Proverbes dramatiques/Le Trompeur favorable
Explication du Proverbe :
LE TROMPEUR
FAVORABLE.
PERSONNAGES.
M. LE BLANC, Tuteur de Mlle . De Saint-Genest. Habit brun, veste d’or, perruque à nœuds.
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Mlle . DE SAINT-GENEST. Mise comme une jeune demoiselle, en tafetas.
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JULIE, Femme-de-chambre de Mlle . De Saint-Genest. En Femme-de-chambre.
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Le Chevalier DUCHERNY. Habit vert galonné, veste brodée, épée & chapeau.
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M. DUCHERNY, pere du Chevalier Ducherny. Habit brun galonné d’or, épée & chapeau.
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M. JAQUEMIN, Commissaire. En habit noir, & puis en robe.
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| CHAMPAGNE, | Laquais de M. Le Blanc. En habits gris à boutons d’or. | |
| PICARD, | ||
Des ARCHERS. En uniforme du Guet à pied.
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Scène premiere.
Julie, tu ne veux pas me dire absolument ce que tu as ?
J’ai réellement du chagrin, Mademoiselle.
Pourquoi cela ? Je ne te cache rien ; tu sais tous mes secrets : quelle est cette réserve ?
Eh bien, Mademoiselle, c’est vous qui m’affligez ; je suis au désespoir d’être obligée de vous quitter.
Comment, me quitter ? je ne le souffrirai pas.
Il faut donc que vous sortiez d’ici ; car tant que vous y resterez, je ne peux pas y demeurer exposée à toutes les persécutions de votre tuteur.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Que vous le croyez amoureux de vous, Monsieur le Blanc ?
Que trop ; puisqu’il s’oppose au mariage du Chevalier Ducherny, avec moi, & qu’il veut absolument que je l’épouse.
Je crois que c’est de votre bien qu’il est amoureux.
Mais il est jaloux.
Bon ; les hommes sont jaloux dès qu’ils voient qu’on ne se soucie pas d’eux. Est-ce qu’il ne croit pas que j’aime Champagne, que je ne peux pas souffrir.
Monsieur Le Blanc est amoureux de toi ?
Oui, voilà ce que c’est ; & comme ses desseins ne peuvent être que mal-honnêtes, je ne veux pas y être exposée davantage.
Je le voudrois bien qu’il fût amoureux de toi, pouvoir lui prouver que je le sai, le confondre, & être enfin débarrassée de ses poursuites. Mais sur quoi juges-tu cela ?
Sur les propositions qu’il m’a faites de me faire ma fortune, si je voulois me rendre à ses desirs.
Quoi, tout de bon ?
Oui, riez. Il vouloit me donner cinquante louis, pour aller l’attendre ce soir, dans le cabinet qui est au bout du jardin.
Hé bien, tu n’as pas voulu ?
Mais je vous le demande ? En vérité vous avez une jolie opinion de moi, avec votre question.
Non, c’est qu’il me vient une idée…
Qu’est-ce que c’est ?
Tu crois qu’il se rendroit au pavillon ?
J’en suis sûre, vous dis-je.
Hé bien, il faut que tu acceptes la proposition.
Comment, vous me croyez capable ?…
Non ; mais écoute-moi.
Je sai ce que vous assez me dire ; vous voulez nous y surprendre ensemble ?
Non. Il faut, te dis-je, que tu acceptes la proposition, & je m’y rendrai à ta place. Je serai en droit pour-lors de lui faire des reproches, qui l’empêcheront de songer davantage à m’épouser, & ce sera un obstacle de moins pour le Chevalier.
Oui ; mais j’ai refusé avec colere, & de façon à lui ôter tout espoir de réussir.
Si tu l’as quitté avec colere, il cherchera à t’appaiser, quand ce ne seroit que pour t’empêcher de m’en rien dire.
Cela pourroit être.
Je crois l’entendre ; je vais te laisser avec lui, & tu viendras me dire ce qui se sera passé.
Il faut que je vous sois aussi attachée que je le suis, pour me prêter à ce que vous desirez là.
Mais tu ne risques rien. S’il te donne les cinquante louis, tu feras même très-bien de les prendre.
Vous le croyez ?
Oui, oui ; il faut bien qu’il paye cette petite correction. Tu viendras me retrouver chez moi.
Oui, Mademoiselle. Je crois à présent que je réussirai : le plaisir de tromper Monsieur Le Blanc, me réjouit d’avance.
Scène II.
Eh bien, ma chère Julie, es-tu encore fâchée contre moi ?
Mais, Monsieur, n’avois-je pas raison ?
Ce que je te proposois devoit-il t’offenser ? c’est une preuve que je t’aime.
Je le sai bien, Monsieur ; mais on ne peut pas s’empêcher d’être surprise de voir qu’on a mauvaise opinion de vous, rien n’est si humiliant.
Et où est la mauvaise opinion ?
Comment ! d’offrir de l’argent à une honnête fille, pour la séduire, c’est abuser de ses richesses.
Et avec qui les partagera-t-on, si ce n’est avec les personnes qu’on aime ? Et puis c’est si peu de choses pour moi, voilà ce qu’il faut considérer.
Oui, il est vrai ; mais ce seroit moi qui recevrois, & ce seroit moi qui aurois tort.
Quelle folie ! Tiens, mets cela dans ta poche.
En vérité…
Allons, prends.
Mais si Mademoiselle vient à savoir…
Elle n’en saura rien.
Tenez, vous me faites faire-là une chose affreuse !
Tu te rendras dans le pavillon bientôt, c’est-à-dire, quand il fera nuit : le jour tombe, ainsi je n’attendrai pas long-tems.
N’apportez pas de lumiere.
Non, non.
Je m’en vais auprès de ma maîtresse, en attendant. (Elle sort.)
Champagne ?
Scène III.
Monsieur.
Tout va bien ; Julie a consenti enfin à se rendre au pavillon, tu seras vengé de ses rigueurs.
Tant mieux, cela lui apprendra à être si glorieuse, & à me mépriser.
Le Chevalier est-il chez lui ?
Oui, je viens de le voir rentrer.
Cela est bon. Tiens, voilà la clef de la petite porte du jardin que j’ai enveloppée dans un petit billet, où il est invité à se rendre au pavillon, de la part de Mademoiselle de Saint-Genest. Fais-la lui donner en main propre, par ton homme.
Il va l’avoir dans le moment.
Reviens ici tout de suite.
Oui, oui.
Dis qu’on m’apporte de la lumiere ; car il faut que j’écrive, & l’on ne voit plus clair.
Picard va vous en apporter. (Il sort.)
Scène IV.
Monsieur le Commissaire Jaquemin.
Ah ! Monsieur Jaquemin, je vous attendois avec impatience.
Je ne vous ai pas manqué de parole, comme vous voyez. Ah ça, dites-moi votre affaire.
Tout-à-l’heure. (à Picard qui écoute.) Va-t-en.
C’est que j’attendois, pour savoir si vous ne vouliez rien. (Il sort.)
Scène V.
Avez-vous tout votre monde, votre robe, des flambeaux ?
Oui, ne vous inquiétez pas.
C’est qu’il faut faire le plus grand éclat.
Oui ; mais il faut que je sache de quoi il s’agit, pour voir si je peux en honneur me charger de faire ce que vous desirez.
Je vais m’expliquer. Vous savez que j’ai chez moi une pupile, qui s’appelle Mademoiselle de Saint-Genest ?
Oui.
L’avez-vous vue ?
Non, jamais.
Cela ne fait rien. Je veux absolument l’épouser ; mais elle aime le Chevalier Ducherny : il a fait mille tentatives pour venir ici, & son pere m’a fait faire des propositions sans fin pour la lui donner en mariage. Voici mon plan : écoutez bien ceci.
Je vous écoute.
Je tends un piège au Chevalier, pour le brouiller sans miséricorde avec Mademoiselle de Saint-Genest. J’ai engagé, avec de l’argent, Julie à m’accorder ce soir un rendez-vous, dans le pavillon qui est au bout du jardin.
Fort bien.
Julie est la femme-de-chambre de Mademoiselle de Saint-Genest : je crois que vous l’avez vue hier.
Non, je ne la connois pas.
Elle doit être actuellement dans le pavillon à m’attendre ; & au lieu de moi, je veux que ce soit le Chevalier qui s’y trouve : pour cela je lui ai envoyé la clef de la porte du jardin, avec un billet qui le presse de s’y rendre, pour parler à Mademoiselle de Saint-Genest. Vous savez comme les amans saisissent, avec avidité, tout ce qui peut flatter leurs desirs ; je suis sûr qu’il ira.
Que voulez-vous que je fasse ?
Que vous surpreniez le Chevalier avec Julie dans ce pavillon, où ils seront sans lumiere ; l’éclat que vous ferez, attirera Mademoiselle de Saint-Genest, qui deviendra furieuse contre le Chevalier, & j’aurai aussi tout lieu de me plaindre de ce procédé. Vous les amenerez ici, où vous trouverez le pere du Chevalier, qui sera très en colere contre son fils, & qui sera forcé d’abandonner le projet de lui faire épouser Mademoiselle de Saint-Genest. Elle, dans son dépit, pour se venger du Chevalier, n’aura rien de mieux à faire que de consentir à m’épouser.
Par dépit ?
Que m’importe. Voilà la clef du jardin : vous comprenez bien tout cela ?
A merveille.
Vous direz qu’on vous a averti qu’il étoit entré un voleur chez moi par cette porte, & que vous le cherchez.
Oh, laissez-moi faire.
Voilà Champagne, nous allons savoir…
Scène VI.
Hé bien ?
Ma foi, Monsieur, il a gobé l’hameçon ; il a reçu le billet avec joie ; il a baisé la clef avec transport, & il a dit qu’il alloit y aller.
C’est bon. Vous voyez bien, Monsieur Jaquemin, que vous n’avez plus qu’à vous mettre en devoir d’exécuter tout ce que nous avons dit.
Oui, oui ; je vais mettre une mouche auprès de la porte, pour m’assurer quand il sera entré. Vous me reverrez bientôt comme vous le souhaitez. Adieu, Monsieur.
Adieu, Monsieur Jaquemin.
Scène VII.
Toi, à présent porte ce billet au pere du Chevalier, afin qu’il vienne ici, & qu’il soit présent à cette scène. (Il donne le billet à Champagne.)
Allons, j’y vais ; je suis bien sûr de le trouver.
Scène VIII.
Oui, je crois ce moyen admirable, je vais bien me divertir.
Ah !…
Quoi, te voilà ?
Oui,… Monsieur,… j’aurois eu beau vous attendre.
Comment ? j’allois te trouver : pourquoi n’es-tu donc pas dans le pavillon ?
Monsieur… je m’en vais vous dire ; c’est que Mademoiselle a voulu se promener avec moi, & après s’être beaucoup promenée, elle a voulu entrer dans le pavillon, pour s’y reposer : comme je craignois que vous n’y vinssiez pendant qu’elle & moi nous y étions, je suis venue ici pour voir en chemin si je ne vous rencontrerois pas, & pour vous empêcher d’y aller.
Oui ; mais où est Mademoiselle de Saint-Genest ?
Monsieur, elle est restée dans le pavillon où elle m’attend ; parce que je lui ai dit que j’allois chercher un manteau.
Elle est dans le pavillon ?
Oui, Monsieur.
O ciel !
Qu’avez-vous donc ?
Va vîte la prier de revenir.
Mais Monsieur, pourquoi ?
Eh, ne perds pas de tems, je t’en prie.
Il faut que je cherche ce manteau ; allez y vous-même.
Moi !
Pourquoi pas ?
Eh, va donc, il sera peut-être trop tard.
Mais pourquoi ? (à part.) Je veux le savoir avant.
Scène IX.
Je viens tout de suite, Monsieur Le Blanc : avez-vous quelques bonnes nouvelles à m’apprendre ? Mais qu’avez-vous donc ? quel est ce désespoir ?
Ah !
Vous m’effrayez ! Que vous est-il arrivé ? Mademoiselle, savez-vous ce qu’il a ?
Non, Monsieur, je ne l’ai jamais vu comme cela. (M. Le Blanc s’est assis, & il est appuyé sur une table, la tête sur ses deux mains.)
Scène X.
Monsieur Le Blanc, vous devez être content, Monsieur le Chevalier & Mademoiselle Julie n’ont point fait de résistance ; ils consentent à s’épouser, ainsi l’honneur est réparé.
Eh, Monsieur, vous n’avez su ce que vous faisiez.
Comment, ils vous le diront eux-mêmes. Monsieur & Mademoiselle, ne consentez-vous pas à vous marier ensemble.
Oui, Monsieur.
Vous voyez bien.
Oui, vous avez bien opéré. C’est Mademoiselle de Saint-Genest, & non pas Mademoiselle Julie.
Monsieur, vous m’aviez dit…
Ne parlons pas de cela.
Je ne sai pas, Monsieur, à quoi sert cette surprise, ni le billet que j’ai reçu, que Mademoiselle m’a dit qui ne venoit pas de sa part. Je n’avois pas besoin de tout cela pour consentir à l’épouser, puisque mon pere & moi nous avons fait tout au monde, depuis long-tems, pour l’obtenir de vous.
Je le sai bien.
A quoi bon tout cet éclat ?
Monsieur le Commissaire éclaircissez-nous, je vous prie, cette aventure.
Monsieur, comme vous êtes très-honnête homme, & que sûrement j’aurai affaire à vous ; voici ce que c’est.
Monsieur Jaquemin…
Non, Monsieur.
Monsieur, achevez donc ?
Il a été pris dans le piège qu’il avoit tendu.
Comment ?
Il avoit donné rendez-vous à Mademoiselle Julie, dans le pavillon.
Cela est vrai.
Et il avoit écrit à Monsieur votre fils, de la part de Mademoiselle, de s’y rendre, & je devois le surprendre avec Mademoiselle Julie.
Quoi, Monsieur, vous vouliez me déshonorer ? Je ne sai à quoi il tient que je ne vous arrache les yeux.
Mademoiselle de Saint-Genest auroit été furieuse contre Monsieur le Chevalier, & elle auroit par dépit épousé Monsieur Le Blanc.
Moi ! voilà un joli projet, Monsieur !
Monsieur, je crois qu’avec cette conduite, vous n’avez plus d’espoir, & que vous ne vous opposerez plus après un éclat pareil à leur union.
Non, Monsieur, je consens à tout, & je ne veux jamais les revoir. (Il sort.)
Nous l’appaiserons. Monsieur le Commissaire c’est moi qui vous satisferai.
Monsieur, je ne suis pas inquiet.
Nous ne nous attendions pas que Monsieur Le Blanc nous serviroit si bien.
68. La Tricherie revient à son Maître.