Quelques poèmes français de Louisa Paulin/Texte entier

Quelques poèmes français de Louisa Paulin
Quelques poèmes français de Louisa Paulin (p. 3-36).


QUELQUES POÈMES
FRANÇAIS
DE
LOUISA PAULIN
CHOISIS
par la Société des Amis de Louisa Paulin
COLLECTION « LES VEILLÉES ALBIGEOISES »



Il a été tiré cinquante exemplaires
sur papier Montgolfier
numérotés de 1 à 50


Louisa Paulin est morte peu connue. Le seul recueil — à peu près complet — de ses poèmes est posthume [1].

Par la moitié d’entre eux, écrite en langue d’Oc et d’inspiration occitane, elle s’est volontairement donné une audience limitée.

On ne connaît d’elle qu’une cinquantaine de poèmes en français, tous voués au matin et au printemps, à l’insatisfaction et à la mort, à la joie de vivre et à la musique.

Il n’est pas indifférent de savoir que son destin fut terrible. Lentement paralysée, Louisa Paulin quitta le monde. Devenue aveugle, elle l’eût perdu tout à fait sans la musique et l’amitié.

Elle pensait, la nuit, des poèmes qu’elle dictait le lendemain.

Ces pages sont nées ainsi au bord de la souffrance et de la mort. Mais leur résonance est celle de la vie. Le poète était immobile, ses vers ne sont que mouvement.


LOUISA PAULIN
d’après une photographie exécutée vers 1925

Chante, jet d’eau têtu, voix prisonnière,
poète jamais las d’un rêve de lumière
qui caresses la nuit d’étincelants désirs.

L. P.

Forêts


À Pascale Olivier, déesse.


Quelquefois, dans la nuit, une bête sauvage
galope, en mon sommeil, dans les forêts du songe
et moi, contre son flanc, je vais toute pareille.
Rien ne peut arrêter la course fraternelle
de nos sabots, unis dans un rythme d’amour.
Nous nageons dans le vent comme dans une eau vive,
la neige des torrents porte nos bonds joyeux,
nous traversons les troncs lisses et vaporeux
des hêtres qui n’ont plus leur densité native.
Quelquefois, nous luttons, poitrine sur poitrine
mélangeant nos deux corps ductiles et légers,
et nos bouches alors connaissent des baisers
lents et silencieux comme ceux des racines.
Quelquefois nous dansons au repos des clairières
qui sont des lacs de lune ou de douceur stellaire.
Quelquefois nous courons sur de blancs promontoires
dominant des vallées de brouillards accroupis ;

nos sabots font un bruit de fins galets d’ivoire
comme s’ils résonnaient aux rives de la nuit.
Puis l’enivrante odeur d’une source prochaine
oriente nos fronts rayonnants de désir ;
nous buvons à longs traits la force souterraine
et le mystère vif de l’eau à sa naissance.
Nous ruisselons de vie allègre et de puissance ;
rien ne peut altérer la souveraine aisance
de nos corps délivrés du lourd passé humain.
Ô lointains souvenirs des forêts maternelles
qui jaillissent touffus à l’ombre du sommeil,
où le corps libéré se souvient de ses ailes,
où l’âme jeune et nue, ivre de merveilleux,
se rappelle un amour qui enfantait des dieux.


Réalmont, mai 1939.

Étoiles


Au Docteur G. Rieunau.


Viens, allons voir la nuit qui sourit au couchant,
La voix du rossignol s’élève souveraine
Et la terre n’est plus dans sa courbe sereine
Qu’un fruit d’amour issu de cet unique chant.
Nous entendrons le soupir de l’eau vive,
De l’herbe en fleur qu’un souffle heureux vient enivrer,
De la mort que la vie a voulu délivrer
Et de la vie, ô mort, que tu retiens captive
Et puis, dans cette nuit du limpide juin,
Blottis dans l’humble paix du terrestre jardin
Des astres, nous suivrons l’ardent troupeau sensible
Sur les voies où le mène un berger invisible.

Oh ! Viens, les belles nuits ne sont pas au sommeil !
La Terre nous convie à la danse des mondes,
La même loi d’amour mène leur pure ronde
Et tient magiquement notre cœur en éveil.
Le secret, que la voix du rossignol devine,
Sous nos fronts obstinés tremblera de désir
Et ce qui dort en nous de poussière divine

Rêvera de s’épanouir.
Nous serons dans la nuit deux ombres bienheureuses,
Noyant des univers dans leurs yeux trop étroits
Cependant, pour bercer la pauvre âme peureuse
Si tu veux, nous joindrons les doigts.

Ne te tourmente plus de cette neuve étoile :
Ce matin, le soleil a reconquis l’azur.
Béni soit-il, d’avoir sur nous, tendu ce voile
Candide et caressant et d’un vide si pur !
Ce matin, mon amour, est un matin d’enfance
Tout est vif et léger.
Et nous aurons au cœur la jeune confiance
Des arbres du verger.


Le matin vient à nous frémissant d’allégresse,
Oublions cette nuit qui nous laisse accablés :
Rassurons nos regards à la splendeur des blés
Qui balancent au vent leur tranquille richesse.

Cette nuit sans pitié fourmillante de mondes
Dans nos âmes a réveillé la vieille peur
Mais le rayonnement de ce matin vainqueur
Nous berce ingénument dans la paix de ses ondes.

Industrieux matin qui retisse sa toile
D’un bleu naïf sur nos vignes et sur nos bois !
La fanfare des coqs ébranlant nos vieux toits
Met en fuite, là-bas, une dernière étoile.

Notre âme que la peur, cette nuit, avait close,
Sent la lourde terreur peu à peu s’apaiser
Tandis que sur nos fronts passe comme un baiser,
Le chant du rossignol éveillant une rose.

Le bohème des bonheurs perdus


Non, ce n’est pas ta jeunesse
que je pleure.
J’aurais voulu t’aimer à l’heure
où la vie blesse,
à cette heure où l’on sait enfin que l’on est seul.
Oui, c’est alors que je serais venue
moi, l’inconnue
qui dormais dans ton cœur.

J’aurais eu ton regret pris au filet du rêve
quelquefois, quand tu aurais eu soif d’eau bleue,
j’aurais eu la caresse
de tes mains sur mes yeux
quelquefois, quand tu aurais eu faim de tendresse.

Assise à tes pieds, dans ton ombre
j’aurais été la timide sœur de tes songes
et tu les aurais baisés sur mon front.

J’aurais eu le secret frisson
de ta voix
prise à la magie d’un poème
alors, j’aurais su que tu m’aimes…

Et tu aurais su que je t’aime
à ma joue effleurant tes doigts…


Fin décembre 1937.

Roses

I


Ce poison lent que tu composes,
rose,
ce parfum, silence et délice
qui se glisse,
caresse et froisse,
jusqu’à l’angoisse,
vers quelle lointaine Arabie,
vers quelle volupté meurtrie
entraîne-t-il mon désir nu
et mon âme triste qui tremble
au bord d’un printemps inconnu ?

II


Quelque part fleurit une rose
enclose dans l’azur
d’un jour de mai si pur !
Quelque part un signe d’amour
magiquement l’appelle à la lumière
et délivre, aimantée, son âme prisonnière,
ce parfum, le chant de sa vie,
lisse et baigné de l’harmonie
d’un souverain bonheur…
Quelque part une âme espère, rose,
et lentement se meurt.

III


Étrange ami d’un jour
ton amour
s’est posé sur ma vie
comme l’aile de l’oiseau migrateur
qui se repose une heure
et repart.

Je te donne, au départ,
la rose épanouie
dans la coupe du jour goutte à goutte épuisée,
cette rose attentive à son divin secret,
son rêve qui t’effleure
et sa lente agonie.

IV


Une rose ronde et serrée
prise au jardin de Dulcinée
avec sa goutte de rosée
— ô jeunesse du monde ! —
une rose secrète et ronde.
Et Sancho l’a mise à sa bouche
— elle avait fleuri pour ton cœur
ô don Quichotte !
La vie se trompe chaque jour
las ! mon triste Seigneur
— et notre amour. —

V


Et c’est toujours la même rose
qui n’est plus.
Ma mère me l’avait donnée
un jour de mai
déjà fanée à peine éclose,
rose mauve de gris ourlée,
et ce parfum
aucune rose
jamais ne l’eut
et le rosier n’est plus…


26-2-1938.

Saint Jean de mon village


Au Docteur Jean Aussenac,
et à Jean-Christophe.    


Saint Jean de mon village
mal taillé, mal vêtu,
toutes les herbes folles,
toutes les filles sages
espèrent vos pieds nus,
vos pas légers de pâtre de village
dans nos chemins perdus.

Nous allons l’allumer, notre grand feu sauvage
et nous danserons tous, saint Jean de mon village,
la danse de l’été et des brèves amours,
la danse du soleil et de l’unique jour.

Saint Jean de la Saint-Jean et des chevaux de bois
superbement cabrés dans l’azur de l’enfance
et la poussière d’or de la fête votive,
nous avons attendu tout un an votre eau vive
sur les flammes de nos bûchers.
Nous aimerions être purs et fidèles
mais la terre d’ici est grasse et maternelle
tout est riche de suc et lourd de beaux péchés.

Saint Jean des belles nuits, ayez pitié de nous !
Vous ne nous laisserez, hélas ! qu’un peu de cendre !
Vous nous retrouverez dans un an
bon Saint Jean,
pauvres âmes d’enfants naïvement rebelles
et nos joies en guirlande aux cornes de Satan.

Saint Jean, pâtre des lis, délivrez la lumière :
nous savons bien que l’hiver nous attend !

La ville heureuse


Je voudrais bâtir une ville heureuse
avec des arbres et des eaux,
de grands arbres serrés sur de secrets oiseaux
comme dans nos vieux livres d’images
quand nous étions des enfants sages,
de ces arbres gonflés d’étranges sèves
et qui savaient nourrir et bercer tous nos rêves.

Avec des rues comme des nids tout en rumeurs
où la vie coulerait dense et généreuse
pour ceux qui ont peur du bruit de leur cœur,

avec de très hauts ciels et des espaces purs
charriant de l’azur
et des cargaisons de nuages
au bord de lentes plages,
des solitudes claires
pour les silencieux,
pour tous ceux
qui ne savent pas replier leurs ailes.

Je voudrais bâtir une ville heureuse
et qui déferlerait joyeuse
tout autour de la terre.

L’on n’y verrait que de beaux visages
pareils et divers comme ceux des dieux
et qui semblent porteurs de messages
mélodieux.

Où êtes-vous, les hardis bâtisseurs,
vous qui saurez vaincre sans armes
et qui naîtrez de quelques fiers rêveurs
et de toutes nos larmes.


Quand vous baisez ces mains que la vie a froissées,
quand vous abandonnez vos plus chères pensées
entre ces lentes mains, sœurs des ailes blessées,
sur l’eau morte des temps affleure un souvenir.
Je retrouve un moment une vie abolie,
je revois deux bouleaux au bord d’une eau polie
tendrement curieux de leur double reflet.
Leurs racines cèlaient au secret de la terre
les sourds cheminements où se cherchaient leur sève,
le poids léger du ciel leur jetait un oiseau
et dans ses chants d’azur frissonnaient leurs deux rêves
tandis qu’un souffle errant caressait de lumière
l’effusive douceur qui mêlait leurs rameaux.

Plus rien n’aborde en moi de cette obscure vie.
L’éclair du souvenir n’a surpris l’eau polie
que le temps d’un baiser.


(Rondo capriccioso, I)


Toutes les villes d’Is ont sombré dans les mers
et même la rumeur des cloches s’est éteinte.
Tous nos désirs, tous nos espoirs, toutes nos plaintes
les voilà donc jetés au silence des eaux.
Ces remuants péchés pris au filet des algues,
cette amoureuse vie enlisée aux eaux calmes,
offensante beauté, faut-il donc vous pleurer ?
lents loisirs où Narcisse élucide son âme,
étroite solitude où se terre la flamme,
orgueil désespéré de n’être rien que soi,
mais soi, le séparé, l’authentique fils d’Ève,
celui qui se préfère à tous les paradis,
qui porte dans son cœur les villes englouties,
qui écoute en son âme une plainte inconnue,
celui qui cherche seul sa royauté perdue
mais pour qui dans le soir parfois les cloches tintent.


(Rondo capriccioso, II)


Purs Athéniens, vainqueurs des barbares Atlantes,
nous préparions en vain les gloires du retour ;
mais les soirs sur les soirs défaisaient les couronnes
que nos matins fervents tressaient de jeune espoir.
Les tuniques tissées aux portes de l’attente
vainement rappelaient vos beaux corps à nos mains
et jamais aucun vent des montagnes atlantes
ne portait la rumeur du retour des vainqueurs.

Mais un soir, surgissant du seuil de l’épouvante,
ô derniers survivants, vous êtes revenus.
Dans vos yeux de terreur, béants, nous avons vu
comme un troupeau traqué fuir et sombrer les îles,
les chevaux de la mer rués sur l’Atlantide,
les montagnes couler comme des nefs fragiles,
la colère des dieux rouler au même abîme
dans un linceul d’éclairs et vainqueurs et vaincus.


(Rondo capriccioso, III)


Ève je suis, hélas ! la mal, la trop aimée
souveraine exilée au royaume de chair,
la somme des péchés épars dans l’univers,
idolâtrée, honnie, jamais aimée.
Ève je suis, qui a caressé le serpent
de sa main petite et terrible
et je suis à jamais la lyre de Satan.
Celui qui m’a suivie hors du jardin sensible
et qui m’est d’un seul coup devenu étranger
se souvient-il de notre corps léger,
de ce corps musical qui rayonnait notre âme,
fleur de chair aimantée à la vie éternelle
et s’épanouissant en neigeuses pensées ?
Un flot d’amour coulait entre nos mains unies,
nous étions au jardin la lumière et la vie…

Aujourd’hui nous semons la douleur et la mort.


(Rondo capriccioso, VI)

La Chanson du Silence


Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du Silence
la chanson qui commence
quand s’achève, la nuit, le chant du Rossignol,
la chanson qu’on entend à la douce croissance de l’herbe
la chanson de l’eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d’un rameau
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d’un oiseau.
La secrète chanson berçant l’ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière
qui attend, pour fleurir, un signe de l’azur.


Réalmont. Été 41


Avec mes souhaits de beau Noël


Louisa Paulin


Tu es, ô bien-aimé, le puits aux sept palmiers
— ô soif d’eau vive, —
le puits aux sept palmiers dans le désert de sel,
le puits aux sept palmiers dans le désert du monde.

J’ai souffert de la soif comme le noir Targui
— inaccessible puits, —
je t’ai cherché longtemps à travers l’étendue
étincelante et nue
et je t’ai découvert à l’heure où le soir vient.

Je ne troublerai pas ta solitaire ivresse,
je n’effleurerai pas même d’une caresse
l’eau calme
où s’endort l’ombre de tes palmes.

Je boirai seulement ton rêve de clarté
— eau vive, eau profonde —
et je repartirai dans le désert du monde.


(Rondo capriccioso, VII)

Pleureuse


Pleureuse, qui convoies obstinément ton mort
Loin des rives de la lumière.
Renonce à l’émouvoir au secret du suaire,
Qu’une paix sans défaut le mène à l’autre bord

Laisse-le dériver aux brises inconnues,
Ne l’importune pas de souvenir glacé,
Laisse le bon sommeil détruire le passé
Et le conduire au seuil de neuves avenues.

Que l’eau pure du temps, seule, le vivifie,
Que pour lui se distille un nombreux devenir
Puisque tes vaines mains ne surent retenir
Celui qui s’évada, Pleureuse, de ta vie.


Réalmont, 21 août 1939.

Quelqu’un


Quelqu’un d’un doigt léger m’a touchée à l’épaule…
Je me suis retournée mais il s’était enfui ;
Peut-être es-tu celui que je n’espérais plus
et dont le souvenir confus
trouble encor quelquefois le miroir de mes songes ?

Ou bien
l’Ange gardien de mon âme d’enfant
alors que résonnait aux jardins du Printemps
le doux éclat de nos deux rires ;
je froissais quelquefois tes ailes dans nos jeux,
blanches ailes au reflet bleu
comme tes yeux, comme mes yeux,
comme l’enfantine journée.
Viens-tu, comme autrefois, poser mes pieds lassés
sur la divine échelle où palpitaient les anges ?
nous la sentions vibrer d’amour pur sous nos doigts,
mais c’était le temps d’autrefois…

Ou bien
es-tu tout simplement celle que chaque jour j’attends,
la patiente Silencieuse,
avec le fil aiguisé de ta faux
dissimulé derrière ton épaule ?…
Est-ce donc en ce soir d’automne
et dans sa fragile beauté
qu’il faut partir pour l’incertain voyage ?
Ô Mère du sommeil, prends-moi donc par la main,
ne faisons pas de bruit et ne troublons personne,
partons comme s’envole une feuille en automne.


Réalmont, 7 octobre 1943.
  1. Rythmes et Cadences, publié aux « Éditions du Languedoc » (14, rue Timbal, Albi), par les soins de M. L.-Charles Bellet.