Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Claude Garnier


GARNIER



Celui-là n’est ni Robert Garnier, le Tragique fameux de Cornelie, d’Antigone, des Juifves, de Bradamante, qui, dans l’histoire de notre théâtre, relie Jodelle à Corneille ; ni Sébastien Garnier, l’Épique (telle fut du moins sa prétention) de La Henriade et La Loyssée. C’est Claude Garnier, le Pindarique.


On a de lui un gros recueil : L’Amour Victorieus ; et aussi un très charmant petit livre, bijou de bibliophile, qui mérite une attentive description : Les Royales Couches ou Les Naissances de Monsieur le Dauphin et de Madame. Composées en vers français par Claude Garnier, Parisien, et dédiées en Etrennes à Leurs Majeslez par F. Jacques de Turricella, confesseur et prédicateur ordinaire de la Royne. — À Paris, chez {{sc|Abel l’Angelier, 1604.


Derrière le titre un Sonnet de l’Autheur à son Vers. Puis un feuillet contenant en ses deux pages, une dédicace rédigée en italien : al christianissimo Re, par II Confessore della Regina. Et ce n’est pas une mince curiosité que celle d’une œuvre d’un poëte, qu’un prêtre jugea à propos d’éditer pour l’offrir à ses Souverains aux environs du Jour de l’an. Un autre feuillet offre, au recto, un avertissement de « l’Imprimeur au Lecteur », au verso, l’extrait du Privilège et un « achevé d’imprimer le 30 janvier 1604 par Louys Sevestre, Imprimeur » qui fit bien de signer, car, je le répète, cet in-12 en fines italiques, au titre réglé et au texte encadré de légers filets maintenant rose pâle, est fort à sa gloire.


Un troisième feuillet donne, de Frédéric Morel, célèbre hellénisant d’alors, sept distiques latins, et, de Garnier, quatre quatrains français en Imitation d’une Ode d’Horace. Et toute cette partie préliminaire se prolonge par onze pages toujours non chiffrées où l’on peut lire un très copieux Discours au Roy.

Claude Garnier y annonce la première des œuvres dont il va (grâce à son libéral ami) faire hommage.


                                  Reçoy de ma lyre
Un dous present que je t’apporte (Sire)
L’ayant tissu cheminant dans le train
Peu frequenté de Pindare Thebain
Roy des sonneurs : c’est une ode tracée
Dessur les bors de la claire Dircée.

Dans ses replis recourbez d’entrelas
Tu verras Sire (en prenant tes ébas)
Le Dieu de Seine au milieu de la brune,
En robbe verte, en joye non commune
Prophetiser à demy-cors en l’eau
Près le Château de Fontaine-bell’eau,
De ton Dauphin les futures victoires,
Les bonnes mœurs, les actes, et les gloires.


Et en effet, des pages 1 à 70, l’ondoyante Ode Pindarique Sur la naissance de Monsieur le Dauphin déploie ses trente-huit groupes d’une strophe, une antistrophe et une épode, dont chacun arrive au total de cinquante vers ; et nous revoyons le Dieu de Seine, exactement dans la posture où l’on vient de nous le montrer.


Le bien-heureus jour que ce Prince
Vient éclairer notre province
Des rayons de son orient,
Et que le château qui s’appelle
Du nom d’une Fontaine belle
Luy tendit les bras en riant,
Le Dieu de Seine à demy cors
Apparut au front de ses ondes.


Oh ! ce « château » qui « tend les bras, en riant », que voilà bien une image excessive et désordonnée, impardonnable si ce n’est à la fureur Dircéenne ! Le peu de vers que nous ayons rencontrés a suffi déjà pour montrer que Claude Garnier est un pur Ronsardisant, intransigeant et impénitent, attaché, malgré l’heure où il écrit, à toute la doctrine de l’ancienne École. Il pousse la fidélité jusqu’à s’emparer des expressions même de son maître ; car nous ne saurions oublier que Ronsard avait dit :


                            au chasteau qui s’appelle
Du gracieux surnom d’une fontaine belle.


L’oracle certain infatigablement chanté en suite, n’est, on l’imagine, qu’une amplification oiseuse. Il vaut mieux attendre qu’il ait cessé pour apprécier le vaste déroulement lyrique où se complaît la forme que notre poëte a choisie.


STROPHE 22


À ces mots le Dieu de la Seine
Termina de vois souveraine
Le but fatal de son discours,
Et comme un plongeon dessous l’onde
S’élança dessous l’eau profonde
Tournoyante en vîtes détours :
Un feu gauche apparut au ciel,
Trois senestres bruis se roulerent,
Mains cynnes aux gorges de miel
Chantans leurs gorges ébranlerent :
Et les Glaucques, et les Tritons,
Et leurs Nymphes aus blancs tetons,
Aus yeux pers, aus vertes coiffures.
Sur l’eau poussant leurs chevelures
Approuverent l’oracle saint,
Par leurs musiques entendues
Jusques aus rives entendues
De Thetis qui le monde ceint.


ANTISTROPHE


Quand le Toreau blanc en sa croppe
Enleva la Princesse Europe
Telle feste ne s’entendit :
Ny quand la femme de Pélee
Traversant la vague salee
Devers Pelion se rendit.
Ce pendant, le Maître des cieus
Devala sur la terre basse
Accompagné de tous ses Dieus
Flamboyans d’une claire espace,

Et dans Fontainebleau glissez
Environnèrent agencez
Le bers du Prince dont j’accorde
Le prix sur ma Thebaine corde,
Et soulevé d’un beau dessein,
Jupiter en modes parfaittes
Feit chanter ses filles brunettes
Les neuf Muses au large sein.


EPODE


Ces belles en premier lieu
De pareille résonance.
Entonnerent du grand Dieu
La gloire et la providence :
Comme il a compassion
Des peuples qu’il favorise ;
Qu’elle est son affection
Vers les Roys qu’il authorise :
Comme il absente leur chef
De fortune et de méchef
Par des miracles étranges :
Comme en chaque lieu qu’ils vont
Tousjours assistez ils sont
Des légions de ses Anges.


Et l’on aurait pu voir un bien meilleur exemple de ces combinaisons rhythmiques, car c’est le patron exact de la première Ode du Premier Livre des Odes de Pierre de Ronsard.


Ce Genethliaque achevé, un feuillet encore en dehors de la pagination, blanc au recto, présente an verso quelques lignes d’offrande : a Madama la Regina, signées : di vostra Maestà christianissima devotissimo servitore Il Confessore. Et aux cinq pages suivantes, une nouvelle Ode Pindarique, à la Royne, se contient en quatre Strophes, Antistrophes et Épodes, de dimensions plus modestes. Cette fois, c’est le rhythme de l’Ode XV de Ronsard, avec une légère variante à l’Épode.


Ensuite, une interminable Eglogue Pastorale Sur la Naissance de Madame commence à la page 77 pour ne se clore qu’à la page 203. Là tout parle et tout a son rôle, jusqu’au plus piètre oiseau :


Pinçons, chardonnerets, serins, breans, linottes,
Resonnez ce bon heur en nompareilles nottes :
Rossignols, qui pleurez de rameaus en rameaus.
Effacez vos tançons, avertissans les eaus
De Fontaine-belleau que Francine la belle
Prend aujourd’hui naissance…


Pense-t-on qu’après lant d’efforts, épuisé, Claude Garnier va s’en tenir là ? Non ! Il y a encore (pages 204-205) une Ode de l’Autheur À Galliope, en stances vulgaires ; (pages 206-208) une Elégie à la Royne sortant de Paris pour aller faire ses secondes couches à Fontainebleau, où ces vers se font remarquer :


Qu’un printems étincelle et fleurisse es campagnes
Dous, riant, gracieus, en liesses compagnes.
Et qu’ainsi, belle Royne, en miracle si beau
Ta Majesté surgisse à Fontainebelleau
Pour y faire ta couche au milieu de nos Princes
Et des plus hauts Seigneurs des Françoises provinces.
Que les eaus de ce lieu soubs ton advenement
Se changent en nectar distillé saintement.
En lait, en manne, en miel, en essences choisies…
Que les ongles des cers et leurs cornes se dorent.
Que les biches d’azur et de pourpre s’honorent,
Les chevreuils et les dains, et qu’aussi les oiseaus
Au bec, au dos, aus piez, s’attiffent de joyaus…


À vouloir s’évader de préoccupations que l’on qualifierait d’obstétricales, cette poésie tombe évidemment dans quelque extravagance. Va pour les eaux muées en essences choisies : nous y gagnerions à coup sûr, puisque plusieurs bassins du Parterre et du Parc menacent de devenir cloaques. Mais il ferait beau voir, en forêt, des cerfs chaussés et boisés d’or, des biches bleues et des daims rouges !


Il y a encore, s’il faut être sans pitié, une Ode Pindarique à Lucine pour les secondes couches de la Royne (pages 209-212) ; cellelà sur le modèle de la deuxième de Ronsard. Il y a encore, et enfin (pages 213-226 et dernière), un Chant de resjouyssance en la neufviesme année de la reduction de Paris… ou Le Printemps, « dédié à Federic Morel, interprete et professeur de Sa Majesté es sciences grecques ».

Et Garnier écrivit, trois ans plus tard, une Eglogue Pastorale Sur le Bataime de Monseigneur le Daufin Louys, En faveur de messeigneurs d’Espernon, — À Paris, 1607, petit in-octavo de 24 pages. Il faut nous arrêter un instant, parce que ce petit poëme, à côté de particularités sur la région, apporte un peu de lumière sur la vie, assez obscure, de son auteur.

Les pages 3 et 4 contiennent une Épitre où Claude Garnier conte ses peines : « l’extréme ennuy, dit-il, que j’ay receu en la mort de feu Monsieur l’abbé de Thiron, le parangon de nos Poëtes, et le rampart où je me retirois à l’abri contre les assaus de l’ignorance et de l’envie. » En un mot comme en cent, Desportes tirait de la misère le pauvre rimeur, et cela nous explique assez les attaches qu’on lui voit à l’école Ronsardisante. Forcé de s’adresser à d’autres, il regrette son Protecteur, et son Maître, à la fois. Tout le premier tiers de l’Eglogue est sur ce thème : Le pere du bien dire et du sçavoir est mort.


L’Épitre est ainsi datée : A Puiquaré près Tornant ce 13 Novambre 1606. Et cela est expliqué au début de l’Églogue.


Ce fut à Puiquarré, vis à vis de Tornant
Où craignant le poizon des Astres et du vant
Qui rennoit à Paris, ce Berger avoit faitte
Aupres d’un sien cousin pour un tans sa retraitte
(De Tornant qui jadis se bravoit d’une Tour
Où souloient demeurer les premiers de la Cour
Du Prince Charlemagne et qui vieille randue,
Sans etage et sans porte, à jour entrefandue,
Se revaît maintenant de lhiërre, et de Nis
Que forment les oiseaux pour faire leurs petis.


Nous savons, en effet, qu’une épidémie régnait dans la capitale en 1606, et que c’est même là la cause qui fit choisir Fontainebleau pour y baptiser le Dauphin et ses sœurs. Puiquarré, près Tournan, ne se trouve guère sur la carte ; d’après la condition médiocre de notre poète, on peut présumer que ce n’était qu’une simple ferme. Mais Claude Garnier s’y déguise immédiatement en berger de Pastorale, prend le nom de Daphnis, et se met à chanter une longue déploration funèbre du grand Tityre (c’est Desportes)…


Quand deux jeunes Bergers, revenant des pâtis
De Fontaine-belleau, menans, bien que petis,
Beus, chevres et moutons, et valais en grand nombre,
Passerent devers l’antre, où Daphnis dessous l’ombre
Antonnoit la disgrace et le triste malheur
Que l’angageoient au frain d’une amaire douleur.
Ils aloient à leurs parcs, à leur belle prairie
De Fontenay, luisant comme un Astre en la Brie,
Que l’ayeul au Berger, le viens Preudhome avoit
A son gré fait batir à l’heure qu’il vivoit.
L’aîné nommé Caudale, étoit de couleur brune,
Le puisné, revetu de blancheur non commune
Se nomoit La Valette, et ces freres germains
Etoient parans d’un Roy le premier des humains
Et les fiz d’un grand Duc qui sous luy, par les armes.
Conduit les gens de guerre invincible aux alarmes.


Messieurs de Caudale et de La Valette, fils du duc d’Épernon, racontent au berger improvisé les solennités auxquelles ils viennent de prendre part, et finissent par obtenir de lui qu’il cesse sa lamentation pour faire chanter à ses pipeaux une ode Sur le Bataime. On voit que Claude Garnier vivait surtout d’encens, — de l’encens qu’il brûlait au nez des grands personnages. Plusieurs de ses autres ouvrages donnent la même indication. C’est un Chant pastoral sur le trespas de feu Monseigneur le Che- valier de Guyse, — Paris, 1615, in-8. C’est le Mausolée du grand roy Henri IV, dedié au treschrestien Louis XIII, — Paris, 1611, in-8. C’est une ode de 23 dixains A Monsieur de Souvré, gouverneur de Monseigneur le Daufin, — Paris, 1606 ? in-8.


Les biographes désignent 1545 comme année de la naissance de Garnier, et 1616, comme année de sa mort. Viollet-le-Duc, dans sa Bibliothèque Poétique, pense qu’il vivait encore à la fin de 1615 « puisque, suivant Beauchamps, il fit représenter une pastorale à cette époque. » Mais il est d’autres œuvres qui sont bien postérieures à cette date. Tel : Le Bouquet du Lys et de la Rose au nom de l’alliance de France et d’Angleterre, dédié à monseigneur le prince de la Grande Bretagne, — A Paris, 1624, in-8. Ce poëme est précédé d’un sonnet à monseigneur le duc de Boquingham, et de deux épitres en prose à monseigneur le prince de la Grande Bretagne et à Madame, et suivi d’un sonnet sur le portrait de Madame ; et chacune de ces pièces est signée séparément. Puis il y a La Muse infortunée contre les froids amis du temps, — 1624, in-8. Et enfin un Panégirique sur la promotion de monseigneur le président Seguier, — Paris, 1633, in-8. Tout cela est-il bien, et très assurément, du même Claude Garnier ? Les inspirations sont voisines ; et il serait assez facile de se rendre compte, car le style archaïque, la forme et même l’orthographe du poëte lui sont bien personnels. Ce qui est moins aisé, c’est d’avoir entre les mains ces plaquettes, à peu près disparues avec la circonstance. La paternité avérée du dernier opuscule ferait, à la vérité, vivre Claude Garnier bien vieux, — si l’on était sûr de la date de sa naissance ! Mais on ne peut le tuer en 1616, car il commenta les Discours de P. de Ronsard pour l’édition de 1623.


Ce Commentaire se réclame avec fierté de l’ancienne école : « Je ne doute point que nombre de ceux lesquels ont mis peine de faire authoriser, au prejudice des Muses, leurs nouvelles façons d’escrire differentes des belles conceptions de l’Antiquité, ne renforcent les atteintes dont ils m’ont toujours assailly, pour me voir estre ennemy de leurs foibles nouveautez… » Une note à l’Institution de Charles IX dit : « Qui désirera voir quelque chose de l’institution d’un Prince,… feu Monsieur Jean Antoine de Baïf… en a fait une pour le Roy Charles IX ; Monsieur Des Yveteaux,… une pour Monseigneur César Duc de Vendôme ; et (s’il m’est permis d’avoir rang parmi les bons esprits) celle que j’ay faite pour e Roy le plus grand de tous les Roys ne sera teue. » Il faut donc porter à l’actif de Garnier des Conseils pour bien régner ; et enfin entreprit-il de continuer La Franciade.


Je me suis tant étendu sur le compte de l’auteur des Royales Couches parce que l’on ne connaissait absolument rien de sa vie. Je vais être infiniment plus bref sur un rival en poésie courtisanesque, l’auteur de Vers et Musique de Navieres, G. S. P. R., au baptesme de Monseigneur le Dauphin et Mesdames filles et fis de Henry IV roy tres chrestien et de Marie, reyne tres illustre de France et Navarre. N’ouvrons pas, encore qu’il y ait là dans un des Sonnets Naissanciels cette forte pensée :


Dedans Fonteinebleau sont descendus les Dieus…


Ce Charles de Navieres, G. S., Gentilhomme Sedanois, P. R., Poëte Royal, pour le moins, est un fol plaisant, qui composa une Henriade Lysliade, et arborait cette devise : P. A. L’… P. A. L’… (Pront à l’un, Prêt à l’autre). Et il mit au jour un poëme intitulé : Alegresse et Resjouissance Publique à la Nativité de Monseigneur le duc d’Anjou, « troisième fils, cinquième enfant de Henry le Grand tousjours Auguste, Tres Chrestien, Belliqueux, Victorieux et Pacifique Roy, de ce nom quatriéme à France, troisiéme à Navarre, second à soy mesme, premier à tous, soixante quatrième au nombre royal, et infini en heur, honneurs, vertus, moyens et merites. Et de la non moins vertueuse que fructueuse Royne Marie de Medicis heureusement délivrée et accouchée au jardin des delices Françoises et Paradis terrestre de Fontainebleau, ce 25 jour d’Apvril 1608. » Un grand : Vous êtes trop honnête ! pour le Jardin des délices, et pour le Paradis terrestre.