendra ainsi la symbolique figure du piquet de l’absurdité que contourne la foule.

Le principe sera sauf, les Compagnies n’auront pas transigé, et tout le monde aura satisfaction, y compris les intérêts des Chemins de fer, qui ne sauraient être, les précautions sont trop bien prises, les victimes d’une immense farce des A. C., rentrant par la porte des bigophonistes.

Un bigophoniste, voilà qui n’aggrave pas les difficultés d’exploitation des réseaux !

Jean CLAUDE.