PRÉFACE



M. Louis Arnould est un universitaire très distingué et un grand ami des poètes. Sa thèse de docteur ès lettres, intitulée : Un Gentilhomme de Lettres au xviie siècle, n’offre pas seulement une biographie scrupuleusement détaillée et fouillée jusqu’à la minutie d’Honoré de Bueil, seigneur de Racan, elle présente aussi une étude faite avec autant de science que de goût sur les œuvres du plus fameux disciple de Malherbe. L’Académie française a d’ailleurs honoré ce beau travail d’une de ses flatteuses récompenses.

Après avoir occupé une chaire de littérature française à l’Université de Poitiers, M. Louis Arnould, actuellement en congé, fait aujourd’hui un cours analogue à l’Université Laval de Montréal. Il accomplit aussi une œuvre excellente en inspirant l’admiration et l’amour de nos poètes nationaux — de ceux d’autrefois comme des plus récents et même des contemporains — à ces Canadiens au cœur fidèle, qui furent jadis Français, qui parlent toujours notre langue et qui gardent pour leur ancienne patrie, une profonde et touchante sympathie.

De cet enseignement commencé dans la vieille Europe et poursuivi de l’autre côté de l’Atlantique, est né le livre que voici, tout simplement intitulé : Quelques poètes. Il contient un certain nombre de « causeries », selon le mot de Sainte-Beuve de qui M. Arnould se déclare l’élève et dont il a, pour ses travaux, adopté la méthode. Comme son maître, il ne se borne pas en effet à analyser et à juger l’œuvre d’un auteur ; il montre encore l’homme lui-même, nous raconte sa vie, nous peint son portrait.

Ce procédé, je le sais, n’a pas que des partisans. Certains esprits dogmatiques prétendent que, selon la stricte équité, on ne doit examiner dans un livre que les idées qu’il contient et le style dont il est écrit. Mon humble préférence, je l’avoue, va vers Sainte-Beuve et vers M. Louis Arnould, qui évoquent la personne de l’auteur et, de plus, le pays, l’époque, la société où il a vécu.

Pour les lecteurs, cette critique présente beaucoup plus d’agrément que l’autre, et j’ajoute que, de celui qui la comprend ainsi, elle exige beaucoup de recherches et de lectures, le sens de l’histoire, le goût du pittoresque, qui sont des mérites assez rares.

M. Arnould les possède tous, et, à mon avis, les anecdotes caractéristiques, les détails intimes qu’il me fournit sur un poète, même quand ils sont dignes de blâme ou entachés de ridicule, ne gâtent point un seul de ses beaux vers.

Parce que le vieux Malherbe eut les travers d’un pédant, ma haute estime n’en reste pas moins intacte pour celui qui a définitivement fixé les lois de notre prosodie. Quand j’apprends que André Chénier, dans sa première jeunesse, fut enivré par l’atmosphère libertine de son siècle, puis-je oublier qu’il a exprimé en termes délicieux les plus délicats sentiments, poussé les plus doux soupirs de tendresse ?

D’ailleurs M. Arnould — je me hâte de le dire — est, avant tout, un ami des poètes, et jamais, tout en demeurant soumis à la vérité, il ne parle de leurs faiblesses qu’avec une indulgence respectueuse. Ses portraits ne sont pas flattés ; ils sont ressemblants et peints avec amour.

On lira donc avec un intérêt soutenu, avec un noble plaisir, ce livre où les jugements droits et sincères alternent avec des tableaux éclatants de couleur et de vie.

J’ai déjà prononcé les noms de Malherbe, de Racan, de Chénier, que M. Louis Arnould a ressuscites dans le décor et dans l’ambiance intellectuelle de leur temps ; mais je ne recommande pas moins les pages consacrées par lui à des modernes, — à Victor Hugo d’abord, le prodigieux lyrique auprès de qui nous tous, rimeurs de la fin du xixe siècle, sommes ce que la butte Montmartre est à l’Himalaya, — et à mon cher compagnon de voyage, depuis quarante ans, sur la route de l’art, au grand poète-philosophe Sully Prudhomme, qui, après nous avoir dit, en si beaux vers, son rêve idéal de bonheur et de justice, est en proie, vers le soir de sa vie, à la souffrance la plus imméritée, et nous donne, en la supportant avec autant de douceur, un admirable exemple de courage et de résignation.

Enfin il faut noter, à titre de curiosité, le chapitre où M. Arnould a eu le caprice de tirer de l’oubli le plus ténébreux un poète-apothicaire du xvie siècle, nommé Paul Contant, qui n’eut, certes, aucun génie, mais qui, par son goût pour les collections scientifiques, apparaît comme un précurseur des Buffon et des Linné. Heureuse France du passé, où le pharmacien s’essayait timidement, dans ses loisirs, à toucher la lyre d’Apollon, sans dédaigner l’instrument de Diafoirus, et n’avait pas l’audace de saisir, comme M. Homais son successeur, la barre du gouvernail de l’État !

En terminant la lecture de cet ouvrage substantiel et brillant, où il y a beaucoup de conscience et beaucoup de charme, de ce volume de 450 pages, une pensée me hante, à la fois mélancolique et salutaire. Je songe à ces poètes d’autrefois, tels que Malherbe et Racan, que des lettrés, des esprits d’élite, comme M. Louis Arnould, étudient avec tant de soin et de piété, tandis que le gros public, le profanum vulgus, connaît tout au plus leurs noms et peut-être quelques vers de l’Ode à Du Perrier ou des Stances sur la retraite. Devenons modestes, ô mes confrères, et méditons sur cette faillite de la gloire. Quelques-uns d’entre nous — oh ! en très petit nombre — deviendront peut-être un jour un sujet de thèse pour le doctorat, mais il ne restera d’eux qu’une page dans l’anthologie.

François Coppée.
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