Psyché au cinéma/C’était un P’tit Garçon

Paradis-Vincent (p. 31-37).


C’ÉTAIT UN P’TIT GARÇON…


À un « chasseur d’images ».


Je blâme également et ceux qui prennent parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.
Pascal


C’était un p’tit garçon
Qui p… du vinaigre
Qui jouait du violon
Sur la queue d’un cochon.

Chanson populaire


Il s’appelait Mathurin et, tout jeune, il s’était engagé dans les épluchettes de blé-d’inde comme violonneux. Il jouait, jouait, jouait. Et derrière lui, traîné par une corde, son petit cochon le suivait. Il ne pouvait guère s’en passer : c’était son alter ego, son indispensable condition d’existence. Et avec ça, il était triste, mais triste ! il ne finissait pas vraiment d’être triste. En lui se débattaient tous les petits diables souffreteux qui avaient passé sur terre, toutes les petites filles qui n’avaient fait que pleurer et qui, devenues grandes, continuaient à être des petites filles à pleurer, pleurantes. — Et puis, un bon petit cœur, le cœur un peu bête des cœurs bons, celui dont on dit en riant : « Vous savez, c’est un enfant, nous le briserons à l’heure venue, et après qu’il se sera vidé de toutes ses rages et de toutes ses larmes, on le roulera vers la mort, dans des langes d’enfant semés de petites croix, ce qui est une façon définitive de rouler les enfants, quand ils sont redevenus, parfois, des enfants enfants. »

Il avait une âme de Petit Chose, de Jack et de Poil de Carotte, et toutes ces âmes mises à l’épreuve en même temps, différentes quoique sœurs, quand elles se mettaient à battre, chacune de leur côté, il lui paraissait que sa poitrine allait s’ouvrir et tomber, là, dans la rue, et qu’on lui volerait même ça, sa poitrine malade. Pauvre petit jeune homme !

Le jour, vêtu d’inconscience et de désirs morbides, à la saison d’été il se mariait à la nature et lui faisait place entière en son âme. Il s’amusait à suivre le vol des papillons qui le grisaient de couleurs et volontiers il s’imaginait un pareil destin : mourir d’une mort vaine, étouffé dans un calice de roses, ou à la première heure automnale, lorsque le froid assassin transperce d’agonie les choses d’azur, les insectes trompés par les fausses promesses d’un été sans limites ! Et l’hiver, si son chagrin s’ingéniait en tortures, il se couchait au fond du jardin glacé et, laissant pleuvoir les étoiles liliales, se sentait mort, statue de neige. Pauvre petit jeune homme !

Il dormait mal, la nuit, toujours réveillé par des cauchemars et le battement de ses artères. Il rêvait à des choses indicibles et la volupté le conduisait jusque sur les tours de Notre-Dame. Là, il rayonnait, taquinait la lune et les astres, parlait à ses anges gardiens, à des compagnons morts et à une petite fille qui s’était éteinte, un jour, d’avoir pleuré sur son gilet. Pauvre petit jeune homme !


Longtemps, il erra sur les routes ; il connut des joies traversées d’orages et ce que l’on est convenu d’appeler l’humaine misère. Ayant appris à lire, il passait ses jours dans M. Rabier, M. Forain, Caran d’Ache, et les autres. C’est vers eux qu’il allait instinctivement — les caricaturistes et les dessinateurs gais. Et son tempérament fantasque s’y alimentait d’une tristesse immense. C’est pourquoi, de préférence à tout, il les lisait. Son visage s’éclairait à la lecture d’Achille fourre son nez partout. Un moment, il exultait — la durée d’un éclair — et la nuit se remettait à descendre.

Un jour, il s’assit au bord des chemins qui étaient croches, il s’assit et demeura longtemps à regarder le ciel, la verdure, les arbres et, là-bas, la mer roulant en bruit profond et sourd. Il leva ses mains dans la lumière, les fit danser et rit à gorge déployée de voir que les rayons les perçaient ainsi que de petites flèches. Il respira à long traits et, portant une main à son cœur, il sentit qu’il s’était en allé, qu’il était partout et nulle part, dans le passé ou l’avenir.

Alors, il éclata de rire, et si fort, si fort qu’il mourut dans son rire avec le murmure des feuilles agitées et d’un roseau pleurant.

C’était un p’tit garçon
Qui p… du vinaigre,
Qui jouait du violon
Sur la queue d’un cochon.