Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Les continuateurs de Loret


LES

CONTINUATEURS DE LORET



Mais comme on se reproche d’avoir été dur pour Loret, comme on se sent injuste, comme on découvre qu’il était un très bon poëte ! — lorsque l’on aborde le recueil de ceux que l’on appelle ses Continuateurs :


La Gravette de Mayolas, que le vieux journaliste avait cependant désigné pour être son successeur, et qui, en effet, dès le 25 mai 1665, adresse sa première lettre (elle contient l’épitaphe de Loret, écrite par Loret lui-même) à Madame la Duchesse de Nemours, celle déjà dont le nom se lisait en tête de la Muze Historique.

Charles Robinet, qui donne les Nouvelles tout d’abord à Madame, puis à « l’Ombre de Madame ».

Perdou de Subligny, quî publie La Muse Dauphine, dédiée au Grand Dauphin ; ce petit prince, âgé de quatre ans au 1ernovembre 1665, ne lisait pas encore les Gazettes. Mais la Muse Dauphine, s’appelle aussi la Muse de Cour, dédiée aux Courtisans, ou la Muse de la Cour, à Monseigneur le Duc de Valois, ou à Mademoiselle, ou à Monseigneur le Duc d’Orléans, ou à Monseigneur le Prince, ou à Monseigneur le Duc, ou même à Mademoiselle Boreel, fille de Monseigneur l’ambassadeur de Hollande, à Madame de Barthillat, au Cardinal Prince Orsini, à l’archevesque d’Auche,… car Subligny, plus malin, varie chaque fois sa dédicace, pour toucher de plus de mains. Il quitte l’octosyllabe uniforme et le remplace par le vers libre, à rimes capricieuses.

Boursault enfin, Edme Boursault, que quelques succès de théâtre honorent mieux, et qui choisit pour patronne en cette affaire « Son Altesse Serenissime Madame la Duchesse d’Enguyen. »

Ils sont plats et pâteux, ceux-là, ampoulés, confus, et fastidieux ! Ils n’ont plus surtout la naïveté bonhomme, le laisser-aller non sans grâce facile, de leur Maître ; et jamais ne vient sous leur plume une de ces trouvailles amusantes qui faisaient pardonner à Loret bien des torts.

Et puis, ils sont d’une autre époque. Ils n’ont plus la foi, — la foi en Fontainebleau ! Robinet, le 6 juin 1666, écrit ceci :

Nôtre Cour, ayant des Maisons,
Autant que le Dieu des Saisons,
Pour les douze mois de l’Année,
Mercredy, sur l’après-dînée,
Prit, par un temps plus laid que beau,
La route de Fontainebleau,
Laissant là sans regret Versaille,
Où (je le dis sans que je raille)
Avec bonne Viande et bon Pain,
Sans obmettre aussi le bon Vin,
Je passerois toute ma vie,
Sans d’autres Lieux avoir envie.

Et c’est la vérité ! Maintenant Versailles est en faveur. On ne va plus guère que là. C’est là que se donnent les représentations, les ballets, les fêtes de tout genre. C’est là que brillent toutes les splendeurs du grand Règne. Louis XIV, ébloui par le Vaux du prodigue Fouquet, a compris (et de ce sentiment il faut pourtant lui tenir compte, et le remercier) qu’il ne pourrait réaliser à Fontainebleau d’égales et de supérieures somptuosités qu’en jetant bas toutes les merveilles créées par les Rois de la Renaissance. Il est allé ailleurs. Il a bâti une demeure pour lui, aussi majestueuse que lui, aussi guindée et aussi fâcheuse que son âge mûr et que sa vieillesse. Là, les souvenirs de ses prédécesseurs ne le gênent pas, lui, l’unique. Et il faut que les arbres soient bien taillés par les soins de Le Nôtre pour ne pas accrocher au passage les volumineuses Perruques.

On n’est plus à Fontainebleau que pour entendre le Révérend Père Mercier, Général des Mathurins, prêcher en Espagnol (Lettre de Mayolas, du 12 juin 1666) ; que pour y faire une très auguste et très édifiante procession le jour de la Fête-Dieu (Lettre de Robinet, du 4 juillet) ; que pour y recevoir l’ambassadeur de Pologne (Lettres, de Subligny, du 22 juillet ; de Mayolas, du 1er  août ; de Charles Robinet, du 1er  août également).

Et c’est tout.

On vient, une année ou l’autre, quelques jours d’automne. On se plaint qu’il fait humide. On est malade. La morne Maintenon s’installe en ville et au Château. On ne chasse pas, de peur « que quelqu’un des gens qui vont au bois ne perde la messe. » On s’occupe de bonnes œuvres. Il n’est bruit que de rétractations calvinistes et de conversions au catholicisme.

Plus tard Louis XV ne saura que détruire La Belle Cheminée, pour entendre plus à l’aise les ariettes de Jean-Jacques Rousseau ; que détruire la Galerie d’Ulysse, peinte à fresque par Primatice ; que détruire la Galerie des Chevreuils, la Galerie des Cerfs ; que détruire… — moins sage en cela que son ancêtre !

Et c’est tout !

Fontainebleau, peu à peu, voit la Solitude entrer dans ses salles et ses galeries, — celles qui restent…