Proverbes dramatiques/Le Chasseur et les Joueurs

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquesLejaytome II (p. 95-104).


LE CHASSEUR
ET
LES JOUEURS.

VINGT-TROISIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


DURAND, Chasseur. En veste, chapeau rabatu, avec un fusil, une carnaciere, & l’on peut ne pas avoir le chien.
CLÉRAC Officiers d’infanterie, joueurs. En uniformes.
SAINT-ROMAIN
La RENTRÉE, Garde-de-Chasse. En veste, bandouliere de livrée, fusil, &c.


La Scène est dans un bois taillis, proche d’une Ville de guerre.

Scène premiere.

DURAND, marchant tout doucement, le fusil prêt à tirer, parlant à son chien, qui chasse dans le taillis.

Hé, Patineau, tout beau. — Attends moi. — Veux-tu venir ici. — Hola, là. — Hé bien ? la vilaine bête — Ha voyons. Il s’arrête & écoute. Il faut qu’il n’y ait rien ici. — Où est allé… Patineau, Patineau : ah je vas te tirer les oreilles — Derriere. — Il n’y a point de sanglier ici, ils ne savent ce qu’ils disent. Hé, derrière donc. — Allons de l’autre côté, je reviendrai toujours bien ici. Il s’en va.

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Scène II.

CLÉRAC, SAINT-ROMAIN.
CLÉRAC.

Saint-Romain, tu te moques quand tu prétends que je t’ai gagné hier, soixante-treize louis ; sur mon honneur, je veux mourir si j’en ai eu plus de quarante-sept.

SAINT-ROMAIN.

Que ce soit toi ou un autre, cela m’est égal, je n’en ai pas moins perdu soixante & quinze ; & il est dûr, quand on perd autant, de ne pouvoir pas avoir sa revanche. Le diable emporte le Lieutenant de Roi, & tout l’Etat-Major.

CLÉRAC.

Il semble que ces gens-là n’ayent d’autre plaisir que de nous poursuivre. Ils découvrent toujours où nous nous rassemblons.

SAINT-ROMAIN.

Et dans quel moment encore ? Presque toujours quand la chance tourne.

CLÉRAC.

Pour cela oui ; car j’allois avoir la main. Je suis presque sûr que j’aurois rattrapé tout ce que j’avois perdu.

SAINT-ROMAIN.

Viendroient-ils nous chercher hors de la Ville, ici par exemple ?

CLÉRAC.

Mais si l’on découvroit que nous y eussions joué, nous irions en prison.

SAINT-ROMAIN.

Hé bien, nous y jouerions à notre aise.

CLÉRAC.

C’est selon. Je sais bien qu’à Besançon, où j’ai été six mois en prison, le Geôlier nous fournissoit des cartes tant que nous voulions, la nuit sur-tout. Je n’ai jamais si bien passé mon temps.

SAINT-ROMAIN.

Ici, ce ne seroit pas de même, je t’en réponds.

CLÉRAC.

Cependant, si nous avions des cartes…

SAINT-ROMAIN.

J’en ai sur moi.

CLÉRAC.

Que risquons-nous ? Asseyons-nous-là.

SAINT-ROMAIN.

Je le veux bien, qui diable nous découvrira ?

CLÉRAC.

Ce bois-ci est très-fourré.

SAINT-ROMAIN.

Il ne peut nous arriver que d’aller en prison si on le découvre ; mais les Officiers-Majors ne viendront pas nous troubler du moins. Ils s’asseyent.

CLÉRAC.

On n’est pas trop mal. Nous jouyons quelquefois à l’armée, bien plus mal à notre aise. Voyons, voyons tes cartes.

SAINT-ROMAIN.

Les voici.

CLÉRAC.

Mêlons. Ils mêlent tous deux les cartes.

SAINT-ROMAIN.

Veux-tu voir à qui aura la main ?

CLÉRAC.

Sans doute. Ils tirent. Allons, c’est à toi.

SAINT-ROMAIN.

Combien joue-tu ?

CLÉRAC.

Un louis pour commencer. Il coupe.

SAINT-ROMAIN, donnant.

Dix, neuf, figure, sept. Trente-six c’est beau jeu.

CLÉRAC.

Oui, oui, beau jeu, trente-six.

SAINT-ROMAIN.

Cinq, quatre, dix, huit, dame. Je l’avois dit. Jettant les cartes. Allons, deux louis.

CLÉRAC.

Comme tu voudras. Coupes. Cinq, quatre, huit, sept, neuf, trente-trois. Roi, neuf, as, quatre, six, deux. Trente-deux.

SAINT-ROMAIN.

A moi. Il mêle.

CLÉRAC.

Va, trois louis. Il coupe.

SAINT-ROMAIN, donne.

Trente-trois — trente-deux.

CLÉRAC.

Encore trois louis.

SAINT-ROMAIN.

Trente-cinq — trente-deux.

CLÉRAC.

Toujours trente-deux ! Quatre louis.

SAINT-ROMAIN.

Trente-deux. Te plains-tu des trente-deux ?

CLÉRAC.

Allons voyons.

SAINT-ROMAIN.

Trente-un.

CLÉRAC.

Quatre louis.

SAINT-ROMAIN.

Trente-six — trente-sept.

CLÉRAC.

J’entends quelqu’un ; c’est quelque Garde peut-être ; qu’est-ce que cela fait. Il mêle.

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Scène III.

CLÉRAC, SAINT-ROMAIN, DURAND.
SAINT-ROMAIN.

On approche.

CLÉRAC.

Il n’y a que faire de parler. Ils continuent de jouer sans rien dire.

DURAND, le fusil prêt à tirer.

Patineau, derrière. — Il vient surement par ici. Avançons. — Tout beau. Il est-là, tirons. Il tire & il blesse Saint-Romain.

SAINT-ROMAIN.

Ah !

CLÉRAC.

As-tu été touché ?

SAINT-ROMAIN, tombant.

Oui, au bras.

DURAND.

C’est un homme ! Fuyons. Il s’en va.

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Scène IV.

CLÉRAC, SAINT-ROMAIN, La RENTRÉE.
La RENTRÉE, accourant.

Qu’est-ce qui a tiré ici ?

CLÉRAC.

Nous n’en savons rien ; mais mon ami est blessé.

SAINT-ROMAIN.

Oui, j’ai peut-être le bras cassé.

CLÉRAC.

Aidez-moi à le relever.

La RENTRÉE.

Je le veux bien. Ils le relevent.

CLÉRAC.

Soutenez-le un peu, que je ramasse tout cela. Il ramasse l’argent & les cartes.

La RENTRÉE.

Ne craignez rien.

SAINT-ROMAIN.

Je n’ai pas besoin qu’on me soutienne : je marcherai bien.

CLÉRAC.

Cela ne fait rien ; il faut toujours qu’il vienne avec nous, de crainte d’accident.

La RENTRÉE.

Je ne demande pas mieux.

CLÉRAC.

Allons nous-en. Ils aident Saint-Romain.

SAINT-ROMAIN, à la Rentrée.

Ne dites pas que vous nous avez trouvé ici à jouer.


Fin du vingt-troisieme Proverbe.
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23. La balle va au Joueur.