Proverbes dramatiques/Le Distrait
Explication du Proverbe :
LE DISTRAIT.
PERSONNAGES.
Scène premiere.
Mais, Marquis, dites-moi donc pourquoi vous dites que vous voulez vous promener aux Tuileries, & que vous me faites entrer ici ?
Est-ce que la promenade ne vous semble pas belle ?
Comment, la promenade ?
Oui, il est vrai qu’il n’y fait pas beaucoup d’air.
Pourquoi de l’air, ici ? Toutes les fenêtres sont fermées.
Qu’est-ce que vous parlez de fenêtres, dans un Jardin ?
Nous sommes dans un Jardin ?
Mais… c’est que je croyois… bon ! Il regarde autour de lui. Vous me distrayez aussi.
Vous n’en avez pas besoin, je vous assûre ; mais pourvû que vous m’écoutiez, soit ici, soit ailleurs ; c’est égal.
Si vous avez à me parler, il faut le dire.
Je vous l’ai déjà dit ; vous m’avez répondu ; hé bien, allons aux Tuileries, nous causerons plus tranquillement.
C’est vrai ; c’est que j’ai changé d’idée en chemin. Mais voyons à présent, je ne perds pas de vue mon projet.
Si vous avez un projet différent du mien, & qu’il soit meilleur, j’en profiterai avec grand plaisir ; ce sera même une marque d’amitié de votre part, à laquelle je serai on ne peut pas plus sensible : voyons, je vous écoute.
Si vous le savez, il est inutile de vous le redire ; mais je ne vois pas de meilleur parti à prendre dans ce cas-là, que le mariage.
Comment, le mariage ! au lieu d’une Compagnie de Cavalerie ?
Je ne veux pas de Compagnie de Cavalerie !
Pourquoi donc ?
Mais songez que je suis Officier-Général.
Ce n’est pas pour vous ; comment voulez-vous que j’imagine…
Je le croyois.
C’est pour moi.
Ah, vous voulez avoir une Compagnie de Cavalerie ?
Oui ; j’ai déjà eu l’honneur de vous en parler plusieurs fois.
Oui, oui, je me le rappelle.
Si vous voulez me faire avoir la promesse de la premiere qui viendra à vaquer, mon argent est tout prêt ; mais il faut en parler sans perdre de temps.
Je ne suis venu ici que pour cela.
Réellement ?
Oui, & si la Comtesse y consent, ce sera une affaire bientôt finie.
Est-ce qu’elle connoît quelque Capitaine qui veuille quitter.
Quoi quitter ?
Le service.
Ah ! c’est que vous me parlez toujours de votre Compagnie.
Hé, oui, vraiment.
C’est que je confondois.
Vous me promettez donc de suivre cette affaire ?
Je vous en réponds.
Il faut solliciter vivement.
Ne vous mettez pas en peine. Je sais comme il faut s’y prendre vis-à-vis de ces Messieurs. Je me ferai écrire par-tout ; il faut seulement que je sache le nom de votre Rapporteur, & j’irai moi-même…
Mais je n’ai point de Rapporteur ; que voulez-vous donc dire ?
Si vous n’avez pas encore de Rapporteur, il n’est pas temps de solliciter vos Juges.
Mes Juges ! à propos de quoi ?
Pour votre Procès.
Mais je n’ai point de Procès.
Comment, ne m’avez-vous pas dit que vous voudriez que votre Procès fût jugé avant votre départ pour la campagne ?
Hé non, je vous ai toujours parlé d’une Compagnie de Cavalerie que je veux avoir.
Ah. oui, c’est vrai ; campagne, Compagnie ; c’est apparemment parce que ces deux mots se ressemblent, que j’ai brouillé tout cela.
Oui ; car je ne vous ai point parlé de Procès.
Vous avez raison ; c’est la Comtesse qui en a un, & que je me suis chargé de suivre. C’est une femme charmante !
Je la connois.
Hé bien, que dites-vous de cette affaire-là ? Ne fais-je pas bien ?
Quelle affaire ?
Est-ce que je ne vous ai pas dit que je l’épousois ?
Non, vraiment.
Cela me donne beaucoup d’affaires, comme vous voyez.
Et quand sera-ce ?
Mais je ne sais pas encore ; car voilà plusieurs fois que je viens ici pour lui en parler, & je ne sais comment cela se fait, je l’oublie toujours ; mais cette fois-ci, j’ai mis un papier dans ma boëte pour m’en souvenir.
Cela fait un mariage bien avancé.
Je ne sais pas si elle y consentira ; car il est difficile de la fixer long-temps sur le même objet. Quand vous lui parlez, elle semble vous écouter ; & elle est à cent lieues de-là.
Elle est peut-être distraite ?
Oui, elle est distraite ; c’est insupportable cela.
Oh, je vous en réponds !
Elle est comme le Vicomte de Montfort, qui a marié sa fille le mois passé ; hé bien, je n’aime pas ce mariage-là ; je les ai vu à l’Opéra ; c’est le plus pauvre Opéra, il finit de bonne heure, on ne peut pas se promener ; mais pour cela, il n’y a que la campagne. Vous voyez bien que je ne me trompe pas de mot cette fois-ci, & que je n’ai pas dit Compagnie pour campagne.
Non, non ; mais j’attendrai que votre mariage soit fait, pour penser à mon affaire.
Oui, vous ferez bien ; parce que ce mariage, le Procès de la Comtesse, tout cela m’occupe beaucoup ; on a mille lettres à répondre ; elle veut que je lise un Roman nouveau ; tout cela ne peut pas s’accorder ensemble ; vous en conviendrez bien.
Sûrement. Je vous laisse.
Pourquoi ? nous irions à l’Opéra ensemble.
Mais, vous oubliez votre mariage.
Oui, c’est vrai ; cette diable d’affaire-là me tourne la tête ; je n’y pense jamais. Je ne vous reconduis pas.
Hé, non, non. Vous vous moquez de moi.
Scène II.
Hola, ho, quelqu’un.
Qu’est-ce que veut Monsieur le Marquis ?
Allons, donne-moi ma robe de chambre & mes pantoufles ; je veux me lever.
Vous badinez, Monsieur le Marquis.
Ah !… oui, oui.
On a dit à Madame la Comtesse, que vous étiez ici ; & elle va venir.
Pourquoi cela ? Je m’en vais faire mettre mes chevaux, & j’irai chez elle.
Mais, Monsieur, vous y êtes chez elle.
Tu as raison ; c’est que je pensois…
Monsieur, voilà Madame.
Scène III.
Le Blond, dites à Victoire de venir.
La voilà. Madame.
C’est bon. Monsieur le Marquis, je suis enchantée de vous voir ; vous avez été hier de la distraction la plus divertissante du monde ; je vous aime à la folie comme cela.
Ce n’est pas là le moyen de m’en corriger, Madame. Au contraire ; cependant, comme on dit souvent, les contraires se rapprochent quelquefois.
Mademoiselle, je veux absolument avoir ma robe.
Oui, Madame.
Donnez-moi du rouge. Elle s’assied à sa toilette. Asseyez-vous donc, Marquis.
Mais vous ne m’écoutez pas, Madame.
Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Ne parlez-vous pas des contraires ?
Des contraires ?
Oui, vous avez dit quelque choses des contraires.
Des contraires ? N’est-ce pas des contrats, plutôt ?
Cela peut bien être.
Vraiment, c’est que cela est vrai ; je ne l’oublierai pas cette fois-ci.
Le Blond ?
Madame ?
Je ne fais plus ce que je voulois dire, avec vos Contrats.
Ah, je vous le dirai, moi ; quand vous voudrez m’entendre.
Je vous entends toujours avec plaisir.
Aurez-vous du monde, aujourd’hui ?
Non, si vous voulez. C’est même ce que je voulois dire. Le Blond, qu’on ne me laisse entrer personne.
Je m’en vais le dire, Madame.
Je vous suis obligé ; parce que j’ai à vous parler très-sérieusement.
Ma belle-sœur, pourtant.
Oui, Madame.
Elle rafolle de vous, Marquis.
Moi, je la trouve charmante ! il y a des femmes comme cela, qui vous séduisent dès le premier moment qu’on les voit.
Victoire, dites à le Blond, qu’on laisse en trer aussi le Baron.
Est-ce là tout ?
Ah, Madame, le Vicomte aussi, je vous en prie.
Le Vicomte ? Hé bien, oui, le Vicomte ; je le veux bien.
Je m’en vais le dire.
Attendez. La liste d’hier.
Mais, Madame a laissé entrer tout le monde.
Vous le croyez ?
J’en suis sûre.
Hé bien, en ce cas-là tout le monde.
Madame, aura-t-elle besoin de moi ?
Non, non. Cependant ne vous éloignez pas.
Scène IV.
Vous aimez beaucoup le monde, Madame.
Sans doute ; je ne connois que cela. Vous savez comme mon mari m’a rendu malheureuse, pendant trois ans, qu’il m’a tenue renfermée avec lui, dans une de ses terres ?
Dans une de ses terres ?
Oui vraiment ; être crois ans, même pendant l’hiver à la campagne !
A la campagne ?
Oui.
Cela me fait souvenir d’une Compagnie de Cavalerie que le Chevalier de Saint-Léger veut avoir.
Est-ce qu’il est à Paris, le Chevalier ?
Oui, Madame, il est arrivé avant hier, le jour de ce grand orage ; c’est là ce qui a dérangé le temps, sûrement.
J’en suis très-fâchée, car il ne peut pas y avoir de Tuileries aujourd’hui ; & je les aime beaucoup.
Aimez-vous aussi les truites, Madame ?
Comment, les truites ?
Oui, j’en ai mangé à Genève ; c’est excellent.
Ah, ah, ah, Marquis, vous êtes délicieux !
Oui, c’est délicieux ; c’est ce que je disois ; il vous a fait bien rire hier, n’est-ce pas ?
Comment, qui ?
Le Vicomte ; n’est-ce pas de lui que vous me parliez ?
Ah, ah, ah, ah. A merveilles !
Je le croyois. Je me trompe quelquefois ; & c’est insupportable.
Non, non ; je vous trouve charmant comme cela. Ah, je n’en puis plus. Elle cherche quelque chose.
Qu’est-ce que vous voulez ? Du tabac ? J’en ai de bon.
Oui, donnez ?
Ah, j’oubliois bien !
Quoi ?
Vous voyez bien ce papier-là, devinez ?
Je ne sais pas deviner ; dites-moi tout de suite.
C’est que si vous voulez vous remarier…
Hé bien, avec qui ?
Qu’est-ce que vous cherchez encore ?
Parlez, parlez toujours.
Vous seriez la plus heureuse femme du monde, avec moi.
Avec vous ?
Oh, sûrement.
Je ne le trouve pas ; c’est inconcevable !
Qu’est ce que vous cherchez donc là ?
Un papier que j’avois tout-à-l’heure.
Est-ce une chose de conséquence ?
Oui, & non. C’est une chanson.
J’en ai un recueil ; si vous voulez, je vous le prêterai ; il est très-complet depuis 1650.
C’est une chanson nouvelle.
Il y en a beaucoup dedans.
Des chansons nouvelles ?
Oui, pour ce temps-là.
De 1650. Ah, ah, ah, ah : vous êtes toujours le même !
Oui, je suis constant ; cela ne réussit pas toujours, comme vous savez, avec les femmes.
Est-ce que vous avez à vous plaindre des femmes, vous, Marquis ?
Pourquoi pas ? A propos de constance, vous souvenez-vous de cet air là, que chante un Berger, dans cet Opéra qu’on nous a donné ?…
Silvie ?
Oui, Silvie. Il chante.
» Que de les payer de vos larmes.
Vous chantez à ravir !
Scène V.
Madame, vos chevaux sont mis.
C’est bon.
Est-ce que vous allez sortir ?
Oui, je m’en vais à la Comédie Italienne.
Je ne veux pas vous retenir plus long-temps.
Ne venez-vous pas avec moi ?
Non, je ne sortirai pas aujourd’hui ; j’attends quelqu’un à qui j’ai à parler d’affaires.
Ici ?
Oui. Et à propos ; c’est à vous.
A moi ?
Oui ; mais ne vous l’ai-je pas dit donc ?
Quoi ?
Que j’avois la plus grande envie de vous épouser.
Je ne sais pas. Quand ?
Aujourd’hui. Je ne suis venu ici, que pour cela.
Je ne m’en souviens pas.
Mais, à quoi donc pensez-vous ? Il me semble pourtant…
Dites.
Que je vous ai chanté un air de Silvie.
Venez, venez à la Comédie ; vous en apprendrez d’autres.
C’est vrai, cela ; car j’aime la Musique, & je retiens tous les airs.
Le Blond, cherchez une chanson qui étoit sur ma toilette.
Oui, Madame.
Où allez-vous donc, Marquis ?
Ah, c’est que je croyois être chez moi ; & j’allois… Je vous demande bien pardon.
Allons, allons-nous-en.
33. L’on ne sauroit penser à tout.