Editions et Librairie (p. 1-4).


I



Amsterdam, un matin d’automne.

— Je viens pour le billet…

C’est une bonne à tablier blanc qui m’a ouvert la porte. J’ai attendu une heure, sous le vent mouillé, que s’ouvrent les bureaux de la Compagnie hollandaise.

Conçoit-on une Compagnie de navigation dont l’enseigne est une porte misérable et qui n’a qu’une bonne à tablier blanc pour recevoir les visiteurs ?

La Ruyterkade est froide et déserte par ce matin d’automne.

Depuis une heure, cette porte qui reste close et pas de sonnette et point de passant…

— Mademoiselle, j’ai loué une cabine pour Paramaribo… une cabine sur le Van Dyck, qui part à 10 heures pour la Guyane… je n’ai pas encore mon billet et mes bagages sont là, dans la rue.

La petite bonne n’entend pas le français. Elle a des boucles blond paille tout autour du bonnet de dentelles. Les boucles s’agitent ; et, silencieuse, comme elle est entrée, la bonne disparaît…

Un vieux en pantoufles, coiffé d’une calotte rouge de juif, a poussé la porte vitrée ; le bruit l’a sans doute attiré.

Non, il est sourd.

Je lui crie que je veux mon billet de passage. Sa barbe s’ouvre dans un sourire ; il lève des mains bénissantes.

Il sort. Il est déjà de retour.

— Voici votre billet, monsieur, mais vous avez le temps. Asseyez-vous là, un peu… Ah ! vous êtes Français… Et vous allez à Paramaribo… Mon Dieu, quelle idée !…

Il me retient par l’habit.

— Moi aussi, j’aurais bien voulu aller à Surinam avant de mourir. C’est une belle colonie. Je ne connais personne qui y ait vécu. C’est ainsi… Les fonctionnaires et les marchands hollandais prennent l’autre ligne. Nous, nous n’avons que le fret, bien que notre bateau soit aménagé pour recevoir les passagers. De temps à autre, un étranger qui va aux Antilles nous demande, comme vous, un passage…

Et il y a, alors, deux hypothèses : ou bien le voyageur s’est trompé de compagnie, il a vu dans le guide la liste des départs, et il vient… ou bien il sait… il sait que notre bateau n’a point de passagers et il vient pour être seul, pour sa santé, ou peut-être par orgueil, pour se donner l’illusion d’avoir un yacht à lui tout seul… oui, cela arrive… Quelquefois aussi, il vient… pour se cacher… C’est ainsi…

— …

— Voilà ! Si vous revenez de Surinam, rapportez-moi une orchidée de la brousse. Oh ! je ne veux pas une orchidée rare ; je voudrais une fleur prise au hasard sur un arbre et que vous rapporteriez dans une boîte de fer-blanc sur le pont ; mais vous ne voudrez pas… Personne ne revient de là-bas… Au revoir…

Sur le pas de la porte, sa calotte rouge à la main, il ajoute :

— Tous mes compliments à la dame, à la petite dame qui est venue hier soir… Ah !… ces Français, quels farceurs !…

La porte s’est fermée. J’examine mon billet. Il est en règle : Amsterdam à Paramaribo, 400 florins, cabine no 15.

Quel est ce fou ? Quelle étrange compagnie !…

Sous la pluie mêlée au vent, l’omnibus qui traîne mes bagages n’en finit pas d’arriver au quai où est amarré le Van Dyck.

Que de détours ! Que de ponts sur les canaux !

Enfin, voici le quai et tout là-bas, au fond de ce terrain vague, le Van Dyck, seul, comme perdu à cette extrémité du port désert.