Quatrevingt-treize/Notes – Reliquat

Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; Ollendorff (9p. 351-436).

RELIQUAT
de
QUATREVINGT-TREIZE.



Dix-neuf dossiers de notes ont été constitués par Victor Hugo avant d’écrire son roman ; nous avons, par curiosité, compté ces fragments de papier : pages entières, bandes d’adresse, de livres, versos de lettres et d’enveloppes, couvertures de livres, de plaquettes, proclamations imprimées, cartes de visite, lettres adressées à Victor Hugo, faire-part de mariage ou d’enterrement, tous ces papiers, portant l’indication 93 ou 18e siècle, dépassent 600.

Chaque fois qu’une date nous est fournie par un timbre postal ou un en-tête de lettre, nous l’avons indiqué en note ; il est curieux, en effet, de penser que tout en rimant les Chansons des rues et des bois, en écrivant les Misérables et l’Homme qui rit, Victor Hugo, à travers tout cela, poursuivait sa trilogie historique[1] ; or on ne conserve pas un fragment d’enveloppe pendant des années pour y fixer plus tard une pensée, un détail, on l’a sous la main, on s’en sert ; la date la plus ancienne est de 1841, la plus récente de 1873. En outre, quelques fragments ne fournissant aucune indication peuvent, d’après l’écriture, être situés vers 1840.

Dressons d’abord la liste de ces dix-neuf dossiers ; nous y choisirons ensuite quelques extraits pour donner au lecteur un aperçu de chacun :

I. Pour la préface.

II. Faits relatifs à l’état de la France avant la Révolution.

(Dans la grande chemise portant ce titre sont les quatre dossiers suivants :)

XVIIIe siècle.
Faits particuliers.
Locutions.
Barbier[2].

III. Mirabeau.

IV. Convention.

Sous ce titre, sept dossiers :

La salle. Le Palais.
La Révolution. Détails, petits faits caractéristiques.
Convention.
Dénombrement des membres.
Louis XVI. — Sa famille. — Son procès.
Paris. Aspect. Disette.
Pressions du dehors.

V. Réservé pour le volume : Pages d’histoire.

VI. Vendée.

VII. Cimourdain et Gauvain mêlés.

VIII. Lantenac.

Plus un dossier de notes personnelles dont nous parlerons plus loin.

Le dernier dossier, auquel Victor Hugo n’a pas donné de titre, contient le plan d’une partie du roman ; nous l’étudierons à la fin du Reliquat.

Nous ne mentionnons pas les nombreuses listes de généalogie dressées par l’auteur pour établir la filiation de ses personnages.

Tous les fragments portent dans un coin la mention 93 ou 18e siècle.

En dehors des dossiers établis, voici tout d’abord une division qui met en lumière les intentions de l’auteur :

1re partie. L’ancien régime. — 4 vol.
2e partie. Les vieilles mœurs. — 4 vol.
3e partie. Quatrevingt-treize. — 4 vol.

La première et la seconde partie sont restées à l’état de projets et d’ébauches ; de ces projets et de ces ébauches, nous avons extrait ce qui constitue la plus grande partie de ce Reliquat.

I

POUR LA PRÉFACE.

(si j’en fais une ?[3]).

pages arrachées d’une histoire de la révolution.

Dans mes longues heures de solitude j’ai beaucoup étudié les temps dont nous sommes et les temps dont étaient nos pères.

Ma pensée a pris une empreinte de la Révolution. De cette empreinte aurait pu résulter une histoire. Mais le temps me manque. J’ai cru devoir, avant de partir, laisser un spécimen de ce travail inachevé. De là ces pages. Si elles ne semblent pas inutiles, j’en publierai d’autres. Mon ambition serait d’éclairer un peu les grandes choses obscures.

V. H.

Sous ce titre, Quatrevingt-treize, l’auteur publiera une série de récits. S’il lui est donné de terminer son œuvre, l’ensemble de ces récits, qui n’auront d’ailleurs d’autre cohésion entre eux que l’unité historique[4], représentera, sous ses divers aspects, cette fatale et féconde époque, la plus prodigieuse de l’histoire.

Chacun de ces récits sera un drame à part, ayant tous d’ailleurs le même sujet, la Révolution, et le même horizon, Quatrevingt-treize.


Comme je l’ai dit quelque part : l’histoire est une chose, la légende en est une autre.

La légende est aussi fausseincertaine et aussi vraieréelle que l’histoire. C’est la légende que j’écris.

(Peut-être vaut-il mieux pas de préface et se borner à ce titre :

v. h.

QUATREVINGT-TREIZE.)


premier récit.

Voici un autre plan où le roman même ne semble pas compris, les titres n’indiquant que des récits d’histoire :

93.

I
Premier récit : la guerre civile.

93.

II
quelques pages d’histoire.
La Vendée. — La Terreur. — Les rues de Paris. — La Convention.
Robespierre, Danton, Marat.

J’ai fait un livre intitulé les Misérables ; celui-ci pourrait être intitulé les Inexorables.

II
FAITS RELATIFS À L’ÉTAT DE LA FRANCE
avant la révolution.

xviiie siècle.

Sous ce titre on trouve, en une trentaine de notes, le résumé de quelques-uns des livres consultés par Victor Hugo, des récits tragiques comme l’exécution de Damiens, de simples remarques et jusqu’à une liste des différentes coiffures à la mode, avec leurs particularités, énumérées et esquissées, comme on pourra le voir à l’album de gravures, page 511.

Le dix-huitième siècle est un mauvais sujet qui a été élevé par une prude et un vieillard dévôt, ce qui lui a donné les meilleures dispositions du monde pour être un jour libertin et athée. Tout jeune, la mort l’a débarrassé de ses deux tuteurs. Quelle joie et comme il s’est échappé ! Il a couru au cabaret, il a couru au tripot, il a passé les nuits au brelan, il a été chez les filles. Le parfait garnement que ce dix-huitième siècle à vingt ans, ivre, débraillé, barbouillé de tabac, chantant à tue-tête des chansons obscènes, toujours marquis d’ailleurs !

(Continuer la comparaison du mauvais sujet.)

Devient savant, raisonneur, railleur, ironique, philosophe, incrédule, impie, athée, etc.

Finit par la Grève[5]


93.

La Maintenon, dévote, sèche, froide, et, en fait de vertu, dragon jusqu’aux dragonnades[6].


C’était le temps où madame de Maintenon, étant encore madame Scarron, et une sorte d’intendante et de femme de chambre de ses amies les femmes du monde, montait aux échelles chez Mme de Heudicourt, raccommodait les tapisseries, et clouait des clous aux murs, et brocantait les bestiaux de Mme de Montchevreuil, si bien qu’un jour, ayant vendu un veau quinze francs à des paysans qui n’avaient que de la monnaie de cuivre, elle s’en revint avec tous ces gros sous dans son tablier qui en fut sali.


Le sort de la femme était lugubre dans ce vieux monde. Ignorante, inconsciente, frivole sous le satin, frivole dans la boue, odalisque du roi ou odalisque du peuple, favorite au Louvre, catau au carrefour, chair et pas autre chose, jamais âme, elle subissait l’ordre social. En laissant de côté les classes intermédiaires, classes à mœurs, bourgeoisement honnêtes et préservées du contact du monde par son dédain, en haut comme en bas, la femme était sans point d’appui, sans existence légale, sans état fixe, sans éducation, sans droit, sans pudeur. Le suprême honneur pour une grande dame était de devenir maîtresse déclarée, c’est-à-dire d’être la fille publique du roi. Le marquis de Nesles ne comprenait pas que sa fille fût dans le lit de Louis xv sans que cela le fît prince, et il entendait tirer de cette alcôve la souveraineté de Neufchâtel. La femme était déifiée ou conspuée. Pas de milieu. L’apothéose ou le pilori. Sa prostitution qui la faisait couronner à l’Œil-de-Bœuf la faisait fouetter en Grève. La prostituée était, en toute occasion, battue, arrêtée, mise à l’amende, tondue, rasée, marquée, exposée, déportée. Malade, on la fustigeait pour entrer à l’Hôpital. La guérison commençait par la torture. La dernière misérable, à moins qu’elle ne fût souveraine. Souveraine, c’est-à-dire maîtresse déclarée du roi, sultane favorite, elle était féroce et ignorait les souffrances de la prostitution d’en bas, elle en riait, refusait toute intercession, applaudissait la police, et la Dubarry à Versailles était sans pitié pour elle-même à la Salpêtrière.


L’insolence était d’emblée. Elle tombait de haut, et s’imposait. Une maîtresse de roi tutoyait un écrivain. — Madame la marquise, disait Fuselier à la Mailly au lit, c’est-à-dire sur son trône, je viens vous prier de me faire obtenir le privilège du Mercure de France. — Tu l’auras, Fuselier, répondait la Mailly.

À la fin du siècle cela lui fut rendu. — Sois tranquille, citoyenne, je ferai élargir ton père, disait Camille Desmoulins à la duchesse de Ventadour.


Le sort a parfois des préparations sinistres, il dit son secret d’avance, le mot est transparent sous l’énigme, seulement on ne le comprend pas ; plus tard on reconnaît que le sphinx était visible aux prédestinés et l’on s’étonne qu’ils ne l’aient pas remarqué. La Dubarry avait dans sa chambre à coucher le portrait de Charles ier par Van Dyck. Était-ce, comme elle le croyait, à cause du page Barrymore « son ancêtre » ; non, c’était à cause du roi. Le spectre, lui, savait pourquoi il était chez la courtisane ; ces deux destinées si dissemblables avaient, dans l’ombre de l’avenir, un point d’intersection, l’échafaud, et, dans les préméditations de la fatalité, il y avait un lien formidable entre ce drap noir et ce falbala.


C’était le temps des effrayants petits soupers de la haute noblesse. C’était le siècle de Mme de Saint-Sulpice enivrée par le comte de Charolais, étrangement brûlée dans sa torpeur et rapportée nue chez elle dans un fiacre.

Le règne de Louis xiv avait eu le chevalier de Bouillon ; le règne de Louis xv avait le comte de Charolais. On les copiait. C’étaient deux patrons à grands seigneurs et à gentilshommes. Le prince de Conti, bossu et hideux, prenait entre ses genoux, au bal de l’Opéra, une jolie petite provinciale de quinze ans, et devant la foule, et devant la mère, lui écrasait le nez de chiquenaudes, la fille sanglotait, le prince riait.


Sous Louis xv on envoyait aux galères un homme, souvent père de famille, qui faisait des souliers sans être maître-cordonnier. Il n’avait pas eu de quoi acheter une maîtrise. Il se cachait dans quelque cave. On l’y surprenait. Il y avait le faux cordonnier comme le faux monnayeur.


Il y avait encore en 1759 aux galères quarante et un forçats pour crime de « religion » (avoir assisté aux assemblées du désert, avoir donné asile à un pasteur proscrit, avoir lu la Bible).

La rançon d’un de ces forçats coûtait 2,000 livres payables au ministre ou à la favorite en titre.


Toute la quantité d’ange qu’il peut y avoir dans un chou, c’était le dauphin, fils de Louis xv.


Louis ix et Henri iv exceptés, Louis xv est-il pire que les autres rois, ses ascendants, plus insouciant de la France que Charles vii, plus fourbe que Louis xi, plus frivole que François ier, plus vain que Henri ii, plus féroce que Charles ix, plus immonde que Henri iii, plus stupide que Louis xii, plus bouffi que Louis xiv ? Est-il plus mauvais en un mot ? Disons tout de suite non. Son malheur est d’être entré en scène au dix-huitième siècle. Il est plus exposé que les autres à la lumière. Il est juxtaposé aux penseurs ; il est plus près de la philosophie, ce qui fait qu’on lui voit tout. Mettez tout autre de ceux que nous venons de nommer à la même place, vous aurez le même effet. Celui-là semblera le pire. Malheur aux monstres éclairés[7] !


Terminer une énumération des actes et qualités de L. xv ainsi :

Notre bon roi ; expression équivalente à cette autre : les Euménides.

— Deux polissons comme vous et moi, disait Joseph ii, empereur d’Allemagne, à Louis xiv, roi de France.


exécution de damiens[8]

Finir ainsi le chapitre Damiens :

Enfin Damiens expira.

Qu’était-ce que Damiens ? c’était l’homme du peuple. Si jamais le peuple, le pauvre vieux peuple d’autrefois, a été quelque part, certes, c’est dans cet homme. Vivant d’un maigre travail, ignorant, misérable, illettré, malade, presque infirme et ayant pourtant en lui la force surprenante des résolutions inattendues, effaré de tout ce qui était au-dessus de lui, sentant sans comprendre, habituellement stupéfait, frénétique par moments, ayant périodiquement besoin pour rester tranquille d’une saignée comme le peuple pour rester opprimé a besoin d’une guerre, et, la saignée lui manquant, faisant un coup de tête comme le peuple une révolution. Nulle préméditation, on ne sait quelle obéissance redoutable à un mystérieux ensemble de faits, de forces et d’idées. Esclave du prêtre jusque dans sa révolte, victime des préjugés et des mensonges jusque dans son explosion, plein de superstitions et les mêlant à l’obscurité violente de son action. Pas méchant, même en frappant ; ayant le choix entre deux lames, le couteau qui tue et le canif qui égratigne et se bornant à l’égratignure.

Que savait-il ? rien. Que rêvait-il ? tout. Faire acte de toute puissance en faisant acte de colère, être providence, corriger le roi, imprimer une déviation aux événements, peser dans la balance, lui atome apparent, d’un énorme poids réel. De notion claire, de volonté distincte, point. Son but n’était pas celui qu’il croyait avoir. Sa tête offrait le spectacle étrange du contenant moindre que le contenu, c’est-à-dire d’une raison chétive emplie, à son insu, d’une logique supérieure. Dans le faux et dans le vrai tout à la fois. Violant l’ordre. Coupable et faisant justice. Plutôt soulevé que révolté, c’est-à-dire plutôt mû par l’instinct que par l’idée. Un souffrant terrible. Tel était le peuple d’alors. Tel était Damiens.

Pendant le supplice un bûcher qui semblait ne rien faire, allumé à quelque pas de l’échafaud, pétillait de temps en temps, enveloppant d’une bouffée le misérable qui disparaissait dans la fumée, puis reparaissait hurlant.

Quand ce misérable homme-peuple eut jeté son dernier râle, quand la dernière palpitation fut éteinte, quand la dernière convulsion fut épuisée, le bourreau, allant de côté et d’autre chercher les lambeaux, détachant le tronc et ramassant les membres, prit ce qui restait de cette chair humaine, et la jeta dans le bûcher. Un tourbillon de fumée blanche s’éleva. Il s’était fait au centre du bûcher un énorme trou de braise, cela y fut vite consumé. La tête fut presque tout de suite dépouillée de cheveux et de chair et réduite à l’ossement, les dents semblèrent rire, et ceux qui étaient près remarquèrent que deux flammes sortirent des deux trous des yeux. Comme le soleil se couchait, le bûcher s’éteignit. Le bourreau fouilla dans sa charrette, choisit dans ses ferrailles une large pelle de chaufournier, alla au bûcher, écarta les tisons, et prit au centre, là où avait été le cadavre, une pleine pelletée de cendre. Il remonta sur l’échafaud portant dans sa pelle cette cendre qui fumait un peu. Cela avait été Damiens. Le bourreau jeta la pelletée au vent.

En même temps un héraut à cheval, entouré de trompettes et ayant à sa droite et à sa gauche deux huissiers à verge, cria : Justice !

Cette cendre du régicide, où les souffles de l’air l’emportèrent-ils ? Qu’est-ce qu’il en fit, ce sombre vent du soir ? Dans quelle ombre fut-elle dispersée ? où alla-t-elle ? à quelle haleine se mêla-t-elle dans les ténèbres ? Dans quelle âme pénétra-t-elle ?

Il y avait alors à Arras un enfant de … ans et à Arcis-sur-Aube un enfant de … ans. À……, un enfant venait de naître. Cette cendre emportée au loin, ces enfants la respirèrent-ils ? L’enfant d’Arcis-sur-Aube se nommait Danton ; l’enfant de … ans se nommait Robespierre[9]. L’enfant qui venait de naître s’appelait Marat.


Dans une autre note cette fin est modifiée ainsi :

Vers ces temps-là naissaient à Arcis-sur-Aube Jacques Danton, à Limoges Victorin Vergniaud, à Orcet Georges Couthon, à la Rochelle Nicolas Billaud-Varenne, à Guise Camille Desmoulins, à Arras Maximilien Robespierre.

Un écolier de 13 ans, nommé Jean-Paul Marat, errait pensif et sombre au bord du lac de Genève.

Cette cendre s’envola et entra dans l’âme de ces enfants.


Sur l’échafaud de Damiens, il y avait, parmi les bourreaux, un académicien, La Condamine. Homme gai et curieux. Il était venu là pour voir. Un valet du bourreau voulait le faire descendre, le bourreau dit : Laissez, Monsieur est un amateur.

La Condamine, vieux, avait une hernie et une jeune femme. Il mourut de la hernie, aidée par la jeune femme. Il était sourd et avait fait ces vers en entrant à l’Académie :

La Condamine est aujourd’hui
Reçu dans la troupe immortelle.
Il est bien sourd, tant mieux pour lui.
Mais non muet, tant pis pour elle.


Victor Hugo avait pris des notes sur les diverses législations, les coutumes, les impôts, enfin l’état des provinces françaises avant la Révolution ; ce ne sont en général que des points de repères à développer et à rédiger ; nous avons choisi ce récit qui peut donner une idée de l’immense travail en préparation :


marseille en 1720.Pendant la peste.

… Toute la ville avait un aspect effrayant. La Cannebière était particulièrement encombrée et lugubre. La largeur de l’espace, la fraîcheur des brises de mer, avaient attiré là beaucoup de familles qui avaient déserté leurs logis. Les fenêtres étaient fermées à presque toutes les maisons ; les unes étaient des espèces de forteresses où quelques vivants se barricadaient dans l’ombre contre l’air, contre le mouvement, contre le souffle des hommes ; les autres étaient des sépulcres pleins de morts. Les habitants campaient en plein air sous des toiles sur le seuil des portes, au pied des arbres, devant l’obélisque des fontaines ; la plupart à peine vêtus, tous pâles, effarés, tremblants de fièvre et d’épouvante. Des femmes toutes nues frissonnaient sur le pavé. Il y avait çà et là des cadavres qu’on laissait pourrir sans linceul ; d’autres sous des draps d’où les mouches sortaient en bourdonnant. Des soldats, le mousquet au poing, écartaient les pestiférés de certaines portes privilégiées ; des moines, le crucifix à la main, parcouraient les groupes et consolaient les agonies. Les râles se mêlaient, et les grincements de dents, et les larmes, et les bras levés au ciel. Des enfants jouaient dans ces horreurs ; il y avait des boutiques sous les arbres comme à une foire, et des gens qui vendaient et qui achetaient. Des hommes passaient transportant des malades sur des civières, des charrettes traversaient la place, traînées par des forçats et chargées de cadavres nus. Des êtres reconnaissaient leurs parents et s’enfuyaient. On n’était plus ni père, ni mère, ni fils, ni mari, ni amant, ni frère ; on était celui qui abandonne ou celui qui est abandonné. On voyait descendre par les croisées des morts liés dans des sacs, pendus par les pieds à une corde, vacillant, heurtés aux corniches et aux angles des murs, secoués par le vent, qu’on jetait dans la rue ; quelquefois deux ensemble aux fenêtres de la même maison. Les galériens ramassaient ces corps, et les dépouillaient, en riant des femmes et des filles. Sur tout cela un ciel bleu et un soleil si étrangement splendide qu’il semblait avoir quelque chose de violent et de sinistre.


faits particuliers.

Un cahier de soixante-dix-huit feuillets portant ce titre : Faits particuliers, contient des notes, prises dans divers historiens ; elles sont classées, à part quelques exceptions, par ordre chronologique, de 1721 à 1755. Nous en citons quelques-unes :

Le chapeau du cardinal Dubois fut vendu par Rome à la France huit millions.


On coupait le cou en grève à des marquis faux monnayeurs. (Moreau, marquis de Mazières, faux monnayeur, décapité le 30 août 1721.)


La petite infante reine fait son entrée à Paris en carrosse de gala avec toute la famille royale et sa poupée. — Le lendemain de l’entrée, Louis xv (12 ans) donna à la reine (3 ans) une poupée qui coûta vingt mille livres.


Les fêtes de la ville étaient ivrognes. Le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, approuvant un plan de fête municipale dressé par les échevins, écrivait en marge : surtout, boire.


Un homme accusé d’un complot imaginaire contre le marquis de Louvois, n’ayant pu répondre intelligiblement, était, toute preuve manquante, mis à la Bastille. Il y passait trente-cinq ans et y mourait (dans un cachot, sans livres, ni papier).


Les roués recevaient onze coups de barre. Quand ils recevaient vifs[10] cela se notait.


Le comte de Charolais, à Anet, voyant un bourgeois sur le pas de sa porte, disait : Voyons si je tirerai bien ce corps-là, visait, et tuait l’homme. Impunément.

Ce comte un jour mit sa maîtresse (danseuse à l’Opéra) toute nue, la roua de coups de canne, cassa deux bras à deux laquais, puis soupa tranquillement.


Le duc de la Meilleraye (de la famille de Mazarin, éteinte — ) ou le duc de Réthel, de la même famille, seraient possibles[11]


À l’autopsie et embaumement du régent d’Orléans, on s’aperçut tout à coup que le cœur, destiné au Val-de-Grâce, n’était plus là. On regarde. On cherche. Un chien danois, le chien du prince, était en train de manger ce cœur dans un coin de la chambre. Il n’en restait plus guère que le quart.


Croizat et Montargis, deux financiers, hommes de rien, pourvus de charges dans l’ordre du Saint-Esprit, qui leur donnait le droit de porter le cordon bleu par tolérance, recevaient l’ordre de quitter le cordon ; moyen de leur faire donner pour le garder 300,000 livres.


Louis xv (adolescent), après le renvoi de l’infante d’Espagne, eut le choix entre 99 princesses nubiles (liste dressée par M. de Morville).


Vols de l’état. Dans une refonte de monnaies en 1717, le boni fait plus de 80 millions.

Impôt du dixième, impôt monstrueux, qui, établi pour la durée de la guerre en 1710, dura tout le dix-huitième siècle.

Les pièces de 50 sous ne contenaient que pour dix-sept sous d’argent.

En 1723, le louis de 45 livres (double louis) était diminué de vingt sols. Le louis ainsi rogné devait, pour valoir 44 livres, peser 7 deniers 16 grains. On était forcé d’avoir toujours son trébuchet dans sa poche.

Le 22 septembre 1724, un édit fait descendre le louis d’or de 27 livres à 14 livres.

En 1725, Paris-Duvernet fait décréter au roi une taxe du cinquantième sur tous les biens et revenus du royaume.

Le joyeux avènement coûtait 48 millions à la France.

Toutes les rentes viagères s’éteignaient au profit du roi.

En 1726, Le Pelletier des Forts supprime les rentes viagères purement et simplement, alléguant qu’elles ont été constituées en papier.

En 1730, M. Le Pelletier des Forts, contrôleur général, faisait voler par son commis Nicolas, mis pour la frime à la Bastille, cinq ou six millions d’actions de la Compagnie des Indes. La contrôleuse était complice. On afficha à la porte du contrôleur général cet écriteau :

Maison à brûler.
Maître à rouer.
Femme à pendre.
Commis à pilorier.


Quand le roi ou les princes allaient à Notre-Dame pour un Te Deum quelconque, ils prenaient par le plus long et passaient par le quai des Orfèvres, parce qu’autrement et par le chemin direct il aurait fallu passer devant le Petit-Châtelet, et délivrer quelques prisonniers pour dettes, ce qui aurait coûté.


Le roi Louis xv partait en chasse le vendredi, Louis xiv jamais.


Le jour où sa petite fille âgée de 4 ans, Louise-Marie, meurt, Louis xv, qui jouait aux petits paquets, à la banque-faillite, le jeu à la mode, ne s’interrompit pas et continua son enjeu. — On ne portait le deuil des filles de France que lorsqu’elles avaient sept ans.


Le parlement va à Compiègne avec un discours écrit, prévoyant que le roi ne lui permettrait pas de parler. Le roi dit : — Je suis mécontent de vous. Le premier président ouvre la bouche : — Sire… — Taisez-vous, dit le roi. L’abbé Pucelle, conseiller de grand’chambre, s’avance et présente le discours écrit. Le roi dit à M. de Maurepas : Déchirez.

L’abbé Pucelle exilé à Corbigny. — Titon conduit à Vincennes. Puis à Ham.


En 1656, les chirurgiens-barbiers, exerçant la « barberie », furent réunis au corps des chirurgiens de robe longue, ce qui plaça les chirurgiens au-dessous des médecins, infériorité constatée par un écu d’or que le corps chirurgical offrait tous les ans au corps médical.

Cependant La Peyronie, premier chirurgien du roi, étant supérieur à Chicoisneau, premier médecin du roi, les chirurgiens reprirent vers 1743 avantage sur les médecins. Jusqu’alors les chirurgiens avaient été en boutique. À partir de 1743 ils furent maîtres-ès-arts


En 1725, introduction des francs-maçons en France par des anglais (lord Derwentwater) free masons. Le Grand Orient a été fondé en 1773.


1738. — Le roi désire une parure de 250,000 livres. Le garde des sceaux fait vendre la cuirasse donnée par Soliman à François ier et damasquinée avec diamants. La cuirasse est vendue 600,000 francs. Le roi a sa parure 250,000 de francs et le garde des sceaux Chauvelin s’adjuge le reste.

Chauvelin a volé deux montres à des polonais, ce qui est bas pour un ministre du roi de France, lequel ne doit friponner que dans le grand, quand c’est son caractère.


Les cardinaux-ministres. — Richelieu saigne (têtes coupées). Mazarin purge (argent pris). Fleury met à la diète (famine).


Dans les inondations (1711-1740) partout où allait la rivière, la police appartenait au prévôt des marchands et aux échevins. Dans l’inondation de 1741, on passait place Maubert en bateau pour quatre sous, on y porte le bon Dieu dans un bateau, on l’y monte au premier par une échelle, et par cette échelle ensuite on descend le mort. — Il y avait dans le couvent des Célestins de l’eau dans l’église jusqu’à l’autel.


La Vintimille, sœur de la Mailly, apprenant que sa sœur était maîtresse déclarée du roi, rêvait à seize ans au couvent de supplanter sa sœur et la supplanta. Elle eut un fils ressemblant au roi que Vintimille, le mari, appelait le demi-louis.


Sur un sermon du curé de Saint-Barthélemy, le roi, touché de religion, chasse Madame la comtesse de Mailly et prend Madame la marquise de la Tournelle, sa sœur cadette.

La Tournelle se fit faire duchesse de Châteauroux, maîtresse déclarée, avec une table de dix couverts tous les soirs, et 50,000 écus de pension sa vie durant.

On fit sur la Mailly, remplacée par la Tournelle, puis par la Vintimille et la Lauraguais, ses sœurs, Nesle comme elle, une chanson avec ce refrain :|90}}

V’là ce que c’est qu’ d’avoir des sœurs !

Décembre 1742. Un jeune homme nommé Desmoulins, âgé de dix-sept ans, après avoir été rompu vif, fut vingt-deux heures à mourir sur la roue. Il but plusieurs fois, et l’on fut obligé de relayer les confesseurs. On finit par l’étrangler.


Voltaire nommé à l’Académie par ordre du roi. Libelle contre lui, où on lui reproche ses coups de bâton et ses exils. Fait par un nommé Roy.


1747. L’usage était que la première entrevue du roi et de la dauphine (nouvelle) se fit en plein champ sur un tapis, avec un carreau pour l’agenouillement de la princesse.


1748. Querelle de jeu entre le comte de Coigny et le prince de Dombes. On monte en voiture pour s’aller battre. C’est la nuit. À l’endroit où l’on trouve le crépuscule assez avancé et où l’on voit un peu clair, le prince et le comte mettent l’épée à la main. M. de Coigny est tué. L’endroit est sur la route de Versailles, et se nomme à cause de cela le point du jour.


1750. Le clergé refuse l’impôt. La dauphine fait une fille, ce qui est son refus d’impôt. Elle doit un roi au peuple.

La nourrice n’a droit qu’à donner à téter au dauphin, mais n’a pas le droit d’y toucher. Il y a des remueuses pour toucher au dauphin.

Étiquette. Quand l’heure sonne, si l’enfant dort on le réveille pour le remuer. L’étiquette veut qu’un dauphin soit remué quatre fois par jour. S’il fait dans ses langes trop tôt, il attend ses quatre heures. Si une épingle le pique, tant pis, on ne peut la lui ôter, il y a une femme pour cela. C’est un miracle de réussir à élever un dauphin. Il crie sans cesse. Son enfance est une torture.


1752. Un vicaire porte-Dieu, pour refus de confession, est condamné par le parlement à être blâmé nu-tête, ce qui comporte infamie.


Cas de galères. — Vol d’une barre de fer de trente sous par un domestique à son maître. — Le fouet et la fleur de lys (1731).

Un laquais pour avoir injurié ses maîtres.

Avoir imprimé, sans permission, n’importe quoi ayant trait à la Bulle Unigenitus.

Vol d’un mouchoir dans la grand’chambre (samedi 29 août 1733), trois ans de galères, marqué de trois lettres. Il y eut, dans la grand’chambre, trois voix pour pendre l’homme.

Un greffier, nommé Marot, condamné à la marque et à neuf ans de galères pour avoir donné à sa maîtresse deux ou trois vieilles cuillers désargentées déposées au greffe du parlement et oubliées depuis des années dans la poussière du grenier des archives.

Un homme est aux galères pour avoir dit qu’il avait un ordre d’enlever des enfants (condamnation prononcée par l’intendant d’Orléans). Or de tels ordres avaient été en effet donnés, et par écrit.

Avoir recoupé de vieux jeux de cartes pour revendre douze sous le sixain que le roi vend (neuf) trente-cinq sous. — Carcan et galères.


Choses utiles au détail du livre[12] :

Louise Diane d’Orléans, Mlle de Chartres, née en 1707.

Le duc de Mazarin mourut en 1731, laissant une veuve qui devint madame de la Vrillière et fut chargée de déniaiser le petit Louis xv.


Lire les chapitres lv et lxv de l’Histoire du parlement de Voltaire.


Le soir de la mort de Mme Henriette de France, Mme de Pompadour soupa à Trianon sur une table de quadrille avec trois princes dont était M. le duc d’Orléans et M. le prince de Conti.

On transporta la morte de Versailles aux Tuileries, la nuit, dans un carrosse où elle était sur son séant en vêtement de nuit avec un suspensoir sous les bras « pour l’empêcher de ballotter » (Barbier). Et sur le devant deux femmes de chambre « très fâchées de cet emploi ».


Le comte de Charolais a tenu vingt ans en captivité dans sa maison une madame de Courchamp, femme d’un maître des requêtes, qu’il avait enlevée malgré elle.


1750. La duchesse de Chartres étant successivement accouchée de deux enfants, le duc de Montpensier et Mlle de Chartres, le duc d’Orléans (le dévot) alla chez le procureur général Joly de Fleury déclarer que, le chancelier n’ayant assisté à aucune des deux naissances, comme cela est dû aux premiers princes du sang, il ne reconnaîtrait comme de sa famille aucun de ces deux enfants.


Le procureur gêneral Joly de Fleury recevait occultement une pension de 60,000 livres par an sur l’hôpital général. Argent pris aux pauvres. 8 malades par lit. Deux étages à chaque lit. Les malades couchés pieds dans visages. 1,219 lits à l’Hôtel-Dieu servaient à 6,000 personnes. 2 mètres cubes d’air par tête (il en faut 12 ou 16 mètres). Les sept chefs de l’administration des Hôpitaux de Paris étaient l’archevêque, le premier président, le procureur général, les deux premiers présidents des comptes et des aides, le prévôt des marchands et le lieutenant général de police.


1753. — Curieux cas de galères. — On met au carcan un cocher de M. de Charolais, lequel cocher avait voulu s’attabler dans un cabaret avec un chevalier de Saint-Louis, et, sur son refus, l’avait souffleté. — Depuis 4 heures jusqu’à 6 heures avec cet écriteau : Domestique violent. Puis marqué des trois lettres S. A. L. et envoyé aux galères pour cinq ans.


Parc-aux-Cerfs. — La première fille, ne connaissant pas le roi, lui dit : Vous ressemblez à un écu de six francs.


1755, août. Louis xv prit dans une seule année pour sa dépense plus de 180 millions (400 millions d’aujourd’hui).


locutions.

M. Séguier, qui, sans difficulté, a le plus beau nom du parlement.

M. Moreau, avocat au parlement, et qui est une belle plume.

La maison d’eau (le château-d’eau).

Très humbles remontrances du parlement au roi sur les surprises journalières faites à la religion dudit seigneur Roi (juillet 1756).

Le duc d’Orléans passait pour avoir dessein sur la couronne, qui est en effet un grand morceau.

La viande est à douze sols la livre. Le carême, on ne peut faire ni maigre ni gras, à cause de la cherté de tout le vivre.

Il vint à Paris faire le métier du croc (d’escroc).

Mme de Choiseul était capable d’avoir une bâtarde, elle était femme du monde (galante).

Levacher, ancien officier, n’était pas d’humeur souffrante, et, se voyant bafoué, a mis l’épée à la main.

M. Portail (1723) est premier président. Il y a longtemps qu’il faisait des menées pour ce morceau.

La première chambre des enquêtes s’appelait le Cabinet du Parlement.

L’avocat Labarre, grand homme sec en perruque noire, vient tous les jours au pilier des consultations et n’est jamais consulté.

Il est de maison à être duc.

Convulsionnaires rue Saint-Honoré. Une femme nommée Nicette y danse sur la tête, jupes tombantes, attitude peu propre à la canonisation, dit Barbier.

Cette fille, quoique âgée de quarante ans, est encore fort en état de soutenir la courtoisie.

La première condition, c’est d’être né de gens de quelque chose.

Ceux qui savent le particulier ne croient rien de ceci.

Le public ne va plus au prône, ce qui forme esclandre et irréligion.

Heureusement les vifs du parti, et qui ont le mieux parlé dans les assemblées précédentes du parlement, comme MM. Thomé, Dupré et Parent, sont absents.

chanson.

Broglie sans aucune escorte
Court au quartier de Coigny,
Portant, à la chèvre morte.
Le plus jeune de ses fils.
Et montrant son Landerirette,
Et montrant son Landeriri.

Cela me ruinerait et me mettrait à la chemise.

Chaque membre du parlement triomphe de l’exil de l’archevêque, et est enflé.

C’est un fou et un ratier (qui a des rats dans la tête).

Le prince s’est mis dans une fureur parfaite.

M. de Rohan est le plus bel homme de cheval qu’il y ait.

Le cardinal est traité d’imbécile. Il est d’âge à l’être sans qu’on puisse le trouver mauvais.

Le roi a fait son entrée à Paris par la porte Saint-Martin. Le prévôt des marchands l’a été recevoir à la Villette. Le parlement était en robe. La ville était à cheval.

Il mourut à l’étroit (en prison).

Le pape a fait un tour de calotte (un coup d’état ecclésiastique).

Église de Saint-Benoît le Bétourné (parce que l’autel était tourné vers l’occident).

Quand le régiment de Champagne est content, tout le monde doit l’être. Je m’en fous… était volontiers remplacé par : Je suis du régiment de Champagne.

Pas de petits princes d’Orléans. Le duc de Chartres, fort gros, quoique jeune, voit peu sa femme et ne passe pas pour grand acteur. Nulle grossesse n’est annoncée.

Le maréchal de Noailles est à craindre par trop d’esprit dans les matières de finances.

Le roi a des maîtresses, ce qui ôte à la reine le respect des gens de cour.

III
mirabeau.

Mirabeau alla à Saint-Cloud dans une chaise de poste qui l’attendait sur la route ayant pour postillon son neveu, le marquis du Saillant, le même qui a été aide de camp de mon père en 1811, et chargé par lui de nous accompagner de Bayonne à Madrid. M. du Saillant a conté à ma mère que Mirabeau songeait au duc de Guise, et craignait d’être assassiné à Saint-Cloud. (Les détails donnés par Louis Blanc sont absolument exacts, t. ier, p. 408, in-4o.)

Page 442, très belle page de Louis Blanc à propos de Necker.


Le 14 mai, le revirement contre Mirabeau commence. Après son discours sur le droit de guerre (pour le roi), Mirabeau est hué à la sortie de l’Assemblée, et le peuple marque l’arbre où Mirabeau sera pendu.


La découverte de l’armoire de fer prouve la corruption de Mirabeau. La Convention décrète que sa statue sera voilée jusqu’à ce que le rapport soit fait.


Mirabeau. — Quelque chose comme le tonnerre se laissant acheter. Un ouragan tournant court et faisant des concessions. L’ange exterminateur à vendre. Le foudroyeur corrompu par le foudroyé. La trompette du jugement dernier s’offrant au marchandage.

Effet effrayant du virus monarchique dans le sang révolutionnaire.


1re étape de la corruption, avril 1790 (?)[13]. L’hôtel Charost, faubourg Saint-Honoré. Le comte de La Marck. Le comte de Mercy, ambassadeur d’Autriche. On le sonde. Il se montre possible.

Mirabeau avait déjà reçu du duc d’Orléans 80,000 livres, comptées par Latouche et portées dans trois fiacres (chez Mirabeau ?) rue de la Chaussée-d’Antin.

2e étape. — On lui offre par La Marck, ses dettes payées, 208,000 livres, 6,000 francs par mois (secrets) et un million après la session, si l’on est content de lui. Il accepte avec joie. C’est Fontanges, archevêque de Toulouse, qui est chargé de liquider ses dettes.

(4 juillet 1790) Saint-Cloud. La reine, l’archevêque de Toulouse, un troisième reste inconnu, plus le roi survenant et restant avec Mirabeau une heure et demie.


Mirabeau appelait Lafayette Gilles-César.

IV
la convention.

Ce dossier, très volumineux, comprend sept parties portant les sous-titres que nous avons mentionnés page 352. C’est de ces notes qu’a été tiré le livre iii de la deuxième partie ; en général, les notes utilisées sont biffées, il en reste encore beaucoup à glaner. Un fragment important, sans date, mais dont l’écriture nous semble être de 1848, était sans doute destiné à être publié séparément :

la salle.

C’est dans cette salle du Manège que Louis xvi fut jugé. On l’amena à la barre par un couloir étroit pratiqué dans la largeur de la salle. Le fauteuil du président faisait face à la barre.

La forme de cette salle était oblongue. On y entendait très bien. À la Convention, les orateurs parlaient volontiers de leur place et ne montaient à la tribune que pour les grands mots ou les grands coups. L’aspect de la salle était pauvre et sordide. Les représentants y siégeaient vêtus de leurs habits de ville, la plupart malpropres pour la popularité. Danton et Lacroix y vinrent les premiers en sans-culottes, c’est-à-dire avec des pantalons larges et des vestes courtes. Cette veste courte était la carmagnole. De nos jours elle a été remplacée par la blouse courte. Au milieu de cette horde étaient gravement assis des huissiers vêtus de noir, en bas noirs avec souliers à boucles, des cravates blanches au cou, et poudrés. M. de Pontécoulant me disait : Les huissiers avaient l’air d’être les sénateurs ; les sénateurs n’avaient pas même l’air d’être des huissiers.

Peu à peu la misère acheva ce délabrement que la popularité avait commencé. D’apparent il devint réel. Les représentants avaient dix-huit francs par jour. Dix-huit francs en assignats, c’est-à-dire moins que rien, l’ironie de quelque chose. Avec ces chiffons d’assignats nul moyen de se loger, ni de se nourrir, ni de se vêtir. Les habits de négligés devinrent misérables. On alla faire des lois les coudes percés. Un jour, on fit aux membres de la Convention une distribution de pruneaux, une autre fois on leur délivra des bons de pain, une autre fois on leur donna du drap. Législateurs en guenilles sous lesquels la terre tremblait.

À cette époque il n’y avait plus dans Paris ni riches, ni pauvres. Il fallait un bon pour vivre. La commune distribuait à chaque habitant deux onces de pain par tête, d’un pain d’orge et de seigle à peine cuit. Un jour, Doumerc, qui fut depuis intendant général de l’armée, vint au comité de salut public tout rayonnant et dit : La France est sauvée ! J’ai fait mes calculs. Nous allons pouvoir donner quatre onces de pain au lieu de deux, et six sous à chaque officier.

Les membres de la Convention ne recevaient aucun imprimé à domicile, ni convocation, ni ordre du jour. En arrivant à la salle des séances chaque membre passait à ce qu’on appelait la distribution. C’était un petit guichet à travers lequel une vieille femme donnait à chacun le paquet d’imprimés du jour, rapports, pétitions, nominations des bureaux, etc.

Les séances au début étaient assez habituellement molles, vides, languissantes, puis tout à coup un vent soufflait, et cela devenait terrible.

La Convention ressemblait à la mer, en un instant bouleversée.

Alors c’étaient des cris, des vacarmes, des tumultes, des rires stridents, des railleries qui avaient la saveur du sang, des grincements de dents, des trépignements furieux, des poings montrés. Tout rugissait à la fois, dedans, dehors, en haut, en bas, et les tribunes répondaient à la montagne comme la cage des tigres à la cage des lions dans une ménagerie.

Plus tard la Convention siégea aux Tuileries dans la salle de spectacle. C’était un charmant théâtre dans le style rocaille. On l’agrandit comme on put, on y mit un plancher de sapin, des gradins et des bancs de bois de chêne, et la Convention s’y logea. Le comte de Provence dans un quatrain à Marie-Antoinette avait appelé ce théâtre la grotte de Cypris. Cette grotte devint un antre.

La Convention avait une garde. Pendant la Terreur cette garde ne se composa que de gens en bonnet rouge armés de piques. Après le neuf thermidor, la Convention fut gardée par des espèces de hallebardiers qui avaient des fraises et des chapeaux à la Henri iv. On les appelait les pituites.

La Convention voulait se perpétuer comme de nos jours la Constituante de 1848. Tallien poussait à la perpétuité. L’honneur de la dissolution de la Convention revient à trois représentants courageux : Thibaudeau, La Réveillère-Lépeaux et Pontécoulant. Ce fut sur la motion de Thibaudeau que l’assemblée se sépara.

Les souvenirs qu’elle laissa furent si terribles et l’on eut une telle crainte de voir se reformer une Montagne qu’il fut défendu aux membres des Cinq-Cents de choisir leur place. Tous les mois, en élisant le président et en reconstituant le bureau, on tirait au sort les numéros des sièges, et chaque membre était tenu de s’asseoir à son numéro. On interdit également au Conseil des Anciens et au Conseil des Cinq-Cents les motions d’ordre qui avaient été les coups de vent de la Convention. Un jour Saint-Just dit à Chabot : Attends ! tu vas voir une motion d’ordre qui va faire moutonner l’assemblée. — Quels moutons ! dit Lanjuinais.


la révolution. — détails. — petits faits caractéristiques.

(Démonstrations girondines.) Le 3 novembre 1792, des fédérés des provinces et des Dragons de la Liberté parcouraient Paris, le sabre à la main, en chantant ce refrain :

La tête de Marat, Robespierre et Danton,
Et d’tous ceux qui les défendront,
Ô gué !

Ivres. Et ils ajoutaient : Pas de procès au roi ! À la guillotine, Robespierre !


faïences.

Dans l’assiette :

Vivre libre ou mourir !

Sur le pot à l’eau, une cage vide avec cette légende :

Vive la liberté.

Plat à barbe. Au fond, un tombeau noir et des cyprès avec cette légende :

Aux mânes de Mirabeau.

On appelait les condamnés des charretées les cardinaux à cause de la chemise rouge.


Le Chapelier dit à d’Éprémesnil : — Monsieur d’Éprémesnil, problème à résoudre. — Lequel ? — Quand nous serons dans la charrette, auquel de nous deux s’adresseront les huées ? — À tous deux, dit d’Éprémesnil.


Riouffe, emprisonné plus d’un an à la Conciergerie et qui a échappé, écrit : — J’ai été quatorze mois sous l’échafaud.


93 avait mis en coupe réglée toute l’ancienne société française. Chaque jour des têtes tombaient, l’échafaud était permanent, et tous les soirs des troupes de chiens venaient lécher le sang tiède et fumant entre les fentes des pavés.

Quand un de ces condamnés sortait de la prison pour monter sur la charrette, le geôlier ramassait les quelques effets qu’il laissait dans son cachot et en dressait l’inventaire. Nous avons en ce moment sous les yeux un de ces procès-verbaux contenant vingt-quatre noms et signé par Guiard, concierge de la prison du Luxembourg ; nous ne pouvons nous empêcher d’en extraire quelques lignes où se rencontre un détail qui nous a frappé :

« À Maluisy, tombé sous le glaive de la loi.

« Deux étuis renfermant deux gobelets de cristal ; plus une boîte rouge en écaille avec un portrait de femme ; plus enfin une lunette d’approche. »

« À Chambon d’Arnouville, tombé sous le glaive de la loi.

« Une lunette d’approche, plus du galon en or, propre à être brûlé. »

« À Nicolaï, passé sous le glaive de la loi.

« Un étui de basane rouge, dans lequel est un gobelet et deux lunettes d’approche ; plus un couteau à gaine, manche d’ivoire. »

« À La Marelle, tombé sous le glaive de la loi.

« Trois flacons de cristal ; une lunette d’approche, plus une autre lunette d’approche ; une paire de boucles d’argent à jarretières. »

« À d’Haufefort, tombé sous le glaive de la loi.

« Une coupe garnie d’écaille ; un étui renfermant une lunette d’approche ; deux cuillers d’argent à café, une petite lame d’argent, servant de gratte-langue. »

À Fabre d’Églantine, condamné.

« Deux couverts d’argent à fileté, une paire de draps, un gros manchon, une lunette d’approche en ivoire, cinquante volumes reliés, trente-neuf Encyclopédie, six volumes de Molière, deux cahiers, histoire de la Révolution, une lampe à quinquet, trois matelas, un fauteuil de paille à dossier en lyre. »

Que signifient toutes ces lunettes d’approche et à quoi ont-elles servi ?

Que cherchaient-ils donc à l’horizon ces malheureux vers lesquels depuis tant d’années la révolution s’avançait ?

Hélas ! si au lieu de toutes ces vaines lunettes de verre et de bois, ils eussent eu la véritable longue-vue, celle qu’on appelle la prudence, peut-être eussent-ils distingué à temps la guillotine debout au loin dans les brumes de l’avenir, et qui sait si 89 n’eût pas évité 93[14] ?


Michel Lepelletier de Saint-Fargeau fut assassiné le 20 janvier 1793 par le garde du corps Paris chez Février, restaurateur au Jardin Égalité. Au moment de l’assassinat, Lepelletier de Saint-Fargeau était dans la seconde salle du restaurant située à droite et communiquant avec la première par une assez large arcade surbaissée qui permettait de voir d’une pièce ce qui se passait dans l’autre. Lepelletier de Saint-Fargeau était seul dans cette seconde salle. Il était assis près de la muraille, sur une chaise à dossier-lyre, devant une petite table sans nappe où son couvert était mis. Il avait à sa droite, à quelques pas de lui, une autre chaise pareille à la sienne sur laquelle une serviette était jetée, et devant lui, au mur qui lui faisait face, était adossée une autre petite table chargée de vaisselle et garnie de sa chaise également à dossier-lyre. Le garde du corps Paris le frappa, comme on sait, d’un coup de sabre dans le ventre, du côté gauche.

Le sabre était long et droit, le coup fut porté avec la pointe. En cet instant-là, trois personnes seulement qui causaient entre elles et qui étaient debout au milieu de la première salle eussent pu voir par l’arcade ce qui se passait dans la seconde. C’étaient trois hommes. Un de ces hommes (sans doute un habitué de la maison) était nu-tête, le second avait un chapeau rond, le troisième était enveloppé d’un manteau bleu et avait un chapeau à trois cornes ; celui-là tournait le dos à Lepelletier Saint-Fargeau.

Peut-être la dame assise au comptoir, qui était placée vis-à-vis de l’arcade, eût-elle pu aussi voir l’action violente qui s’accomplissait dans la salle voisine, mais elle était occupée dans ce moment à recevoir l’argent et peut-être à écouter les galanteries d’un individu qui venait de dîner et qui allait sortir. Le restaurant Février était décoré, selon la mode du temps, de rinceaux et d’arabesques qui couvraient les murailles du plancher au plafond et qui encadraient çà et là des paysages peints sur de larges panneaux. Quand Paris le frappa, Lepelletier était placé vis-à-vis d’une de ces peintures représentant une espèce de vieux châtelet avec tourelles, et il avait au-dessus de sa tête un autre paysage, d’aspect fort riant, dont le centre était occupé par un groupe de peupliers. Personne n’ignore (car les détails qu’on donne ici sont tous absolument inédits et inconnus, et nous ne voulons pas           [15] ce que tout le monde peut lire dans tous les papiers du temps), personne n’ignore que le dialogue entre Lepelletier et son assassin fut très rapide et très court. — N’êtes-vous pas Lepelletier Saint-Fargeau ? — Oui. — Ne venez-vous pas de voter la mort de Louis xvi ? — Oui. — Après ces deux oui, Paris frappa. Lepelletier Saint-Fargeau était en culotte courte et bas de soie. Il portait un habit à la française, couleur jaune clair, et un gilet rose. Paris était enveloppé d’un grand manteau de couleur brune et avait un chapeau à larges bords rabattu sur les yeux. Sous ces deux costumes, ces deux hommes rappelaient assez bien, l’un le berger, l’autre le brigand d’opéra-comique.


La guillotine, que les italiens appelaient Mamaia, était en usage à Gênes, à Bologne au xvie siècle, et en Angleterre au xviie. Elle s’est appelée en France un instant Louisette ou Louison, du nom du docteur Louis, co-propagateur avec Guillotin.

La première guillotine a été construite par l’allemand Schmitt, faiseur de clavecins. — Le 2 octobre 1791, Louis xvi signa le décret qui ordonnait la construction de cette machine.

La première exécution par la guillotine avait eu lieu le 25 avril 1792, — Quand on essaya la guillotine, on l’essaya d’abord sur un mouton vivant, plus tard sur Louis xvi. — Le premier être vivant que la guillotine ait frappé en France fut un mouton, le premier roi fut Louis xvi.


pressions du dehors.

Dès 1789, à propos des biens du clergé, Lemintier, évêque de Tréguier, pousse, en un mandement, à la guerre civile. Conseille le soulèvement, excite Kergué, Trogoff et le chevalier de Kéralio. Leur promet le tocsin des paysans.


Dans un village près de Caen, émeute de 300 dévotes voulant pendre leur curé dans l’église (Intrus. Assermenté), et descendant pour cela la lampe suspendue à une chaîne devant l’autel. Lanterne d’un nouveau genre.

Dans les paroisses de la Mayenne, les églises fermées, rouvertes par les fidèles à coups de hache.

À Paris, Chaumette avait dit : Fermez les boutiques à prêtres.


Symptômes menaçants. Dans la séance du 30 novembre, Lecointe-Puyraveau et Birotteau, arrivés d’Eure-et-Loir, racontent : Les curés exaspèrent les paysans. Disent qu’on veut détruire le culte.

Danton craint le bouleversement de la France par les curés. Question des prêtres. Question des subsistances. Sédition. Disette. Jacquerie royaliste.


Mars 1793.

La société populaire d’Amiens dénonce à l’Assemblée Robespierre, Danton et le parricide Marat, médecin du frère du tyran Capet.


Le club des Jacobins de Mâcon demande la guillotine permanente à Paris et roulante dans les départements. Un inventeur propose la guillotine à 30 colliers.


convention.

La Convention, tempête.

La monarchie, épave.


1792. 21 septembre. Midi. La salle du Manège.

Le premier qui fut président (à l’unanimité) ce fut Pétion.

Tallien, jeune, portait la carmagnole.

Ce fut Collot d’Herbois qui demanda la république et Grégoire qui la décida. Un comédien propose, un évêque dispose.

Il y a on ne sait quoi de profond dans cette coïncidence de l’excommunié et du prêtre. Cela semble prémédité par le hasard.


Dumouriez définissait la Convention : 300 scélérats appuyés sur 400 imbéciles.


Robespierre appelait Sieyès la taupe de la révolution.

Sieyès, en mourant (après 1830), répétait continuellement à travers son agonie : — Si M. de Robespierre vient, vous lui direz que je n’y suis pas.


La noblesse a été abolie sur la motion d’un député inconnu et obscur appelé Lambel (Lambel, terme héraldique qui marque une diminution dans les armoiries. Lambel des branches cadettes. Lambel ou barre de bâtardise. Le lambel a cette forme : [Croquis] ).


Il y a eu trois comités de salut public. Le 1er, 25 membres, girondin, influencé par Vergniaud. — Le 2e, 9 membres, intimidé par Danton (qui pourtant n’en était pas). — Le 3e, 10 membres (décemvirat), gouverné par Robespierre. Ce fut celui de la Terreur. — Séances secrètes. Tous les pouvoirs. Pas de président. Une tête, Robespierre.


Le comité de surveillance générale ébauche dès septembre 1792 dans la commune ce que sera le comité de salut public dans la Convention.

La Convention discute un arrêté de la commune relatif à la suspension de l’Ami des lois de Laya. Danton s’écrie : — Il ne s’agit pas d’une comédie, il s’agit d’une tragédie, couper la tête à un tyran ! Dépêchons-nous.


Il y avait la salle du Comité de sûreté générale.

La salle du Comité de salut public.

La salle du Conseil exécutif où siégeaient les ministres.

Un corridor obscur joignait, comme un trait d’union, le Comité de sûreté générale au Comité de salut public. Certains hommes s’y parlèrent bas. Une politique redoutable, mêlée des deux comités, sortait de ce corridor.


Le tribunal révolutionnaire occupait au premier étage du palais de justice une salle oblongue dont les fenêtres donnaient sur les cours intérieures. Au fond de la salle, à l’extrémité d’un plancher exhaussé d’un degré qui formait une sorte de préau en avant du tribunal et qui partageait la salle en deux, on apercevait une table rectangulaire, à panneaux pleins, en forme d’autel, élevée elle-même d’une marche au-dessus du plancher, derrière laquelle siégeaient, coiffés d’immenses chapeaux à la Henri iv, empanachés de plumes tricolores, couverts de longs manteaux pareils à des linceuls, un large ruban tricolore au cou, les cinq juges, le président au milieu d’eux. Derrière les juges, sur un banc en bois de chêne à haut dossier disposé en fer à cheval et s’élevant encore d’un degré, on voyait douze hommes accoutrés de longues redingotes ou de carmagnoles, têtes nues, les cheveux en désordre, presque tous sans cravates, quelques-uns sans bas dans leurs souliers ; c’étaient les jurés.

Le banc où ils siégeaient était revêtu d’un coussin de cuir et se prolongeait à droite et à gauche jusqu’à la naissance du plancher qui servait d’estrade au tribunal et autour duquel circulait un couloir communiquant à diverses portes au fond de l’enceinte.

Les deux extrémités du banc des jurés étaient terminées par des compartiments qui restaient habituellement vides, mais qui pouvaient être occupés au besoin par les accusés, les défenseurs, ou les gendarmes.

Au pied du tribunal et en avant, était la table du greffier, et à droite celle de l’accusateur public. Ces deux tables étaient supportées par des griffons peints en bronze. Les griffons étaient alors fort à la mode. La tribune de la Convention était appuyée sur des griffons.

L’accusateur public et le greffier portaient le même costume que les juges.

Deux gendarmes de Paris, dont l’habit était encore l’uniforme du temps de Louis xv, se tenaient debout des deux côtés de l’entrée de l’estrade.

Le reste de la salle, séparé par une barrière de bois à hauteur d’appui, était destiné au peuple. On y voyait beaucoup de femmes.

Les murailles, autrefois fleurdelysées, étaient nues et blanchies à la chaux.

C’est devant ce tribunal que comparut Marie-Antoinette. Elle était vêtue de blanc, et elle avait les cheveux gris. Quelques juges insistèrent pour qu’on la fît asseoir sur une chaise de paille, mais par je ne sais quel reste de respect, on lui donna le fauteuil de cuir du greffier. On la plaça à gauche du tribunal. En tournant la tête, elle pouvait voir par la fenêtre qui était derrière elle les tours bâties par saint Louis[16].


Sur les soixante-seize présidents de la Convention dix-huit ont été guillotinés, trois se sont suicidés, six ont été emprisonnés, huit ont été déportés, vingt-deux ont été mis hors la loi, quatre sont devenus fous. Sur soixante-seize la fatalité en a frappé soixante-et-un.


dénombrement des membres.

C’est sur des feuilles inégales que sont tracés les portraits, en une ou deux lignes, des membres de la Convention ; un trait de caractère, une réplique célèbre, un tic, une particularité fixe dans notre mémoire le type de tel ou tel conventionnel ; les pages 129 à 147 renferment le résumé de toutes les notes que Victor Hugo a prises pour donner une indication à chacun d’eux ; pourtant, dans ces notes que nous avons sous les yeux, tout n’a pas été employé, ou cité entièrement ; voici quelques exemples :

Gorsas, journaliste, qui voyant Marat vêtu proprement le jour où l’on jugea Louis xvi, dit : La mort est une fête pour cet orang-outang.

La Source, qui avait jeté ce cri bête : Malheur aux nations reconnaissantes ! un des premiers qui aient porté des favoris, grand col, cravate lâche, cheveux à la Titus, presque un visage d’élégant de l’empire. Précurseur en cela seulement.

Barbaroux, figure phocéenne, presque grecque, longs cheveux, la lèvre inférieure un peu dédaigneuse.

Boileau, un de ceux qui osaient colleter Marat.

Lanjuinais, breton, têtu, intrépide, œil perçant, nez sagace.

Buzot, ascétique, dédaigneux comme Barbaroux, grand nez, grande bouche, grands yeux ; un des rares élégants qui portaient encore la lévite à deux collets et les cheveux roulés. Dînait beaucoup.

Camus, janséniste, auteur de la constitution civile du clergé, croyait aux miracles du diacre Pâris.

Cambon, créateur des finances, nez aquilin, cheveux noirs soigneusement peignés, cravate bien nouée, les bras croisés. Air honnête.

Antoine-Louis-Léon Florelle de Saint-Just qui avait écrit (à Daubigny) : Je me sens de quoi surnager dans le siècle. Saint-Just disait : La révolution ne commencera que quand le tyran finira.'

Bancal, qui avait lu à la tribune le manuscrit de Thomas Paine demandant pour Louis xvi le sursis au nom de la République d’Amérique.

Bourdon de l’Oie, qui proposait de rayer Marat du club des Jacobins.

Julien, qui comparait la Montagne aux Thermopyles. Un emphatique.

Gamon, qui réclamait contre l’exclusion des femmes aux tribunes publiques.

Fabre d’Églantine (à cause de l’églantine d’or des Jeux Floraux). — Ancien académicien, auteur du Philinte de Molière, homme de plaisir, secrétaire de Danton.

Chalier. — Le Marat de Lyon. Piémontais, jaune comme Marat, perruque poudrée, mimique italienne, avait dû être prêtre, avait été marchand, riche adorant les pauvres, enthousiaste, amer, féroce. Une tourterelle sur l’épaule.

Père Duchêne. Hébert, marchand de contremarques, dévot, puis athée. Coupeur de bourses (ainsi qualifié par les jacobins).

(Ne pas confondre avec un Hébert, dentiste, de Lyon, qui a publié en 1779 un écrit intitulé : Le Citoyen Dentiste.)

Guillotiné le 24 mars 1794. Lâche sur l’échafaud. Sa femme, une ex-religieuse, guillotinée 20 jours après. Le cachot qu’il occupa à la Conciergerie fut ensuite le cachot de Danton et de Robespierre, qui l’avaient fait guillotiner. Violent et féroce dans son journal. Doux, aimable et affectueux dans la vie privée} homme de populace doublé d’un homme du monde (Félix Pyat).

Il se fit de service au Temple le jour où Louis xvi quitta ses ordres et son épée, afin de voir le visage humilié du roi.

Vergniaud. — Logeait rue des Jeûneurs — puis dans un petit pavillon entouré des jardins de Tivoli. — Économe. Modeste. Vit de peu. Turgot avait payé son éducation chez les jésuites. Vergniaud entra au séminaire et recula au moment d’être prêtre. Alla à Bordeaux étudier le droit. Le président Dupaty le protégea. À Paris, député, va chez Mme Roland, mais préfère Mme Simon-Candeille (depuis Mme Périé). Rêvassait beaucoup. Écrivait sur son genou. Jetait là le papier griffonné au hasard. Apprenait par cœur ses discours.

Pâle. Yeux noirs, bouche large, gros sourcils, cheveux châtains, grêlé, comme Mirabeau, et moins. — En tout, moins que Mirabeau. — Écrivait à sa sœur de lui envoyer des chemises.

Brissot, voix forte, âme faible. Ayant au pied un boulet, Morande. Un Rousseau manqué. Nature basse. Vues grandes. Marat lui disait : — Brissot, pourquoi as-tu prêté la patte à Lafayette ?

Louvet, avait fait Faublas. Vivait avec Lodoïska. Demeurait rue Saint-Honoré. Il accuse à la Convention Robespierre, Danton et Marat. Quand il arrive à Marat, il dit : Dieu ! je l’ai nommé ! (28 ans. L’air d’une femme. Blond. Pâle. Yeux bleus.)

Barère. Beau parleur. Élégant. L’air dégagé. Haute taille. Se faisait appeler de Vieuzac comme Brissot se faisait appeler de Warville. Familier d’Orléans par la Genlis. Tuteur de Paméla.

Garat, remarquable comme écrivain. Toujours hésitant entre le scrupule de commettre une action violente et la peur de ne pas la commettre. C’est à lui que Robespierre dit un jour : Ah ! je suis bien las de la Révolution !

Chaumette, homme du mal, fils d’un cordonnier, avait été mousse, novice-moine, clerc de procureur, clubiste, journaliste. Ami d’Hébert. Âme basse et dure.

Lamourette, évêque fait pour laisser son nom à un baiser, doux et vaillant, du reste ; il disait : Qu’est-ce que la guillotine ? Une chiquenaude sur le cou.


louis xvi. — sa famille. — son procès.

Louis xvi, duc de Berri, jeune, réputé impuissant. Les yeux bridés. L’air bête. Honnête. De bons sens. Droit. Formes grossières.

Le comte de Provence (Louis xviii), spirituel, vif, sec. Les jésuites lui avaient fait donner le nom de Xavier.

Éducation. — On fait de Louis xvi un ouvrier serrurier et du comte de Provence un lettré.

Marie-Antoinette. Goûts de plaisirs. Petits jeux chez Mme de Duras. Bals de l’Opéra. Leçons de comédie de l’acteur Michu. Soubrette de comédie au besoin et s’y plaisant.

Le comte de Provence, courtisan de la reine, va jusqu’à faire tendre sous la Seine un grand filet d’or et d’argent pour l’arrêter au passage (dans un voyage par eau à Fontainebleau) devant Sainte-Assise qu’il habite.


Louis xvi était un neutre. Ni bon ni méchant ; doux et froid, ayant tout l’aspect d’un impuissant, d’abord avec sa femme, puis avec la nation. Roi eunuque en présence d’une révolution à six mamelles.


Douze pairs de France protestent en 1781 contre la naissance du fils de Louis xvi. Leur protestation, déposée au greffe du Parlement, mais tenue secrète, disparue pendant la révolution, réclamée comme papier d’état par Napoléon, puis ressaisie par Louis xviii (qui en avait été l’instigateur), est aujourd’hui détruite.


En 1788, Marie-Antoinette, déjà triste, n’alla qu’une fois à l’Opéra, comme le prouve ce passage du registre secret de l’Académie royale de musique pour l’année 1789-1790. — « Les présences de la reine au spectacle (qui sont de 240 livres par fois) ont produit l’année dernière : — 240 livres. »


Quand Louis xvi fut arrêté à Varennes, dans la soirée du 22 juin 1791, il dînait. Le roi était assis à une table oblongue et carrée, dans une arrière-salle du rez-de-chaussée de l’auberge……[17]. Le plafond de cette salle était fait de planches nues, soutenues par une longue solive transversale qui passait précisément au-dessus de la tête du roi. Le roi occupait seul le haut bout de la table. Il avait à sa droite la reine et madame Royale, à sa gauche monsieur le dauphin et madame Élisabeth. Le roi et la reine étaient assis sur des fauteuils, madame Royale et madame Élisabeth sur des chaises de paille grossière ; monsieur le dauphin mangeait debout, la table étant trop haute et les chaises trop basses. Cette table était formée de planches posées sur deux tréteaux. Les murs de la salle avaient un aspect délabré ; au-dessus de la porte qui était à plein-cintre et dans le style des portes rustiques du temps de Louis xiii, le plâtre était tombé et laissait dans plusieurs endroits la brique à nu. Le roi faisait face à cette porte ; il avait derrière lui un fauteuil vide, et au-dessus de sa tête, une planche adossée à la muraille supportait des vaisselles et des poteries. Une seule chandelle éclairait la table royale ; le roi était vêtu d’habits de couleur sombre et il avait sur la tête un de ces chapeaux à forme ronde et à larges bords comme nous en voyons encore aujourd’hui aux paysans d’opéra-comique. Le jeune dauphin était en veste avec collet de dentelle ; la reine et madame Royale étaient coiffées d’étroits chapeaux ronds à haute forme conique qui était une mode d’alors ; madame Élisabeth était en bonnet. La table était assez abondamment servie ; le roi seul mangeait avec appétit. Au moment où la porte s’ouvrit brusquement et où la foule armée de torches et de piques fit irruption dans la salle, le roi avait la main sur la bouteille posée à sa droite comme quelqu’un qui va se verser à boire, et il demeura quelques instants dans cette attitude.

(Dicté le 22 août 1842.)

1791. Les tantes du roi. Mesdames de France, voulant fuir, avaient un magot de 12 millions en or dont elles avaient payé chaque louis 29 francs. — Elles s’enfuient. Sont arrêtées à Amay-le-Duc.

Le comte de La Marck, consulté secrètement par Mirabeau sur ce qu’il y a à faire pour les princesses, question de vie et de mort pour elles, répond : — J’ai passé ma nuit à boire. Mes idées ne sont pas bien nettes. Puis il conseille à Mirabeau de faire quelque chose de grand, de monter à la tribune et de défendre ces princesses qui sont des femmes, ces femmes qui sont des citoyennes.

Mirabeau dit : Ce n’est pas si mal vu pour un ivrogne. — Mais n’en fait rien.


Dès le jour de son avènement, Louis XVI est posé sur 93, il s’enfonce doucement dans l’abîme, il s’enlise dans la révolution.


10 août.

Louis xvi, pressé par Rœderer, dit : Allons à l’Assemblée. Il y va. En route il prend le chapeau d’un garde national et le met sur sa tête en place de son chapeau de roi à plume blanche (dont il coiffe le garde national, lequel l’ôta. Prudence des deux côtés).

Le roi traversant les Tuileries et voyant des feuilles jaunies à terre dit : Les feuilles tombent de bonne heure cette année. Le petit dauphin jouait avec ces feuilles mortes qu’il poussait du pied.

Ils traversent la foule hostile sur la terrasse des Feuillants. Un sapeur appelé Rocher commence par insulter la reine, puis la voit tremblante pour son fils, prend l’enfant dans ses bras, joue des coudes et apporte le dauphin sain et sauf dans l’Assemblée. — Vergniaud présidait[18].


La famille royale passa la nuit dans les combles de l’Abbaye adossée au Manège. Le lendemain la reine, sans le sou, prie sa première femme de chambre. Mme Augié, de lui prêter 25 louis.

(Chercher au Moniteur les spectacles du 10 août[19].)


6 octobre. — Le jour où la tragédie de la royauté commença, la main fatale qui fait tout prit Louis xvi qui était à Versailles et le transporta à Paris. Versailles n’était que le décor de la grande comédie de l’étiquette.


Après les 5 et 6 octobre, M. de Montmorin, qui fut massacré plus tard le 2 septembre, s’écria dans un salon où était M. de Chartres, depuis Louis-Philippe, alors âgé de dix-sept ans :

— Il faut aller tous près du roi et entourer le trône.

Le duc de Chartres s’écria :

Il y a encore des lanternes !

Ceci est raconté par Monnier dans une lettre écrite à Mirabeau.


Le Temple. Deux hautes tours inégales, carrées, adossées l’une à l’autre, sans communication entre elles, chacune ayant au dedans quatre étages, au dehors deux tourelles, au sommet une plate-forme. Pour escalier une vis de Saint-Gilles. Intérieur délabré. Une vieille bibliothèque formée des vieux livres dévots du Temple et de quelques nouveaux livres, licencieux, rebut de la bibliothèque du comte d’Artois. Quand le comte d’Artois venait à Paris, il habitait le Prieuré, qui était dans l’enclos avec la Tour. L’enclos était un jardin inculte, à allées pavées, à palissades de planches, fermé d’une haute muraille qui n’avait qu’une porte, donnant rue Vieille-du-Temple.

Le roi, d’abord déposé dans le Prieuré, puis dans la Tour (le jour même de son entrée).

Élisabeth au rez-de-chaussée dans la cuisine où l’on a dressé un lit de sangles, les domestiques au premier, la reine et ses enfants au second, le roi au troisième, dans une cellule qui avait été la chambre d’un valet de pied du comte d’Artois, lequel valet avait collé au mur des estampes obscènes que le roi arracha. Un lit en chêne. Quelques chaises, vieux rideaux de damas vert au lit.


Le 21 septembre, un municipal nommé Lubin proclame la république au pied de la Tour du Temple. Louis xvi ouvre la fenêtre. Les cris du peuple et les menaces du sabre nu des gendarmes le forcent de la refermer.


Quand un des municipaux, geôliers du jour, arrivait avec un visage sympathique, le petit dauphin, qui allait chaque matin les regarder tous, entrait en battant des mains chez sa mère et disait : — Maman, il y en a un qui n’a pas l’air méchant.


Le concierge de la Tour s’appelait Mathey.


Le dauphin appelait Louis xvi papa-roi.


La séance de condamnation de Louis xvi employa un jour et deux nuits, et dura trente-sept heures. Robespierre, rentré chez Duplay, ne dit pas un mot.

Pendant ce temps-là, au Temple, Louis xvi lisait le Mercure de France et donnait à deviner à Cléry un logogriphe dont le mot était : sacrifice.


Cinq se récusèrent dans le jugement de Louis xvi. L’un d’eux, Noël des Vosges, dit : Mon fils vient d’être tué à la frontière, je ne puis juger l’homme qui est la cause de sa mort.

Cavaignac : Ma conscience et la loi. La mort.


Louis xvi, le 20 janvier, renvoie à Malesherbes 125 louis qu’il lui avait empruntés.


… Et la Conciergerie où l’on entendait de ces dialogues effrayants :

La Reine : Gendarme, n’est-ce pas votre avis qu’ils vont me couper en petits morceaux ?

Le gendarme : Sois tranquille, tu arriveras saine et sauve à l’échafaud.


Mercier suppose que Robespierre a épargné Madame Royale pour l’épouser et arriver à régner (t. ier, p. 311).


Après le 20 juin, Louis xvi découragé rejette les plans d’évasion offerts par Lafayette. La reine dit : M. de Lafayette sauverait le roi, qu’il ne sauverait pas la monarchie.


Marie-Antoinette. Jugée le 13 octobre, condamnée le 14, exécutée le 16. Gobel, évêque constitutionnel de Paris, lui envoie trois prêtres, l’abbé Lambret, un de ses vicaires, l’abbé Lothringer (alsacien) et l’abbé Girard, curé de Saint-Landry. Elle les récuse, ne voulant pas de prêtre assermenté. Elle savait le numéro d’une maison de la rue Saint-Honoré d’où un prètre invisible à la foule la bénirait à son passage. Sa bière coûta 7 francs.


Louis xvi croyait au droit du trône et non au droit du peuple. Louis xvi avait des idées de roi ; ne jugeons pas les idées fausses comme les idées vraies. Le point de départ est tout pour la conscience. On n’est pas Judas sans le savoir. On ne trahit que ce qu’on croit trahir.


[notes personnelles[20].]
maires de paris.

Pache est au 31 mai ce que Pétion est au 10 août. Il donne l’impulsion, puis serre le frein.


La Terreur compromet la république et sauve la révolution. Moyen anarchique de gouvernement. Concentration d’effroi d’où sort la dictature.

Deux courants d’abord : la Terreur selon Danton, et la Terreur selon Robespierre.


Que fallait-il pour faire la Révolution ? Deux choses. Le génie et l’envie. Mirabeau fut le génie. Marat fut l’envie.


Camille Desmoulins est le premier qui ait dit le divin Marat (dès 1791).


Avant la révolution, depuis des siècles le catholicisme disait : c’est moi qui éclaire. Une fausse lumière nocturne vacillait aux mains du clergé et lui faisait voir partout des fantômes, fantômes de dogmes dans le ciel, fantômes de crimes sur la terre. De là les superstitions, les fanatismes, l’ignorance du peuple et les horreurs sans nombre : les vaudois, les albigeois, la Saint-Barthélemy, les bûchers de sorciers, les Cévennes, les dragonnades. Calas, Sirven, Labarre. Tout cela s’est retrouvé au dénouement. C’est avec la chandelle du prêtre qu’a été suiffée la guillotine du roi[21].


Michelet dit de Robespierre avec profondeur : — Il avait le cœur moins roi que prêtre.

Moi je dis : — Robespierre est le tyran, Bonaparte est le despote. La révolution, refaisant la France et l’Europe, se sert de deux sortes de glaives ; pour l’intérieur du glaive civil que manie le tyran, pour l’extérieur du glaive militaire que manie le despote. Elle remet sa hache à Robespierre et son épée à Bonaparte.


… Puis la révolution passa de l’état sanguin à l’état nerveux, de l’homme taureau à l’homme fantôme, de l’orateur apoplectique au dictateur pâle, de Mirabeau à Robespierre.


La révolution était en équilibre avec elle-même. Elle était à elle-même sa plénitude. Toutes les fureurs des hommes ne pouvaient augmenter d’une quantité appréciable la révolution ; toutes les pluies des nuées n’ajoutent pas une goutte d’eau à l’océan.


Ah ! tristes rois ! quels écroulements ! faire envie mène à faire pitié !


Danton épousa en secondes noces Mlle Louise Gély. La famille voulut un mariage catholique. Danton, amoureux, y consentit. Il fut marié dans une chambre par un prêtre non assermenté, l’abbé de Kéravenanc, plus tard curé de Saint-Germain-des-Prés, et qui m’a souvent dit la messe en 1815, 1816, 1817, 1818, quand j’étais écolier à la pension Cordier-Decotte, rue Sainte-Marguerite.


Cette révolution de 93 qui va se perdre dans le Directoire comme le Rhin dans un marais.


Liberté, loi naturelle.

Égalité, loi sociale.

Fraternité, loi religieuse et morale.


La chute de la Bastille, ce n’est pas la démolition d’un édifice, c’est la construction d’une société.


La Révolution, c’est la civilisation en mal d’enfant.


Quel que soit leur prétexte, honte aux assassins. Anathème à tous les massacres. Tacite ne s’agenouille pas pour laver du sang sur des pavés. La conscience humaine ne sait que faire des apologies du meurtre. L’histoire ne se sert pas de ces éponges-là.


93, c’est la guerre de la France contre l’Europe et de Paris contre la France. Pourquoi cette guerre, double en apparence, une en réalité ? L’Europe voulait supprimer la révolution française, la France voulait étouffer l’éruption parisienne ; c’est-à-dire que l’Europe voulait anéantir l’effet et que la France voulait anéantir la cause. Or, cause et effet, c’était le même phénomène, c’était la nouvelle ère humaine, dont la révolution était l’aurore et Paris le soleil. On tentait d’éteindre cela.

De là l’avortement de l’effort européen.

De là l’avortement de l’effort girondin[22].


bons. — méchants[23].
Cette grande ligne mystérieuse, division absolue des âmes, traverse la lumière et l’ombre et la maintient distincte et visible dans la fange comme dans l’idéal. Il y a les bons du mal et les méchants du bien.
Bonchamp Marat
Jean Chouan Hébert

Dans le paroxysme les révolutions sont difficilement clémentes. La vie est leur étoffe.

L’effort des révolutionnaires, qui veulent se maintenir en même temps civilisateurs, doit être de modérer la dépense.


V
RÉSERVÉ POUR LE VOLUME : PAGES D’HISTOIRE.

Tout un dossier de 27 pages non numérotées, sur papier de fil grand format, était enfermé dans une double chemise ; la première porte ceci :


93
Choses faites, Réservées.

La seconde chemise porte une indication précieuse pour un volume resté à l’état de projet et auquel une des préfaces fait allusion :

Réservé pour le volume (II)
PAGES D’HISTOIRE.

Ceci fera les divisions :

Tribunes publiques.

Robespierre, Danton, Marat.

Les rues de Paris.

Tout cela devra être complété.

« Tout cela » n’a pas été « complété », mais transformé ; la division indiquée sous le titre : Les rues de Paris, ne justifie ici son titre que par les premières lignes, c’est surtout une véritable appréciation de la Révolution ; dans le texte publié, c’est un fourmillement de détails groupés et vivants. Les Tribunes publiques, au contraire, dans le volume ne tiennent qu’une page (142), donnent ici prétexte à de copieux développements. Pour le chapitre : Robespierre, Danton, Marat, le livre ii de la deuxième partie nous les présente discutant, se querellant, agissant ; ici ce sont des portraits profondément fouillés.

Cette partie du Reliquat ne peut donc être considérée comme se rapportant directement aux chapitres publiés, ce sont des à-côtés, ou plutôt une version abandonnée entièrement rédigée ; elle est, comme la version publiée, datée du même jour :

Aujourd’hui vingt-et-un janvier 1873, je commence à écrire cette seconde partie du livre 93[24].


les rues de paris.

À l’époque où furent jetées les fondations de la république, les rues de Paris ont eu deux aspects révolutionnaires très distincts, avant et après le 9 thermidor.

Avant thermidor, c’était grandiose et farouche.

On pouvait prendre là sur le fait cette bizarrerie hautaine propre aux peuples qui commencent la liberté par tous les essais du bien et du mal à la fois.

On se permet tout, parce que tout a été défendu. Aucune délivrance n’agit autrement.

Il sied pourtant de ne verser ni dans un extrême ni dans l’autre ; ni dans l’erreur de ces esprits à vue basse qui considèrent la Révolution comme un incident dans la vie monarchique des peuples, comme un entr’acte entre deux despotismes, et comme une intercalation sur laquelle Dieu ouvre la parenthèse par Louis xvi et la ferme par Napoléon ; ni dans l’erreur des optimistes absolus qui glorifient l’événement en bloc sans tenir compte des fractures faites à la loi morale.

Pour nous la loi morale est inviolable. Les événements eux-mêmes sont responsables devant l’âme humaine. Nous avons sur eux droit d’examen. Ils nous sont à la fois imposés et proposés ; imposés comme faits de force majeure, proposés comme cas de conscience. Plus d’un nous est offert comme une énigme à deviner. Nous ne pouvons abdiquer l’équité.

Disons-le nettement, la Révolution a commis des crimes. Pourquoi le dissimuler ? À quoi bon les atténuations ? Qu’a-t-elle besoin d’excuses ? elle est immense.

Oui, immense, mais furieuse ; immense, mais souvent sanguinaire ; immense, mais parfois féroce. Elle a réalisé par des moyens de sauvagerie un but de civilisation.

Trône, sceptre, couronne, d’or pour le prince, de fer pour les sujets, affreuse main de justice, codes féodaux, parlements atroces, clergés sanglants, pestilences de la monarchie, exhalaisons morbides des âmes stagnantes, pourriture de douze siècles, tout ce miasme emporté en quelques mois ; vaste assainissement, la civilisation purifiée, l’avenir nettoyé, le vieil air vénéneux devenu respirable, prodigieux azur au-dessus de toutes les têtes, éclaircissement céleste inondant la terre. Tels sont les résultats.

Mais alors, dit-on, que sert d’inventorier les ravages, les arrachements convulsifs, les désastres ? à quoi bon chicaner la catastrophe ?

À quoi bon ? à ceci :

Il ne faut pas qu’il soit dit que les éternels principes du vrai défaillent devant une utilité quelconque, que la justice dans l’ensemble absout l’iniquité dans le détail, que le but communique son innocence aux moyens, que peu importe comment ni par où, mais qu’il suffit d’arriver ; il ne faut pas qu’il soit dit que l’échafaud passe sans être dénoncé ; il ne faut pas qu’il soit dit que le massacre passe sans être détesté ; il ne faut pas qu’il soit dit que l’historien recrache le sang versé par les rois et boit le sang versé par les peuples ; il ne faut pas qu’il soit dit que, parce qu’il y a sur lui un fatal reflet de pourpre, la cause du faible est désertée ; il ne faut pas qu’il soit dit que la proximité du trône ait pu convertir un berceau en sépulcre, et qu’un petit enfant ait pu périr de misère dans un cachot sous l’étouffement énorme d’une genèse sociale, sans qu’il se soit élevé un cri de pitié. Il ne faut pas que cela soit dit.

Si cela n’était pas dit, il y aurait une lacune dans la révolution même, et en dépit de la suprême clarté qu’elle a répandue, il resterait dans l’âme humaine un coin noir.

Si cela n’était pas dit, la loi sociale serait dégagée, la loi morale ne le serait pas.

C’est pourquoi nous sommes de ceux qui constatent la quantité de mal mêlée à la quantité de bien. Le bien l’emporte dans une proportion incommensurable. Tant mieux. Nous n’en jugeons pas moins nécessaire de maintenir au-dessus de tout les principes qui sont le ciel même de la conscience.

De même qu’à la monarchie, nous disons à la révolution la vérité. La révolution a été colossale, terrible et salutaire. Mais nous ne cachons pas ses emportements, ses rages, ses écumes inutiles, ses dévastations, ses voies de fait, ses épouvantes. On ne flatte pas l’ouragan.

Insistons-y, car les vérités primordiales veulent être soulignées et lorsqu’il s’agit des réalités profondes innées en nous il n’y a point de redites, la révolution est un fait complexe dont il faut signaler la violence et adorer le bienfait. En la constatant, nous faisons la part de la loi morale humaine que nous possédons et de la loi morale divine qui nous échappe.

Tous les excès, toutes les frénésies, toutes les barbaries que résume le mot Terrorisme, sont inextricablement mêlés au salut du monde ; ils en sont peut-être la rançon. Il y a dans le prodigieux fait révolutionnaire un côté crime ; nous le haïssons comme crime, nous le respectons comme mystère ; nous condamnons la fureur révolutionnaire, en la vénérant ; nous flétrissons 93, à genoux.


les tribunes publiques.

À la Convention, le peuple était chez lui.

Rien de plus étrange que les tribunes publiques de la Convention. La foule, malgré les cris de colère du représentant Chiappe, y était souveraine.

Les tribunes empiétaient sur la tribune ; cela tenait à ce que la Convention était plus en révolution qu’en république. La violation de l’inviolabilité des représentants se rattache au même phénomène. En république tout est libre ; en révolution tout est responsable.

Plus tard, la révolution s’épuise, la république se fonde, et quand la tribune parle, les tribunes se taisent. C’est l’âge de paix succédant à l’âge de guerre.

Les tribunes publiques à la Convention, c’était la révolution tutoyant l’assemblée. Familiarité énorme. La Convention était assemblée nationale ; dans les tribunes, on sentait le peuple universel. Ce peuple était témoin, et par moments ce témoin était juge. Les tribunes applaudissaient volontiers, caresses de griffe. Elles interrompaient. Elles intervenaient. Elles étaient là comme le chœur dans la tragédie antique. Elles dégageaient la philosophie des situations ; elles commandaient les entrées et les sorties ; elles venaient en aide à ceux qui manquaient de mémoire, rappelant à tous le rôle, le devoir, le but, l’idée, le mot. Drame démesuré dont les événements étaient les personnages et le peuple le souffleur.

Les tribunes avaient leurs hommes, parfois presque aussi fameux que ceux de l’Assemblée. Là s’agitaient les orateurs des clubs populaires, Delcloche, Vincent, Tollède. Tel mot qui, dit dans l’Assemblée, eût fait sourire Marat, dit dans les tribunes, le faisait pâlir. Un jour, le 12 mars, il traita Fournier l’américain de scélérat, une voix des tribunes lui cria : Tais-toi, domestique des princes ! Et Marat se souvint qu’il avait été médecin des écuries du comte d’Artois. C’est dans ces tribunes-là qu’apparaissait de temps en temps ce sauvage juré Renaudin qui disait : Je suis une hache. C’est là que vint un jour Chamfort qui applaudissait et disait : Voudriez-vous qu’on nettoyât les écuries d’Augias avec un plumeau ? Là passaient toutes les figures du temps, Audouin, le prêtre que Pache avait pris pour gendre, le sincère et éloquent Loustalot, Nolleau, ancien procureur au parlement, qui avait eu pour premier clerc Brissot et pour deuxième clerc Robespierre, le curé de Saint-Germain des Prés, Keravenanc, qui avait marié Danton, le curé de Saint-Sulpice, Pancemont, qui avait Momoro pour paroissien et qui eut la belle madame Momoro déesse de la raison dans son église, l’oncle de Barère, Daure, par qui Malesherbes fit parvenir sa demande de défendre le roi, l’honnête Cahier de Gerville qui avait été ministre avant Roland et qui, lorsqu’il parlait dans le conseil, s’arrêtait court à chaque craquement de la boiserie, s’imaginant que la reine, cachée, écoutait ; Trouvé qui écrivait dans le Moniteur : Quoi ! on verra tous les jours, dans la même tribune, les mêmes visages ! Là se dessinait, parmi ces faces attentives, l’encolure massive de Coffinhal ; là on entrevoyait parfois un spectateur funèbre, acteur horrible ailleurs, le Laubardemont de la république, le Jeffryes de la révolution, Fouquier-Tinville, épais cheveux noirs, profil d’oiseau de proie, longue lévite, grosse cravate, gilet croisé, pantalon entrant dans de lourdes bottes à revers jaunes, venant, sa journée finie, à la Convention s’inspirer, ayant, comme beaucoup de juges, la férocité de sa place.

Cet homme ne se dérangeait que pour la Convention et le Comité de salut public, dont il prenait les ordres, vivait pour tuer, couchait au tribunal sur un matelas à terre, se plaignait de n’avoir pas le temps d’embrasser sa femme et ses enfants, n’embrassait que la guillotine, maîtresse à laquelle il donnait toutes ses heures et qui finit par refermer ses deux bras rouges sur lui.

Là se montra un moment, dans un rayonnement de gloire vite effacé, ce lamentable Dumouriez, un intrigant dans un vaillant, sauvant la France et la vendant, élevant l’Argonne à la hauteur des Thermopyles et terminant l’épopée par un imbroglio, sublime sur le théâtre, abject dans la coulisse, ayant dans l’histoire le commencement d’un héros et la fin d’un traître, quelque chose comme Léonidas pensionné par Xercès. Là se pressaient, mêlés à la sombre foule, ce municipal Albertier qui, voyant sur la cheminée de Louis xvi, au Temple, une horloge signée Lepaute, horloger du roi, avait mis un pain à cacheter sur le mot roi, Duplay, hôte de Robespierre, Brochet, séide de Marat, Monville, ami d’Égalité, Talleyrand, ce masque.

On y voyait des femmes. L’histoire se souvient des terribles ; Mercier les appelle tricoteuses et pourvoyeuses de guillotine. Elles assistaient à la Convention comme les Euménides assistaient à l’Olympe. Mais en regard des farouches, il y avait les charmantes. Tous ces hommes aimaient. Vergniaud aimait mademoiselle Candeille, la Belle Fermière, qui venait l’entendre et le voir. Buzot aimait madame Roland qu’on apercevait quelquefois dans une pénombre, voilée ; Tallien aimait Thérésa Cabarrus ; Hérault de Séchelles aimait une jeune femme qu’il avait ramenée de sa mission de Savoie et dont il a emporté le nom dans le tombeau ; outre mademoiselle Candeille, une jeune fille venait pour Vergniaud, celle à laquelle, le jour de sa mort, il envoya sa montre où il avait gravé avec une épingle la date : 16 octobre. Dans les tribunes étaient venues les deux maîtresses de Dumouriez, celle de Bretagne, madame de Beauvert, et celle de Belgique, « la jeune Crumpipen », comme l’appelait Duhem. Lodoïska venait pour Louvet, la marquise de Montendre pour Fayau, madame de Thorin pour Saint-Just, Élisabeth Duplay pour Le Bas, Lucile Desmoulins pour son mari, madame de Sainte-Amaranthe, Catherine Théos, madame Amblard et la marquise de Chalabre pour Robespierre ; et, dès qu’elles avaient pris place, Gorsas fredonnait le couplet de Girey-Dupré :

Suivi de ses dévotes,
De sa cour entouré,
Le roi des sans-culottes,
Robespierre est entré.

chanson qui fit tomber la tête de celui qui l’avait faite et de celui qui l’avait chantée. La marquise de Laubespin venait pour Marat, ce qui n’empêchait pas Marat de dire en regardant la loge où étaient ces femmes : Tas de concubines !

Ces belles n’avaient pas de cheveux ; elles les coupaient pour s’en faire des perruques. C’était la mode : Suzanne de Saint-Fargeau, en épousant le riche hollandais de Witt, reçut en cadeau de noces douze perruques. Madame Dufresnoy fut célèbre quelques mois pour sa pièce Armand ou le bienfait des perruques. Ces bizarreries étaient la mode.

Ces têtes curieuses, ces visages émus, ces faces inquiètes, épiaient, scrutaient, sondaient l’assemblée. Tous ces yeux fouillaient toutes ces consciences.

On considérait, au banc du pouvoir exécutif, Tondu Lebrun, ministre des affaires étrangères, Monge, qui, plus tard, installa au Capitole la république romaine, Pache, qui avait un désaccord inquiétant entre le regard et le sourire, Garat, qui, le chapeau sur la tête, avait lu l’arrêt de mort à Louis xvi comme Bradshaw à Charles ier, avec cette différence qu’ensuite Bradshaw mourut proscrit et Garat sénateur. On tendait l’oreille et l’on entendait le philosophe Garat chuchoter : Les hommes et les grandes assemblées ne sont pas faits de façon que d’un côté il n’y ait que des dieux et de l’autre que des diables. On entendait Marat crier : Femme Roland, rendez compte des deniers du peuple que vous avez dilapidés !

On regardait, aux deux extrémités de la haine et de la colère, ces deux figures féminines aux yeux bleus, Louvet et Saint-Just ; Louvet criant : Hommes de la montage, vous périrez ! Saint-Just disant : Je prête serment à l’avenir. On regardait circuler de banc en banc les journaux de Prudhomme, de Loustalot, de Camille Desmoulins, de Marat, d’Hébert, d’autres, le journal de Barère, le Point du jour, le journal de Gorsas, le Courrier de Versailles, le journal de Louvet, la Sentinelle, le journal de Tallien, l’Ami des citoyens. La foule voyait Danton se pencher à l’oreille de Bentabole au moment même où il murmurait ce mot qui a porté témoignage contre lui : Je n’avais que deux issues, sauver Louis xvi, ou le perdre. On cherchait du regard Carnot, le dictateur militaire, et Cambon, le dictateur financier ; l’un qui a fait la Grande Armée, l’autre, qui a fait le Grand Livre. On reconnaissait ceux-ci à leur élégance, ceux-là à leur cynisme ; car tous les costumes étaient là, depuis la lévite à double collet de Barbaroux jusqu’à la carmagnole de Chabot aux jambes nues, depuis l’escarpin de Laclos jusqu’aux sabots de Camboulas. Quelques représentants portaient au cou un ruban auquel était suspendue une petite plaque dorée figurant les tables de la loi.

On questionnait son voisin sur Fabre d’Églantine, à peu près sans cravate, allant et venant de la Gironde à la Montagne, avec son gilet à carreaux et son habit à boutons de corne, ayant un œil plus haut que l’autre, ce qui lui donnait l’air habituellement étonné. On se désignait du doigt la haute taille de Barère, le grand col et les favoris de La Source, le grave visage d’Anacharsis Clootz, prussien qui dédaignait la Prusse et adorait la France, le front pensif de Vergniaud, l’illustre profil de Condorcet. Toutes les prunelles se fixaient sur Camille Desmoulins, tout jeune, se promenant au pied de la tribune entre les deux témoins de son mariage, Brissot qui devait mourir par lui et Robespierre par qui il devait mourir. Personne ne faisait attention à l’homme qui devait trancher le nœud énorme, à cet obscur représentant Louchet, dont la destinée était de ne dire qu’un mot, un seul mot : Je demande l’arrestation de Robespierre, et de faire le 9 thermidor.

Cette assemblée péremptoire parlait une langue diffuse. Cette tribune délayait l’absolu. Jamais on ne vit tant de concision dans les actes et tant de prolixité dans les paroles. Les décrets tranchaient, l’éloquence émoussait. Rien d’étrange comme la déclamation dans l’abîme. Coups droits, et phraséologie indécise. Une amplification molle et vague se répand sur tous ces fermes profils d’hommes, et voile d’on ne sait quelle faconde pompeuse les grandes lignes des catastrophes. Le terrorisme était racinien. Des têtes qui allaient être coupées parlaient comme on parle à l’Académie. Couthon haranguait comme Théramène. C’était quelque chose comme la redondance noble des tragédies classiques, une emphase terne, la sauvagerie recourant à l’élégance, toujours l’action directe et jamais le mot propre, des périphrases à travers lesquelles tombait le couteau de la guillotine.

On enguirlandait de périodes la simplicité sinistre de l’échafaud. Un massacre s’appelait « une hécatombe », on ne disait pas tuer, on disait : immoler. On attestait des mânes. Le couperet de Sanson, pris en bonne part, était « le fer vengeur de la loi » et, pris en mauvaise part, « la hache des proscripteurs ». L’espagnol était l’ibère, le savoyard était l’allobroge. Anacharsis Clootz, pour dire : Nous prendrons la Hollande. disait : le batave nous attend avec ses troupeaux nombreux. Saint-Just vantait « la volupté d’une cabane et d’un champ fertile cultivé par vos mains ». Dubois de Crancé s’écriait : « Que Louis périsse, et disons ensuite au peuple : Fais voler nos têtes sur l’échafaud ». On veut nous faire assassiner, cela se traduit, c’est Vergniaud qui parle, par : « On nous menace du glaive des assassins ». C’est encore Vergniaud qui pour dire « nous tuerions un dictateur », dit : un chef ne paraîtrait parmi nous que pour être à l’instant percé de mille coups. David, pour dire : je ne suis pas orateur, je suis peintre, dit (29 mars 1793) : « Le ciel, qui répartit ses dons entre tous ses enfants, voulut que j’exprimasse mon âme et ma pensée par l’organe de la peinture, et non par les sublimes accents de cette éloquence persuasive que font retentir parmi nous les fils de la liberté. » Voter contre le jury, c’est « saper le boulevard de l’innocence ». Barbaroux dit : « Vos commissaires dans le département des Bouches-du-Rhône se sont présentés comme des torrents dévastateurs, comme des rochers de la montagne, écrasant les troupeaux et les plantes, mais Marseille, comme un chêne inébranlable, les a arrêtés dans leur cours. » Carra rend compte d’une action à laquelle il a assisté, et pour dire : « Nous avons battu l’ennemi », il dit : « Nous avons vu la victoire suivre nos drapeaux ». Les communications de la Commune à la Convention sont du même style ; Pache, assisté de Dorat-Cubières, écrit : « Les républicains n’ont qu’à paraître sous les drapeaux de la liberté dans les départements où les révoltés osent lever un front audacieux, pour les faire rentrer dans la poussière ». On ne dit pas : « Faites sonner le tocsin », on dit : il faut que l’airain frémisse. Des femmes enceintes ont avorté dans les foules qui se pressent aux portes des boulangers. Mercier dit : « Que de précieux gages de l’amour conjugal ont été anéantis à la source de la vie ! »

Le même Mercier, pour dire que les femmes ne mettent pas de fichus, écrit : « Sous une gaze artistement peinte palpitent les réservoirs de la maternité ». La Source se justifie par cette explication : « Eh quoi ! nous conspirerions pour avoir le plaisir de voir tomber nos têtes !) (12 mars 1793). Guadet veut dire : je suis pauvre, il s’écrie : « Voyez-moi arriver à l’Assemblée. Suis-je traîné par des coursiers superbes ? » Robespierre, exprimant la même idée, dit : « Où sont mes trésors ? »

Cela n’empêche pas cependant Robespierre de trouver par moments, même dans ce style, de magnifiques et effrayantes formules. Ainsi : « Le glaive des lois, jusqu’à ce jour, n’a été que vertical ; il tombe de haut en bas ; je le veux horizontal ». Ce mot tragique, c’est tout 93. Robespierre, du reste, avait parfois des accès de style ferme et franc. Ainsi il disait, dans un vrai langage lapidaire : J’entends appliquer la peine de mort à la royauté. Et il émettait, avec un laconisme magistral, cette pensée d’où est sortie la Terreur : avoir des entrailles pour les oppresseurs, c’est n’en point avoir pour les opprimés.

Mais le jargon solennel dominait. Le côté faux du style du dix-septième siècle a influé sur la langue jusqu’à la fin du dix-huitième, et le mauvais goût de la littérature royale étalait ses phrases en pleine Convention.

En même temps on était « sensible », adjectif à la mode. Ceci était l’influence de Raynal et de Mably. Un représentant, Delagueulle, nom qui fit rire dans une heure funèbre, votait ainsi sur Louis xvi : « Je suis un homme sensible, mais pas de fausse pitié ; la mort. » Un autre, Cassanges, disait : « C’est avec la plus grande sensibilité que je vote la mort. »

On s’injuriait avec un choix bizarre d’expressions. Danton qualifiait Marat « acerbe et volcanique ». Danton, disons-le, à force de vraie éloquence et de spontanéité fougueuse, échappait habituellement au singulier langage régnant ; mais s’il y tombait par hasard, il dépassait tout ; il lui arriva un jour de dire : Je me suis retranché dans la citadelle de la raison, j’en sortirai avec le canon de la vérité.

Les néologismes abondaient. On scélératisait un monument ; on emphasait un acte ; on dépanthéonisait un homme. On dédéifiait une idole. Marat lui-même cherchait le beau langage ; Dumouriez ayant dîné chez Talma, Marat écrivait : un enfant de Thalie fête un enfant de Mars.

Il est plus difficile de tuer la rhétorique que la monarchie.


robespierre, danton, marat.

De quelque parti qu’on soit, à quelque hauteur ou à quelque profondeur qu’on soit placé, quel que soit le point de vue qu’on choisisse, on voit au sommet de cette assemblée trois hommes. Trois grands hommes ? non. Trois géants ? oui. Robespierre, Danton, Marat.

Trois silhouettes noires dans ce flamboiement.

Ces trois hommes étaient sur la Convention. Elle craignait le premier, aimait le second et haïssait le troisième.

Elle décapita celui qu’elle aimait et celui qu’elle craignait, et déifia celui qu’elle haïssait.

Un défilé de spectres rend fixe le regard de l’historien. Qui sont ces trois hommes ?

Robespierre, dans cet embrasement d’âmes qu’on appelle la Révolution, eut la toute-puissance de la froideur. Il fut le glacier de cet Etna. Il est peut-être le seul ouvrier d’une grande œuvre qui ait eu le fanatisme sans l’enthousiasme. Jamais homme ne fut plus complètement l’homme fatal. Il composait et nourrissait sa rigidité de faits, de chiffres, d’apophtegmes, d’axiomes, de chimères. Sa parole décrétait. Il avait habituellement l’attitude et le silence des hommes attentifs à l’Inconnu qui leur parle à l’oreille. C’est aux incorruptibles seulement qu’on peut pardonner d’être inexorables ; il était incorruptible. Il était exact, secret, altier. Garat écrivait : J’ai demandé une entrevue à Robespierre. Il me l’a accordée avec insolence. Robespierre demeurait au numéro 396 de la rue Saint-Honoré, chez le menuisier Duplay, ancien protégé de madame Geoffrin. Robespierre habitait une mansarde avec fenêtre sur le toit ; il avait un pupitre de sapin, quatre chaises de paille, un lit de noyer, des tablettes de bois blanc contre le mur où étaient ses papiers rangés en ordre, et écrivait ses discours avec une tragédie, Athalie ou Esther, ouverte sur sa table. Il n’improvisait pas, si ce n’est dans les cas extrêmes. Il parlait longuement. Mercier l’appelle avocat de sept heures. Il était défiant, minutieusement renseigné. Il portait toujours sur lui un carnet où l’histoire a dû jeter les yeux et où on lisait des notes comme celles-ci : « Bourdon de l’Oise a été vu ce matin dans la rue, immobile, réfléchissant. — Tallien a marchandé ce matin des livres sur le quai. Il regardait de côté et d’autre. — » Et cette ligne écrite de sa main : Bourdon de l’Oise semble agité par les Furies. Le soir du jour où il vota la mort de Louis xvi, il rentra, et ne dit pas une parole. Quand le fiacre où était Louis xvi allant à l’échafaud passa devant sa fenêtre, il la fit fermer. Il disait : Les grossièretés du père Duchêne manquent de respect au peuple. Il était toujours poudré de frais, ce qui faisait dire à Hébert : Robespierre a la nourriture du pauvre dans ses cheveux. Le soir, il se chauffait au feu des copeaux de menuisier où faisaient cercle Saint-Just, Lebas, le serrurier Didier, l’imprimeur Nicolas, et une femme noble, madame de Bruyères-Chalabre. Robespierre allait quelquefois au Théâtre-Français, jamais à d’autres théâtres, travaillait volontiers la nuit, sortait toujours seul, et suivi d’un chien appelé Brount ; quelquefois ses amis l’escortaient de loin ; il s’en fâchait. À la Constituante, il n’avait donné la main qu’à Pétion et aux Lameth ; à la Convention il ne la donnait qu’à Camille Desmoulins. Il ne riait jamais en public. Il n’avait été ni du 14 juillet, ni du 6 octobre, ni du 20 juin, ni du 10 août, ni du 2 septembre, d’aucune journée ; Danton de toutes. Robespierre était avant tout puriste. Sa politique, comme sa morale, ressemblait à une syntaxe.

Ni Robespierre, ni Danton, ni Marat, ni même Mirabeau, n’existent par eux-mêmes. Insistons-y, il est presque inutile de les juger comme hommes. Autant juger les pierres que jette une fronde. Qui est responsable ? la fronde ? non. Pas même la fronde. Qui donc ? le bras. Allez chercher ce bras au fond de l’infini.

Les hommes qui existent par eux-mêmes, ce sont les penseurs. Ils veulent ce qu’ils font, et ce qu’ils font ne les mène pas. Aussi sont-ils les seuls responsables, et dans l’absolu, les seuls grands. Molière est responsable, Voltaire est responsable. Les autres, qu’on appelle hommes d’action, ne sont que des lutteurs ; leur travail les domine, leur œuvre les tyrannise ; nous venons de le dire, ils ont pour collaborateurs les événements, plus hauts qu’eux. La révolution est plus grande que ses hommes ; aussi cette colossale femelle a tué tous ses mâles. Ils l’ont fécondée et elle les a dévorés. Rien de pareil dans les régions de l’esprit pur ; là est la vraie toute-puissance et la vraie immortalité du génie humain. Faire l’Iliade est plus beau que prendre Troie ; Homère est plus grand qu’Achille[25].

Robespierre, Danton, Marat, ce sont trois ignivomes précédant la lumière, trois dragons au service d’un archange, trois foudres déblayant les nuées devant l’astre.

Danton était haut, Robespierre moyen, Marat bas.

Trois puissances s’entre-dévorant. Danton, dans la logique des situations, et d’après la quantité de racine que chacun avait, devait tomber le premier, Robespierre le second, Marat le troisième. Charlotte Corday sauva Marat.

Grâce à elle, Marat ne tomba pas, il mourut.

Robespierre, Danton, Marat. Triangle d’hommes. Figure vivante du mystérieux couperet qui a tranché la tête au passé.

Ces trois termes, peuple, nation, populace, représentent le triple organisme de la révolution. Cité, Patrie, Place publique, et expliquent cet effrayant engrenage du droit dans la violence et de la fureur dans la justice qui a été la Terreur.

La Terreur a été fatale dans tous les sens du mot, c’est-à-dire nécessaire et funeste. Nécessaire, car elle est une addition ; funeste, car sans la Terreur les États-Unis d’Europe seraient aujourd’hui fondés, et c’est la Terreur qui a refoulé et fait rentrer dans les poitrines l’aspiration des peuples vers la grande république humaine. À qui l’échafaud a-t-il rendu service ? Au trône. Il y a fraternité entre ces deux tréteaux adossés l’un à l’autre depuis quatre mille ans ; et même quand ils se combattent, ils s’entr’aident.

Sans la Terreur aucun prétexte aux polémiques ; la Terreur a été l’argument intarissable, et c’est sur elle que s’est appuyée l’immense calomnie royaliste. Ôtez la Terreur, pas de dix-huit brumaire possible, pas de restauration présentable, Bonaparte fût resté Bonaparte, les Bourbons fussent restés des fantômes et n’eussent pas été des revenants. La Terreur a effrayé les faibles, cette vaste force confuse, heurté ce qu’il y a de tendre dans la conscience, bouleversé tout l’horizon, et rendu la monarchie acceptable. La Terreur a défiguré l’avenir par une interposition affreusement transparente de supplices et d’échafauds. Maintenant, la Terreur pouvait-elle être évitée ? Question profonde. Dans quelle proportion la Terreur se rattache-t-elle aux lois dynamiques ?

La Terreur a été le recul redoutable de la révolution lançant son projectile ; toute machine de guerre offre ce contresens ; l’affut va en arrière pendant que le boulet va en avant. Recul dans la tyrannie connexe à l’éruption dans la liberté ; l’un soldant l’autre. Tel est le phénomène.

Le correcteur d’épreuves de la Révolution, c’est Robespierre ; il revoyait tout, il rectifiait tout ; il semble que, même lui disparu, la lueur sinistre de sa prunelle soit restée sur ce formidable exemplaire de progrès. Robespierre soignait son style comme son costume ; il ne risquait une phrase qu’en grande toilette. Il haïssait le sublime ; il trouvait Mirabeau excessif, Danton énorme. Énorme, dans cette bouche serrée et mince, était une critique. Il avait le goût d’un certain beau médiocre. Racine était son poëte, David était son peintre. S’il eût connu Bonaparte, il lui eût préféré Moreau. Il reprochait à Buonarotti son aïeul Michel-Ange.

Il était vertueux comme il était propre. Il ne pouvait souffrir sur lui ni un grain de poussière ni un vice. Sa probité faisait partie de sa correction. Il ne fut pas la raison de la révolution, il en fut la logique ; il en fut plus que la logique, il en fut l’algèbre. Il eut l’immense force de la ligne droite ; il en eut aussi l’impuissance. Le défaut de sa politique fut celui de sa littérature, l’abstraction. Avec cela sagace, trouvant le joint, voyant juste. Pas un homme ne fut plus bourgeois, pas un homme ne fut plus populaire.

Robespierre fut terne, pâle, froid, prodigieux. Robespierre avait été un enfant rieur ; adolescent, il aimait les oiseaux, apprenait par cœur Gresset, rimait des bergerades comme Saint-Just. Fadaises préludant aux rugissements.

Un exterminateur charmeur, est-ce que cela est possible ? Oui. Car ce charmeur et cet exterminateur, ce fut Danton.

Danton, visage large, narines ouvertes, œil qui menace et attire à la fois, cynique mélancolique, paresseux tonnant, marqué de petite vérole comme Mirabeau, aussi corrompu et plus courageux, ayant la même nonchalance dans la fougue, plus capable de crime et moins déshonoré par le vice, meilleur et pire, ayant l’instinct du vrai, du tendre et du juste, adorant sa jeune femme, féroce à ses heures, affreux quand on voit ses bas côtés, sublime pourtant, sphinx lui aussi, et, comme Mirabeau, ayant une face de génie et une croupe de monstre.

Il y avait en Danton un Hercule ; son éloquence avait des muscles. Robespierre était dédaigneux, Danton aussi ; mais le dédain de Danton était joyeux, tandis que le dédain de Robespierre était rêveur. Après les tremblements de terre de la place publique, ce que Danton aimait le mieux, c’étaient les fleurs de son petit jardin d’Arcis-sur-Aube ; Danton jetait son argent, sa santé, son temps, sa vie.

Ce prodigue avait les coudes râpés d’un avare, il achevait d’user à la tribune son vieil habit rouge d’ancien ministre de la justice. Il avait la réconciliation brusque ; le 2 juin, il demande la tête d’Henriot, puis le rencontre à la buvette, lui tend son verre et lui dit : Pas de rancune. Robespierre écrivait tout, Danton n’écrivait rien ; il faisait écrire par Fabre d’Églantine ce qu’il signait.

Il y a eu deux Mirabeaux : Mirabeau et Danton.

Frères effrayants. Le même colosse ne pouvait convenir aux deux âges de la révolution. Le premier Briarée suffisait à 89 ; pour 93, il en fallait un deuxième, qui fût pareil et qui fût autre. Nécessité des événements qui ont pour loi de s’incarner dans les hommes. De là Danton. Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole. Dans les profondeurs crépusculaires de l’histoire, Mirabeau et Danton mêlent leurs branches, de façon que par instants on ne distingue plus l’arbre terrible de l’arbre horrible.

Marat fut une espèce d’invisible, présent partout. Être senti sans être vu, c’est le propre des dieux et des démons. Marat apparaissait à la Convention, à la Commune, aux Cordeliers, puis disparaissait. Il vivait caché. Où ? on ne savait. Il avait la laideur sépulcrale. Face de cuivre jaune avec dents qui semblaient vertdegrisées. Trois femmes l’aimèrent, une femme du monde, la marquise de Laubespin, une femme de théâtre, mademoiselle Fleury, et une femme du peuple, Simonne Évrard, qu’il appelait tantôt Catherine, tantôt Albertine. Camille Desmoulins disait : Marat, c’est un poing crispé qui sort de terre.

La Convention traitait Marat avec mépris, il la traitait avec hauteur. Un jour, le 9 juillet, il écrivit à la Convention une lettre pour réclamer « la mise à prix des têtes des Capets rebelles ». Et Bréard s’écria : On opine dans l’assemblée et non dehors. Je demande l’ordre du jour. Marat avait des refuges ; d’abord chez l’actrice, mademoiselle Fleury, puis chez un curé, Bassal, puis chez un boucher, Legendre. De la cave de Legendre, il passa dans les souterrains des Cordeliers. Il avait fait un livre sur et pour l’immortalité de l’âme. Il était suisse, comme Rousseau. Voltaire lui avait écrit : Rentrez dans le néant, votre empire.

Il vendait ses chaises de paille et son bois de lit pour payer son imprimeur. Il avait, en 1789, vendu lui-même dans la rue aux passants un remède de son invention. Il fit d’abord un effet d’ombre ; on n’y croyait pas ; madame Roland demandait à Danton : Est-ce qu’il existe, ce Marat ? Il était sur la liste d'hommes achetables du duc d’Orléans. Il avait été recommandé aux électeurs pour la Convention par Chabot et Taschereau. Marat disait : « J’aimerais mieux ne jamais mourir que d’être au Panthéon à côté de Mirabeau ». Il alla au Panthéon pourtant, et il en chassa Mirabeau, qui, reflux inexorable, jeté à l’égout, l’y attira. Marat n’était pas plus un écrivain que Robespierre n’était un orateur ; ces hommes étaient des forces. Un jour la Convention rejeta Marat, l’envoya se faire juger dehors et le livra au tribunal révolutionnaire ; Marat revint dans les bras de la foule, en triomphe, ayant sur la tête, par-dessus son madras sale, une couronne de laurier.

Marat entrevoyait l’hébertisme, en surveillait la formation, le pressentait, le flairait comme le lynx flaire le chatpard et le redoutait. Quand il fut de la Convention, il sortit de son souterrain et habita rue de l’École-de-Médecine, no 18, un petit logement de quelques chambres. On peut voir encore la maison. Il vivait là avec Simonne, qui avait quitté son mari pour lui, et s’était faite sa servante. Couple étrange et douloureux. Elle était pâle, il était livide. On entendait jour et nuit elle tousser, lui gronder. Les yeux de Marat, blessés du jour, clignotants, arrogants, s’adoucissaient pour Simonne. Ces deux spectres s’aimaient. Marat, les pieds souvent nus dans de gros souliers à clous, toujours un poing dans ses cheveux, passait quinze heures de suite devant une table où était son encrier en forme de cornet, disputait, mais ne causait pas, écrivait sans cesse, dormait peu. Nul talent, une puissance énorme. Sorte de malade formidable, appuyé d’un côté sur le faux, de l’autre sur le vrai. Robespierre avait toujours Racine ouvert sur sa table, Marat avait l’évangile.

Pourquoi de tels hommes ?

Pourquoi Robespierre, Danton et Marat ?

Parce qu’il le faut.

Certaines heures veulent certains hommes. En 93, il y avait dans la révolution trois courants ; il y avait trois peuples dans le peuple : le peuple qui suivait Robespierre, le peuple qui suivait Danton, le peuple qui suivait Marat.

Le peuple qui suivait Robespierre, c’était le peuple. Robespierre incarnait l’être abstrait, le Peuple, créé par la révolution en regard de l’être vivant, l’Homme. L’homme est libre, le peuple est solidaire ; l’homme est multiple, le peuple est un ; l’homme a des devoirs, le peuple a des droits ; l’homme est un débiteur, le peuple est un créancier ; l’homme a la famille, le peuple a la commune ; l’homme a droit à la vie individuelle, le peuple a droit à la vie sociale. Trouver le trait d’union entre ces deux termes, combiner la liberté du premier avec l’unité du second, le Moi avec le Nous, et en composer la république, souder le peuple à l’homme, et de l’amalgame faire sortir le citoyen, cette haute pensée était le fond vrai de Robespierre. Il la sentait plus qu’il ne la sondait, mais elle était en lui. C’est par là qu’il est grand. Ce qui était dans Robespierre à l’état de rêve était dans le peuple à l’état de réalité. Le peuple portait dans ses entrailles ce fœtus, l’avenir, Robespierre était son précurseur. Il aima Robespierre comme le matin aime son étoile.

Le peuple qui suivait Danton, c’était la nation. Le peuple exprime une idée, la nation en exprime une autre. Tous deux, peuple et nation, ont la même âme, mais l’un représente cette âme au dedans, l’autre la représente au dehors ; cette âme se condense dans le peuple et rayonne dans la nation. C’est pourquoi Robespierre est la concentration, et Danton l’expansion. C’est pourquoi Robespierre s’émeut de la guerre civile et Danton de la guerre étrangère. Pitt et Cobourg résumaient leur double préoccupation. Danton faisait face à Cobourg, et Robespierre à Pitt.

Pitt inquiétait Robespierre ; ces deux hommes jeunes, gouvernant, l’un la France, l’autre l’Angleterre, interrompaient parfois, l’un son travail monarchique, l’autre son œuvre populaire, et se regardaient fixement. Robespierre était préoccupé de l’Angleterre, et Danton de l’Allemagne. Pour Danton, l’Europe était dans le camp prussien, pour Robespierre elle était dans le cabinet britannique. Ce que la coalition du continent fit sur Danton, le soulèvement de la Vendée le fit sur Robespierre. À la prise de Machecoul, l’étincelle jaillit de Robespierre comme, à la prise de Verdun, l’éclair avait jailli de Danton. Robespierre mit le doigt sur la Vendée, et dit : l’Angleterre est là. Il ne se trompait pas. Mais Danton de son côté avait raison d’être sinistre devant cette déclaration des monarchies : « Affamer Paris. Prendre Paris. Trier les habitants. Supplicier les révolutionnaires (écrit de la main du roi de Prusse). Envahir la France. Mettre le feu aux villes. Mieux vaut un désert qu’un peuple révolté (écrit de la main de l’empereur d’Allemagne). » C’est pourquoi, quand Robespierre disait au peuple : De la logique ! Danton criait à la nation : De l’audace !

Le peuple qui suivait Marat, c’était la populace.

La populace. Création difforme de la société. Fille sourde de cette mère aveugle. Lie de ce pressoir.

Tous les êtres frappés de la damnation sociale, toutes les faiblesses ayant sur leur chair une meurtrissure d’inégalité, toutes les misères d’invention humaine, c’est-à-dire d’autant plus réelles qu’elles sont factices, toutes les détresses crachées, vomies et revomies, bues et rebues par ce monstre qu’on appelait dans le passé la loi ; malades fouettés à l’entrée des hôpitaux parce qu’ils sont malades, vagabondages, plaies, mendicités, indigences châtiées, foule innombrable, innocents sortis de la chambre de torture absous et estropiés, soldats passés aux baguettes pour un pli à l’uniforme, femmes marquées V pour le maraudage d’une pomme, et W pour la récidive, filles tondues et faites de force prostituées pour un mot irrévérent à un exempt de police, délinquants ayant passé six mois liés par le cou debout jour et nuit les pieds dans la boue à la poutre basse du Châtelet, pères, mères, sœurs, frères, filles, femmes des braconniers accrochés au gibet pour une perdrix tuée, des faux-saulniers roués pour une livre de sel, des servantes suppliciées pour vol de cinq sous, des garçons de quinze ans envoyés aux galères pour chapeau gardé sur la tête au passage d’une procession, des prisonniers mitraillés en tas par les mousqueteries à travers les grilles des geôles, des enfants pendus sous les aisselles pour ce crime d’être frères d’un voleur, des religionnaires tels que Charnier qui fut rompu vif parce qu’il était le petit-fils d’un homme qui avait rédigé l’édit de Nantes, tout cela, toutes ces âmes lamentables, les spoliés du fisc, les dévalisés de Versailles, les affamés du pacte de Famine, les anciens patients des pénalités scélérates, pilori, tabouret, ceps, fer chaud, essorillement, poing coupé, émasculation, langue arrachée pour un jurement, in-pace à vie, hart, roue, bûcher, chaudière bouillante, écartèlement, toutes les faims, toutes les soifs, toutes les férocités nées du vieux tourment éternel, tous les produits de ces manufactures d’hommes horribles et de femmes obscènes que le code appelle maisons de correction, toutes les créations de ces usines qu’on nommait la Salpêtrière et Bicêtre, tous les chefs-d’œuvre de ces fabriques de bandits, tous les fronts bas d’ignorance, tous les yeux devenus myopes à force de stupeur sociale, toutes les bouches tordues par le sanglot, par le blasphème, par le rire furieux, par la chanson sale, par le baiser convulsif de la prostitution, par le hurlement bestial sous le fouet ou le bâton, toutes les poitrines pleines de haine, tous les cœurs débordant d’une écume de souffrances, toutes les consciences forcenées, toutes les passions qui s’abritent dans ces mots redoutables, rancunes, revanches, revendications, redressements, représailles, toutes ces iniquités qui ont dans leur abîme la justice, toutes ces démences qui au fond ont raison (hélas !), tout cela suivait Marat. Tout cela grondait quand Marat sifflait, haïssait quand il soupçonnait, frappait quand il blâmait, mordait quand il grinçait, tuait quand il dénonçait, et quand Marat tonnait, foudroyait.

Tout cela, tant que Marat vécut, le fit infernal, et quand il fut mort, le déclara divin.

Tout cela, qu’était-ce ? Votre œuvre, ô vieux monde évanoui. Par vos codes, par vos luxes, par vos exactions, par vos voies de fait, par vos vices, vous avez déchiré le peuple. De là la plèbe. La plèbe est le haillon social. Mob, foule, fex urbis, tout cela est de construction humaine. C’est le produit de notre industrie. Telle est notre habileté. Marat, c’est le mal souffert devenu le mal vengeur. C’est le patient changé en bourreau. Transfiguration épouvantable. Il ne tiendrait qu’à nous que ce que nous appelons « la canaille » ne fût pas. Cette chose qui nous effraie, c’est nous qui la fabriquons. Les lois font les bagnes, les mœurs font les lupanars. La lumière crée le peuple, la nuit enfante la plèbe. La veste rouge du forçat est taillée dans la robe rouge du juge. Les conservateurs de l’ignorance sont les producteurs de monstres. Ô sociétés humaines, voulez-vous n’avoir pas de Marats, ne faites pas de populaces.

Marat a ceci qu’il est original.

Robespierre et Danton ont des analogues ; Marat n’en a pas. Lycurgue est un Robespierre, Dracon est un Robespierre, Caton l’Ancien est un Robespierre, Louis xi est un Robespierre, Pierre Arbuez est un Robespierre, Richelieu est un Robespierre. Danton, on vient de le dire, a son semblable, Mirabeau ; trop près de lui peut-être, car l’un gêne l’autre. Quant à Marat, il est sans pareil dans l’histoire. Rien ne lui ressemble et il ne ressemble à personne ; Marat est un cas de tératologie historique ; Marat est un être inouï, disproportionné, invraisemblable, qui, même après qu’on a constaté qu’il est réel, semble impossible. Il vit de haine, et il en meurt. Est-ce un tyran ? non. Il n’a pas eu le pouvoir. Est-ce un bourreau ? non. Il a rêvé l’échafaud, il ne l’a pas dressé. Est-ce un brigand ? non. Il est seul, pauvre, et il ne répand que de l’encre. Qu’est-ce donc ? c’est un problème. C’est le martyr de ce qu’il éprouve et de ce qu’il inspire ; c’est un despote qui est opprimé ; c’est un médecin qui est malade ; c’est un tourmenteur qui est torturé ; c’est un assassin qui est assassiné. Marat, c’est Marat.

Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat.

Même victorieux, Marat était funèbre. Le jour de son triomphe, il s’écria : Couronne de laurier sur ma tête, et corde au cou des Girondins !

Marat s’est formé goutte à goutte.

S’irriter contre Marat, c’est s’irriter contre un stalactite.

Regardez cette voûte, c’est l’histoire. Rocher monstre, formation terrible, plafond sinistre du genre humain. C’est de là que Marat a suinté. Un cœur a été composé de ce qui est tombé de Busiris, de ce qui est tombé de Tibère, de ce qui est tombé de Borgia, de ce qui est tombé de Philippe ii, de ce qui est tombé des autodafés, de ce qui est tombé des dragonnades, de ce qui est tombé de Damiens, et le résidu vivant de cette filtration épouvantable, c’est Marat.

Et Hébert ? dira-t-on. Est-ce que ce n’est pas un Marat ? Non. Il y a un abîme entre Hébert et Marat. Hébert est le misérable, Marat est la misère.


Voici un autre développement, dont la conclusion est la même et qui par l’écriture nous semble antérieur de quelques années au dossier précédent.

Danton et Robespierre incarnent la révolution, Robespierre dans sa logique, Danton dans son génie.

Le jour où Robespierre guillotina Danton, le jour où la logique de la révolution en tua le génie, on put prévoir la fin, les flamboiements révolutionnaires sont transparents, le 9 thermidor fut visible, le rendez-vous de l’échafaud put être donné, et Danton put jeter ce cri à Robespierre : Dans trois mois ! Chose redoutable à méditer, Robespierre tuant Danton, c’est un suicide.

Robespierre froid, c’est la logique ; Robespierre s’échauffant devient l’envie. Or la logique ne doit point avoir de passion. Une parallèle ne doit point jalouser l’autre. Robespierre fit cette faute contre la géométrie qui était sa loi, et cette faute le tua. La logique doit être parfaite. Robespierre eut le tort de se sentir homme devant Danton. La destinée, cette justice obscure mystérieusement d’accord avec l’équilibre universel, frappa Robespierre à ce défaut de sa cuirasse : l’envie.

Il y a des hommes événements ; Robespierre et Danton sont de ces hommes-là. Ils personnifient des faits. Ôtez la révolution, Danton et Robespierre n’ont plus de raison d’être. L’histoire les ignorera. Ce seront deux avocats de province, obscurs, l’un déclamant à Arcis-sur-Aube, l’autre chicanant à Arras, à peine éloquents. La révolution les gonfle et en fait deux hommes énormes. Puissance des souffles.

La chicane de Robespierre devient nitre, soufre et vitriol ; la déclamation de Danton devient tonnerre.

Toute la révolution, rien que la révolution, voilà Danton et Robespierre. Toute la révolution, c’est Danton ; rien que la révolution, c’est Robespierre.

Marat est autre.

Robespierre et Danton, chacun à leur façon, veulent ; Marat hait.

Marat n’appartient pas spécialement à la révolution française ; Marat est un type antérieur ; profond et terrible. Marat, c’est le vieux spectre immense. Si vous voulez savoir son vrai nom, criez dans l’abîme ce mot : Marat, l’écho, du fond de l’infini, vous répondra : Misère !

Le gouffre, questionné sur Marat, sanglote.

Marat est un malade.

Malade de quelle maladie ? De l’antique maladie du genre humain. Malade de la fatalité. Malade de la souffrance. Malade de la famine. Malade de la guenille. Malade du grabat.

Tous les jacques, tous les pauvres, tous les maigres concentrés dans un squelette vivant, voilà Marat.

Marat n’est pas seulement malade, il est malsain. Il cherche à donner son mal. Il y a de l’hydrophobie en lui. Une rage inouïe lui tient lieu d’intelligence. Le propre de cette rage, qui n’est autre chose qu’un total de désespoirs, c’est, même rassasiée, de ne pas s’éteindre, et, après avoir dévoré, de continuer à mordre.

Marat a Louis xvi. Après Louis xvi, il lui faudrait Vergniaud, après Vergniaud, Danton, après Danton, Robespierre ; après Robespierre, que faudrait-il à Marat ? Marat.

Sur le radeau de détresse, est-ce que la misère n’en vient pas à dévorer la misère ?

Mais une question. Question étrange. La révolution étant donnée, de quel droit Marat y représentait-il la misère ?

De quel droit représentait-il l’ignorance, lui savant ? De quel droit représentait-il les bras nus et les pieds nus, lui médecin bien payé ? De quel droit représentait-il la haine des princes, lui officier de la maison d’Artois ?

Était-ce donc un hypocrite ? non. Jouait-il un rôle ? non. Avait-il un masque ? non.

Marat, c’est la conviction ; Marat, c’est la probité épouvantable ; Marat, c’est le tigre ayant foi. Il est incorruptible comme le bronze de son cœur. Marat croit. Marat n’a pas souffert, et pourtant il est la souffrance ; on ne lui a pas fait de mal, et pourtant il se venge. Il se venge de quoi ? de tout le mal qu’on a fait au genre humain. Où ? partout. Quand ? toujours. Quant à lui, il n’a pas à se plaindre, et il écume.

Mais il est donc une autre personne que lui-même ? est-ce possible ? Comment cela se fait-il ? Ici de certains côtés effrayants du mystère se laissent entrevoir, et l’intuition révèle ce pourquoi qui échappe à la raison. Les apocalypses révolutionnaires sont des palingénésies. Dans toutes les époques qui sont des résultantes, toutes les incarnations sont requises par le besoin des événements ; la nuée est profonde, les langues de feu du gouffre volent, des âmes redoutables cherchant des corps, errent au-dessus des multitudes, ces âmes sont des idées, elles flottent dans l’ombre, puis tout à coup tombent sur une tête, s’abattent sur un passant, emplissent un homme, oblitèrent sa conscience, remplacent le moi de cet homme par le moi mystérieux des foules, allument sous ce crâne une hydre de passions, et alors c’est formidable, on entend un rugissement surhumain qui est aussi un gémissement ; un inconnu, inconnu à lui-même, se dresse, les foudres blêmissent une face dans les ténèbres, et tout l’immense abîme est subitement éclairé par cette apparition, Marat !

Ces hommes, plus et moins qu’hommes, sont des fonctionnaires de la ruine ; ils ont une mission, qui est l’écroulement. L’horreur les environne et les enveloppe, et les garde jusqu’à ce qu’elle les tue. Un matin l’horreur publique se fait femme, prend un couteau, entre dans leur chambre, et les poignarde dans leur baignoire. On guillotine Charlotte Corday, Bruto major, et l’on dit : Marat est mort. Non, Marat n’est pas mort. Mettez-le au Panthéon ou jetez-le à l’égout, qu’importe, il renaît le lendemain.

Il renaît dans l’homme qui n’a pas de travail, dans la femme qui n’a pas de pain, dans la fille qui se prostitue, dans l’enfant qui n’apprend pas à lire ; il renaît dans les greniers de Rouen, il renaît dans les caves de Lille ; il renaît dans le grenier sans feu, dans le grabat sans couverture, dans le chômage, dans le prolétariat, dans le lupanar, dans le bagne, dans vos codes sans pitié, dans vos écoles sans horizon, et il se reforme de tout ce qui est l’ignorance, et il se recompose de tout ce qui est la nuit. Ah ! que la société humaine y prenne garde, on ne tuera Marat qu’en tuant la misère ; Charlotte Corday n’a rien fait ; tant qu’il y aura des misérables, il y aura sur l’horizon un nuage qui peut devenir un fantôme, et un fantôme qui peut devenir Marat.


Puis, parmi des notes sur la Convention, ces fragments :

En 1791, Danton demandait un supplément de révolution. Il l’a obtenu. Ce supplément de révolution, c’était la guillotine qui a fait tomber sa tête.


Danton. — Phrases courtes. Grosse voix. — Geste brutal. — Gai. Farouche. Fait rire les clubs. Un héros dans un tribun. Un bourreau dans un apôtre. — Laid.

L’espèce de tonnerre propre à 93. Mirabeau n’eût pas suffi. Son genre de foudre ne dépassait pas 89.

Trivial. Sublime. — Pourtant presque lettré. — Né bourgeois. Avait une petite maisonnette avec jardin sur la rivière, à Arcis-sur-Aube. — Avait une crinière, comme Mirabeau.

Son beau-père, second mari de sa mère, était un M. Ricordin, qui avait pris soin de son éducation. — Petit, au collège de Troyes, ses camarades l’appelaient Catilina. (Est-ce bien sûr ?) Danton avait cela d’étrange, il était bon.


Convention : — Cri de Danton : Quand Paris périra, il n’y aura plus de république.


Danton. — Ce fougueux était adroit. Le lion est chat.


Danton. — Garat l’appelait le grand seigneur du sans-culottisme.


Mirabeau tonnait, Danton bougonnait ; c’était tout de même la foudre.


L’évêque Fauchet, prêtre assermenté, appelle Robespierre : Vipère d’Arras, rejeton de Damiens.


Est-ce que tu crois, s’écria Danton, que j’ai confiance dans ton Loménie de Brienne, qui a été ministre du tyran, qui est archevêque de je ne sais quoi…

— De Sens, dit Robespierre.

— De Sens, et qui s’en va en carmagnole et en bonnet rouge voter pour Lepelletier Saint-Fargeau !

Marat intervint. — Il a peur. Je sais qu’il a demandé à Condorcet du poison de Cabanis, et qu’il s’empoisonnera.

— Ainsi soit-il, dit Danton.

Marat fit un signe de croix, et rit.


Janvier 1793.

Robespierre dit (lettre à Vergniaud, Guadet, Gensonné et Brissot) : « Les feuilles de Marat ne sont des modèles de style ni de sagesse. »


Note écrite de la main de Robespierre : — « Quels sont les moyens de terminer la guerre civile ? envoyer des troupes patriotes sous des chefs patriotes. Faire des exemples terribles. »


Marat avait tout ce qu’il fallait pour être dénoncé par Marat ; il avait été médecin des écuries d’Artois (domesticité d’un prince, et de quel prince ! du prince de Coblenz !) et amant de la marquise de Laubespin (relations coupables avec une ci-devant).


Marat était un foie malade. La misère intérieure était visible sur sa face. Il était couvert de taches hépathiques. Lèpre hideuse, disait Vergniaud.


Marat, ce n’est pas un homme, c’est une plaie sociale vivante, une plaie devenue bouche, qui saigne et qui hurle[26].


Ne flattons pas les catastrophes ; la révolution a été toujours utile, parfois horrible.

Il faut regarder ces hommes, D., R., M., avec virilité. Ils sont effrayants, mais nécessaires. Monstres, mais prodiges.


Ces tragédiens avaient au-dessus d’eux leurs parodistes. Hébert était la grimace de Robespierre, Chaumette était la grimace de Danton

Personne ne pouvait parodier Marat. Sa face était sa grimace[27].


Robespierre, vertuprobité, Danton, génie, Marat, enviefolie.


Entre Danton corrompu par l’argent et Marat corrompu par l’envie, l’incorruptible, Robespierre.


Dans le dossier Tas de pierres (Histoire), nous trouvons, de l’écriture de 1830 à 1835 environ, ces lignes sur Danton :

Danton aimait les fleurs, les femmes, les enfants, la nature, le printemps, et souvent, au milieu de l’action terrible à laquelle il était fatalement mêlé, le formidable tribun se prit à regretter avec angoisse la douce vie du rêveur et du poëte. Il y avait un homme dans ce taureau d’airain, et quand la fournaise révolutionnaire commença à lui flamboyer sous le ventre, on entendit rugir la passion humaine enfermée dans cette enveloppe de bronze.


Robespierre avait rêvé d’être un Jésus-Christ ; mais on ne peut pas être un Jésus-Christ violent.

Jésus-Christ procède de son propre gibet, et non de la guillotine d’autrui.

VI
vendée. — bretagne.

Étrange pays. Il arrivait à un fugitif de trouver la nuit une auberge ouverte, d’y mettre son cheval à l’écurie, de monter, de trouver une chambre porte béante et un lit tout fait, de s’y coucher et d’y dormir, tout cela sans être aperçu.

Tout fonctionnaire public, même le moindre juge de paix, ne pouvait voyager qu’escorté.

On guillotinait un paysan pour une chemise fine ou un mouchoir de batiste trouvés chez lui. Cela signifiait : Asile à des proscrits.


Les royalistes pillaient. Puisaye dit, t. ii, p. 187 : « J’ai préservé plusieurs fois le bourg de Plélan en souvenir de cette aventure. »

L’aventure était qu’arrêté à Plélan comme mis hors la loi, il avait été relâché par le maire.

Puisaye se qualifie ainsi : Ennemi de tout ce qui se fait par enthousiasme.

Le marquis de Puisaye de Coudrelles était grand bailli d’épée.


Un gentilhomme breton disait à Puisaye caché chez lui : — Comme je vous suivrais, si je n’avais le souci de ma maison à garder ! — Eh bien, dit Puisaye, mettez le feu à votre maison, supprimez votre souci, et venez. — Le gentilhomme mit le feu à sa maison.


Jean Chouan, à la déroute du Mans, refusait son cheval à un blessé (Miélette) pour le donner à un prince (Talmont). Tel était le paysan breton. Et Miélette donnait raison à Jean Chouan.

La vieille mère de Jean Chouan tombe dans la bagarre sous les piliers des halles du Mans. Il pleut. Nuit. Guéharrée et l’un des frères Gauffre l’emportent dans une rue déserte, puis dans une maison dont ils enfoncent la porte. Elle y meurt.


Jean Chouan arrive à Laval traînant à terre le drapeau tricolore. Il était en habits déchirés. Le prince de Talmont lui donna son manteau qu’il garda jusqu’à la déroute du Mans.


Marquis Tuffin de la Rouarie, premier chef breton, un des douze députés de la noblesse qui, étant venus à Versailles réclamer les droits de la Bretagne, avaient été mis à la Bastille par ordre de Louis xvi. Avait servi dans la guerre de l’indépendance en Amérique. Il organise une première guerre civile vendéenne, ne réussit pas, est traqué, meurt de fatigue et de chagrin dans une maison de campagne où il s’était réfugié. (Puisaye, t. ii).


Jean Chouan disait toujours : Il n’y a pas de danger, et se jetait dans la mort presque certaine. Et y entraînait les autres. Aussi on l’appelait le gas mentoux (menteur).


Le comte d Artois et le roi d’Angleterre envoient à Puisaye le chevalier de Tinténiac. Nom célèbre dans les combats des Trente et des Sept. Tinténiac parcourut tout le pays, déguisé en paysan, traversant parfois les rivières, la Loire même, à la nage, souvent se faisant jour à travers les patrouilles à coups de fusil, ne compromettant personne, n’écrivant rien, se souvenant de tout[28].


Après la bataille de Dol, le prince de Talmont, charmé de Jean Chouan, lui donna une autorisation pour toute sa vie de couper dans ses forêts du Maine tout le bois dont il aurait besoin pour lui et sa famille.


La guillotine à Fontenay. On a de la peine à en trouver le couteau que Mercier du Rocher, avant de partir pour Paris, avait mis sous clef dans une armoire.


Stofflet, un peu physicien, passait pour sorcier.


D’Elbée, poli, dévot, surnommé le général Providence.


Employer Prigent, qui connaissait toute la côte, et allait et venait sans cesse de Jersey à Saint-Malo bien que sa tête fût mise à prix. Fit plus de 140 fois le voyage, dans un canot où il n’y avait que lui et deux rameurs. Servait d’intermédiaire entre les vendéens et le général Craig et lord Balcarras, gouverneur de Jersey, et le prince de Bouillon (capitaine d’Auvergne) qui avait une petite flottille de guerre à Jersey. Il était aide de camp de lord Balcarras. Entre autres messages apportés par Prigent, il y eut une bulle du Pape nommant l’évêque de Dol son vicaire apostolique près des armées royalistes.


Espionnage vendéen au profit des anglais. Puisaye déclare avoir envoyé en 1796, au ministre Dundas, tous les détails de l’expédition projetée par la France en Irlande. Tout y était, jusqu’au nombre de boulets et de cartouches qu’on devait embarquer à Brest.


M. Pitt donne à M. Crew, premier secrétaire du conseil de l’ordonnance, l’ordre de faire ouvrir à toute heure l’arsenal et la Tour de Londres au comte de Puisaye pour qu’il puisse y désigner les armes à envoyer d’Angleterre aux royalistes de France.


Le ministre anglais Dundas engage les royalistes à s’emparer d’un point de la côte pour communiquer avec l’Angleterre. Le gouverneur de Jersey s’appelait alors Craig et était général. — Une flotte anglaise, portant des troupes de ligne et une élite d’officiers français, avec ravitaillement complet de munitions pour l’armée vendéenne, était dans la rade de Guernesey (novembre 1793). Invitation à Puisaye d’aider au débarquement avec 3 000 hommes.


Convoi anglais de munitions, etc., pour ravitailler l’insurrection, à Jersey, sous les ordres du comte de Moira. Pour cela il fallait que l’insurrection royaliste eût Granville. Les vendéens attaquent Granville. Sont repoussés avec perte. Ce fut là, dit Puisaye, le commencement de leurs malheurs.


Les vendéens avaient, eux aussi, leurs assignats. Stofflet avait créé un papier-monnaie. J’ai vu un de ces chiffons. Cela portait dans un encadrement de losanges et de fleurs de lys diverses légendes : — Armée catholique et royale. — (Catholique en haut, royale en bas.) — De par le Roi. — Bon commerçable de vingt-cinq francs (ou dix, ou cent) pour fournitures faites à l’armée. — Remboursable à la paix. — Série … — No… Et tout au milieu la griffe de Stofflet, espèce d’écriture qui tient du peuple et du soldat, signature de garde-chasse qui se fait général.


Après la destruction de l’armée vendéenne à Savenay, une partie des fugitifs se réfugie dans la forêt du Pertre. Il y avait là beaucoup de souterrains, creusés par les paysans, vrais terriers d’hommes. Le prince de Talmont s’y cache.


Beaucoup de guillotine à Rennes, et force fusillades. 8,000 fosses creusées, dit Puisaye, qui exagère évidemment.


À la fin de 1794, du camp républicain de Paramé, 20,000 hommes, il ne restait plus que les tentes.


La plupart des nobles bretons étaient voltairiens. Beaucoup avaient du sang huguenot dans les veines.


Sur le feuillet contenant cette phrase, Victor Hugo a tracé le petit plan suivant

[Croquis]

VII
lantenac[29].

Peu de chose dans ce dossier ; des traits de caractère ressemblant plus ou moins au personnage réalisé, des monologues mis en action, et un fragment de dialogue dans la prison, où Gauvain expliquait à Lantenac son état d’âme et sa lutte de conscience.

Lantenac[30] disait : — On me dit que j’ai tort d’aimer les femmes. Pourquoi ? parce que je suis vieux ? Qu’en sait-on ? La couleur des cheveux ne signifie rien. Voici la seule règle : Tant que l’homme le peut et que la femme le veut.


Lantenac, sentant qu’il peut être tué, écrira sur son carnet son testament de chef d’insurrection et partagera la rébellion en six districts qu’il donnera à six chefs.


Mettons la providence de notre côté. Que l’immense broussaille vendéenne prenne feu. Dieu est dans les buissons ardents.


Gauvain et Cimourdain ? je les connais tous les deux. Le jeune est mon neveu, le vieux a été mon chapelain ; le vicomte est républicain, c’est-à-dire imbécile, le prêtre est terroriste ; bête brute obéissant à bête féroce.


… Et quant à moi, vieux et marqué pour la sortie, s’il faut mourir ici je mourrai content d’avoir, pour tâcher de sauver mon ordre et mon pays, mis la main de sa majesté le roi d’Angleterre dans la main de sa majesté le roi de France.


… Ce n’est pas le titre qui fait la grandeur, c’est le nom. Le chevalier de Rohan est plus que le duc de Gênes.


— À Dol, vous m’avez gaillardement attaqué 1,500 contre 6,000 ; je prends ma revanche aujourd’hui. Vous avez 4,000 soldats et j’ai dix-huit paysans. C’est pourquoi je prends la liberté de vous dire : Ménagez un peu plus vos hommes.


la prison.

— Sauvez-vous.

— Je te sais gré de ça. Mais c’est inutile. Si je t’avais pris, je t’aurais fait fusiller, tu m’as pris, fais-moi guillotiner. C’est ton droit. C’est même peut-être ton devoir. Nous sommes en guerre civile. Restons-y.

— Il n’y a plus ici de guerre civile. Il n’y a plus ni blancs, ni bleus. Il n’y a plus ni la monarchie d’un côté, ni la révolution de l’autre. Il y a quelque chose qui est au-dessus de toutes les monarchies et même au-dessus de toutes les révolutions, c’est-à-dire l’humanité et la famille. Il y a vous qui venez de rentrer dans l’humanité, et il y a moi qui rentre dans la famille. Mon oncle, sauvez-vous.


VIII
cimourdain et gauvain. (ensemble.)

Voici, dans ce dossier, une petite note qui a dû précéder de beaucoup le plan du roman ; Victor Hugo avait trouvé l’incident qui devait clore l’action avant même d’avoir créé ses personnages, puisque le guillotineur et le guillotiné sont de vieux amis :

Souper du guillotineur et du guillotiné, vieux amis. Cordial. Le guillotiné donne raison au guillotineur. Nuit passée à causer philosophie et nature. La guillotine le matin. 93.


Gauvain était-il amoureux ? Oui. De miséricorde. Faire grâce était son idéal. Pas de femme. Il semblait qu’il n’eût qu’une pensée dans ces temps terribles : attendrir la guerre civile.


Au bas d’une page contenant des notes sur la Convention, ces trois lignes présentent Cimourdain comme protecteur de Gauvain bien avant que Cimourdain soit désigné comme délégué du Comité de salut public :

L’exclusion des nobles et des prêtres de toute fonction venait d’être décrétée. Là-dessus Cimourdain, prêtre, demande et obtient une exception pour Gauvain, voici comment.


Cimourdain.

C’était un inflexible et un incorruptible, en cela il confinait à Robespierre ;c’était un homme bon, violent, en cela il confinait à Danton ; c’était un sanguinaire politique, en cela il confinait à Marat ; c’était un sauvage social, en cela il confinait à Hébert.


Cimourdain s’écria :

Quand les savants se mêlent d’avoir de l’imagination, ils sont bien drôles.


— Tu dis : Sauvons le peuple. Moi je dis : Sauvons l’homme. Le peuple, c’est un intérêt, l’homme, c’est un principe.

— Je veux être inexorable et irréprochable.

— Les deux ? impossible, dit Gauvain.


— Je suis pour la loi.

— Je suis pour le droit.

— C’est là la lutte éternelle.

— La loi vient de l’homme, le droit vient de Dieu.

Le droit, étant l’absolu, dépasse et déborde l’homme, qui est le relatif. La loi naît des nécessités humaines, et s’y ajuste. Le droit manque le but, la loi l’atteint. La loi vaut mieux que le droit.

— C’est dire que l’alliage vaut plus que l’or.


Conversation suprême entre Gauvain et Cimourdain, Pas un mot de ce qui se passera le lendemain matin. — L’absolu. L’avenir du genre humain. Le monde tel que le fera la révolution. — La fin de l’échafaud. — La fin de la guerre. La femme relevée. L’enfant relevé. — L’Europe une. Le globe un. — L’idéal[31].


… On a vu au commencement de ce livre, entre le marquis et le mendiant, quelque chose de pareil à ce souper.


Dans deux fragments de brouillon, Cimourdain donne la raison qu’il a pour se tuer :

… Montrant la guillotine :

— J’ai satisfait à la loi.

Saisissant un pistolet :

— Maintenant je satisfais à la justice.

Et il se brûle la cervelle.

.........................

Quand on le releva, on trouva sur la table ce papier écrit de sa main :

— Il y a deux choses, la loi et la justice. Toutes deux doivent être obéies. La mort de Gauvain satisfait à la loi, la mienne satisfait à la justice.


IX
plan du roman.

Le dernier et peut-être le plus curieux des dossiers ne porte pas de titre, mais il donne, en rapprochant plusieurs notes éparses, le plan de la partie du roman qui devait précéder 93. On y voyait des personnages supprimés depuis, des caractères tout différents de ceux qu’on nous montre dans le roman publié. Une figure, mêlée aux premières ébauches, est restée immuable : celle de Cimourdain ; mais Lantenac, complètement transformé, nous apparaissait d’abord sous les traits d’un grand seigneur débauché, sceptique, voltairien et offrait plus d’un trait de ressemblance avec le duc des Trouvailles de Gallus. Jusqu’en 1872 on trouve des remarques sur ce personnage, oncle de Gauvain ; plus de soixante notes relatent ses réflexions, ses mots d’esprit ; nous publions les plus caractéristiques. Puis, sans brouillon, sans tâtonnements on pourrait dire, la sévère et farouche figure du marquis de Lantenac efface la silhouette de ce duc de la Régence.

Nous divisons ce plan en deux parties : dans la première, nous présenterons le duc ; dans la seconde, les ébauches du roman non écrit.

I
[le duc[32].]

Le duc de Réthel était parent de ce duc de la Meilleraye qui, en 1723, donnait en plein Pont-Neuf vingt coups de fouet à un prêtre en étole et en était quitte pour un an de Vincennes.


Tout en employant des canailles aux actions obscures et profondes qu’il commettait, il restait dégoûté et délicat, comme un homme qui relève ses jambes pour ne pas se mouiller les pieds en baignant son cheval.


Il avait des règles de conduite. Il subordonnait ses haines à sa dignité. Il faisait à ses ennemis tout le mal qui ne le diminuait pas.


Voici le phénomène : il y a en moi, dit le duc, un jeune homme qui fait un tas de folies, et un vieux bonhomme qui essaie de faire cahin-caha quelques bonnes actions. Ce polisson et ce Géronte font dans ma pauvre caboche un assez mauvais ménage. Cela s’appelle une conscience troublée. Je n’en suis pas moins un bon vivant[33].


En faisant aujourd’hui mon examen de conscience dans cette petite pharmacie intime qui est donnée à tout homme, j’ai trouvé un flacon verdâtre inattendu, avec cette inscription : huile de belladone. Je n’ai pu retrouver dans ma collection ce souvenir. Pourquoi diable suis-je maître et seigneur d’un flacon de belladone ?


— Madame, s’écria le duc, un vendredi, la curiosité doit faire maigre.


… Sur quoi le duc s’écria :

— L’homme, pour aimer, veut plaindre, et un peu mépriser.


Pourquoi deux principes ? s’écria le duc. Votre manichéisme est une illusion d’optique. Quant à moi, je réponds ceci aux manichéens. Le cheval, battu par derrière, nourri par devant, croit être l’esclave de deux génies, l’un mauvais, l’autre bon, l’un qui le bat, l’autre qui le soigne. C’est le même. Le cocher. Eh bien, l’erreur que le cheval fait par rapport à l’homme, l’homme la fait par rapport à Dieu. — Si Dieu il y a[34].


Quant à Orphée, reprit le duc, nous ne le connaissons que par ses abus de pouvoir sur les lions et les tigres.


Le duc s’écria :

Les dieux peuvent être en os, en jade, en plume, en bois, en pierre, en épine.

Il y a un dieu en pierre qui est intéressant, il est plat, on le jette à la mer, et il revient. Il s’appelle Tougarou[35]. Il est le génie du pays d’Émio. Il ressemble au boomarang des australiens (?)[36] qui va frapper le but et revient en sifflant se replacer dans la main qui l’a lancé. Il y a le dieu Atahocam qui a fait la terre et le dieu Messou qui la raccommode. Messou chasse avec des lynx en guise de chiens. Une fois ses lynx tombèrent dans un lac. Le dieu, fort en peine, ne savait où ils étaient. Un oiseau lui dit qu’ils étaient au milieu du lac.

Une autre fois que la terre fut noyée, Messou pria la corneille de chercher où elle était, la corneille n’y réussit pas. Le dieu pria la loutre. La loutre ne réussit pas. Le dieu pria le rat musqué ; le rat musqué plongea sous l’eau, et rapporta un peu de boue, avec quoi le dieu refit la terre.


Le dieu Messou avait mis l’immortalité dans une boîte de peau de buffle brodée. Une femme curieuse ayant ouvert la boîte, l’immortalité s’en alla, et c’est depuis ce temps-là que les hommes meurent[37].


Le duc s’écria :

À la grossièreté de son aboiement, on reconnaît un chien élevé par des personnes illettrées.


Il s’agit, interrompit le duc, de choisir entre la science et la foi. L’une affirme, mais l’autre prouve. Prenez-en votre parti, messieurs les juifs et messieurs les chrétiens. Pour que Moïse ait raison, il faut que Campanella ait tort, pour que Josué ait raison, il faut que Galilée ait tort, pour que Jérémie ait raison, il faut que Newton ait tort ; il faut que l’aurore radote et qu’en effet le soleil s’y lève, il faut que l’occident monte et qu’en effet le soleil s’y couche, il faut que le sud soit un simple vent, il faut que le septentrion soit un chariot au lieu d’être le prodigieux lampadaire sextuple de l’infini ; choisissez, vous dis-je, entre Saint-Mathieu, Saint-Luc, Saint-Marc et Saint-Jean, et l’immense ciel véridique ; pour que les quatre évangélistes aient raison, il faut que les quatre points cardinaux aient tort. Ah ! j’en conviens, c’est dur d’avouer qu’Adam est si peu de chose, de reconnaître que le monde n’est pas uniquement fabriqué pour nous, de confesser qu’un grain de poussière sur notre globe est un plus gros personnage que notre globe dans l’univers, et de renoncer à cette belle histoire des étoiles qui tomberont quand la terre finira. À entendre les gens de religions, notre sphère est l’objet du grand Tout, cet atome, la Terre, est la fin de l’infini, nous sommes le but, sans nous, le monde n’aurait pas de raison d’être ; et c’est pour le simple éclairage de l’homme, de ses batailles, de ses intrigues, de ses tricheries, de sa civilisation, de ses rois, de ses dames et de ses valets, que le Grand Être se livre à cette énorme consommation de soleils, allume les vingt-cinq milliards d’astres de la Voie lactée, dépense les météores, les bolides, les lunes, les planètes, les nébuleuses, l’aurore boréale, la lumière zodiacale, se ruine en comètes, et fait tous ces frais d’étoiles. En vérité, le jeu n’en vaut pas la chandelle.


Il disait :

L’hospitalité, même la plus grande, a toujours un endroit où elle s’arrête, une extrémité, une fin. L’art de ceux qui la donnent est de ne pas montrer cette fin et l’art de ceux qui la reçoivent est de ne pas la voir.


Il disait :

La torture est le tire-bouchon de la justice.


La dualité humaine se compose d’un mâle qui s’appelle Rien et d’une femelle qui s’appelle Personne.


Il disait à la duchesse :

Nous sommes l’arbre ; vous êtes notre branche.

L’homme a sa racine dans la terre, la femme a sa racine dans l’homme[38].


Il y a, dit le duc, une différence entre un bâtard et un enfant du second lit. Ne confondons point un erratum avec une variante.


… Alors il dit :

— Le diable n’est autre chose qu’un homme de fer dans lequel il y a du feu. Le creux de son corps est une fournaise, ce qui fait que le diable est rouge. Ses dents sont des charbons ardents, ses yeux sont deux braises, ses cornes sont deux flammes. Le fer rouge étant souple, le diable peut se mouvoir. Ses ailes sont deux immenses fumées.


93. (1er volume.)

Il y a, dit le duc, des fils qui sont branche gourmande.


Le duc s’écria :

— Une bonne manière d’être mon ami, c’est d’être l’ennemi de mon ennemi.


Et le duc ajouta :

Être tutoyée, est un des grands bonheurs de la femme[39].


La guerre, dit le duc, est un médiocre moyen de progrès. Le vol en grand. Être délivré du voleur par le conquérant, cela n’avance guère qu’à perdre le droit de le pendre.

— Pendre qui ? demanda la marquise.

— Le voleur, répondit l’abbé.

— Sans doute, dit le duc, le conquérant.

Il reprit après un silence :

— On pend Poulailler, on ne pend pas Frédéric ii.


Le duc dit après 89 :

— Nos institutions et nos habitudes traitent la royauté d’une façon bâtarde, qui n’est ni tout à fait royale, ni tout à fait populaire. On dirait que nous allouons au roi une demi-ration de respect. Si le roi n’est qu’un homme, c’est trop. Si le roi est l’état personnifié et vivant, la nation incarnée, la patrie faite homme, ce n’est pas assez.

II
ébauches et projets.

Dans ces projets, des portraits sont esquissés, des personnages sont présentés dont on ne retrouve pas trace dans le roman. Voici d’abord, dans l’ordre où elle est écrite, une liste uniquement composée de noms et de chiffres, mais qui semble indiquer que Victor Hugo avait songé un moment à placer le début de son roman en 1773 ; de plus, une jeune fille doit y figurer.


   1755   —  En 1773
Misgrace 1755
18
Hacquoil 1753
20
Vte Gauvain Poingdestre 1754
19
Le duc de Réthel 1710
63 (Je suis de l’âge du roi.)
L’abbé Cimourdain 1744
29 (jeune, l’air sérieux.)

Une autre note donne des détails sur la jeune fille dont il est question plus haut :

Orpheline. — Élevée par cette riche religieuse femme du monde avec une charité gracieuse et nullement pesante.

Il eût été difficile de dire quelle était la fonction de Misgrace dans la maison. Elle n’était, certes, pas femme de chambre, encore moins femme de charge, aucunement servante. Les servantes la servaient. Pas parente pourtant. C’était une orpheline que la chanoinesse gardait dans la maison pour être dévote. Elle disait des chapelets avec elle. On l’avait élevée dans ce but. On l’appelait la petite.



93. — noms.

Le duc de Réthel (Mazarin).

L’abbé Gimahias.

L’abbé Cimourdain.

Le marquis de Mauvaise.

Sa sœur.

Son neveu, le vicomte Gauvain-Poingdestre.

Marins, pêcheurs, etc.

Denithorne.

Hacquoil.

Hamlondon.

Mèsbertrand.

Paysans. Paysannes.

Jacquine Jeanne.

Thomasse Louve.

Le marquis de Torchamps.

Le comte Lebailly.

Le baron de Hautcilly.

Le chevalier de Prefontant.

Le vicomte d’Éparville.


Un vieux matelot pirate appelé de ce sobriquet expressif et vague : Six mille sacs. On ne lui connaissait pas d’autre nom. D’où lui venait ce nom ? On ne savait. Quel en était le sens ? On l’ignorait.


jean thibaut.

(Le peindre paysan. Gauche. Bête. Lourd.)

Il est pris par un recruteur et fait soldat. Va à la guerre. Entre dans les gardes-françaises. — Revient sergent et maître d’armes. — Rentre dans son pays où le duc de Réthel le fait maître du port. — Hardi. Crâne. Insolent. Joli cœur.

Comment vous appelez-vous ?

Toujours de même.

Et il signa Gentilbeau[40].


Comment Jean Thibaut devint Gentil-beau.

Paysan, — Soldat. — Maître d’armes. — Sergent aux gardes. — Retraité par faveur du duc. — Capitaine du port avec l’épaulette de sous-lieutenant. S’appelait le capitaine Gentil-beau[41].


Gentilbeau. — Vous me faites l’effet d’avoir l’air de ressembler à quelqu’un qui ferait mine de paraître avoir l’idée de se burler de moi.


93. Histoire[42].

Il n’admettait aucun principe entier, aucune vue complète, aucune réalité absolue. Il n’avait aucun parti pris sur quoi que ce soit, n’acceptait rien vigoureusement, ni tout à fait pour le bien, ni tout à fait contre le mal, un peu dans l’ombre, un peu dans la clarté, faisant du clair-obscur une vertu, ayant au plus haut degré cette bâtardise d’âme que les hommes appellent volontiers sagesse ; fort loué, fort estimé, fort considéré pour toutes ces négations de qualités, s’admirant d’être impuissant, et ayant pour gloire de s’obstiner, entêté et infécond, et, des deux façons, mulet.


Les onze portraits suivants désignent des personnages qui devaient faire partie du roman :

Personnages.

Cette femme avait de l’esprit, de la malice, de l’amertume, du dédain, de l’ironie, et la quantité d’injustice à laquelle ont droit ceux qui ont souffert plus que leur part. Elle avait en elle un vieux fond de désespoir tourné en gaîté féroce.


C’était un bel esprit du voisinage, ayant écrit une fois à Voltaire, rimant, très chafoin.

L’autre était un astronome de campagne. Il était riche, avait de la terre, et tenait à la robe par on ne sait quel oncle conseiller qu’il avait. Étant de roture, il s’était fait savant, le hasard d’un télescope adjugé au rabais dans une vente à l’encan l’avait jeté dans l’astronomie et lui avait fourré les étoiles dans la tête.


… C’était une espèce de révolutionnaire local, fait pour être méconnu pendant sa vie et oublié après sa mort. Un de ces hommes qui méritent les statues qu’on élève aux autres.


… Il était mécontent des temps que la providence prend quelquefois dans le renversement des choses mauvaises. Il ressemblait au chien du mineur qui, lorsque le coup de mine se fait attendre, aboie après l’explosion en retard.


Ce raisonnement terrifia le bon savant local et le supprima. Il se sentit anéanti par cette logique béante et terrible. Il éprouva une sensation d’huître avalée.

Il était matérialiste de ce matérialisme gai, qui bouffonne dans le sinistre et tâche de faire rire la cantonade avec ce que la réalité a de plus lugubre. Il y avait du mardi gras dans son athéisme. La philosophie de ce philosophe était une tête de mort avec un nez de carton.


On ne sait quelle phraséologie inepte et malpropre qu’on pourrait nommer la crasse du froc parlée, le laïque jugé au point de vue séminariste, une façon grossière et crue de parler des femmes où l’on devine la concupiscence, quelque chose qui sent le capucin et quelque chose qui sent le cuistre, l’air bête qu’a la virginité chez l’homme, la lasciveté claustrale déguisée en clameur scandalisée, le cynisme latent, ce pauvre honteux des sacristies, se faisant jour et tout heureux de dire tout haut des obscénités avec horreur, une noirceur de soutane mêlée aux commérages, voilà à quoi l’on reconnaît la calomnie-prêtre.


La fille grande, belle, l’air noble, l’œil noir et clair, ayant une robe tachée de graisse et de vin, et sur le dessus de la main une ancre et un myrte tatoués en bleu[43].


Si taciturne qu’il paraissait muet.

Pas de question possible à cet homme. Son silence semblait vous barrer le passage et arrêtait court l’envie de lui parler. Du reste, sa bouche était amèrement crispée, comme quand les lèvres ont bu trop de larmes, son œil était cave, son regard triste, sa joue ravinée, son front sombre ; de sorte qu’au-dessus de ce silence, obstacle à la curiosité, on apercevait on ne sait quels sommets de tristesse qui révélaient le désespéré de même que des hauts de tombe au-dessus d’un mur révèlent un cimetière.


C’était une trop blonde fille plus que blanche, ayant un excès de lymphe. Elle était un peu cron, comme on dit en Belgique. Sous sa toilette chargée et sous ses falbalas extravagants à dessein, on la devinait torse et mal faite.


… Il était fort souterrain, grand allumeur de petits feux secrets, et profond intrigant. Mais rien n’en transpirait au dehors. Toute intrigue est une solfatare, mais il ne laissait rien sortir des fissures. Il avait dans les affaires une prudence fumivore.


C’était un espion de salons, il y a de ces êtres, homme d’esprit et de peu, point né, reçu, miel et fiel, saluant, glissant, chuchotant, souriant bas, chauve et laid, ennemi secret, prenant de petites notes traîtres. Un Tallemant des Réaux de Carpentras. Le grand théâtre lui manquait, non la grande haine. Ses griffonnages, qu’il appelait ses Mémoires, se sont perdus chez quelque épicier, et se sont envolés en sacs et en cornets ; c’est un malheur ; ils eussent fortement éclairé la postérité sur le grand monde de Guingamp[44].


À ce dernier portrait se rattachent ces deux fragments, dont le premier, par le timbre de la poste, est daté janvier 63 :

Je hais le travail, s’écria l’académicien de Guingamp, pour toutes les raisons. Le travail salit les mains. Vexatæ duræque manus. Et puis à cause des femmes. Qui travaille n’a pas le temps d’aimer. Il faut être de loisir pour être amoureux. La sueur est ennemie du sourire. Le loisir perdu brise l’arc de Cupidon.

Otia si tollas, periere Cupidinis arcus.

— C’est que nous autres académiciens, nous sommes ferrés.

— Aux quatre pieds, dit le duc.


Le fragment suivant, qui porte comme les autres l’indication 93 offre encore quelque analogie avec le dénouement des Trouvailles de Gallus et prouve qu’il y avait plus d’une intrigue amoureuse dans le premier projet de roman :

Ne vous ai-je pas respectée, dites ? Je ne vous ai pas touchée.

— Ah ! lui cria-t-elle avec un regard où il y avait une flamme qui ressemblait à la haine, laissez-moi. Vous ne m’avez pas touchée, vous m’avez perdue. Grâce à vous et par vous, je suis une malheureuse. Vous êtes le serpent et je suis Ève. Je ne sais plus rien, je ne crois plus rien. Je ne suis plus une chrétienne, je ne sais plus si je suis une femme, je n’ai plus de religion, je n’ai plus de honte, c’est fini, et ce qui est horrible, je vous aime !


le château de mauvaise.

Pas de date à cette première esquisse du château qui, transformé, deviendra la Tourgue. Mais la note suivante, en marge de cette description, permet de la situer en 1863[45] :

Elz. Peindre. Puis l’arrivée par la plaine, Clairvaux. — Puis l’arrivée par la mer. — La Tour Mauvaise.

On remarquera que l’apparition du château, comme celle de la Tourgue, se fait toujours d’une façon inattendue, et qu’il y a toujours, entre le château et le chemin qui y conduit, un ravin profond, utile dans le roman.

On arrivait au château de Mauvaise de trois façons.

Du côté de la montagne, du côté de la plaine et du côté de la mer.

La plaine comme la montagne était couverte de forêt.

Du côté de la montagne, — il faut entendre ici simplement par ce mot ces hautes ondulations de terrain que la Bretagne a quelquefois dans le voisinage de l’Océan, — l’abord était sauvage. L’arrivée était féroce.

Une percée dans la broussaille. Pas de route ; un sentier tortueux dans le crépuscule des feuillages, plutôt scié par le torrent dans le granit que façonné par la pioche. C’était quelque chose comme la trouée d’un loup vers sa tanière. Tant bien que mal le piéton cheminait. Le cavalier devait se baisser à chaque instant à cause des branches. Le va-et-vient du sentier, courbant ses coudes et étageant ses zigzags sur la pente hérissée d’herbes et d’arbres, imitait parfois dans sa sauvagerie l’arrangement pittoresque d’un décor et ressemblait à ce qu’on nomme en style de théâtre un praticable. Le fourré complétait la futaie ; la végétation haute et basse s’entr’aidait pour empêcher ; on sentait dans cette ombre on ne sait quelle intention de barrer le passage ; il y avait dans les racines et dans les branches assez de griffes pour qu’on pût dire que l’obstacle se prêtait de toutes parts main-forte contre le

plan du château de mauvaise[46].
[Plan]
passant, les ronces obstruaient le ciel. Le jour c’était de l’obscurité, la nuit c’était de l’horreur. Rien dans cette sauvagerie ne dénonçait l’homme ; on se sentait lointain, absent, perdu ; on avait ce sentiment terrible de la profondeur déserte. C’était une tranquillité sépulcrale et hideuse. On entendait en plein jour les oiseaux de nuit, tant les ténèbres étaient là chez elles, et l’espèce d’aboiement que jette la chevêche marine. Cependant il y avait assez de sentier pour qu’on continuât de marcher. Cette marche était une descente. Le sentier par instants semblait dégringoler dans les arbres. Où allait-on ? Vers un précipice peut-être, vers un antre sans doute.

Tout à coup on entendait un bruit d’eau et d’écume, on apercevait à ses pieds un torrent, on se trouvait presque à l’improviste au fond du ravin ; il y a en cet endroit une brusque éclaircie d’arbres, on levait la tête vers ce soupirail de lumière, et l’on avait une pparition farouche. Là, tout près, sur le revers de la montagne opposée, une configuration haute et noire se dressait dans la nuée.

C’était le château de Mauvaise.

Sous le plan, quelques indications sur le château et ses habitants :

Statue en pied du duc de Réthel, qui avait eu le pour sous Louis xiv[47], et allié de la maison de Mauvaise.

Mlle Poingdestre l’aînée.

Mme la chanoinesse, sœur puînée.

Le marquis de Mauvaise, troisième, mais aîné des fils.

Le vicomte Gauvain Poingdestre, frère puîné (ce titre était celui du puîné) mort et remplacé par son fils le vicomte Gauvain Poingdestre.


La grande sœur, sèche, grave, ayant la lèvre supérieure en surplomb, signe de circonspection et de laconisme. Sûreté. Les paupières habituellement baissées.


La cadette, grasse, gaie, aimable avec un fond impérieux, gentiment bavarde. Aimant à parler du ton d’une personne contredite.


93. (À rédiger.)

Dévote, mais faisant son tri dans les préceptes religieux, choisissant les vertus qui lui étaient faciles et gardant les défauts qui lui étaient agréables.


La chanoinesse. — Elle était tranquille, et avait le goût de l’indécence. Mais elle n’avait des sens et du cynisme qu’à domicile, chez elle, entre ses quatre murs. Dehors, elle était prude.


Cette maison était hautaine et rejetait avec le dédain convenable les divers Poingdestre et Poingdextre épars sur le littoral et dans les îles de la Manche[48].


Sur un petit bout de papier, nous relevons, sans indication de date, cette variante de nom :

Le marquis de Méchante.

Méchante est une grosse tour qui a donné son nom à un château ; le château a donné le nom à la seigneurie[49].


Pour 93.

Le château de la Meilleraye (au duc de Réthel. Mazarin).


La Tour Poingdextre.

Le marquis Gauvain Poingdextre.


Le château de Mauvaise.
Trois tours : La tour Mauvaise
Trois toursmmn La tour Poingdestre.
Trois toursmmmm La tour de Fronpebent.
(Corps de logis L. XIII, les reliant. Là est la bibliothèque.)
Les enfants.

Puis cette description d’une tour bien différente de cette ruine imposante et sévère, la Tourgue :

Cette étrange et énorme tour était composée de plusieurs longues bâtisses amalgamées et adhérentes. Il y avait une chapelle étroite et haute, une sorte de maison à six étages dont les fenêtres, pareilles à des meurtrières, étaient bardées de fer, toutes sortes de gloriettes bizarres, et quatre ou cinq tourelles, et au-dessous de ce faisceau d’édifices hybrides composant en réalité un seul édifice, il y avait assez de roche et de muraille pour rendre la tour imprenable.

On eût dit qu’on avait ramassé, réuni et lié tout cela au hasard comme une botte de branches que fait un fagotier. De là une surprenante silhouette sur l’horizon.

Il y avait deux façons d’attaquer ce sinistre château plus haut que la forêt, plus bas que la montagne. On pouvait donner l’assaut par le plateau ou par le ravin. Par le plateau, on dominait, par le ravin on surprenait.


Les marquis de MontsabronRochaiglon étaient princes de la Garnache et, en cette qualité, membres de la maison de Rohan et princes de Bretagne ; ils portaient le titre de marquis et non de princes, de même que Turenne qui, étant Bouillon, était prince et portait le titre de vicomte ; de même que les Viluma qui sont ducs de Sotomayor et préfèrent s’appeler marquis de Viluma. Ceci était d’ailleurs fréquent dans la noblesse française où le titre de prince n’était pas classé. Les vicomtes Gauvain étaient la branche cadette des marquis de Montsabron. — Le marquis régnant de Montsabron, Hercule Gauvain, est le grand-oncle du vicomte Hoël Gauvain, élève de l’abbé Cimourdain.


En marge d’une autre liste de noms, cette proposition faite sans doute par le duc de Réthel à la tante de Gauvain :

Madame, je suis veuf, je n’ai pas d’enfants, j’ai soixante-quatre ans, j’entretiens trois danseuses, je ne me remarierai pas, j’adopte votre neveu.


À mesure que le plan se précise, le nombre des personnages accessoires diminue ; en voici maintenant trois des principaux, tels que Victor Hugo les voyait encore en 1872[50] :

Les trois branches de la famille Gauvain menaçaient de s’éteindre. Une vieille fille qui avait l’âge d’une bisaïeule, un veuf et un orphelin, c’est là tout ce qui en restait. La vieille fille qui représentait la branche aînée s’appelait la vicomtesse Hoël, par tradition de famille, et du nom de Hoël le Grand, troisième roi de Bretagne, ancêtre de la maison Gauvain ; le veuf, sans enfants, qui refusait de se remarier et qui représentait la seconde branche, s’appelait le duc de Réthel ; l’orphelin, qui représentait la branche cadette et dernière, avait sept ans et se nommait le vicomte Gauvain.

La vieille fille et l’orphelin habitaient Gauvain, le château de famille ; le duc vivait à la cour.

La branche aînée des Gauvain étant desséchée et comme morte dans la personne de cette vieille vierge, le duc était le chef actuel, « le chef régnant » comme on disait alors, de la famille. Mais de famille, point. De quoi était-il le chef ? d’un enfant.


Le duc et la vicomtesse étaient à peu près du même âge. Tous deux touchaient à 50 ans. Seulement le duc en paraissait 35 et la vicomtesse 70.


Voici le duc, quittant la cour et rentrant dans son château ; nous pouvons entrevoir dès maintenant quelques détails importants du roman :

Accueil de la vicomtesse au duc (spectre). — Profonde révérence majestueuse : — Monsieur, vous êtes ici dans votre maison, vous êtes chef de ma famille. Tout ce que nous avons et qui nous vient des rois de Bretagne, nos aïeux, la tour qui est dans nos forêts, le sang qui est dans nos veines, est à vous. Tenez-moi pour votre servante, monsieur. Entrez chez vous. Je vous rends foi et hommage comme à mon seigneur et à mon suzerain.

Et elle mit un genou en terre.

— Tout cela est vieux, belle dame, dit le duc en éclatant de rire.

Et il baisa la main de la vicomtesse, ce qui la scandalisa.

Le soir.

Admirable paysage. Clair de lune. Forêt splendide. Douce brise. Zéphir de printemps. Le duc regarde. On voit quelques formes noires se balancer sous les branches.

— Ce sont des faux-saulniersbraconniers – paysans que j’ai fait pendre, dit la vicomtesse.

— Mais vous n’en avez plus le droit, dit le duc. Tout cela est vieux. Vieux, vieux, vieux. Heureusement vous pendez ces gens ici, dans ce trou, on ne le sait pas, ça passe comme ça. Si on le savait, vous pourriez avoir maille à partir avec le parlement de Bretagne.

La vicomtesse eut un sourire de spectre.

— Ces robins ! allons donc !

Elle reprit : — Qu’est-ce que cela signifie ?

— Je vais vous expliquer, dit le duc. C’est changé. Vous ne pendez plus. C’est le roi qui pend. Mais comme le roi ne peut pas pendre lui-même tout le monde, il en charge un juge, qui en charge un bailli, qui en charge un bourreau, qui en charge son valet. On appelle ça le progrès. Les paysans sont tout de même pendus[51].


— Ne méprisez pas trop les robins. Est-ce que notre arrière-grand-cousin le marquis de Marigny n’a pas épousé Lucile Tarneau, fille de Tarneau, président au parlement de Bordeaux ?

La vicomtesse mit ses mains sur ses yeux et murmura :

— C’est la seule honte de notre famille. Mais c’est affreux en effet[52].


Arrivez toutes, les jolies filles. Je choisirai.

— C’est en effet un ancien droit, murmura la vicomtesse.

— J’ai gagné les mille louis. Je les donne à la plus jolie fille d’ici.

— À la plus honnête, dit la vicomtesse.

— Non, à la plus jolie. Où est-elle ? qu’on me la trouve.


— Vous avez, dit le duc, la meilleure compagnie du monde et la mieux au train du jour, force gens d’esprit, par la vertujeu, un lieutenant de police, d’…[53] qui ne croit pas à la police, un président (un tel) qui ne croit pas à la justice, un chevalier de Malte qui ne croit pas au célibat, un duc et pair, moi, qui ne crois pas aux princes, et un prêtre, l’abbé Cimourdain que voilà, qui ne croit pas en Dieu.

(Ici la vieille se lève, salue le duc et sort.)

L’abbé Cimourdain — grande figure.

— Je crois en Dieu, monsieur le duc[54].


Mme Poingdestre se lève, fait une profonde révérence au duc, se dirige vers la porte que l’on ouvre à deux battants devant elle, et sort.

Le duc, légèrement étonné, cria :

— Marquis, qu’a donc ta tante ?

— C’est son heure d’aller se coucher, dit le marquis.


Et il n’en fut que cela. La conversation continua, de plus en plus gaie.

Le lendemain ni les jours suivants. Mme Poingdestre ne sortit de son appartement. Tant que le duc fut à Mauvaise, on ne la revit plus. Peut-être attendait-elle quelque visite réparatrice du duc. Le duc n’en fit point. Ce n’était plus la courtoisie correcte des vieilles mœurs. Le duc accepta purement et simplement ce bénéfice d’une vieille fille de moins. Et puis, au fond, quoique resté souriant, il était choqué peut-être de cette disparition. La frivolité s’offense de la gravité.


Note où l’incendie de la tour était déjà prévu :

Le grenier à fourrage et aux grains au-dessus de la bibliothèque. Insouciance et dédain de Mme Poingdestre pour les livres.

— Quand tout cela brûlerait, le beau malheur !

La chanoinesse ajoutait :

— Il arriverait aux livres sur terre ce qui arrive sous terre aux auteurs.

Dans l’incendie le plafond crève. Chute du grain enflammé sur les livres brûlant, à la fois étouffement et aliment de l’incendie[55].


Dans ces fragments du dialogue suivant, nous voyons de mieux en mieux se préciser la figure de Cimourdain :

Le suicide.

La vie (développer)… et ce qu’un honnête homme a de mieux à faire, c’est de s’en aller bien vite de ce mauvais lieu.

— Alors, duc, pourquoi ne te brûles-tu pas la cervelle ?

— Parce que.

Graves paroles de Cimourdain sur le suicide. Il le réprouve (bris de prison). Mais il l’admet[56].


— Brigandages royaux, dit le duc, voilà de bien gros mots.

— Ils ont à peine la grosseur voulue, répondit Cimourdain.


L’ABBÉ CIMOURDAIN.

— Enfin, je dois vous l’avouer, je ne suis pas ce que vous croyez. Je ne dois pas tromper votre confiance. Vous êtes philosophe d’une autre philosophie que moi. J’ai eu jusqu’ici, dans votre compagnie, d’un homme si extraordinaire pour un homme tel que moi, la complaisance du silence, et une sorte d’acquiescement tacite aux choses dites gaîment, soit par vous, soit par d’autres, mon silence était du silence et rien de plus. Qui ne dit mot ne consent pas toujours. Pardon, monseigneur, mais je crois en Dieu.

— C’est bon, dit le duc sans surprise, mais alors il ne faut pas être prêtre.

L’abbé expose noblement au duc qui l’écoute en silence sa naissance pauvre, son engagement dans les ordres, paysan qu’on a fait prêtre, etc. Son entrée chez le duc, etc.

(Tous deux bons à leur façon.)

Dans une autre note il n’est plus question du duc, mais de Cimourdain élevant seul Gauvain :

Adoration. — Ses causes.

Il l’avait vu naître. Tout de suite orphelin de père et de mère. L’enfant avait été mourant. Il lui avait sauvé la vie à force de soins, puis l’avait élevé dans le vieux château désert sous l’œil d’une grand’mère paralytique. Il en avait fait ce qu’il avait voulu, une âme comme la sienne.


— Ce serment, pourquoi me l’a-t-on fait faire ? Est-ce que vous croyez que ce vœu ne me pèse pas ? est-ce que vous croyez que je n’en suis pas indigné ?

— Pardieu, viole-le. C’est bien simple. Vois mon cousin le cardinal de Strasbourg, crois-tu qu’il se gêne ? Il a fait l’an passé un enfant à l’abbesse de Remiremont, et cet enfant sera prince, morbleu ! L’abbé, embrasse-moi une jolie fille.

— Non, monseigneur.

— Et pourquoi diable ?

— J’ai fait un serment, je le tiens. J’ai fait un vœu, je le garde.

— Des bêtises, dit le duc.

Et se retournant : — Ah çà, l’abbé, qu’est-ce que tu fais donc de la nature ?

La vieille vicomtesse fait une profonde révérence au portrait du roi son aïeul, et sort tout d’une pièce.


Dans les trois fragments suivants Cimourdain, loin d’agir à l’insu de la famille, comme il est dit page 104, prévient le duc de l’éducation qu’il compte donner à son élève.

Vous parlez de la nature ! où est-elle ? où est la vérité ? où est la justice ? De quel droit êtes-vous duc quand je suis paysan ? De quel droit êtes-vous pacha quand je suis eunuque ?

— Volontaire, murmura doucement le duc.

(Déclaration de guerre terrible et d’adoration pour l’enfant dans lequel il verse son âme. — Le père ne donne que le sang, le maîtrel’instituteur donne son âme. — Il en fera un ennemi de tout ce qui est.)

— Maintenant, monseigneur, chassez-moi.

— Pardieu, s’écria le duc. C’est trop drôle. L’abbé, je te garde.


— Monseigneur, prenez garde.

— À qui ?

— À moi.

— Pourquoi ?

— Je tiens votre héritier.

— Eh bien ?

— Il sera ce que je le ferai.

— Et puis ?

— Je suis capable…

— De quoi ?

— De vous en faire un républicain.

— Après ?

— Un républicain, monseigneur.

— J’y consens.

— C’est dit. Je vous ferai un athénien.

— Non, dit le duc, je veux un romain.

— Soit, dit le prêtre.

— Un Brutus, capable de tuer César. Le Brutus de Voltaire.

Rome est libre, il suffit, rendons grâces aux dieux.

— Vous confondez le Brutus de Shakespeare avec celui de Voltaire. Vous vous trompez de Brutus, monseigneur. C’est égal, vous en aurez un.


Cimourdain. Magnifique profession de foi révolutionnaire. Rancunes profondes du prêtre malgré lui.

— Renvoyez-moi, chassez-moi, monsieur le duc, car je vous jure sur l’honneur que j’inoculerai la révolution à votre petit-neveu, et que je ferai de votre héritier un démagogue.

— Pardieu, s’écria le duc, c’est trop drôle. L’abbé, je te garde.

Fin de la première partie.

L’insurrection de la Vendée éclate en février 1793.


La note suivante montre que, le dénouement conçu et arrêté, Lantenac n’était pas encore substitué au duc de Réthel :

Pas de formes. — Procès.

L’identité reconnue, il doit être fusillé. Le peloton d’exécution attend.

(Autre tempête sous un crâne.) Au point du jour Gauvain entre dans le cachot. — Sortez, lui dit-il, et il prend sa place.

Le duc dit : Ah ! vous, vous ne courez aucun danger. Merci. — Et il prend le chapeau de général et le manteau de Gauvain, et s’en va.

Gauvain reste. Est jugé par Cimourdain.


Si, dans les préfaces données dans le reliquat de l’Homme qui rit, Victor Hugo parle toujours des deux œuvres qui doivent compléter sa trilogie : La France avant 1789 et Quatrevingt-treize, en revanche, sur certains fragments portant à l’un des coins : 93 ou 18e siècle, on lit sous les ratures certains noms des personnages de l’Homme qui rit, en voici un exemple :

93.

Quand la nuit il[57] considérait le ciel, il disait : Que la création n’ait pas d’esprit, est-ce possible ? Cet esprit de la création, c’est Dieu. Et puis il y a les dieux inférieurs et locaux. Chaque univers a le sien. Il est impossible de s’imaginer qu’une petite bête, comme l’homme, ait une âme, et qu’une grosse bête, comme la terreun monde ou le soleil, n’en ait pas. Quelquefois l’âme du soleil vient sur la terre mettre le holà. Alors elle s’appelle Jésus-Christ.

En marge du texte on lit : L’abbé Cimourdain.

  1. Le vrai titre de ce livre serait L’Aristocratie. Un autre livre, qui suivra, pourra être intitulé la Monarchie. Et ces deux livres, s’il est donné à l’auteur d’achever ce travail, en précéderont et en amèneront un autre qui sera intitulé Quatrevingt-treize. ( Préface de l’Homme qui rit.)
  2. Citations de l’ouvrage d’Edmond-Jean-François Barbier, Les chroniques de la France et de la Régence de Louis XV. Ce dossier assez important ferait double emploi avec les deux dossiers précédents. Nous n’en citerons donc rien. (Note de l’éditeur.)
  3. Le point d’interrogation est sur le manuscrit. (Note de l’éditeur.)
  4. Les mots en italique sont biffés sur le manuscrit. (Note de l’éditeur)
  5. Écriture de 1840 environ. (Note de l’éditeur.)
  6. Au verso d’une copie de lettre de 1862. (Note de l’éditeur.)
  7. Au verso d’un brouillon de vers publiés dans Dernière gerbe sous le titre Babel. (Note de l’éditeur.)
  8. Les notes sur Damiens sont éparses sur sept fragments de papier ; l’un de ces fragments est écrit au verso de lettres de Victor Hugo et de Louis Blanc (lettres imprimées et datées 1862), l’autre au verso d’un faire-part daté octobre 1851. (Note de l’éditeur.)
  9. Dans le manuscrit, au-dessus des points de suspension, entre parenthèses, Victor Hugo a écrit (Vérifier). (Note de l’éditeur.)
  10. Sans mourir avant le onzième. (Note du manuscrit.)
  11. Ces deux derniers mots soulignés indiquent que Victor Hugo croit possible de faire de l’un ou l’autre duc le héros de son roman. Ce cahier de notes est donc antérieur au plan du roman publié page 417. (Note de l’éditeur.)
  12. Dans le plan reproduit page 427, la chambre des Dianes est indiquée et le duc de Mazarin devait être, à défaut du duc de Réthel, le héros de 93.
  13. Ce point d’interrogation est dans le manuscrit. (Note de l’éditeur.)
  14. Au revers d’une dédicace en allemand adressée, en 1841, à Victor Hugo à propos de son élection à l’Académie. (Note de l’éditeur.)
  15. Le mot manque dans le manuscrit. (Note de l’éditeur.)
  16. Environ 1848, d’après l’écriture. (Note de l’éditeur.)
  17. Le nom est resté en blanc dans le manuscrit. (Note de l’éditeur.)
  18. Au verso d’une adresse timbrée septembre 1872. (Note de l’éditeur.)
  19. Ce fragment sur le 10 août est au verso d’une adresse timbrée 28 septembre 1872. (Note de l’éditeur.)
  20. Ces notes ne se rattachent à aucun des dossiers cités, ce sont des appréciations de Victor Hugo sur la Révolution. (Note de l’éditeur.)
  21. Au verso de l’enveloppe de lettre sur lequel on lit le fragment de cette variante :
    « Commencer le paragraphe ainsi :
    « Avant la révolution, depuis des siècles le catholicisme disait : c’est moi qui éclaire. Une fausse lumière nocturne, etc. »
  22. Voir, p. 100, la première ligne de ce fragment. (Note de l’éditeur.)
  23. Carnet de voyage. 1864. (Note de l’éditeur.)
  24. Cette note est en marge et en tête du premier des 27 feuillets. (Note de l’éditeur.)
  25. Voir si je n’ai pas dit quelque chose de pareil dans le livre Shakespeare (le beau serviteur du vrai). [Note de Victor Hugo en marge de la dernière phrase.]
  26. Au revers d’une circulaire de 1850. (Note de l’éditeur.)
  27. Cette note est, ainsi que le brouillon du texte concernant Marat et publié pages 402-403, au verso d’un calendrier républicain italien pour l’année 1872. En tête de ce calendrier sont les portraits de Danton, Marat et Robespierre. (Note de l’éditeur.)
  28. C’est sans doute la fin de cette note qui a inspiré à Victor Hugo le chapitre : Mémoire de paysan vaut science de capitaine. (Note de l’éditeur.)
  29. Ce titre est écrit au revers d’une publication datée du 7 février 1873. (Note de l’éditeur.)
  30. Le nom de Lantenac est biffé, mais visible sous la rature. (Note de l’éditeur.)
  31. Au-dessous de ces notes, quatre questions que Victor Hugo se pose à lui-même ; une accolade les réunit ; devant l’accolade, un point d’interrogation :
    « 1o Voir s’il faut commencer par Les rues de Paris. — Depuis des bataillons de Paris. — Allez, brigands !
    « 2o S’il faut faire dire le plan par Boisberthelot ;
    «3o S’il faut que Halmalo soit questionné sur Gauvain-la-Tour et sache seul le secret du passage souterrain ;
    « 4o S’il faut ajouter les châteaux aux forêts dans l’exposé de la Vendée. » (Note de Victor Hugo.)
  32. Nous ne donnons ici que les notes susceptilbes d’éclairer le lecteur sur le caractère et la philosophie de ce personnage, abandonné dans le roman publié. (Note de l’éditeur.)
  33. Au verso d’une enveloppe timbrée : 16 mars 63 (Note de l’éditeur.)
  34. Verso d’une enveloppe timbrée : Avril 63. (Note de l’éditeur.)
  35. « Le dieu Tougarou, qui est une pierre, a été perdu par un magicien et ramassé par un matelot qui l’a apporté en Europe. Ce dieu était à l’exposition de Paris en 1867 dans une vitrine sous le numéro 685. » (Note de Victor Hugo.)
  36. Le point d’interrogation est répété au-dessous du mot australiens. (Note de l’éditeur.)
  37. Au verso d’une lettre datée du 5 août 1867. (Note de l’éditeur.)
  38. Carnet 1870-1871. (Note de l’éditeur.)
  39. C’est, en prose, ce que dit Gallus dans les Quatre vents de l’esprit :

    D’abord, disons-lui tu. Le bonheur de la femme
    Est d’être tutoyée.

    Verso d’une adresse timbrée : 24 février 63
    . (Note de l’éditeur.)
  40. Verso d’enveloppe timbrée 24 oct. 56. (Note de l’éditeur.)
  41. timbre de poste : 4 nov. 62. (Note de l’éditeur.)
  42. Le mot Histoire, à côté du titre 93, semblerait indiquer que nous sommes en présence d’un portrait historique, mais on ne trouve rien dans la partie historique du roman qui ait rapport à ce caractère. (Note de l’éditeur.)
  43. Verso d’adresse timbrée : 21 avril 66. (Note de l’éditeur.)
  44. Verso adresse timbrée : 4 février 63. (Note de l’éditeur.)
  45. Voir dans cette édition : En voyage, t. ii, p. 503.
  46. Le verso de ce plan offre cette curieuse suscription :
    Monsieur Victor Hugo,
    En voyage scientifique en Europe.
    Actuellement à Bruxelles.
  47. On a pu lire dans l’Homme qui rit (chapitre xii de la deuxième partie) ce que c’était que le pour. (Note de l’éditeur.)
  48. Cette dernière remarque est écrite au verso de la lettre suivante. Nous ne croyons pas devoir en priver le lecteur :
    Paris, boulevard des Italiens, 17.
    21 décembre 1862.

      Laissez-moi vous remercier, Monsieur, de votre lettre si honorable et si bienveillante pour moi. C’est le plus grand encouragement que j’ai pu attendre de mes travaux d’astronomie ; et après avoir respiré, en quelque sorte, dans la lecture de vos ouvrages ce grand souffle d’infini qui les anime, je ne pouvais espérer d’autre bonheur que celui de recevoir votre assentiment direct pour une théorie que je regarde comme la première et la plus belle de toutes les conceptions de la pensée humaine.
      Oh ! si je ne respectais autant votre temps précieux, comme je serais heureux de verser en votre âme quelques-unes des méditations religieuses que l’étude de la nature a développées en moi, mais je suis déjà confus de la liberté que j’ai prise de vous écrire de nouveau pour vous témoigner ma reconnaissance. Je vous prie de m’excuser, et de recevoir mes hommages profonds et sincères.
    C. Flammarion,
    Attaché au bureau des longitudes.
  49. L’écriture semble indiquer que la note sur la Tour Méchante est antérieure à la note sur le Château de Mauvaise. (Note de l’éditeur.)
  50. Au dos d’un fragment contenant quelques vers datés : 2 novembre 1872. (Note de l’éditeur.)
  51. Au verso de la couverture d’un livre publié en 1872. (Note de l’éditeur.)
  52. Bande d’un livre adressé à Victor Hugo et dont le timbre postal porte : 7 nov. 72. (Note de l’éditeur.)
  53. Le mot que nous laissons en blanc, est illisible. (Note de l’éditeur.)
  54. Au verso d’une enveloppe timbrée 6 janv. 63. (Note de l’éditeur.)
  55. Verso d’une adresse timbrée : 12 janvier 63. (Note de l’éditeur.)
  56. Enveloppe de livre timbrée : 7 sept. 72. (Note de l’éditeur.)
  57. Ce mot il vient en surcharge du nom d’Ursus, biffé. (Note de l’éditeur.)