Questions scientifiques - Les Perles fines

Questions scientifiques - Les Perles fines
Revue des Deux Mondes4e période, tome 151 (p. 671-690).
QUESTIONS SCIENTIFIQUES

LES PERLES FINES

PRODUCTION NATURELLE
ET PRODUCTION ARTIFICIELLE

Un essai de production artificielle des perles, dont la réussite était annoncée récemment devant l’Académie des sciences, a éveillé l’attention d’un grand nombre de personnes, assez étrangères en général à ce qui se passe dans les lundis académiques. On a voulu savoir ce qu’étaient ces perles fabriquées en quelques mois dans un laboratoire de zoologie ; si elles pouvaient soutenir la comparaison avec les perles naturelles ; et faire à celles-ci une concurrence redoutable. Ces joyaux coûteux et rares allaient-ils cesser d’être rares et coûteux ? Cette éventualité, souhaitée par quelques-uns, redoutée par d’autres, n’est pas indifférente à des personnes qui n’en possèdent ni n’en désirent, qui ne sont appelées ni à en porter, ni à en offrir, à en acheter ou à en vendre, mais qui s’intéressent seulement aux choses de l’histoire naturelle.

La tentative, partiellement heureuse, dont il est question, a remis en mémoire des essais du même genre qui, à d’autres époques et dans d’autres pays, ont plus ou moins bien réussi, — et qui cependant n’ont pas changé le cours des choses, ni accompli aucune révolution dans l’art de la parure ou dans le commerce de la joaillerie. Ils sont bien loin, cependant, de mériter l’oubli. Ils ont conservé un intérêt scientifique, et c’est ce qui nous justifiera d’en évoquer le souvenir. Les expériences nouvelles de M. L. Boutan, si elles ne doivent pas avoir d’autre résultat, auront au moins celui-là : elles auront jeté un peu plus de lumière sur l’histoire naturelle de la perle.

Il faut bien avouer que cette histoire est mal connue. Si l’on doutait de notre ignorance scientifique à cet égard, il suffirait de se reporter à cette séance de l’Académie du 21 novembre dernier, dans laquelle M. de Lacaze-Duthiers a communiqué à ses collègues le résultat des recherches de M. Boutan, — et surtout à la discussion qui a suivi cette présentation. Des naturalistes, des chimistes, des navigateurs y ont pris part, et ont dit chacun leur mot. Et, après tout cela, nous ne savons pas encore, de façon certaine, quel est l’organe de l’huître perlière qui produit la perle. Les uns ont supposé implicitement que c’était une production du manteau, d’autres que c’était une concrétion du rein ; et l’opposition ou la co-existence de ces deux origines diverses attribuées aux perles, n’a même pas été mise en évidence. On a parlé de glandes et de sécrétion glandulaire d’une part, de production ou végétation épithéliale d’autre part, sans choisir entre ces deux mécanismes. On n’a pas décidé davantage si ces productions tendaient à être englobées dans la coquille ou à s’en séparer. Il ne semble pas, d’après cela, que l’on soit bien instruit du mécanisme intime de la formation de la perle et que l’on puisse se proposer d’imiter la nature dans cette opération autrement que d’une manière tout à fait empirique et par conséquent incertaine.


I

Le luxe des perles fines vient de l’Orient. De temps immémorial elles y étaient estimées à l’égal des plus belles pierreries. L’usage s’en est propagé lentement dans le monde occidental, à la suite des conquêtes d’Alexandre et de l’établissement de la domination romaine. Il n’a pénétré que tardivement en France, et bien qu’elles soient mentionnées, dit-on, dans les édits somptuaires de Philippe le Bel, la vogue n’en commença que trois siècles plus tard avec Henri III.

Les perles anciennes venaient de l’océan Indien, de la Mer-Rouge, et du golfe Persique. On s’explique donc que ce soient les Asiatiques, les Perses et les Égyptiens qui les aient connues les premiers ; elles se sont répandues successivement chez les peuples voisins. D’après la légende hindoue, c’est le Dieu Krishna qui les aurait tirées de l’Océan pour en faire présent à sa fille Pandaia. Elles figurèrent plus tard dans les trésors de Salomon ; les Chinois, eux aussi, en connurent le prix.

Ce sont encore les mêmes régions, les mêmes bancs d’huîtres qui sont exploités aujourd’hui et fournissent les plus belles perles. Il est vrai que cette exploitation, par suite de diverses circonstances, a presque toujours été modérée et réglée. Parmi les anciennes pêcheries, celles de Ceylan sont les plus célèbres ; elles sont situées sur la côte orientale de l’île : les bancs de Kondatchy, de Negombo, de Chilan sont les plus riches. On cite encore les pêcheries de l’île de Manaar, au nord de Ceylan, et celles de la côte de Coromandel. Ce n’est pas que les mollusques producteurs de perles soient cantonnés dans ces seules régions ; mais c’est là que se rencontrent réunies au mieux les conditions assez complexes qu’exige leur récolte. Le gouvernement de l’Inde anglaise l’a, depuis longtemps, réglementée ; il la surveille et la contrôle. Il en tire d’ailleurs un profit important que l’on peut évaluer à plusieurs millions par an.

Dans le golfe Persique, sur la côte d’Arabie, les îles de Bahrein ou d’Aouab ont donné lieu, de temps immémorial, à la pêche des perles. Une population de trente mille pêcheurs, bateliers, plongeurs, trafiquans, Arabes, Indiens et Persans, vient chaque année s’abattre sur ces bancs pour y pratiquer la recherche des perles et, occasionnellement, la rapine. On évalue à quatre millions environ la valeur annuelle de la récolte. Les Grecs ont connu l’existence de ces riches gisemens. C’est de là sans doute qu’ils tiraient, par l’intermédiaire des Phéniciens, les perles dont les jeunes Athéniens ornaient leur oreille droite, coutume qu’ils avaient empruntée aux Perses. Les jeunes filles en portaient aux deux oreilles. Les perles, en Grèce comme à Rome, étaient d’ailleurs consacrées à Vénus, née comme elles de l’écume des ondes. C’est à la Vénus du Panthéon que l’empereur Septime Sévère dédia la perle, jumelle de celle que Cléopâtre, dans le célèbre festin qu’elle offrit à Antoine, avait avalée dans une coupe de vin.

À ces pêcheries anciennes sont venues s’ajouter celles que les découvertes géographiques ont successivement fait connaître dans les diverses parties du monde. Elles ne s’écartent guère de la région tropicale ; car c’est seulement dans les mers chaudes que l’huître perlière peut se développer et prospérer. Les gîtes les plus fertiles sont, en Afrique, ceux de la mer Rouge, Dahlak sur Le littoral abyssin, et Djiddah sur la côte orientale : plus au sud, on trouve des agglomérations d’huîtres perlières aux Comores et près de Zanzibar.

Dès la découverte de l’Amérique, des pêcheries s’établirent dans la mer des Antilles, sur les côtes du golfe de Paria, et dans l’île Marguerite, l’une des Îles Sous-le-Vent, qui tire précisément son nom des perles (margarita) qu’elle fournit.

Sur le littoral du Pacifique, au Pérou, et en Colombie, il y a des pêcheries très prospères, et les perles de Panama en particulier sont parmi les plus estimées. Enfin, d’autres exploitations qui existaient déjà au temps de Cortez, au Mexique, le long du golfe de Californie, sont actuellement en pleine activité.

Les pêcheries Océaniennes ne sont pas moins nombreuses. Les plus prospères sont celles de l’Australie, à l’intérieur du grand récif. La récolte des perles, en 1882, dernière année où s’arrêtent nos documens, y a produit 1 750 000 francs. Aux Îles Sandwich, dans la Nouvelle-Guinée, aux Philippines, dans les Îles de la Sonde, on se livre également à l’exploitation de l’huître perlière. La France enfin possède, aux îles Gambier, mais surtout à Tahiti et aux îles Tuamotu, d’immenses pêcheries, qui d’ailleurs rapportent peu de chose au commerce français et rien au gouvernement. Telle était au moins la situation en l’année 1885. L’archipel des Tuamotu, avec ses quatre-vingts îlots, dont soixante-quinze sont entourés de bancs d’huîtres perlières, produit environ pour 600 000 francs de perles chaque année. Mais contrairement à ce qui arrive pour l’Inde anglaise, dont nous avons vu que le gouvernement surveillait les pêcheries et en tirait un fort revenu, nos exploitations Océaniennes ne sont ni contrôlées ni surveillées, et les perles qu’elles produisent sont vendues au commerce anglais, allemand et américain, auprès duquel vient ensuite s’alimenter la joaillerie française. Ces perles de Tahiti et des Tuamotu sont d’une belle eau ; mais les gîtes abusivement exploités pendant longtemps ne fournissent plus les beaux spécimens d’autrefois, gros comme des cerises, dont une reine Pomaré se servait en son temps, comme de billes à jouer.

Cette simple énumération des pêcheries de perles, dispersées dans toutes les mers, doit suffire à calmer les appréhensions des possesseurs de ces vains joyaux quant à la concurrence que pourrait leur faire la production artificielle du laboratoire de Roscoff. En supposant que ses produits puissent lutter d’éclat avec les perles de l’Orient, de Panama ou de Tahiti, ce ne serait encore qu’une pêcherie de plus à ajouter à la liste déjà longue de celles qui sont en activité dans le monde entier.

Ces renseignemens comportent encore une autre conclusion. Ils nous montrent combien étendu est l’habitat de l’huître perlière et qu’il forme, en quelque sorte, une ceinture complète autour du globe.


II

Le mollusque qui produit la perle-type, et qui a tant de traits de ressemblance avec l’huître ordinaire, n’est cependant pas une huître véritable, pour le naturaliste classificateur. Il appartient à un genre voisin, le genre Avicule. Son nom spécifique est Meleagrina margaritifera. On l’appelle communément pintadine ou mère-perle. On peut se le représenter comme une huître assez régulière, dont les deux valves sont également bombées et presque égales.

On distingue deux variétés de ces mollusques, qui se différencient par leur taille et, au point de vue commercial, par la « qualité de leurs produits. L’une est la grande pintadine qui peut atteindre jusqu’à 30 centimètres de diamètre et 10 kilos de poids : l’autre, Meleagrina radiata, est la petite pintadine ou linga ; son diamètre ne dépasse guère une douzaine de centimètres et son poids cent à deux cents grammes. L’une et l’autre se rencontrent dans les mêmes mers des Indes et de Chine ; mais la petite pintadine se cantonne plus spécialement dans le golfe Persique, dans la Mer-Rouge, dans le golfe des Antilles et au nord de l’Australie. C’est la grande pintadine qui domine dans le reste de la Malaisie, aux îles de la Sonde, et sur la côte orientale de l’Afrique. Les deux variétés peuvent produire des perles également fines ; mais c’est la grande pintadine qui fournit la plus belle nacre.

L’histoire de la nacre est inséparable de l’histoire de la perle. L’huître perlière est recherchée pour l’un et l’autre de ces produits, précieux à des degrés divers. Si la coquille ne contient point de perle, et cela arrive trois fois sur quatre, il reste toujours la nacre ; le pêcheur n’a pas entièrement perdu sa peine. La nacre constitue le revêtement interne du test et représente les quatre cinquièmes, au moins, de son poids. La coquille peut être plus ou moins rugueuse au dehors, mais elle offre, au dedans, au contact du manteau, une surface douce et polie, chatoyante, à reflets teintés de toutes les couleurs du prisme.

Cette belle substance d’où la lumière fait jaillir de véritables feux irisés offre de précieuses ressources pour la décoration. L’industrie, et particulièrement l’industrie française, l’emploie abondamment aujourd’hui pour la tabletterie, la marqueterie, l’ébénisterie, la fabrication des éventails, la fabrication des boutons. Elle était autrefois beaucoup plus rare et d’un prix ; bien plus élevé. C’était vraiment une matière de grand luxe que les Orientaux réservaient pour les incrustations des bijoux ou des meubles les plus somptueux. Aujourd’hui la plus belle nacre est tombée au prix de 37 francs le kilo, prise en tonnes. Cet abaissement de valeur date de la découverte de la Polynésie et de l’établissement des Européens dans cette cinquième partie du monde ; il est dû à l’exploitation des pêcheries Océaniennes. C’est, en effet, sur les fonds du Pacifique, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, que prospère la grande pintadine ; et c’est elle qui fournit la nacre la plus recherchée pour sa consistance, son poids, la richesse de ses teintes irisées et la diversité de ses couleurs. La France était encore, il y a quelques années, le pays qui employait le plus de nacre. D’après M. Bouchon-Brandely, elle en importait, en 1883, au delà de 2 200 tonnes, dont la majeure partie, 1 500 tonnes, lui venait de Londres. Nos établissemens d’Océanie, qui en fournissent à eux seuls 600 tonnes, ne nous en expédiaient directement que 70 tonnes : le reste transitait par l’Angleterre et ne nous arrivait qu’après avoir payé tribut à nos voisins d’outre-Manche.

La nacre n’est pas une production spéciale à l’huître perlière ; pas plus d’ailleurs que la perle. Il y a beaucoup de coquillages nacrés, et qui peuvent, par conséquent, donner des perles, à l’occasion. Nous savons seulement qu’aucun n’est comparable à la pintadine pour l’abondance, la constance, la régularité et la beauté de ces productions. Les Haliotides, ou oreilles de mer, les Turbo ou burgaus qui vivent dans toutes les eaux marines, les Nautiles flambés communs aux îles Nicobar, dans le golfe du Bengale, les Pinnes ou Jambonneaux qu’on trouve dans le sable de la Méditerranée, les Trochus ou toupies, peuvent fournir des nacres commerciales plus ou moins estimées. La plupart de ces coquillages fournissent aussi des perles. C’est précisément l’Haliotide, abondante sur les fonds rocheux de la Manche, que M. L. Boutan a prise pour sujet de ses expériences de production artificielle. Il faut encore citer, parmi les mollusques margaritifères, la Tridacna ou Bénitier, l’Avicule hirondelle, le Marteau ordinaire, la Vénus vierge.

Il y a donc dans nos mers tempérées de l’Europe des mollusques qui peuvent donner la nacre et la perle. Bien plus, il y en a dans nos fleuves, dans les eaux saumâtres des deltas et des embouchures, ou même dans les eaux douces des étangs, des rivières et des ruisseaux. Tels la mulette des peintres (Unio pictorum) et l’huitre perlière d’eau douce (Margaritana margaritifera) que l’on trouve dans les torrens des montagnes en Bavière, en Saxe, en Bohème et dans tout le nord de l’Europe. Les rivières du Pesth, du Tuy et du Don, en Écosse, fournissaient au commerce de petites perles que l’on appelait « perles d’Écosse. » On en récoltait aussi dans les autres contrées de l’Angleterre, et particulièrement du pays de Galles ou même de l’Irlande. De temps à autre on trouve parmi ces grains des perles plus grosses dont la valeur marchande peut s’élever jusqu’à 500 francs. Ces perles d’Écosse étaient connues au temps des Romains ; Tacite en parle, et c’est avec ces perles calédoniennes que Jules César fit orner la cuirasse de la Vénus Genitrix.

Il existe, en Chine, une espèce voisine de l’Anodonte, la Barbata plicata, qui donne lieu à une production artificielle assez curieuse. Les Chinois l’élèvent soigneusement et lui font produire des perles à volonté : bien mieux, ils l’emploient à nacrer ou à perler un grand nombre d’objets de petite dimension, dragons, statuettes, magots, médaillons, petites boules, poissons naturels, c’est-à-dire à les revêtir d’une couche de matière perlière, présentant l’aspect et l’éclat chatoyant de la perle véritable. Il existe dans les collections du Muséum des spécimens de cette curieuse industrie de recouvrement que l’on a ingénieusement comparée à une sorte de galvanoplastie vivante.


III

Nous avons dit les ressemblances de l’huître perlière et de l’huître comestible. Chez les deux espèces, la charnière est droite. dépourvue de dents ; elle présente un ligament élastique interposé aux deux valves qui les maintient constamment entre-bâillées. Elles restent dans cet état tant que le muscle adducteur étendu du centre d’une écaille à l’autre, n’entre pas en jeu. Dès qu’il se contracte, sous l’influence de la volonté de l’animal, la coquille est énergiquement fermée. Il faut, pour l’ouvrir, sectionner le muscle. Cette opération, qui est facile chez l’huître comestible parce que la valve supérieure est plate, est au contraire laborieuse chez l’huître perlière dont les deux écailles sont également bombées, la taille plus grande, et les muscles plus puissans.

Chaque écaille est doublée intérieurement d’une lame membraneuse, assez mince, qui s’y applique exactement quoique lâchement, et qui la déborde quelque peu. Elle enveloppe le corps de l’animal à la façon d’un manteau. Le manteau, pallium, est à la coquille ce que la doublure est au vêtement, la tenture d’un appartement au mur qu’elle recouvre, le premier feuillet de garde à la reliure d’un livre. L’ourlet qui termine le manteau et qui court sur le bord de la coquille est un organe qu’il faut distinguer du manteau lui-même.

Les rapports du manteau avec le test sont bien plus intimes que ne l’indiquent les comparaisons précédentes. Le manteau est, en effet, la matrice de la coquille ; c’est lui qui la produit et la répare.

C’est aussi le manteau qui, dans l’opinion de la plupart des naturalistes, produit les perles. Comme la coquille même, la perle serait une sécrétion de l’organe palléal. Telle est l’assertion répétée à l’envi par tous les auteurs classiques. Partout on retrouve cette assimilation de la coquille à la perle, considérées comme productions communes du même organe. La matière est la même, c’est le phosphate et le carbonate de chaux mêlés à une substance organique, la conchyoline ; l’ouvrier est le même, le manteau ; la mise en œuvre est seulement un peu différente, la matière étant disposée dans la perle en zones concentriques, tandis que dans le test les assises sont planes et superposées comme les pages d’un livre. On peut assez facilement cliver la coquille et particulièrement la nacre qui en est la couche interne, c’est-à-dire la débiter en feuillets.

Mais quelques naturalistes prétendent, au rebours de l’opinion précédente, que Le plus grand nombre des perles ne sont point une formation du manteau imitée de la formation de la coquille, mais une concrétion du rein. Cet organe, que l’on appelait autrefois l’organe de Bojanus, consiste en un sac en forme de poire, ouvert à la pointe pour l’évacuation de sa sécrétion. La paroi du sac, au lieu d’être régulière, est plissée et tourmentée ; la cavité libre forme une sorte de canal anfractueux. Les cellules glandulaires qui le bordent y poussent un prolongement qui s’emplit de sucs et de concrétions, et qui tombe enfin dans cette cavité. Ces concrétions urinaires, dans certaines conjonctures, au lieu d’être évacuées au dehors, s’agglomèrent en couches concentriques. La perle est formée. D’après cela, la perle, c’est-à-dire le joyau pur et noble par excellence, ne serait, en définitive, rien autre chose qu’une pierre néphrétique, un simple calcul urinaire. Il faudrait voir, dans l’huitre perlière, un malheureux mollusque graveleux, calculeux, perclus.

L’organisme fait des efforts tantôt vains, tantôt couronnés de succès, pour se débarrasser de ce produit pathologique. Les pêcheurs sont persuadés que l’animal expulse quelquefois violemment la perle, particulièrement dans les temps orageux. Lorsqu’ils recueillent les pintadines, ils ont soin de fermer vivement les valves pour empêcher cette expulsion. En tous cas, que ce soit d’une façon ou d’une autre, la perle finit par se frayer un chemin à travers les tissus mous, délicats, sans résistance. Elle tombe habituellement dans la glande génitale qui est voisine de son lieu de production ; dans le manteau, aux environs du muscle adducteur ; dans les branchies. Il advient aussi qu’elle prenne contact avec la couche nacrée de l’écaille, qu’elle s’y soude et semble y avoir pris naissance ; elle s’enlize de plus en plus dans le dépôt des nouvelles couches de nacre, et finalement peut y être submergée. Le cas n’est pas rare et les acquéreurs de nacre ont soin de rechercher ces perles enclavées. Un négociant de Paris, M. D. Léobodti, a trouvé moyen de les extraire, sans les briser, et de leur rendre leur primitif éclat. La collection du Muséum lui doit des échantillons remarquables de ce travail. S’il est vrai, d’après cela, que les corps placés au contact de la nacre tendent à s’y encastrer et à y disparaître, bien loin d’en saillir et de s’en séparer, il devient difficile de considérer la perle comme une production du manteau.

L’examen microscopique, en révélant la structure de la perle, semblait devoir trancher la question de son origine. On a donc débité des perles en tranches minces et on les a soumises à ce genre d’investigation. On a vu qu’elles étaient constituées par un emboîtement d’assises concentriques. Le centre est occupé habituellement par un corps étranger. On conçoit l’intérêt qui s’attache à ce noyau de formation, puisqu’il marque chronologiquement le début du travail qui a donné naissance à la perle et qu’il en est le point de départ. Quelques observateurs ont cherché à en préciser la nature. Un zoologiste italien, Ph. de Filippi, a examiné pour cela un grand nombre de perles, non pas sans doute les belles perles de la pintadine dont le prix est inabordable, mais les perles plus communes produites par l’huître perlière d’eau douce, l’Unio margaritifera. Il y a trouvé, comme noyau, presque toujours un animal parasite, ordinairement un Distome. Le célèbre helminthologiste Küchenmeister, reprenant cette étude, en 1856, rencontra comme noyau, non pas un Trematode, mais un Acarien (Limnochares Anodontae). Son observation fut d’ailleurs confirmée par le professeur de Turin qui, à son tour, aperçut dans une perle d’Anodonte un autre Acaride (Atax ypsilophore). Cette remarque suggérait immédiatement un moyen de multiplier les perles en multipliant les parasites.

Mais on avait généralisé trop vite. Il s’en faut de beaucoup que ce soit toujours un parasite qui occupe le centre de la perle. Ce qui est vrai c’est que ce noyau est fréquemment un corps étranger, un grain de sable, un débris végétal, un éclat de coquille, comme l’a montré Hessling. Les premières couches qui se déposent sur ce noyau se distinguent par leur structure de celles qui se déposent plus tard. Elles seraient constituées, d’après Mœbius, par la juxtaposition de prismes calcifiés à six pans représentant une sorte de mosaïque ou de carrelage. C’est précisément ainsi qu’est composé l’émail des dents, et la comparaison n’est donc pas tellement hyperbolique, qui assimile de belles dents à une rangée de perles. C’est d’ailleurs de la même façon qu’est organisé l’émail extérieur des coquillages porcelaines. Les assises voisines de la surface ne montrent plus cette disposition ; ce sont des feuilles de nacre particulièrement minces, et ce sont elles qui confèrent à la surface son éclat particulier.

Il est à remarquer que la même description s’applique exactement au test ; il suffit d’imaginer à l’extérieur de l’écaille les couches qui existent au centre de la perle et au dedans de celle-là ce qui chez l’autre est au dehors : on a la coquille ; et c’est ce qui a fait dire que la perle était une coquille retournée. Mais il est probable que cette formule n’est vraie que pour les objets particuliers qui ont été soumis à l’examen des micrographes et qui devaient être, sans doute, des perles de nacre, et non point de véritables perles fines.

En fait, les personnes qui ont pratiqué la recherche des perles dans les pintadines vivantes, ou qui ont assisté à cette recherche, déclarent qu’on les rencontre dans toutes les parties de l’animal. Il y en a dans la glande génitale, dans l’organe de Bojanus, dans les muscles adducteurs, dans les branchies, à la surface et dans l’épaisseur du test. La question resterait de savoir si elles se sont réellement formées dans ces organes ou si elles y ont simplement immigré. M. L. Diguet, qui est allé étudier sur place les pintadines de la Basse Californie, dit expressément que les perles se rencontrent dans toutes les parties de l’huitre, à l’exception du manteau. Le manteau, à la vérité, peut produire des perles, « mais elles sont sans orient et sont semblables à la nacre de la coquille ; ce ne sont donc pas des perles fines ; du reste, elles sont désignées sous le nom de perles de nacre. »

Dans l’impossibilité où nous sommes de décider entre ces deux théories contraires, il est prudent d’admettre provisoirement que chacune contient une part de vérité. On distinguera donc, au point de vue de l’origine, deux espèces de perles : les unes, formées par le manteau, comme la nacre elle-même, se trouvent au contact de la coquille, ce sont les perles de nacre ; les autres, nées dans le rein ou dans les divers organes, seraient les perles proprement dites les plus pures, les plus belles, les plus parfaites.

Les perles de nacre existent certainement ; — et quelques-unes de celles que M. de Lacaze-Duthiers présentait récemment à l’Académie au nom de M. L. Boutan ne sont pas autre chose. Il y a d’ailleurs tous les degrés dans cette catégorie. On sait, pour ainsi dire de tout temps, et tout au moins depuis le célèbre naturaliste Linné, à moins que ce ne soit depuis Pline l’Ancien, que les corps étrangers qui blessent la coquille jusque dans sa couche profonde, y déterminent des saillies, des verrues nacrées. Ce sont autant de perles inférieures qui se rattachent aux perles de nacre. De même nature sont les boursouflures et les protubérances qui existent quelquefois plus ou moins enclavées à l’intérieur des coquilles de pintadine et qui peuvent atteindre le volume d’un œuf de pigeon. On les appelle des « chicots. » Les Californiens les recherchent et les paient fort cher ; ils en font des broches et des épingles de cravate.

Les perles rénales sont toujours fines. Elles sont plus transparentes que les perles de nacre. Il y en a même qui sont tout à fait transparentes. La perle célèbre de l’iman de Mascate est dans ce cas. On les distingue d’après leur forme, leur taille et leurs qualités. Celles qui sont rondes sont dénommées perlettes lorsqu’elles sont petites, gouttelettes lorsqu’elles sont de taille moyenne, cerises et paragonnes, lorsqu’elles dépassent un centimètre de diamètre. Les perles en poire que les Romains appelaient elenchi sont généralement assez volumineuses : elles servent pour les pendans d’oreilles ou les diadèmes.

Toutes ces perles, nommées perles de compte, se vendent à la pièce, et le prix en dépend de leur grandeur, de leurs qualités, et aussi de la vogue. Les perles les plus petites ou grains de perles, semence de perles, ne se comptent pas ; elles se vendent au poids ; elles valent environ 4 francs le gramme. La semence de perles était employée autrefois en médecine : elle entrait dans la préparation de médicamens toniques et reconstituans. Elle ne venait pas toute de la pintadine : l’huître perlière d’eau douce, cultivée à l’embouchure des fleuves et des rivières, particulièrement en Écosse, fournissait une assez forte proportion de cette perle des apothicaires. On a renoncé à ce médicament coûteux et douteux. Aujourd’hui la graine de perles est surtout utilisée en Espagne pour les ornemens d’église. Quant aux grosses perles, la joaillerie de tous les pays, et particulièrement la joaillerie française les emploie à des bijoux plus ou moins somptueux.

Les perles fines sont lourdes et très dures ; le poids et la dureté sont des caractères qui permettent de dépister la contrefaçon. Leur eau, c’est-à-dire leur limpidité, est très inégale et varie du blanc bleuâtre au jaune et au noir. Les Orientaux préfèrent les perles jaunes : il y a eu en Europe, il y a quelques années, un véritable engouement pour les perles noires.

La première qualité d’une perle, c’est l’orient. Ce mot exprime l’ensemble de ses propriétés de surface : sa transparence et l’éclat des feux qu’elle jette. Il paraît lié à l’existence de couches très fines très denses, et parfaitement concentriques. La beauté de la perle est pour ainsi dire réfugiée tout entière à l’extérieur ; et, à cause de cela, elle est fragile et périssable. Les perles s’altèrent avec le temps sous l’injure des agens extérieurs ; elles s’écaillent ou se ternissent ; elles peuvent perdre leur valeur et leur prix. Ces qualités toutes superficielles des perles fines expliquent aussi l’attention un peu inquiète avec laquelle les détenteurs de ces bijoux et tous ceux qu’intéresse leur commerce surveillent les tentatives de reproduction artificielle ou d’imitation. Un corps à qui l’on réussirait par artifice à conférer, — et seulement à la surface, — l’éclat particulier de la perle, n’en pourrait plus être distingué si, en même temps, on pouvait lui donner, ce qui n’offre pas de difficulté, le poids et la dureté convenables.


IV

On a proposé de traiter l’huître perlière comme on traite l’huître comestible, c’est-à-dire de la cultiver, de l’élever dans des parcs, de l’exploiter méthodiquement, d’en régulariser la production. Ce projet, a priori, n’a rien que déraisonnable. La réglementation presque universelle dont la pêche est déjà l’objet, semble un acheminement vers les soins plus complets de l’élevage, c’est-à-dire vers l’ostréiculture perlière. En fixant chaque année l’étendue des bancs qui seront livrés aux pêcheurs, tandis que les autres sont laissés au repos, les administrations fermières ou les gouvernemens, favorisent la reconstitution des gisemens exploités et en préviennent l’épuisement. On assure ainsi la reproduction des animaux, leur croissance, en un mot, la conservation de l’espèce, qui serait mise en péril par une récolte excessive et répétée. Que l’on fasse un pas de plus, et l’on en viendra à se préoccuper de l’installation, de l’alimentation, de l’hygiène de l’animal, c’est-à-dire de sa culture. C’est là ce qu’a proposé, il y a quelques années, M. Bouchon-Brandely, chargé par le ministère de la marine d’une mission à Tahiti et dans celles de nos possessions Océaniennes où prospère l’huître perlière.

Bien entendu, il faut éviter de compliquer ce problème déjà difficile de la culture de l’huître perlière, d’une difficulté nouvelle : l’acclimatement. C’est donc sur place, dans les régions marines où vit naturellement la pintadine, qu’il faut se livrer à son éducation. Il ne s’agit pas de dépayser l’animal, mais seulement de le transporter à de petites distances de son gîte naturel, de le placer sur des fonds plus accessibles, et dans des conditions plus commodes pour la surveillance et pour la récolte.

On a prétendu que ce déplacement était impossible et que la pintadine, une fois décollée du support naturel où elle est fixée à la façon de la moule commune par son byssus, ne s’attachait pas une seconde fois et était condamnée à périr. C’est une erreur. La pintadine n’est pas plus délicate qu’un autre bivalve ; elle est douée au contraire d’une grande résistance vitale. Elle est parfaitement transportable. M. Bouchon-Brandely a fait exécuter aux huîtres perlières de Tahiti des voyages assez longs qui duraient jusqu’à deux ou trois jours, en mer, sans en perdre une seule. Elle n’est donc ni plus exigeante ni moins robuste que l’huître comestible.

Ce qui est vrai, c’est que les conditions de son existence ne sont pas les mêmes. Elle ne peut pas vivre sur un sol marin quelconque. Il lui faut un support où elle se fixe, un collecteur résistant, de quelque nature qu’il soit, bois, fer, pierre ou brique, où un filament de son byssus trouve à se prendre. L’huître comestible, détachée du rocher, peut vivre sur le sable où on la dépose et y constituer, à de faibles profondeurs, au voisinage de la partie de la plage que découvre chaque marée, des parcs d’exploitation facile. Il n’en est pas de même pour la pintadine : elle ne peut pas subsister indépendante, sans support ; elle meurt sur le sable. Il faut donc que le fond sur lequel on transportera l’huître perlière, lui convienne, et d’abord qu’il soit résistant, ni vaseux ni sableux. Mais il faut aussi qu’il convienne à l’ostréiculteur, qu’il lui permette de surveiller les mollusques et de les retirer sans difficulté. Les fonds madréporiques et coralliaires remplissent mal cette condition ; ils rendent la surveillance et la récolte laborieuses.

Pour concilier ces exigences contradictoires, M. Bouchon-Brandely a proposé de recourir, pour Tahiti, à l’élevage encaisses. Ce système a donné de bons résultats dans plusieurs stations ostréicoles de l’Océan et de la Méditerranée. Les caisses sont à claire-voie ; les pintadines y reposent, chacune en son casier. La position de l’appareil, lesté de pierres, submergé à la profondeur convenable, est indiquée par une bouée. Une embarcation munie de poulies et d’un moulinet permet l’immersion des caisses ; elle en facilite aussi le retrait lorsqu’il est nécessaire de les examiner, de les débarrasser des parasites et des sédimens qui s’y fixent.

C’est là un système un peu compliqué pour la paresse des Tahitiens. En Amérique, l’un de nos compatriotes a inauguré une sorte d’ostréiculture beaucoup plus simple. M. G. Vives, qui est l’un des principaux concessionnaires des pêcheries de Californie, a recueilli au large un certain nombre de petites pintadines, et les a transportées dans une lagune de l’île San José, où l’eau, d’une profondeur d’un mètre en moyenne, est sans cesse renouvelée par les marées. Les mollusques y ont grandi, y ont frayé et s’y sont multipliés. C’est la démonstration évidente de la possibilité de l’ostréiculture perlière.


V

Quel que soit l’avenir réservé à l’ostréiculture perlière, il est sûr que cet avenir sera laborieux. Tout ce qui s’obtient par culture, exige du temps et coûte de la peine. Il en faut beaucoup de l’un et de l’autre quand il s’agit de l’élevage d’un animal qui, comme la pintadine, met sept ans à se développer complètement et est exposé à mille dangers. Ce n’est donc point là une solution triomphante du problème. Au moins est-elle raisonnable, légitime et complète. Elle a pour objet d’obtenir des perles vraies et naturelles. Les essais de production artificielle tentés à diverses époques et du reste tous identiques entre eux, ne sont pas dans le même cas. Ils tendent seulement à imiter ou mieux à contrefaire le produit naturel. Déjà la perle de nacre n’est pas une perle pure ; et ce que les expérimentateurs ont réussi à obtenir, ce n’est pas même la perle de nacre, c’est un corps étranger revêtu de nacre à sa surface, et qui n’a que l’apparence de la perle, sans en avoir la forme ni la structure.

Les tentatives de ce genre ont été nombreuses. Au siècle dernier, le naturaliste suédois Linné avait eu l’idée d’aller, à travers la coquille du mollusque, irriter le manteau et de l’obliger ainsi à produire des perles de nacre. Il projeta de parquer les moules perlières (U. margaritifera) et de les exploiter méthodiquement. Les États généraux lui votèrent une récompense, mais rejetèrent ses propositions. On raconte qu’un commerçant de Gottenburg, nommé Bayge, acheta au célèbre naturaliste le secret de son procédé moyennant 18 000 écus. Il n’essaya jamais de le mettre en pratique et ses héritiers, lorsqu’ils voulurent le revendre, n’en trouvèrent pas 500 écus.

Nous avons dit que les Chinois, depuis des siècles, ont trouvé le moyen de revêtir d’une couche de nacre une multitude de petits objets, dragons, bouddhas, grains de chapelet, et de leur donner ainsi l’éclat de la perle. Ils emploient à ce travail une sorte d’Anodonte (Dipsas plicatus ou Barbata plicata), dont la coquille a six à huit centimètres de diamètre et peut servira nacrer des figurines de longueur moitié moindre. Ils insinuent l’objet fort adroitement entre le manteau et le test et surveillent l’opération avec beaucoup de patience. Les mollusques sont élevés dans des parcs entourés de clayonnages. C’est une opération réglée ; une véritable industrie constituée : elle a été connue en Europe à la suite du voyage d’études de la frégate française la Sibylle.

Filippi et Küchenmeister avaient proposé une autre solution du problème. Persuadés que le noyau de la formation perlière est toujours un parasite, ils ont conseillé d’en infester les mollusques margaritifères. Le moyen est chanceux, à tous égards.

En 1849, un médecin de Rodez, le docteur de Bauran, renouvela, avec les moules perlières du torrent du Viauz, et sans grand succès d’ailleurs, la tentative de Linné ; Moquin-Tandon et J. Cloquet en 1858, à Toulouse, n’eurent pas de meilleurs résultats avec l’Unio littoralis.

Des expériences analogues ont été tentées avec la pintadine elle-même, à Tahiti, en 1885. À l’aide d’un vilebrequin, Bouchon-Brandely perforait la coquille, et il introduisait, par les orifices, des boules de verre ou de pierre retenues par un fil métallique. Les trous étaient ensuite bouchés hermétiquement avec des disques de bois de burao ou de liège affleurant exactement à la face interne des valves. Après quatre semaines on constatait déjà sur la boule le dépôt d’une légère couche de nacre.

Ce sont encore des expériences du même genre que M. L. Boudin a réalisées en 1S97 au laboratoire de Roscoff. Il n’y a point de doute qu’il ait mieux réussi que ses prédécesseurs. Il s’est adressé à l’Haliotide. Tout le monde connaît sous le nom d’ormiers ou d’oreilles de mer ces grands et beaux coquillages. Ils ont une forme aplatie, surbaissée, avec une rangée de trous. Ils abondent dans la Méditerranée et dans la Manche. Ils fournissent une nacre brillante, très irisée, souvent un peu verdâtre, qui est utilisée, sans de grand prix, et quelquefois des perles véritables grosses, brillantes, et bleutées. Ce mollusque se prête facilement à l’expérience pour deux raisons : c’est d’abord qu’il s’acclimate et s’entretient facilement dans les bacs des laboratoires puisqu’il suffit de lui fournir de l’eau aérée : en second lieu, qu’il résiste aisément à des opérations assez graves.

On pratiqua donc des trous dans la coquille, au moyen du trépan, et par ces orifices qui, après l’opération, furent fermés avec un ciment approprié, on introduisit entre le test et le manteau des perles de nacre. D’autres, au moyen d’un crin de Florence, furent amenées directement dans la cavité branchiale. Après trois ou quatre mois, les premières perles étaient recouvertes d’une couche mince de nacre qui leur donnait l’apparence de véritables perles fines. Le résultat était très remarquable.

On peut douter que ces perles de Roscoff puissent jamais faire une concurrence sérieuse aux perles de Bahréin, de Ceylan ou de Panama. Mais peut-être n’est-ce point là non plus le seul but que s’est proposé l’auteur. Il a voulu éclairer une question scientifique : et il me paraît que, sur un point tout au moins, il y est parvenu.

Il s’agit de la structure de la coquille. On sait que la coquille du mollusque est, à son plus haut degré de développement, composée de trois couches. La plus extérieure est la cuticule, sorte de membrane cornée extrêmement mince composée de conchyoline : au-dessous se trouve une assise d’émail, mosaïque de prismes perpendiculairement implantés. Ces deux couches représentent ce que l’on appelle le revêtement externe, l’épiderme cochléaire ou le « périostracon. » Au-dessous se trouve la série indéfinie des feuillets de nacre disposés en strates parallèles.

La couche de nacre, on n’en a jamais douté, est le produit de l’activité du manteau. Elle est duc au délitement des cellules en palissade du manteau, et non à une sécrétion de glande, ainsi qu’on le dit improprement. C’est par son continuel dépôt que la coquille s’accroît en épaisseur. Quant au périostracon qui s’étend comme une couverte de porcelaine sur la nacre, on enseigne, dans tous les traités classiques, qu’il a été produit non par le manteau lui-même dans toute son étendue, mais seulement par l’ourlet marginal qui dépose des zones concentriques toujours grandissantes de périostracon : le reste du manteau ne ferait que doubler ensuite cette sorte de voûte, d’une couche de nacre. Telle est la théorie admise. M. L. Boutan la prétend inexacte. L’ourlet palléal et le reste du manteau ne procèdent pas différemment ; ils ne se divisent pas le travail de la formation de la coquille. Chaque partie fait la même besogne, c’est-à-dire à la fois la nacre, l’émail et la cuticule ; elle produit une même sécrétion qui, au contact du milieu extérieur, évolue en périostracon, et au contact du milieu intérieur en nacre seulement. M. Boutan s’en est assuré en dénudant entièrement ses Haliotides. Cette redoutable opération de l’ablation complète de la coquille est supportée sans dommage apparent. L’animal se remet à l’œuvre et produit d’un seul coup et par tous les points de son manteau simultanément une coquille parfaitement complète, avec ses trois couches. Malheureusement, ces coquilles, insuffisamment fixées aux muscles mutilés par l’opération, se détachent bientôt, et l’animal est obligé de recommencer sans cesse ce vain travail ; il rebâtit sa maison, il se refait un toit destiné à être emporté comme les précédens.


VI

La culture de la pintadine ou la production artificielle de l’Haliotide sortent à peine de l’état de projet. Pendant bien longtemps encore, et en attendant qu’elles puissent fournir les quantités de nacre et de perles que réclament les industries de luxe du monde entier, la pêche sur les bancs naturels restera la seule ressource. Cette pèche se fait encore par des procédés bien primitifs. Ce sont des plongeurs qui vont arracher l’huître perlière aux fonds rocheux où elle est fixée, à des profondeurs qui atteignent 10 à 20 mètres. Toutefois, à une date récente, on a commencé à faire usage des scaphandres. Dans les pêcheries de Californie, depuis l’année 1880, les deux procédés, la « plonge simple » et la « plonge en scaphandre, » sont employés concurremment.

La pêche elle-même et l’ensemble des opérations qui raccompagnent constituent un spectacle fort curieux et qui a vivement intéressé les voyageurs. On a des récits nombreux de la pêche perlière sur les côtes de Ceylan, la seule qui pendant Longtemps ait été organisée, policée, et parfaitement accessible. Elle se fait sur la côte orientale.

Les bancs sont considérés comme une propriété de l’État, des princes indigènes d’abord, des Portugais après 1506, des Hollandais en 1640, des Anglais enfin depuis l’année 1796. Sous L’administration hollandaise la pêche avait lieu tous Les trois ans. Elle fut suspendue pendant les dernières années d’une domination troublée. Elle ne reprit qu’en 1798, après une période de jachère de vingt-huit ; ms qui ne fut pas sans profit pour Le développement des mollusques. Depuis lors, elle a lieu suivant un roulement méthodique, sur les différens bancs. Le privilège de la pêche sur les bancs désignés est mis en adjudication : la durée, (ordinairement deux mois, avril et mai), le nombre des bateaux, tout est fixé. M. de Noë, qui fut témoin de cette pèche, dans les premières années du siècle, et M. A. Grandidier qui y assista, en 1863, en ont donné des récits pittoresques et concordans. Nous n’avons pas à décrire ici cette multitude de bateliers, de pêcheurs, de trafiquans de toute espèce, au nombre de plus de cinquante mille, qui accourt de toutes parts sur une plage déserte la veille ; les huttes de branchages qui s’élèvent pour l’abriter ; au centre de cette ville improvisée les parcs (koutos) fermés de pieux, où tous les soirs est apportée la pêche de la journée et les centaines de milliers d’huîtres qui y pourrissent et empestent l’air ; le travail des hommes qui, sommairement vêtus afin de ne rien pouvoir dissimuler, malaxent cette charogne sous l’œil ou plutôt sous la baguette d’un surveillant ; et l’ouvrier, garrotté à un poteau et à qui l’on fait ingurgiter une purgation violente parce que, trompant la surveillance dont il est l’objet, il a réussi à avaler une perle de prix. Tout cela est du domaine de la littérature de voyages.

Les bancs sont à 15 milles de la côte : chaque matin, ou plutôt chaque nuit, la flottille des deux cents bateaux, montés chacun par vingt hommes, se dirige vers les bancs désignés, dont l’emplacement est marqué par des bouées. Les bâtimens de garde les empêchent de s’en écarter. La pêche commence. Chaque bateau comprend dix pêcheurs, divisés en deux équipes de cinq qui plongent alternativement. Le plongeur descend dans l’eau au moyen d’une masse de pierre, d’une sorte d’étrier pesant dans lequel son pied est engagé. Il porte à sa ceinture un lest supplémentaire, de 7 à 8 livres, au moyen duquel il peut se maintenir dans les eaux profondes après qu’il s’est défait de son premier fardeau. Sa bouche est protégée par un bandeau, son nez et ses oreilles par des tampons d’ouate imbibée d’huile. Ainsi équipé, il explore les fonds rocheux à 12 et 20 mètres de profondeur ; il saisit les coquillages, les arrache, et en emplit un filet qu’il porte à sa ceinture. Il continue, jusqu’à ce que, à bout de respiration, les oreilles emplies de bourdonnemens, on le remonte dans la barque au moyen d’une corde fixée à sa taille. L’homme est resté sous l’eau pendant une minute environ, quelquefois davantage.

Cet exercice, il le renouvelle de vingt à trente fois pendant les cinq heures que dure la pêche quotidienne. Chaque fois il ramène une cinquantaine de coquillages. La récolte de pintadines peut atteindre ainsi vingt et trente mille, mais, en moyenne, elle est de six mille.

La pêche, dans nos possessions Océaniennes, se fait d’une manière plus primitive encore. Dégagé de tout vêtement, sans corde ni contrepoids, le pécheur tahitien se laisse glisser dans l’eau, jusqu’à des profondeurs de 25 à 30 mètres, il y séjourne deux ou trois minutes et remonte lui-même, ramenant seulement une ou deux grandes pintadines. Il tire de ce métier 100 à 150 francs par mois. Il y gagne sa vie et il l’y perd souvent aussi, car il faut ajouter, à tous les risques de cet aventureux métier, celui des requins qui infestent ces parages.

Quelquefois, chaque coquille contient au moins une perle : d’autres fois, des lots entiers de pintadines n’en présentent pas une seule. On compte, en moyenne, une perle par quatre coquilles. Ce sont le plus souvent de petites perles, de celles que nous avons appelées grains ou semences. Les grandes sont plus rares ; on en compte une pour cinq mille coquilles. La pêche détruit chaque année un total de vingt millions d’huîtres perlières et produit, outre la semence, deux ou trois mille perles et vingt mille tonnes de nacre.

De notre temps, on ne signale pas de perles isolées d’un prix aussi fabuleux que les perles célèbres de Cléopâtre, de Servilia, de Philippe II et de Philippe IV, et de Léon X, payées de 300 000 francs à plus d’un million de notre monnaie. En 1875, la pêche d’Australie a fourni une perle de 45 000 francs. En 1883, on a recueilli, à Nicol-Bay, une perle baroque formée de sept perles soudées en croix, dont la valeur serait énorme. En 1882, les perlières de Californie ont produit une perle de 40 000 francs. Quant aux parures, elles peuvent atteindre des prix considérables. Les colliers de 100 000 francs ne sont pas rares à Paris, ni à New-York, mais les écrins des princes et des particuliers sont cependant loin d’atteindre la richesse qu’ils eurent à Rome. Rien ne pourrait entrer en comparaison avec la magnificence de cette Lollia Paulina, dont l’aïeul Lollius avait si scandaleusement pressuré les princes de l’Orient, et finalement s’empoisonna « afin. dit Pline, que sa petite-fille se fit voir, aux flambeaux, avec une parure de quarante millions de sesterces. »


A. DASTRE.