Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Le Tombeau

Napoléon/Le Tombeau
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 318-320).
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L

LE TOMBEAU


 
" Il est temps, fossoyeur ! Lève-toi ! Prends ta pelle !
Va creuser, avant l’aube, une tombe nouvelle,
Étroite, abandonnée à tous les vents du nord.
—En quel lieu ? -Sur ce roc. -Comment est fait le mort ?
—Qu’importe s’il fut grand, petit, ou fol, ou sage ?
Il est ce qu’ils sont tous, et n’est pas davantage.
—Quel nom faut-il graver sur l’airain ? -Point de nom.
Le mort connaît le mort ; la tombe son limon.
—Quel écusson faut-il ciseler sur la pierre ?
Combien de pleurs de marbre et quelle humble prière ?
—Ni larmes, ni prière. Au lieu de ton ciseau,
La foudre gravera l’écusson du tombeau. "
Lentement un cercueil passe sur la colline ;
Plus lentement encor, l’herbe après lui s’incline.
Pas à pas sur l’essieu de son char qui descend,
La pierre du chemin le cahote en passant ;
Ainsi qu’un char rustique, au bout de la journée
Qui ramène des champs la moisson de l’année.
La moisson de l’année et de l’éternité,
En son champ ténébreux, mûrie avant l’été !
Puis après le cercueil, qui suivait le cortége ?
Tous les aigles de mer, que la tempête assiége.
Et l’orage après eux s’abritait dans le port ;
Et la tombe disait : est-il vrai qu’il est mort ?


Dans la nue on voyait, en ses flancs enfermée,
De soldats morts au loin une muette armée.
La bise balayait leurs pâles bataillons ;
De leur soleil éteint ils cherchaient les rayons ;
Sous leurs manteaux de brume ils cachaient leur armure,
Et de leurs cieux errants s’exhalait un murmure.
On entendait dans l’air un céleste clairon ;
D’invisibles chevaux hennir sous l’éperon ;
Les trompettes des morts résonner sous la brise ;
Et, pareil à la voix d’un peuple qui se brise,
Des cymbales le glas au tremblement d’airain ;
Et les tambours battaient leur appel souterrain.
Dans le val de Longwood, sous le pic de Diane,
L’ombre, en paix, sommeillait. En son lit diaphane,
La source au pied du saule, éveillée à demi,
En paix désaltérait le ver et la fourmi ;
Mais le saule penché sur le flot qui s’écoule
Gémissait et pleurait, comme fait une foule.
La mer aussi gémit. De ses bords africains
Elle a poussé son flot ; et son flot aux longs crins,
Haletant, s’est dressé pour voir les funérailles.
Comme un bon fossoyeur, sous ses hautes broussailles,
Lui-même, l’éternel, a caché le tombeau ;
Et sur sa bouche d’or l’abîme a mis un sceau.
Et puis ce fut là tout. Sur le bord de la pierre,
L’abeille a bourdonné. L’insecte et la vipère,
Apportant leurs petits ensemble au même lieu,
Ont appris, par hasard, le mystère de Dieu ;

Le flot a demandé son secret au rivage,
Et l’abîme a gardé le secret du naufrage.

Seulement, près du mort, jour et nuit, sans repos,
La sentinelle veille et contemple ses os.
Elle passe, et repasse, et pèse son argile,
De peur qu’il ne s’éveille au branle de son île,
Et qu’en se retournant, muet, sur le côté,
Il ne fasse en ses flots trembler l’immensité.