Que la dévotion est le dernier de nos amours


Que la dévotion est le dernier de nos amours


QUE LA DÉVOTION EST LE DERNIER DE NOS AMOURS.
(1684.)

La dévotion est le dernier de nos amours, où l’âme qui croit aspirer seulement à la félicité de l’autre vie, cherche, sans y penser, à se faire quelque douceur nouvelle, en celle-ci. L’habitude, dans le vice, est un vieil attachement, qui ne fournit plus que des dégoûts ; d’où vient d’ordinaire qu’on se tourne à Dieu, par esprit de changement, pour former, en son âme, de nouveaux désirs, et lui faire sentir les mouvements d’une passion naissante. La dévotion fera retrouver, quelquefois, à une vieille, des délicatesses de sentiment, et des tendresses de cœur, que les plus jeunes n’auroient pas, dans le mariage, ou dans une galanterie usée. Une dévotion nouvelle plaît, en tout, jusqu’à parler des vieux péchés dont on se repent : car il y a une douceur secrète à détester ce qui en a déplu, et à rappeler ce qu’ils ont eu d’agréable.

À bien examiner un vicieux converti, on trouvera fort souvent qu’il ne s’est défait de son péché, que par l’ennui et le chagrin de sa vie passée. En effet, à qui voyons-nous quitter le vice, dans le temps qu’il flatte son imagination, dans le temps qu’il se montre avec des agréments, et qu’il fait goûter des délices ? On le quitte, lorsque ses charmes sont usés, et qu’une habitude ennuyeuse nous a fait tomber insensiblement dans la langueur. Ce n’est donc point ce qui plaisoit, qu’on quitte, en changeant de vie : c’est ce qu’on ne pouvoit plus souffrir ; et alors, le sacrifice qu’on fait à Dieu, c’est de lui offrir des dégoûts, dont on cherche, à quelque prix que ce soit, à se défaire.

Il y a deux impressions du vice, sur nous, fort différentes. Ce qu’il a d’ennuyeux et de languissant, à la fin, nous fait détester l’offense envers Dieu : ce qu’il a eu de délicieux, en ses commencements, nous fait regretter le plaisir, sans y penser ; et de là vient qu’il y a peu de conversions, où l’on ne sente un mélange secret de la douceur du souvenir, et de la douleur de la pénitence. On pleure, il est vrai, avec une pleine amertume, un crime odieux : mais le repentir des vices qui nous furent chers, laisse toujours un peu de tendresse, pour eux, mêlée à nos larmes. Il y a quelque chose d’amoureux, au repentir d’une passion amoureuse ; et cette passion est en nous si naturelle, qu’on ne se repent point, sans amour, d’avoir aimé. En effet, s’il souvient à une âme convertie d’avoir soupiré : ou elle vient à aimer Dieu, et s’en fait un nouveau sujet de soupirs et de langueurs ; ou elle arrête son souvenir, avec agrément, sur l’objet de ses tendresses passées. La peur de la damnation, l’image de l’enfer, avec tous ses feux, ne lui ôteront jamais l’idée d’un amant : car ce n’est pas à la crainte, c’est au seul amour qu’il est permis de bien effacer l’amour. Je dirai plus : une personne sérieusement touchée, ne songe plus à se sauver, mais à aimer, quand elle s’unit à Dieu. Le salut, qui faisoit le premier de ses soins, se confond dans l’amour, qui ne souffre plus de soins, dans son esprit, ni de désirs, en son âme, que les siens. Que si on pense à l’Éternité, dans cet état, ce n’est point pour appréhender les maux dont on nous menace, ou pour espérer la gloire que l’on nous promet ; c’est dans la seule vue d’aimer éternellement, qu’on se plaît à envisager une éternelle durée. Où l’amour a su régner une fois, il n’y a plus d’autre passion qui subsiste d’elle-même. C’est par lui qu’on espère et que l’on craint ; c’est par lui que se forment nos joies et nos douleurs : le soupçon, la jalousie, la haine même, deviennent insensiblement de son fond ; et toutes ces passions, de distinctes et particulières qu’elles étoient, ne sont plus, à le bien prendre, que ses mouvements. Je hais un vieil impie, comme un méchant, et le méprise, comme un malhabile homme, qui n’entend pas ce qui lui convient. Tandis qu’il fait profession de donner tout à la nature, il combat son dernier penchant vers Dieu, et lui refuse la seule douceur qu’elle lui demande. Il s’est abandonné à ses mouvements, tant qu’ils ont été vicieux ; il s’oppose à son plaisir, sitôt qu’il devient une vertu. Toutes les vertus, dit-on, se perdent au ciel, à la réserve de la charité, c’est-à-dire, l’amour ; en sorte que Dieu, qui nous le conserve, après la mort, ne veut pas que nous nous en défassions jamais, pendant la vie.