Hachette (p. 121-134).



X

rechute de giselle


« Je viens savoir de tes nouvelles, Léontine, dit Pierre en entrant le lendemain, dans l’après-midi, chez sa sœur.

léontine, l’embrassant.

Elles sont excellentes, mon ami. Giselle est charmante ; elle obéit au premier mot, elle a un air doux et heureux que je ne lui ai pas vu depuis longtemps. Victor est enchanté ; il s’attendait à être grondé hier soir en rentrant ; mais, au premier mot d’explication, je lui ai fermé la bouche en l’embrassant. « Merci, ma bonne Léontine, m’a-t-il dit ; j’ai fait une sottise ; tu ne me la reproches pas, et certainement je ne recommencerai plus. » Je suis heureuse aujourd’hui. Dieu veuille que Giselle ne trouble pas ce calme dont je jouis si rarement !

pierre.

Le bon Dieu t’exaucera, chère Léontine, si tu mets en pratique l’excellent proverbe : Aide-toi, le ciel t’aidera.

léontine.

Et toi aussi, tu m’aideras, mon bon Pierre ; je suis si faible ! J’ai besoin d’être soutenue pour lutter contre Giselle et contre Victor.

pierre.

Et contre toi-même, pauvre sœur. Je viens te dire que, d’après le succès de notre soirée d’hier, nous avons décidé, Noémi et moi, que notre fête dans le jardin aurait lieu dans huit jours ; le temps est au beau, Giselle aussi ; profitons-en pour la raffermir dans ses bonnes résolutions. Noémi te demande de venir l’aider dans ses arrangements de fleurs, de meubles ; pour ses commandes de gâteaux, de glaces, etc., pour son dîner de cinquante couverts, et enfin pour tous les préparatifs de la fête. Elle compte sur ton bon goût et sur tes idées toujours heureuses dans ce genre d’arrangements.

léontine.

Veux-tu que j’y aille de suite avec toi ?

pierre.

Certainement ; je t’enlève jusqu’au dîner.

léontine.

Très bien ; Giselle a fini ses leçons, elle est sortie avec sa bonne ; son père l’attend aux Champs-Élysées pour la mener au Jardin d’Acclimatation : ils en ont jusqu’au dîner. »

La porte s’ouvrit ; la bonne entra.

léontine.

Comment, Émilie, vous n’êtes pas sortie avec Giselle ? Je vous croyais partie depuis trois quarts d’heure.

la bonne.

Je viens chercher Madame pour décider Mlle Giselle à s’habiller. Nous sommes en querelle depuis qu’elle a quitté Madame.

léontine.

En querelle ! À propos de quoi ?

la bonne.

Parce que Mademoiselle veut mettre sa belle robe de soie bleue et son chapeau de paille de riz garni de fleurs roses. J’ai beau lui dire que c’est trop élégant pour une simple promenade au Jardin d’Acclimatation, que sa belle toilette serait fanée et salie peut-être. Elle ne veut pas m’écouter, elle se fâche, elle pleure ; et je viens chercher Madame, car je ne puis en venir à bout. »

Léontine était consternée.

léontine.

Pierre, que dois-je faire ? Mon Dieu, mon Dieu ! comme mon bonheur a peu duré !

pierre.

Ne te décourage pas, ma pauvre Léontine. Crois-tu que Giselle puisse être corrigée en une journée de ses vieilles habitudes de révolte et d’entêtement ? il faut du temps et de la fermeté. Ne cède pas ; elle cédera. Va la voir ; parle doucement, mais sérieusement ; qu’elle voie que ta volonté est plus forte que la sienne.

léontine.

Pierre, viens avec moi, je t’en prie ; ta présence me donnera du courage.

pierre.

Très volontiers, chère amie. Use de moi tant que tu voudras ! »

Léontine, suivie de Pierre, entra chez Giselle ; elle était assise sur le plancher, en jupon, sans brodequins, nu-bras, les cheveux emmêlés, les yeux étincelants, les joues rouges, portant sur son visage l’expression d’une colère prête à faire explosion. »

Léontine et Pierre se placèrent devant elle.

« Mon oncle ! s’écria Giselle ; toujours mon oncle !


Léontine, suivie de Pierre, entra chez Giselle.

léontine.

Oui, Giselle, ton oncle, qui vient t’annoncer une fête qu’il veut nous donner jeudi prochain ; une fête très amusante, avec une loterie, un Guignol, un bal, etc. Mais je crains que tu ne puisses pas y aller.

— Pourquoi cela, maman ? » dit Giselle d’un air un peu effrayé. Sa colère était passée.

léontine.

Parce que tu recommences tes méchancetés ; parce que tu ne veux pas obéir à ta bonne ; parce que, par ton entêtement à mettre une toilette qui te donnerait l’air d’une folle, tu fais attendre ton pauvre papa.

giselle.

Oh ! papa ! il peut bien attendre ! Il s’amuse à voir passer les voitures.

léontine.

Ce n’est pas poli, ce que tu dis là, pour papa. Je viens te faire savoir que tu mettras la robe et le chapeau que tu mets tous les jours, ou bien que tu ne verras pas la fête de ton oncle ; choisis. Et dépêche-toi, pour partir bien vite. »

Giselle ne dit rien ; seulement elle se leva et alla prendre la robe préparée par la bonne. Léontine resta quelques minutes pour la voir peignée, chaussée et habillée ; quand Giselle fut prête, Léontine voulut l’embrasser, mais Giselle détourna la tête et sortit sans regarder personne.

Léontine restait immobile, pensive et triste. Pierre la laissa réfléchir ; mais quand il vit une larme perler dans ses yeux, il lui prit les mains, l’embrassa et lui dit :

« Tu as très bien mené l’affaire, ma bonne Léontine, très habilement ; tu as présenté la fête comme appât pour faire passer la colère et pour te faire obéir ; tu as parlé avec fermeté ; aussi as-tu réussi mieux et plus vite que je n’osais l’espérer.

léontine.

Tu trouves, Pierre ? Tu n’as donc pas vu comme elle m’a repoussée quand j’ai voulu l’embrasser ?

pierre.

Je l’ai très bien vu et je m’y attendais. Il était difficile qu’il en fût autrement. Elle se voyait obligée de céder sur tous les points ; elle n’a pas même essayé de te résister ; évidemment elle a dû souffrir dans son orgueil et dans sa nature violente. Mais ce n’est rien du tout, cela. Ne t’en inquiète pas. Et quand je te dis que tu as remporté une victoire complète, tu peux me croire ; tu dois espérer au contraire que l’avenir ne sera pas sombre, comme nous le redoutions hier encore.

léontine.

Tu trouves toujours moyen de me consoler, mon bon Pierre.

pierre.

Parce que je te connais si bien ! Je devine si bien tes côtés faibles, tes impressions, tes découragements. La grande amitié que j’ai pour toi me rend clairvoyant.

léontine.

Et moi, mes affections me rendent aveugle ; voilà la différence.

pierre.

Tu commences à y voir clair ; et moi je commence à craindre que nous n’arrivions trop tard chez Noémi.

léontine.

Tu as raison ; je cours chercher mon chapeau, mes gants, et je suis à toi. »

Léontine, qui avait repris son calme, revint après quelques instants, prête à partir. La visite à Noémi fut très utile. Laurence et Blanche furent appelées pour prendre part au conseil. Tout fut convenu, et Pierre fut chargé de courir les magasins avec Blanche pour les objets à mettre en loterie ; chaque enfant devait gagner deux lots, et on arrangea la distribution des billets de loterie de manière à ce que chacun eût ses deux lots.

Quand Léontine rentra, elle trouva Giselle dans le salon de fort mauvaise humeur. Elle n’avait pas trouvé son père aux Champs-Élysées ; elle n’avait rencontré aucune de ses amies, et elle avait été tout le temps en querelle avec sa bonne.

léontine.

Eh bien, Giselle, as-tu trouvé ton père ?

giselle.

Certainement non ; ma bonne m’avait fait perdre une heure en refusant de m’habiller.

léontine.

C’est-à-dire que c’est toi qui refusais de t’habiller.

giselle.

Ce n’est pas vrai.

léontine.

Giselle, ce n’est pas poli de me répondre comme tu le fais. Tu étais si gentille ce matin, ma petite chérie ! Et j’étais si contente ! Je t’en prie, chère enfant, ne recommence pas les scènes de ces derniers jours. Ne pense plus à ton caprice de robe bleue, et reprends ta gentille petite figure de ce matin. »

Giselle ne répondit pas ; elle boudait.

M. de Gerville entra, Giselle courut à lui.

m. de gerville.

Te voilà, mon cher amour ! Pourquoi n’es-tu pas venue aux Champs-Élysées ? Je t’y ai attendue plus d’une heure.

giselle.

Parce qu’on n’a pas voulu m’y mener à temps pour vous trouver.

m. de gerville, vivement.

On n’a pas voulu ! »

M. de Gerville jette sur Léontine un regard mécontent.

« Est-ce vous, Léontine, qui avez empêché cette pauvre petite de sortir ?

léontine.

Non, c’est elle-même qui s’est entêtée à ne pas vouloir s’habiller.

m. de gerville.

Mais puisqu’elle dit qu’on n’a pas voulu l’amener ?

léontine.

La bonne voulait l’habiller convenablement ; Giselle voulait se mettre ridiculement ; quand on est venu me chercher, elle avait perdu une heure à disputer avec sa bonne.

m. de gerville, avec humeur.

Cette Émilie est insupportable. Vous lui laissez trop d’autorité, Léontine.

léontine.

Mais, mon ami, elle n’en a pas assez, au contraire. C’est Giselle qui est insupportable avec sa bonne et qui ne lui obéit en rien.

m. de gerville.

Vous êtes aimable pour votre enfant !

giselle.

Maman ne m’aime plus du tout ; elle écoute mon oncle Pierre, qui est venu avec maman pour me forcer à mettre une vieille horrible robe. Je suis bien malheureuse, papa, quand vous n’y êtes pas.

m. de gerville, la saisissant dans ses bras.

Ma pauvre chère enfant ! je ne te quitterai plus ; je te suivrai partout. On n’osera pas te rendre malheureuse devant moi, j’espère. Mais dites-moi, Léontine, pourquoi votre frère se mêle-t-il de l’éducation de Giselle ? Est-ce que je m’occupe de ses enfants ? Je les trouve pourtant insupportables mais je ne me permets pas de les gronder, de les chasser, encore moins de les battre et de les garrotter.

léontine, tristement.

Pierre ne s’en mêle que lorsque je le lui demande, mon ami ; et il fait du bien à Giselle en soutenant mon courage contre ses caprices.

m. de gerville.

Je ne veux plus de cela, moi. Parce qu’il est dur comme un Arabe pour ses enfants, il est choqué de voir Giselle traitée avec humanité par vous, et il veut la mettre au régime du fouet, des pénitences et des gronderies. Dites-lui, Léontine, ce soir même, que je le prie de ne pas s’occuper de ma fille.

léontine.

Dites-le vous-même, Victor. Je ne me charge pas de votre commission. Et toi, Giselle, souviens-toi que pour aller à la fête que ton oncle veut bien te donner, il faut que tu sois sage ; ainsi je t’engage à devenir douce, polie et obéissante.

giselle.

Papa m’y mènera, si vous ne voulez pas me mener. N’est-ce pas, mon cher petit papa, que vous ne laisserez pas votre petite Giselle pleurer à la maison pendant que maman dansera et s’amusera comme elle a fait hier ?

m. de gerville.

Non, mon cher amour, non ; je te mènerai partout où l’on s’amuse, et je te ferai danser tant que tu voudras. »

Léontine avait pris le parti de ne plus répondre aux impertinences de Giselle et aux injustes accusations de son mari. Pauvre Giselle, pensait-elle ; comme sa sagesse a peu duré ! Quel dommage ! Elle était si bonne et si gentille jadis !