Purification de l’acide sulfurique

PURIFICATION
DE
L’ACIDE SULFURIQUE


Par M. BLONDLOT.




Les matières étrangères que renferme ordinairement l’acide sulfurique du commerce sont les unes fixes et les autres plus ou moins volatiles. Les premières sont surtout du sulfate de plomb et rarement d’autres sels métalliques. Les secondes sont l’arsenic, des composés nitreux et de l’acide sulfureux.

Élimination des matières fixes. Elle s’effectue, comme l’on sait, au moyen de la distillation. On comprend de quelle importance il est que cette opération s’exécute régulièrement et sans soubresauts, qui pourraient projeter dans le récipient des portions de liquide impur. C’est pourquoi je crois devoir décrire ici une disposition particulière de l’appareil que j’emploie depuis quelque temps, et qui me semble préférable à toutes celles qui ont été proposées jusqu’ici.

J’opère dans une cornue chauffée au bain de sable. Je me sers à cet effet d’une boîte en forte tôle, cylindrique et à fond plat, d’un diamètre tel qu’entre la partie la plus large de la panse de la cornue et les parois métalliques, il y ait tout au plus un centimètre de distance, occupé par le sable ; de sorte que, par suite de la difficulté que la chaleur éprouve à traverser ce dernier, la partie supérieure du liquide, qui correspond successivement aux points où la couche de sable est la plus mince, à cause de la courbure du verre, entre toujours en ébullition avant celle qui est au-dessous. Du reste, la boîte en tôle, dont la hauteur dépasse de quelques centimètres le dôme de la cornue, présente latéralement une échancrure profonde, pour laisser passer le col de celle-ci. Cela étant, après avoir rempli à moitié la cornue de l’acide à distiller, je mets au fond de la boîte une couche de cendres tamisées d’environ un centimètre d’épaisseur ; puis, la cornue étant placée, je comble l’intervalle, jusqu’à l’échancrure, de sable fin, et je couvre la boîte avec une plaque de terre ou de métal. Au surplus, la figure ci-contre, qui représente le bain de sable, la cornue et une partie du tube condensateur, complètera cette description. Ainsi disposé, l’appareil est introduit dans un fourneau muni de son laboratoire, assez spacieux pour que le fond du bain de sable reposant directement sur la grille (que l’on peut élever, au besoin, par quelques fragments de briques placés au centre du cendrier), il reste assez d’espace pour le charbon ; d’où il résulte que l’échauffement s’effectue par les côtés et de haut en bas. Je dois dire aussi que je remplace très-avantageusement le ballon récipient par un large tube en verre mince, d’environ un mètre de longueur, dans la partie supérieure duquel j’introduis le col de la cornue, sans intermédiaire, tandis que l’inférieur, étiré à la lampe et recourbé angulairement, s’engage dans le col d’un flacon. L’appareil exige un certain temps pour se mettre en marche ; mais il fonctionne ensuite avec une régularité parfaite, sans autres soins que l’entretien du feu, qui doit être conduit de telle sorte que le tube condensateur s’échauffe à peine dans sa moitié inférieure et que le liquide tombe à peu près froid dans le flacon.

Élimination de l’arsenic. Jusqu’ici, pour obtenir ce résultat, on précipitait l’arsenic au moyen de l’acide sulfhydrique ou des sulfures, ou bien on le volatilisait en le faisant passer à l’état de chlorure. Dans un mémoire récent, MM. Buignet et Bussy, après avoir démontré l’insuffisance des moyens précédents, ont proposé une nouvelle méthode basée sur un fait connu, mais dont ils ont fait ressortir toute l’importance, savoir la fixité de l’acide arsenique, tandis que l’acide arsénieux se volatilise en partie avec l’acide sulfurique. Le problème se réduisait donc à suroxyder l’acide arsénieux. À cet effet, ces savants proposent de faire d’abord bouillir l’acide sulfurique arsénical avec une petite quantité d’acide azotique ; d’ajouter ensuite assez de sulfate d’ammoniaque pour détruire l’excès du composé nitreux et de distiller enfin avec les précautions voulues.

Tout en admettant le principe sur lequel cette méthode est établie, j’ai pensé que le moyen proposé pourrait présenter un double danger. Le premier serait, dans le cas où l’on n’ajouterait pas assez de sulfate d’ammoniaque, de laisser dans l’acide sulfurique des traces du composé nitreux, qui, ainsi que je l’ai fait voir ailleurs, pourraient avoir les conséquences les plus graves en toxicologie. Le second serait, au contraire, de permettre à un peu d’acide arsénique de repasser l’état d’acide arsénieux, une fois la source de l’oxygène anéantie. Plusieurs causes fortuites pourraient produire cet effet : pour n’en citer qu’une seule, je ferai remarquer qu’il suffirait de la chûte accidentelle dans le liquide d’une trace de matière organique, pour produire de l’acide sulfureux et, par suite, la réduction d’un peu d’acide arsénique au degré inférieur d’oxydation. J’ai même pensé, à priori, que le sulfate d’ammoniaque lui-même, s’il était employé en certain excès, pourrait bien amener ce résultat, l’ammoniaque étant aussi un agent de réduction pour l’acide arsénique. Cette assertion ayant trouvé des contradicteurs[1] j’ai entrepris de la vérifier par l’expérience.

De même que MM. Bussy et Buignet, dans 100 grammes d’acide sulfurique, j’ai fait dissoudre, 0gr,1 d’acide arsénieux ; puis, après y avoir versé 10 gouttes d’acide azotique, j’ai chauffé, et enfin j’ai ajouté un gramme de sulfate d’ammoniaque, en continuant l’action de la chaleur. J’ai ensuite soumis le tout à la distillation jusqu’à siccité, mais en fractionnant les produits en cinq parties à peu près égales. Or, essayées à l’appareil de Marsh alimenté par du zinc pur, les deux premières et les deux dernières ont à peine fourni des traces d’arsenic ; tandis que la troisième a formé, à la longue, un petit anneau bien caractérisé.

Je me suis ensuite demandé si, en employant pour détruire 10 gouttes d’acide azotique, un gramme de sulfate d’ammoniaque, on met réellement ce sel en grand excès, comme le prétendent mes savants contradicteurs. En effet, 10 gouttes d’acide azotique pèsent approximativement 0gr,35. Or, en laissant de côté les éléments de l’eau, ces 0gr,35 fournissent 0gr,22 d’oxygène ; tandis que l’ammoniaque d’un gramme de sulfate produit 0gr,05 d’hydrogène, qui correspondent à l’oxygène d’environ 18 gouttes d’acide. Il y aurait donc un excès d’ammoniaque ; mais, si l’on réfléchit que le sulfate d’ammoniaque n’est pas toujours d’une pureté absolue, qu’il est souvent acide et recèle habituellement beaucoup d’eau, on trouve que l’excès en question doit se réduire à peu de chose. J’ai donc pensé qu’il convenait de recommencer l’expérience, en doublant la dose du sel ammoniacal. Or, les produits de la distillation ont donné des résultats semblables aux précédents, à cela prés que la quantité d’arsenic déposé dans les tubes était notablement plus considérable ; ce qui semble confirmer mes prévisions. Ai-je besoin, d’ailleurs, d’ajouter que l’introduction d’un excès de sulfate d’ammoniaque, qui est volatil, peut souiller le produit ; ce qui n’est pas sans inconvénients pour certaines expériences délicates, le dosage volumétrique de l’azote, par exemple ?

Ces considérations diverses m’ont engagé à chercher, pour opérer la suroxydation de l’acide arsénieux, un agent incapable de céder à l’acide sulfurique aucun produit volatil. J’ai d’abord employé le manganate de potasse, dont une faible proportion suffit pour obtenir l’effet désiré. Puis, conduit par l’analogie, je lui ai substitué simplement un peu de peroxyde ds manganèse. La manière d’opérer consiste à introduire d’abord l’acide à purifier dans une capsule de porcelaine, et, après y avoir ajouté le peroxyde de manganèse, en petits fragments, dans la proportion d’environ 8 ou 10 grammes par kilogramme, à chauffer, en agitant le liquide avec une baguette, jusqu’à ce qu’il entre en ébullition. On retire alors du feu, et, après le refroidissement, on introduit le liquide et le manganèse excédant dans la cornue où doit s’opérer la distillation.

Pour éprouver l’efficacité de cette méthode fort simple, je l’ai appliquée à la purification non-seulement de l’acide sulfurique arsenical du commerce, mais aussi à celle d’un acide dans lequel j’avais fait dissoudre jusqu’à un demi pour cent d’acide arsénieux : ce qui excède de beaucoup la proportion d’arsenic qui se trouve dans les acides fabriqués avec les pyrites. Or, bien que j’aie quelquefois poussé la distillation jusqu’à siccité presque complète, le produit, essayé dans l’appareil de Marsh, aux différentes périodes de l’opération, ne m’a jamais fourni le moindre indice d’arsenic.

Élimination des composés nitreux. L’acide sulfurique du commerce renferme souvent des composés oxygénés de l’azote, qui nuisent à certaines opérations industrielles et ne permettent pas de l’employer à quelques expériences, notamment à la recherche de l’arsenic par la méthode de Marsh. Il importe donc de pouvoir l’en débarrasser complétement. Mais ici il y a une distinction à établir.

S’agit-il, en effet, d’obtenir un produit industriel, qui, pourvu qu’il soit exempt de composés nitreux, peut récéler impunément des traces d’autres matières étrangères, il suffit pour le purifier d’y ajouter une petite quantité de sulfate d’ammoniaque et de chauffer ; l’oxygène des uns se combinant à l’hydrogène de l’autre, les deux substances s’entredétruisant en dégageant leur azote. Cette méthode ingénieuse, qui est due à M. Pelouze, est trop connue pour que je m’y arrête.

S’agit-il, au contraire, d’obtenir un acide chimiquement pur, cette méthode ne remplit plus le but, d’après ce qui a été dit précédemment. C’est pourquoi je me suis attaché à en chercher une nouvelle. La suivante, à laquelle je me suis arrêté, est des plus simples et je l’ai mise plusieurs fois à l’essai avec un succès complet.

Que l’acide à purifier soit simplement nitreux ou qu’il renferme en même temps des traces d’arsenic, je le chauffe dans une capsule, après y avoir ajouté une lame de cuivre, qui est promptement attaquée, d’abord par les produits nitreux, qu’elle détruit, ensuite par l’acide sulfurique lui-même, qui donne lieu à de l’acide sulfureux, lequel ramène l’acide arsenique, s’il en existe, à l’état d’acide arsénieux. J’enlève la lame, dès que quelques gouttes de liquide, essayées par le sulfate d’indigo ne le décolorent plus. Je retire alors la capsule du feu, et, après quelques minutes de repos, il se dépose une poudre brune, essentiellement formée de sulfure de cuivre, qui se produit toujours accessoirement dans la réaction de l’acide sulfurique sur le cuivre. Je décante dans une autre capsule, et je chauffe de nouveau en ajoutant du bioxyde de manganèse, comme dans le cas précédent. Seulement, on conçoit qu’il faille ici augmenter un peu la dose de cet agent, attendu qu’il peut y avoir à suroxyder de l’acide sulfureux, de l’acide arsénieux, et aussi des traces de sulfure de cuivre, qui auraient échappé à la décantation. Il ne s’agit plus dès lors que de distiller, comme précédemment.

Élimination de l’acide sulfureux. S’il arrivait que l’acide sulfurique contînt de l’acide sulfureux, soit par suite d’une fabrication vicieuse, soit par l’effet de la réaction opérée par des substances étrangères, notamment par des matières organiques, on comprend qu’on puisse facilement l’en débarrasser en le distillant sur du bioxyde de manganèse, dont l’emploi constitue ainsi, pour l’acide sulfurique, une méthode générale et en quelque sorte simultanée de purification, applicable à la plupart des cas.



  1. Voir le Journal de Pharmacie et de Chimie, no  de juin 1864.