Quand chantait la cigale/La cigale chante

Édition Privée (p. 22-23).


LA CIGALE CHANTE


Et pendant tous ces jours, Cécile se promène, rit, chante, danse, se baigne, se toilette, flâne, mange, dort et met dans la maison l’entrain et la gaieté. Elle s’amuse comme une folle cigale et s’efforce de nous amuser. Toujours, elle a des histoires et des mots d’un comique irrésistible. Personnelle et originale, son extraordinaire fantaisie éclate en tout et partout. Ses jeux de physionomie et ses gestes dérideraient l’esprit le plus morose. Une grande comédienne sur la scène ne produirait pas plus d’effet qu’elle.

Elle est débordante de jeunesse.

Ses dix-huit ans la grisent, l’emportent.

Mais elle sait qu’ils ne reviendront plus. Elle se dépêche de vivre. Le matin, elle jaillit de son lit en pyjama rose et, même si le ciel est gris, elle fredonne, bourdonne et turlute.

Elle flâne dans le hamac, roule en automobile avec son amie Margot ou d’autres encore, se promène en canot, va se baigner au lac, cueille des fleurs, ne manque jamais l’arrivée d’un train, valse le soir au club et est partout le boute-en-train, la vie, la joie.

L’autre jour, elle est entrée un moment avec Margot dans le vieux cimetière, à côté de l’église. Près de la porte, elle a vu une pierre tombale toute basse, penchée, presque perdue parmi les herbes et elle a lu l’inscription :

Adieu,
Étienne,
fils de Paul Tondu.

Alors, blagueuse, parce que partout et toujours, elle veut rire, elle s’est exclamée d’un ton dramatique :

— Agueu, Équenne, fils de Paul Tondu !

Et sous terre, le mort a dû éclater de rire.

Pour elle, vivre, vivre l’heure présente, le plus gaiement possible, tout est là. Elle ne veut penser à rien autre chose.

Si elle voyait venir la mort, crânement elle lui crierait :

— Allo, toué !

Si elle le pouvait, elle danserait à son propre enterrement.

Elle est la cigale qui chante.