Proverbes dramatiques/Le Suisse malade

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquesLejaytome I (p. 59-78).


LE SUISSE
MALADE.

CINQUIEME PROVERBE.


PERSONNAGES


Le BARON DE ROTTBERG, Commandant Suisse, en frac, avec un mouchoir autour du col, & en bonnet de nuit.
Le MAJOR, en uniforme Suisse.
M. ROSELIN, Médecin, habit brun, veste d’or, & grande perruque.
Un CAPORAL. Même uniforme du Major, avec des moustaches.
Une SENTINELLE.
ANDRÉ, Laquais, à la livrée du Baron de Rottberg.
Un GARÇON DE CABARET, en veste grise, un tablier & un bonnet.


La Scene est chez le Baron de Rottberg.

Scène premiere.

Le BARON, Le MAJOR.
Le MAJOR.

Hé bien, Monsieur Baron, comment aujourd’hui porte-vous, porte-vous bien ?

Le BARON.

Non, Major, je suis tout embarrassé des jambes, de la tête, de la ventre.

Le MAJOR.

Fumé inbibe de tabac, cela il fera fort bien, che vous assure, moi.

Le BARON.

Pon, j’ai déjà fumé plus que trois, & tout au contraire, il ne fait rien, je suis tout de même qu’auparavant.

Le MAJOR.

Tiaple ! je comprends pas comment cela il fait : il faut envoyer chez la Docteur.

Le BARON.

Hé bien, envoye vous.

Le MAJOR.

Je vais dire tout présentement. Oh là-bas, André.

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Scène II.

Le BARON, Le MAJOR, ANDRÉ.
ANDRÉ.

Qu’est-ce que vous voulez, Monsieur le Major ?

Le MAJOR.

Apporte-ci à ste moment la Docteur Roselin.

ANDRÉ.

Il est ici dans la maison, chez un Monsieur qui est malade. Tenez, le voilà qui descend.

Le MAJOR.

Hé-bien, fais endrer ici, chez Monsieur la Baron. Marche donc. André sort. Cette Docteur, il dira la mal avec la reméde.

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Scène III.

Le BARON, Le MAJOR, M. ROSELIN, ANDRÉ.
ANDRÉ.

Par ici, Monsieur le Docteur.

M. ROSELIN.

Ah, c’est vous, Monsieur le Major ; est-ce que vous êtes malade ?

Le MAJOR.

C’est bien autrement ; c’est Monsieur la Commandant.

M. ROSELIN.

Ah, cela n’est pas étonnant, dans ce tems-ci, il y a beaucoup de maladies : voyons, voyons.

Le MAJOR.

Tenez, placez-vous ici, avec Monsieur la Baron.

M. ROSELIN, tâtant le pouls du Baron.

Qu’est-ce que vous sentez, Monsieur ?

Le BARON.

Je sente fort la tabac de fumée.

M. ROSELIN.

Cela vient d’un grand feu dans les entrailles ; & crachez-vous ?

Le BARON.

Monsieur la Docteur, toute le jour je ne fais pas autrement ; & plus je crache, plus je suis altéré.

Le MAJOR.

C’est-il pon cela, Monsieur la Docteur ?

M. ROSELIN.

Un moment : plus je pense & plus je vous trouve heureux, Monsieur ; votre maladie est une chose rare ! admirable ! surprenante ! c’est un bonheur pour moi de vous avoir vu !

Le MAJOR.

Un bonheur, Monsieur la Docteur ?

M. ROSELIN, avec joie.

Oui, un bonheur ! votre maladie est la pituite vitrée des anciens, que nous avions perdu depuis long-tems, & que vous nous faites retrouver.

Le MAJOR.

Une petite huître vitrée, vous croyez Monsieur la Docteur ?

M. ROSELIN.

J’en suis sûr, & toute la Faculté m’en aura obligation.

Le BARON.

Mais, Monsieur, que faut-il que je fasse ?

M. ROSELIN.

Il faut… la pituite vitrée ! cela aura des suites ! il faut Monsieur… la pituite vitrée !…

Le MAJOR.

Dites à ce moment, Monsieur la Baron, il attend votre ordonnance.

M. ROSELIN.

Il faut, Monsieur, faire boire beaucoup le malade & lui donner une garde ; je reviendrai bientôt. La pituite vitrée !… adieu, Messieurs, adieu, ne perdez pas de tems.

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Scène IV.

Le BARON, Le MAJOR, ANDRÉ.
Le MAJOR.

André, allez sur le moment, à la Corps-de-Garde, chercher une Garde de quatre hommes, avec in Caporal, & qu’ils viennent tout présentement.

ANDRÉ.

Oui, Monsieur le Major.

Le MAJOR.

Et faites apporter ici, six bouteilles de vin, du meilleur, & puis après on portera encore… Allons, marche.

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Scène V.

Le BARON, Le MAJOR.
Le MAJOR.

Je comprends pas bien ce petit huître que la Docteur il dit que vous avez, Monsieur la Baron.

Le BARON.

C’est peut-être que j’ai mangé beaucoup, à Dunkerque, de celles de Blanckenberg, avant de venir ici.

Le MAJOR.

Ho, cela il pourroit être fort bien comme cela ; mais il dit que c’est in bonheur ; c’est in tiable de bonheur ; j’aimerois mieux avoir in pon santé.

Le BARON.

La remede il fera peut-être guérir un peu.

Le MAJOR.

Oh, pour moi, je crois bien. Ah ! voilà déjà la vin.

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Scène VI.

Le BARON, Le MAJOR, Un GARÇON DE CABARET, avec des bouteilles de vin, Le CAPORAL, des SOLDATS, ANDRÉ.
Le GARÇON DE CABARET.

N’est-ce pas ici que demeure Monsieur le Baron de Rottberg ?

Le MAJOR.

Oui, porte-là le vin, & les verres.

ANDRÉ.

Monsieur le Major, voilà le Caporal.

Le MAJOR.

Ah ! fort pon. Caporal, mettez in Sentinelle à la porte de Monsieur la Baron ; qu’on ne laisse point entrer ici personne, sans mon ordre, entendez-vous ?

Le CAPORAL.

Fort pon, Monsieur le Major.

Le MAJOR.

Écoutez encore. Vous aurez soin de verser à boire à Monsieur la Baron, voilà du vin ; n’épargne pas, & vous boirez aussi avec lui pour l’inviter.

Le CAPORAL.

Fort pon, Monsieur le Major.

Le MAJOR.

Je reviendrai à ste moment, après que la parade il sera fini. Portez-vous bien Monsieur la Baron.

Le BARON.

Adieu, Major.

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Scène VII.

Le BARON, Le CAPORAL, La SENTINELLE.
Le CAPORAL.

Sentinelle, entre dehors, & prendre garde s’il vient quelqu’un qu’il ne doit pas entrer, que Monsieur la Major.

Le BARON.

Caporal, je suis fort altéré.

Le CAPORAL.

C’est fort pon ; voilà in bouteille que nous boirons premierement ; tenez, mon Commandant, c’est pour votre pon santé. Ils boivent. C’est un pon vin. Puvons encore un coup. À la Major. Ils boivent. Fort pon !

Le BARON.

La Docteur, je crois, il a raison.

Le CAPORAL.

C’est un bon ordonnance, ils donnent pas comme cela à l’Hôpital. Voulez-vous encore ? pour moi je veux bien. Au santé de tout la Régiment. Ils boivent.

Le BARON.

C’est un pon Médecin, la Docteur.

Le CAPORAL.

Oh, in fort habile homme ! voule-vous poire aux Compagnies de Grenadiers ; c’est braves gens, par mon foi.

Le BARON.

Je suis fort entrain, verse, Caporal. Ils boivent.

Le CAPORAL.

Nous poirons après la Drapeaux.

Le BARON.

La Drapeaux ? oui, il faut commencer par la Drapeaux, & puis nous retournerons après : c’est un grand bétise que nous avons fait. Puvons, puvons. Ils boivent.

Le CAPORAL.

Je disois pas d’abord ; mais je pensois.

Le BARON.

Je suis plus gaillard, le parole il me revient.

Le CAPORAL.

La Tambour, la Fifre, le Musique, il faut poire aussi, mon Commandant. Il verse.

Le BARON.

Le Musique, oui ; c’est un pon camerade pour poire aussi le Musique. Donne donc encore.

Le CAPORAL.

Votre verre il est tout plein.

Le BARON.

Ah, tu as raison, Caporal, c’est que je ne voyois pas. Ils boivent.

Le CAPORAL.

Mon Commandant, voulez-vous chanter un petit chanson ? cela il vous altérera encore plus fort.

Le BARON.

Je veux bien, Caporal. Chante un peu, chante avec.

Le CAPORAL, chante.
Air du Noël Suisse.

C’est un pon grivoise
Que Mameselle Fanchon,
Elle vous amboise ;
Et se rend sans façon.

Le BARON, chante.
C’est un pou grivoise…

Oui, tu avois raison, cela il altere beaucoup de chanter ; verse un peu à poire. Ils boivent.

Le CAPORAL.

C’est fort pon. Allons chantons.

ensemble.

C’est un pon grivoise
Que Mameselle Fanchon,
Elle vous amboise ;
Et se rend sans façon.

Le BARON.

Gott, Gott, puvons. Ils boivent.

Le CAPORAL.

Mon Commandant, écoute avec moi.

On lui dit Mamselle,
Je vous aime bien.

Le BARON.

On lui dit Mamselle,
Je vous aime bien.

Le CAPORAL.

Et jamais la belle
Ne dit je n’en crois rien.

Le BARON.

Ah, fort pon, celui-là ! puvons à son santé. Ils boivent.

ensemble.

Et jamais la belle
Ne dit je n’en crois rien.

Le CAPORAL.

Chacun se l’arrache,
Sans qu’elle se fâche ;
Qui porte moustache
A toujours son tour,
Dès le point du jour.
Du Sergent au Tambour.

Le BARON.

Du Sergent au Tambour.

Il est salé, celui-là, puvons. Ils boivent, & ils commencent à êtres ivres.

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Scène VIII.

Le BARON, Le BARON, Le CAPORAL, M. ROSELIN, La SENTINELLE, tous deux en dehors.
La SENTINELLE.

Ou alle-vous, Monsieur ? on n’entre pas.

M. ROSELIN.

Je vais chez Monsieur le Baron.

La SENTINELLE.

Monsieur la Baron, là-dedans ?

M. ROSELIN.

Oui, Monsieur le Baron qui est malade.

La SENTINELLE.

Malade ?

M. ROSELIN.

Oui, je suis son Médecin.

La SENTINELLE.

Malade ? on m’a point dit. Alle-vous trouver la Major, il vous fera entrer.

M. ROSELIN.

Quoi, je ne puis pas entrer sans le Major ?

La SENTINELLE.

Non, je vous dis, allons, marche.

M. ROSELIN.

Quels diables de gens !

La SENTINELLE.

Allons, allons, vous dire point autre chose.

M. ROSELIN.

Hé bien, je m’en vas trouver le Major.

Le CAPORAL.

Sentinelle, qu’est-ce que c’est donc là ?

La SENTINELLE.

In Monsieur, qui est allé marcher sur la Major.

Le CAPORAL.

Ah ! pon, pon.

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Scène IX.

Le BARON, Le CAPORAL.
Le BARON.

Caporal, qu’est-ce qui est donc là avec vous ?

Le CAPORAL.

C’est moi.

Le BARON.

Ah ! je croyois voir un autre.

Le CAPORAL.

C’est la brouillard.

Le BARON.

Oui, je comprends. Puvons à présent.

Le CAPORAL.

Au brouillard ? Versant à boire.

Le BARON.

Non, à les treize Cantons.

Le CAPORAL.

Hé bien, au premier.

Le BARON.

Zurich ?

Le CAPORAL.

Non, Berne.

Le BARON.

Non, c’est Zurich ; je suis de Zurich, ainsi pour moi, c’est la premier.

Le CAPORAL.

Buve-vous à Zurich, moi je pois à Berne.

Le BARON.

Berne, Zurich, Zurich, Berne, je pois toujours. Ils boivent.

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Scène X.

Le BARON, Le MAJOR, M. ROSELIN, Le CAPORAL.
Le MAJOR.

Hé bien, Baron, comment va présentement ?

Le BARON.

Ah ! Major, nous avons pu à votre santé, voule-vous poire avec nous ?

M. ROSELIN.

Comment ! il est ivre, je crois : vous lui avez laissé boire du vin ? c’est donc pour cela qu’on ne vouloit point me laisser entrer ?

Le MAJOR.

N’avez-vous pas dit de faire poire ?

M. ROSELIN.

Oui, mais pas du vin.

Le MAJOR.

Et de donner une garde ? voilà la Caporal, & puis encore quatre Fusiliers.

M. ROSELIN.

Comment ! c’est une garde-malade, & c’étoit de la tisanne qu’il falloit lui faire boire.

Le MAJOR.

Ah, bien dame, il falloit donc vous expliquer mieux.

M. ROSELIN.

J’ai cru que vous m’entendriez, ce n’est pas ma faute ; mais il n’a pas besoin de moi à présent, je vous souhaite le bonjour.

Le MAJOR.

Ponjour, Monsieur la Docteur.


Fin du cinquieme Proverbe.
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5. L’entente est au diseur.