Proverbes dramatiques/Préface

Proverbes dramatiquesLejaytome I (p. iv-xiii).


AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR.



Ce que l’on donne ici au Public, n’est autre chose qu’une partie d’un Manuscrit trouvé dans les rues de Paris, la nuit, & dont l’adresse étoit entierement effacée. On l’a annoncé en vain plusieurs fois dans les petites-Affiches, & personne ne l’a réclamé ; l’on a vu seulement qu’il étoit adressé à une Dame qui est en Province ; ainsi il lui parviendra par la voie de l’impression.

Ce qui a déterminé l’Editeur de cet Ouvrage, c’est le goût qu’il paroît que beaucoup de personnes ont pris à voir jouer des Proverbes, & même à en jouer. L’on en trouvera ici qui ont été représentés quelquefois dans différentes Sociétés.

En parcourant la lettre que l’Auteur écrivoit à la Dame, à qui il adressoit ce Recueil, on verra pourquoi l’Auteur a dialogué ces Proverbes. Il y dit aussi pourquoi ils ne sont pas écrits avec plus de soin. S’ils réussissent vis-à-vis du Public, on lui donnera tout ce que contient le Manuscrit trouvé.


LETTRE
DE L’AUTEUR
À Madame de ***.



J’arrive de la Campagne, Madame, où vous savez que j’ai été obligé de passer plusieurs mois, & presque tout seul, sur-tout les soirées & pendant l’Hiver. J’étois déterminé à lire beaucoup ; mais le desir de faire une chose qui pût répondre exactement aux questions que vous m’avez faites dans vos lettres, où vous m’avez demandé ce que c’est que des Proverbes, m’a fourni un genre d’occupation, qui ne m’a pas laissé un instant de vuide. Je vais donc avoir l’honneur de vous rendre compte, dans ce Recueil, des Proverbes que l’on joue à Paris, dans quelques Sociétés, & de la maniere dont on les joue.

Votre curiosité sur ce sujet, Madame m’a fait croire, que vous seriez bien aise de procurer cet amusement à ceux qui ont le bonheur de vous faire leur cour. Je serois charmé de seconder vos intentions, & de leur faire naître le desir d’en jouer devant vous, pour que vous en puissiez mieux juger.

Vous saurez, Madame, que l’on choisit un sujet, qui forme plusieurs Scènes d’une action, & que le titre de ces Scènes doit être un Proverbe. Il n’y a presque pas de Comédie à laquelle on ne pût donner un Proverbe pour titre, si l’on vouloit. On diroit du Joueur, promettre & tenir sont deux. Du Philosophe marié, un peu de honte est bientôt passée, &c.

Le Proverbe Dramatique est donc une espèce de Comédie, que l’on fait en inventant un sujet, ou en se servant de quelques traits, quelque Historiette, &c. Le mot du Proverbe doit être enveloppé dans l’action, de manière que si les Spectateurs ne le devinent pas, il faut lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : ah ! c’est vrai ! comme lorsqu’on dit le mot d’une Enigme, que l’on n’a pu trouver.

Le Proverbe Dramatique est très-agréable quand il y a beaucoup de gaieté ; mais il ne l’est pas moins quand l’action est intéressante, sur-tout si l’on y joint la vérité du Jeu. Cette vérité est ce qui fait le plus de plaisir dans cette sorte d’amusement, & c’est ce que possédent parfaitement plusieurs Dames, à qui j’en ai vu jouer à Paris.

Les sujets pris dans les Sociétés ordinaires, donnent une grande facilité pour le Jeu.

Toutes les fois que l’on sait ce que l’on a à dire, quand on parle à quelqu’un, on le dit sans penser au ton que l’on donnera à chaque mot ; parce qu’on ne sait que le fond de la Scène & non les phrases qu’on employera ; ainsi, tous les tons & toutes les manieres seront toujours vrais, quand on aura bien saisi le caractère que l’on voudra rendre. Il existe tant de modèles vivants dans tous les genres, qu’il s’en présentera en foule à l’imagination. En s’habillant selon les Rôles, les Proverbes seront plus piquants.

Quand le Proverbe est composé d’un certain nombre de Scènes, il n’y a pas de mal de faire un canevas dans la tête ou par écrit ; c’est ce que les Italiens appellent Scenario. On le divise par Scène & l’on y explique ce qui fait le fond de chaque Scène. C’étoit de ces espèces de canevas, Madame, que j’avois projetté de vous envoyer ; j’en avois amassé beaucoup, & je me promettois d’en faire aussi d’après plusieurs idées qui me sont venues. Après avoir fait un certain nombre de canevas, je les ai trouvés froids & peu propres à vous amuser. J’ai essayé de les dialoguer, pour vous donner des idées plus complexes de la maniere dont il faut jouer les Proverbes.

Dans ces Dialogues, je n’ai cherché à mettre que le ton de la conversation, & je ne me suis point appliqué à faire de belles phrases ; parce qu’il n’en faut point faire en jouant les Proverbes : ce qu’il y a d’essentiel ; c’est que chaque Acteur parle suivant le genre de son Rôle ; ainsi, ce n’est pas du style que vous trouverez ici ; mais un grand desir d’avoir le ton de la vérité.

Si les personnes avec qui vous vivez, Madame, veulent jouer des Proverbes ; s’ils n’en inventent pas & qu’ils veulent essayer de ceux-ci, qu’ils s’assemblent, distribuent les Rôles & lisent le Proverbe qu’ils choisiront ; mais qu’après ils ne le revoyent plus ; ils joueront de tête très-bien & avec la plus grande vérité. S’ils apprenoient les Scènes, cela pourroit devenir plus froid que de mauvaises Comédies mal jouées.

Je m’apperçois, Madame, que sans y penser, j’ai fait une espece de Préface ; c’est sans doute commencer par être ennuyeux ; trop heureux si je ne finis pas de même ! ce seroit bien mal adroitement m’éloigner du but où j’aspire, qui est celui de vous plaire, &c.


Nota. J’ai donné un titre à chaque Proverbe, & je n’ai mis les mots des Proverbes qu’à la fin, pour qu’on puisse les deviner en les lisant.


LETTRE
D’un Amateur de Proverbes, en Province, à l’Auteur.



Nous jouons ici vos Proverbes, Monsieur, avec beaucoup de succès ; j’ose le dire parce que je suis un de ceux dont le talent les font le moins valoir, & que ce n’est pas de moi que je parle ; mais comme je les aime beaucoup, je puis vous assurer que nous vous devons l’amusement de toutes nos soirées. Nous voudrions vous avoir encore une obligation ; ce seroit de nous tirer de l’embarras où nous sommes pour les habillemens, ce qui nous fait souvent passer le temps à disputer, au lieu de nous amuser. Nous avons même un disputeur très-opiniâtre, parmi nous, qui seroit un excellent correcteur pour vos Proverbes. Faites-nous donc le plaisir de nous indiquer la maniere dont il faut que les personnages de vos Proverbes soient habillés, pour terminer tous nos débats.

Une de nos meilleures Actrices, prétend qu’il faut que les Soubrettes, que vous appellez Femmes-de-chambre, ayent de petits tabliers de gase courts, & d’après cela, elle en a fait faire de toutes les couleurs ; celles qui font les amoureuses, empruntent tous les diamants de la Ville. Les amoureux veulent avoir des gands blancs. Toutes les femmes ne jouent point sans avoir toujours de très-gros bouquets, & l’on met jusqu’aux Valets-de-chambre en habits de livrée ; cependant nous voyons ceux de M. l’Intendant, qui sont galonnés en or & en argent, qui sont très-piqués qu’on les représente de cette maniere. J’ai soutenu qu’en s’habillant ainsi, on s’éloignoit entierement de la vérité que vous demandez dans vos Proverbes, & c’est ce qui m’a fait desirer d’avoir votre sentiment pour autoriser les représentations que je fais sans cesse, & auxquelles le disputeur ne se rend jamais. Faites-le donc taire, Monsieur, si vous voulez que rien n’altere le plaisir que nous vous devons, & dont je suis chargé de vous faire mille remerciemens au nom de toute la Troupe. Je suis très-aise d’avoir cette occasion de vous assurer, &c.


D’après cette Lettre, on s’est cru obligé dans cette édition, d’indiquer les habillemens, ce que bien des gens trouveront peut-être ridicule : mais comme il faut contenter tout le monde ; ceux qui n’ont pas besoin de ces instructions ne les liront pas.

Quand il n’y aura rien d’indiqué ; c’est que cela ne sera pas nécessaire, & l’on verra aisément pourquoi.

Cette édition complette forme en tout six Volumes, contenant quatre-vingt-deux Proverbes ; les Amusemens de Société faisant partie de cet ouvrage, à qui on avoit donné mal-à-propos, un autre titre, à la sollicitation du Libraire.

On trouvera chez le même Libraire, les parties séparées de cet Ouvrage, dont on pourroit avoir besoin pour le compléter ; & le Théâtre du Prince Clenerzow, Russe.