Quand ce beau printemps je vois

La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 81-85).


QUAND CE BEAU PRINTEMPS JE VOIS


Quand ce beau printemps je vois
              J’aperçois
Rajeunir la terre et l’onde,
Et me semble que le jour
              Et l’amour
Comme enfants naissent au monde.

Le jour qui plus beau se fait
              Nous refait
Plus belle et verte la terre,
Et amour armé de traits
              Et d’attraits
Dans nos cceurs nous fait la guerre.

Il répand de toutes parts
              Feux et dards,
Et dompte sous sa puissance
Hommes, bêtes et oiseaux,
              Et les eaux
Lui rendent obéissance.

Vénus avec son enfant
              Triomphant
Au haut de sa coche assise
Laisse ses cygnes voler
              Parmi l’air
Pour aller voir son Anchise.

Quelque part que ses beaux yeux
              Par les cieux
Tournent leurs lumières belles,
L’air qui se montre serein
              Est tout plein
D’amoureuses étincelles.


Puis en descendant à bas
              Sous ses pas
Croissent mille fleurs décloses ;
Les beaux lys et les œillets
              Vermeillets
Y naissent avec les roses.

Celui vraiment est de fer
              Qu’échauffer
Ne peut sa beauté divine,
Et en lieu d’humaine chair
              Un rocher
Porte au fond de la poitrine.

Je sens en ce mois si beau
              Le flambeau
D’amour qui m’échauffe l’âme,
Y voyant de tous côtés
              Les beautés
Qu’il emprunte de ma dame.

Quand je vois tant de couleurs
              Et de fleurs
Qui émaillent un rivage,
Je pense voir le beau teint
              Qui est peint
Si vermeil en son visage.

Quand je vois les grands rameaux
              Des ormeaux
Qui sont serrés de lierre,
Je pense être pris au lacs
              De ses bras
Quand sa belle main me serre.

Quand j’entends la douce voix
              Par les bois
Du beau rossignol qui chante,
D’elle je pense jouir
              Et ouïr
Sa douce voix qui m’enchante.


Quand Zéphyre mène un bruit
              Qui se suit
Au travers d’une ramée,
Des propos il me souvient
              Que me tient
Seule à seul ma bien-aimée.

Quand je vois en quelque endroit
              Un pin droit
Ou quelque arbre qui s’élève,
Je me laisse décevoir,
              Pensant voir
Sa belle taille et sa grève[1].

Quand je vois dans un jardin,
              Au matin,
S’éclore une fleur nouvelle,
J’accompare le bouton
              Au teton
De son beau sein qui pommelle.

Quand le soleil tout riant
              D’orient
Nous montre sa blonde tresse,
Il me semble que je voi
              Près de moi
Lever ma belle maîtresse.

Quand je sens parmi les prés
              Diaprés
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors je fais croire à mes sens
              Que je sens
La douceur de son haleine.

Bref, je fais comparaison
              Par raison
Du printemps et de m’amie :
Il donne aux fleurs la vigueur
              Et mon cœur
D’elle prend vigueur et vie.


Je voudrais au bruit de l’eau
              D’un ruisseau
Déplier ses tresses blondes,
Frisant en autant de nœuds
              Ses cheveux
Que je verrais friser d’ondes.

Je voudrais pour la tenir
              Devenir
Dieu de ces forêts désertes,
La baisant autant de fois
              Qu’en un bois
Il y a de feuilles vertes

Ah ! maîtresse, mon souci,
              Viens ici,
Viens contempler la verdure :
Les fleurs de mon amitié
              Ont pitié
Et seule tu n’en as cure.

Au moins lève un peu tes yeux
              Gracieux
Et vois ces deux colombelles,
Qui font naturellement
              Doucement
L’amour du bec et des ailes.

Et nous sous ombre d’honneur,
              Le bonheur
Trahissons par une crainte :
Les oiseaux sont plus heureux
              Amoureux,
Qui font l’amour sans contrainte.

Toutefois ne perdons pas
              Nos ébats
Pour ces lois tant rigoureuses,
Mais si tu m’en crois vivons
              Et suivons
Les colombes amoureuses.


Pour effacer mon émoi,
              Baise-moi,
Rebaise-moi, ma Déesse,
Ne laissons passer en vain,
              Si soudain,
Les ans de notre jeunesse.

Ronsard.

  1. Jambe.