Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 151-154).

LI

Quel cerveau singulier que celui d’un poëte !
On n’a pas tous les jours une pareille tête ;
Pour un phrénologiste, elle est un bon morceau :
Un poète bien cher peut vendre son cerveau.

Pour moi si l’apollon à la verte couronne,
Jamais jaune, grand dieu, verte même en automne
— Au cheval — je me trompe — à la lyre d’abord,
Que jamais accordeur ne peut mettre d’accord,
Puisqu’à l’heure qu’il est, suivant sa fantaisie
Chaque mortel peut faire, et fait la poësie !
C’est assez la dessus — au céleste cheval,
Pégase, c’est son nom, palefroy sans égal,
Qui souvent au poete, en lâchant sa ruade
L’a pourtant malgré lui mis en capilotade,
C’est assez la dessus – au char… oh ! le beau char
Char à quatre chevaux ! diable, par Escobar

Je ne m’étonne plus, si le poete en nage
Ne le peut attraper ! Quel énorme voyage !
Quatre chevaux ! de plus quatre chevaux pur sang !
C’est assez la dessus — Tout au commencement
Je disais : si le fils de la fauve Latone
Mère si tendre, si courageuse, si bonne,
Le fils de Jupiter, le brillant Apollon,
Le blond habitant des monts Parnasse, Hélicon,
Pierius, le Pinde, et d’autres — Je commence
À voir que les beaux monts dans notre belle France,
N’étaient pas en assez grand nombre pour fournir
Aux Dieux une maison pour y vivre et mourir !
C’est assez la dessus — Le général des Muses,
L’inventeur sans brevet des aigres cornemuses
Puisque tous les bergers, poetes de ces temps
Jouaient du flageolet — Ce genre d’instruments
Enfanta j’en suis sûr, la rude cornemuse —
L’homme diminuant (la dessus on s’abuse,
On dit que ça n’est pas ; mais il est bien prouvé,
Et sûrement, ce n’est pas moi qui l’ai trouvé !
Qu’on rapetisse). Donc, son souffle par la même,
Ne pouvant plus souffler aux bergères, je t’aime,
(on le disait alors avec la pureté

— Ce qui pouvait se voir — d’un amour cacheté)
Dans ces gros instruments, de la celte vessie
Où l’on presse : je t’envie, en bonne poésie ;
C’est assez la dessus — Je reprends: si l’amant
De la Leucothoe, qu’il aima tendrement,
Qui victime à la fin de la douce Clytie,
(On connaissait déjà l’atroce jalousie)
Fut vivante enterrée (Apollon en encens
La changea) — si l’amant de Daphné… mais je sens
Qu’il faut m’arrêter là, j’en aurais trop à dire.
Une réflexion — au sein de notre empire
Apollon, par exemple, aurait sans trop chercher,
Trouvé bien des beautés, et vraiment pas trop cher !
Cela peut-être eu pu remplacer la montagne ;
C’est assez la dessus — Je crains que l’ennui gagne
En lisant ce récit — Je conclus : — Je dis donc
Si ce Dieu haut placé, ce Phoebus Apollon,
Le fils de Jupiter, l’écuyer de Pégase
Le cocher du soleil (pardonnez cette phrase :
— Le jour qu’il a donné sa voiture à son fils
Nous avons bien manqué d’être tous, tous rôtis !
C’est assez la dessus — L’amant — où donc en suis-je ?
L’histoire ne dit pas que Vénus Callypige

Fut son amante, mais je le dis, entre nous,
Cela pourrait bien être — il faisait les yeux doux
À tant d’autres, vraiment que Vulcain — quelle crase !
Vénus avec Vulcain ! — mais poursuivons ma phrase,
Que Vulcain a bien pu pour la millième fois
Être… mais il avait pris son parti, je crois.
C’est assez la dessus — Si le fils de Latone
M’avait donc départi sa brillante couronne,
Cela conjointement avec Muse Érato,
La muse du poete ici bas — aussitôt.
J’irais sans sourciller, et d’un air un peu crâne,
Chez un phrénologiste, et lui vendrais mon crâne !