Quelques remarques sur les fonctions de la Grèce et de Rome dans la propagation du Christianisme/Appendice II



APPENDICE II

(p. 49.)




Gieseler, dans son Histoire des Dogmes (Trad. franç. p. 53) après avoir parlé de ce qui regarde les Pères latins Tertullien, Minutius Félix, Cyprien, Novatien, Lactance et Arnobe conclut en général : « La doctrine de l’Église latine du troisième siècle est donc, au fond, la même que nous trouvons chez les apologistes grecs du deuxième siècle et elle n’en diffère que par une conception plus matérialiste. »

Il en fut de même de leurs successeurs. Tout ce que Saint Ambroise a écrit d’essentiel consiste en des emprunts faits à Saint Clément d’Alexandrie, à Origène et surtout à Saint Basile.[1] Saint Jérome même, dans le Prologue de sa traduction de l’ouvrage de Didyme sur le Saint-Esprit, en parle avec un dédain bien prononcé[2] « J’ai lu déjà les ouvrages de quelqu’un sur le Saint-Esprit, et selon les expressions de Térence, j’ai vue empruntées de la perfection grecque des choses bien médiocres. Certainement qui les aura lues découvrira les larcins des latins et méprisera les ruisseaux une fois qu’il a su puiser des sources vives. »[3] Saint Jérome fait ici allusion au conseil que Cicéron donnait à ceux qui voulaient compléter leur instruction. Je les envoie en Grèce, c’est-à-dire, je les engage fortement de se rendre auprès des Grecs afin de se mettre à puiser ces connaissances plutôt à leur source qu’aux ruisseaux qui en découlent… De la savante abondance des Grecs et non des revendeurs latins.[4]

Quant à Saint Jérome : « Des Grecs, dit Am. Thierry[5] venaient lui reprocher de piller les auteurs grecs ; des latins de ne montrer d’estime que pour les travaux faits en Orient ; comme si son but avoué n’était pas d’éclaircir l’Évangile et la Bible par des observations prises aux lieux mêmes, où les événements sacrés s’étaient accomplis et de faire entrer l’Occident, son pays, dans le mouvement scientifique si brillant de la chrétienté orientale. » Ces Grecs avaient grand tort. On n’accuse de pillage que les plagiaires qui dissimulent leurs emprunts, et non les imitateurs loyaux qui en parlent avec sincérité. Saint Jérome ne s’en cacha jamais ; au contraire, il invoquait à l’appui de ses assertions l’autorité de ces maîtres, dont il empruntait les opinions, comme le remarque le même écrivain.[6] Et ces latins aussi avaient également tort. Quels étaient ces ouvrages des occidentaux dont Saint Jérome pouvait tirer parti ? Et s’il y en avait n’étaient-ce pas des ouvrages d’emprunt ou de reflet ? Ne devait-il pas plutôt recourir aux sources pures qu’aux ruisseaux troubles ? C’est ce que répond aussi Saint Jérome à ses détracteurs en citant encore l’exemple de Térence qui, lui aussi, avouait avoir tout emprunté aux Grécs. Virgile même, ajoute-t-il, a été traité de spoliateur pour avoir emprunté quelques vers à Homère. Ici, cependant, Saint Jérome se trouve en défaut. Il ne s’agit pas de quelques vers, mais de toutes les poésies virgiliennes, dont une grande partie ne sont que des paraphrases de divers passages des poésies Homériques et de toute autre espèce de poésies helléniques. Arrangées avec art et talent, avec génie même, si l’on veut, mais toujours poésies d’emprunt. Saint Jérome, prêtant son attention, de préférence aux auteurs ecclésiastiques grecs, ne se rendait pas un compte exact de ce qui regardait les auteurs dits profanes. Il semble avoir ignoré l’ouvrage de son contemporain Macrobius, Les Saturnales, dont le livre cinquième est consacré entièrement à ce sujet. Les modernes en ont fait un dépouillement complet.[7]

Et Virgile seulement ?

La Muse des Latins, c’est la Grèce encore,
Son miel est pris des fleurs que l’autre fit éclore,
Cette muse, moins prompte et plus industrieuse,
Travailla le nectar dans sa fraude pieuse.[8]

Et la poésie seulement ? Mais je vois qu’insensiblement j’aborde un thème inépuisable. Il est temps de m’arrêter.

  1. V. le même Gieseler, ibid p. 238. — Frantz de Champagny, La Charité Chrétienne p. 190, et passim où il place divers extraits des œuvres de Saint Ambroise en regard de leurs correspondants de Saint Basile. — Κοντογονη Ιστορια των Πατερων της Εκκλησιας (Αθηνησι). Τομ. Β’. σ. 619.
  2. Rufin, dans ses critiques, sur Saint Jérome (Invect. in Hieronym. Lib, II,) veut que Jerome entend parler ici d’Ambroise. Les éditeurs bénédictins ont tâché de révoquer en doute cette information de Rufin ; mais d’autres critiques n’y trouvent aucun motif légitime de doute.
  3. Legi dudum cujusdum libellos de Spiritu Sancto et juxta comici sententiam ex Græcis bonis latina vidi non bona. Certum qui hunc legerit, latinorum furta cognosceret et conteninet rivulos cum cœperit aurire de fontibus. —
  4. In Græciam mitto id est ad Græcos ire jubeo ut ex fontibus potius aurient quam a rivulis consectentur (Acad. II, § 2. — Ex illa erudita Græcorum copia et non a librariolis latinis (De leg. I. § 2). — Pour ce qui regarde Cicéron V. Victor Clavel, De Cicerone Græcorum interprete. Paris 1868 (Hachette).
  5. Récits de l’Hist. Rom. — Revue des Deux-Mondes du 1er  juillet 1865, p. 11.
  6. Rev. des Deux-Mondes du 15 mars, p. 467, 491, 367.
  7. Études Grecques sur Virgile, par F. G. Eichoff. Paris 1825, ouvrage adopté par l’Université.
  8. Sainte-Beuve, Pensées d’Août — Voir encore Ed. Quinet, Histoire de la Poésie, à la fin du chapitre huitième (œuvres comp. Tom. IX, p. 321-325.