Quelle est ma foi/00

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 24p. 1-4).

QUELLE EST MA FOI ?
(1884)




J’ai vécu cinquante-cinq ans, et, à l’exception des quatorze ou quinze années de mon enfance, pendant trente-cinq années de ma vie j’ai été nihiliste au sens littéral du mot, c’est-à-dire que je n’étais ni socialiste, ni révolutionnaire, ce qu’on entend ordinairement par ce mot ; le nihilisme signifiait pour moi l’absence de toute religion.

Il y a cinq ans, je crus à la doctrine du Christ et, subitement, toute ma vie changea : je cessai de désirer ce que je désirais auparavant et je me mis à désirer ce que je n’avais pas désiré jusque-là. Ce qui, auparavant, me paraissait bon, me parut mauvais, et ce qui me paraissait mauvais, me parut bon. Il m’advint ce qui arrive à un homme qui, tout à coup, décidant que l’affaire pour laquelle il a quitté sa demeure n’en vaut pas la peine, retourne chez lui. Tout ce qui était à sa droite se trouve alors à sa gauche, et tout ce qui était à sa gauche se trouve à sa droite ; le désir primitif de s’éloigner de sa maison se change en désir de s’en rapprocher au plus tôt. La direction de ma vie, mes désirs, devinrent tout autres, le bien et le mal se déplacèrent. Tout cela parce que je comprenais la doctrine du Christ autrement que je l’avais comprise jusque-là.

Je n’ai pas l’intention de commenter la doctrine du Christ, je veux seulement raconter comment j’en vins à comprendre ce qu’il y a de simple, de clair, d’évident dans cette doctrine, ce qui s’adresse à tous les hommes, et comment ce que je compris transforma mon âme et me donna la paix et le bonheur.

Je ne veux pas commenter la doctrine du Christ, je souhaiterais même qu’il fût interdit de le faire.

Toutes les Églises chrétiennes ont toujours reconnu que les hommes, inégaux au point de vue de l’instruction et de l’intelligence, — les savants et les ignorants, — sont égaux devant Dieu, et que la vérité divine est accessible à tous. Christ a même dit que Dieu a révélé aux ignorants ce qu’il cache aux savants.

Tous ne peuvent pas être initiés aux mystères profonds de la dogmatique, de l’homélitique, de la patristique, de la liturgique, de l’herméneutique, de l’apologétique, etc., mais tous peuvent et doivent comprendre ce que Christ enseigna aux millions de gens simples et ignorants qui ont vécu et à ceux qui vivent maintenant. Or, ce que Christ disait à tous ces gens simples qui ne pouvaient avoir recours aux interprétations de Paul, de Clément, de Chrysostome et des autres, voilà ce que je ne comprenais pas autrefois, ce que je sais maintenant, et ce que je veux dire à tous.

Le larron sur la croix crut en Christ et fut sauvé. Si le larron n’était pas mort sur la croix, s’il avait pu raconter aux hommes comment il crut en Christ, se pourrait-il que cela fût mal et nuisît à quelqu’un ?

Comme le larron en croix, je crus à la doctrine du Christ et fus sauvé. Ce ne sont pas là de vaines paroles, c’est l’expression fidèle de l’état de mon âme, jadis remplie de désespoir et d’épouvante devant la vie et la mort, maintenant paisible et joyeuse.

Comme le larron, je savais que ma vie, passée et présente, était mauvaise, et je voyais que la plupart des hommes qui m’entouraient vivaient comme moi. Je savais, comme le larron, que j’étais malheureux et que je souffrais, que les hommes, autour de moi, étaient malheureux et souffraient, et, pour sortir de cette situation, je ne voyais d’autre issue que la mort. Comme le larron cloué à sa croix, j’étais attaché par une force quelconque à cette vie de souffrance. Et, comme lui, je voyais venir les horribles ténèbres de la mort après les souffrances et les maux d’une vie insensée.

Ainsi je ressemblais au larron, mais il y avait pourtant une différence entre nous : il allait mourir, moi je vivais encore. Le larron mourant pensait trouver peut-être son salut au delà de la tombe, tandis que moi j’avais encore la vie devant moi. Je ne comprenais rien à cette vie. Elle me semblait affreuse. Mais, tout à coup, j’entendis les paroles du Christ, je les compris ; alors la vie et la mort s’illuminèrent et, au lieu du désespoir, je goûtai une joie et un bonheur que la mort ne pouvait détruire.

Pourrais-je nuire à quelqu’un en racontant comment ceci m’arriva ?