Quand les violons sont partis/Jardin mort

Quand les violons sont partisLibrairie Léon Vanier ; A. Messein, SuccrPoésies complètes d’Édouard Dubus (p. 59-61).
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JARDIN MORT

Pour Paul Roinard.

Enclos de murs, dont les portes sont condamnées,
Le jardin, qu’ont flétri d’extatiques années,
Gît sous l’effeuillement de ses grâces fanées.

La ronce a lentement rampé sur les gazons,
Où les perverses, méditant leurs trahisons,
Cachaient le piège de subites pâmoisons.

Aux rives de l’étang, ce miroir qui frissonne,
Pour se rire ou cueillir des nénufars : personne,
Mais de mornes roseaux, que le Temps seul moissonne.

La brume ensevelit les bosquets vermoulus
Debout dans le silence et le calme absolus :
Brise ou bise, le vent n’y rôde jamais plus.


Au ciel, où quelque oiseau de malheur toujours vole,
Plus de soleil pimpant, de lune bénévole,
Plus d’astres clignotant leur œillade frivole.

La Désolation, veuve d’espoir qui ment,
Semble régner ici pour éternellement,
Sous l’empire d’un fatidique enchantement.


Une heure de printemps est cependant venue,
Herbes et fleurs ont diapré la terre nue,
L’étang s’est constellé des joyaux de la nue.

Les portes ont laissé leurs battants engourdis
Sous les lierres inextricablement ourdis
S’ouvrir au vent berceur des bosquets reverdis.

Ce fut lorsqu’apparut, sans laisser de vertige,
Tant sa marche semblait un parfum qui voltige,
La Reine rayonnante en nimbe de vestige.


Distraitement, elle cueillit, de ci, de là,
Un bouquet pour fleurir sa robe de gala,
Puis, laissant le royaume à la mort, s’en alla.

Dès lors, enclos de murs aux portes condamnées
Le jardin, qu’ont flétri d’extatiques années,
Gît sous l’effeuillement de ses grâces fanées.