Proverbes dramatiques/Le Bavard

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquesLejaytome II (p. 277-302).


LE BAVARD.

TRENTIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


La COMTESSE DE SOURVILLE, en bonnet & petite robe, coëffe blanche.
Le COMMANDEUR DE GRISAC. Habit brodé, croix de Malthe.
M. DE LA POTERNIÉRE, Major de Bouchain. En uniforme de place de guerre, avec une grande perruque brune, jambe de bois, croix de Saint-Louis, & une canne.
DUBOIS, Valet-de-Chambre de la Comtesse. Habit gris, vieille veste galonnée.


La Scène est chez la Comtesse, dans la chambre à coucher.

Scène premiere.

La COMTESSE, DUBOIS.

La COMTESSE, tenant une brochure, son mouchoir, un petit sac, & s’asseyant auprès d’une petite table, sur une chaise longue, avec une boëte à parfiler.

Dubois, vous êtes sûr que le Docteur viendra dans l’après-dînée ?

DUBOIS.

Oui, Madame, je lui ai parlé à lui-même.

La COMTESSE.

C’est bon. Voilà tout. Dubois s’en va. Dubois, Dubois.

DUBOIS.

Madame.

La COMTESSE.

Qu’on me laisse entrer le Commandeur ; je lui ai promis de le voir.

DUBOIS.

Oui, Madame.

La COMTESSE.

Dites un peu à ces Demoiselles, de ne pas s’éloigner ; j’aurai sûrement besoin d’elles.

DUBOIS.

Oui, Madame. Il s’en va.

La COMTESSE, soupirant & respirant d’un flacon.

Ah ! cet éther-là ne vaut plus rien.

DUBOIS.

Monsieur le Commandeur de Grisac.

La COMTESSE.

Faites entrer.

Séparateur

Scène II.

La COMTESSE, Le COMMANDEUR.
La COMTESSE.

Commandeur, voulez-vous que je me lève ?

Le COMMANDEUR.

Vous vous moquez de moi, Madame la Comtesse.

La COMTESSE.

Mettez-vous donc-là. Le Commandeur s’assied. C’est que je suis d’un abattement…

Le COMMANDEUR.

Quoi, vous êtes toujours de même ?

La COMTESSE.

Bon ! cent fois pis.

Le COMMANDEUR.

Vous ne voulez pas monter à cheval, aussi.

La COMTESSE.

Qu’est-ce que vous dites donc ? J’y ai monté six mois.

Le COMMANDEUR.

Hé bien ?

La COMTESSE.

Hé bien ? j’y ai gagné un bon rhume qui m’a duré tout l’hiver.

Le COMMANDEUR.

Cela est singulier. Je n’ai pas été enrhumé, moi. Et si vous saviez que je ne reste pas en place.

La COMTESSE.

Oh, mais ; vous avez un corps de fer, vous !

Le COMMANDEUR.

Ah, pas tant, pas tant ; c’étoit bon autrefois. Madame la Comtesse, si j’étois de vous, je prendrois des eaux ; car tout cela, vous entendez bien…

La COMTESSE.

J’en prends.

Le COMMANDEUR.

D’où cela vient-il ?… Je ne suis pas Médecin, moi, pour vous le dire ; mais je prendrois des eaux, n’importe desquelles ; parce que cela demande un régime.

La COMTESSE.

Je vous dis que j’en prends.

Le COMMANDEUR.

Oh, cela est différent ; c’est que vous autres femmes, vous avez quelquefois des répugnances…

La COMTESSE.

Je n’ai point de répugnances ; mais cela m’affoiblit !…

Le COMMANDEUR.

Je vous disois bien.

La COMTESSE.

Ne parlez pas si haut.

Le COMMANDEUR.

Ah, je vous demande pardon.

La COMTESSE.

C’est que ma tête est devenue si foible, depuis quelque temps !…

Le COMMANDEUR.

Je ne savois pas cela.

La COMTESSE.

Cela est bien honnête à vous, de vous être souvenu de moi.

Le COMMANDEUR.

Je m’en souviens toujours ; dans ce moment-ci je viens vous demander de me rendre un grand service ; mais un service essentiel.

La COMTESSE.

Je ne demande pas mieux.

Le COMMANDEUR.

C’est pour Monsieur de la Poterniére.

La COMTESSE.

Qu’est-ce que c’est que Monsieur de la Poterniére ?

Le COMMANDEUR.

C’est un Officier qui a été dans mon Régiment, & qui est Major de Bouchain ; c’est un brave homme, qui a une femme & quatre enfans.

La COMTESSE.

Qu’est-ce qu’il veut, puisqu’il est placé ?

Le COMMANDEUR.

Oui, placé ; vous ne savez pas que Bouchain est grand comme la main. Il désireroit avoir la survivance du Lieutenant-de-Roi de Cambray, qui est fort vieux ; cela le mettroit à portée d’élever sa famille ; & c’est réellement une souche d’honnêtes gens.

La COMTESSE.

Je demanderai pour lui.

Le COMMANDEUR.

Vous me ferez le plus grand plaisir. Ce malheureux-là est couvert de blessures ; mais malgré cela, c’est un homme ardent, vif & bien en état de faire le service dans une place.

La COMTESSE.

Je n’entends rien à tout cela ; vous me donnerez un mémoire.

Le COMMANDEUR.

Il vous en donnera un lui-même ; je vous demande la permission de vous le présenter.

La COMTESSE.

Non, je ne veux pas le voir ; cela n’est pas nécessaire.

Le COMMANDEUR.

Pourquoi ?

La COMTESSE.

C’est qu’il viendra me tourmenter.

Le COMMANDEUR.

Je vous réponds que non.

La COMTESSE.

Dans l’état où je suis, cela ne se peut pas ; d’ailleurs, pourvu que je fasse son affaire ; c’est tout ce qu’il faut.

Le COMMANDEUR.

C’est vrai, mais…

La COMTESSE.

Je ne saurois que lui dire ; cela me seroit insupportable ; tout ce qui me contrarie, me fait un mal affreux.

Le COMMANDEUR.

Vous ne serez pas embarrassée de lui parler ; il vous parlera tant que vous voudrez.

La COMTESSE.

Si c’est un Bavard, ce sera un supplice pour moi.

Le COMMANDEUR.

Ne craignez rien.

La COMTESSE.

Mais quelle fantaisie de vouloir qu’il me voye ?

Le COMMANDEUR.

C’est que cela lui fera plaisir ; les gens de Province croyent qu’il faut qu’ils expliquent eux-mêmes leurs affaires.

La COMTESSE.

Voilà justement ce que je crains ; le mémoire suffit.

Le COMMANDEUR.

Je vous le demande en grâce.

La COMTESSE.

Hé bien, vous me l’amenerez un de ces jours !

Le COMMANDEUR.

Il est ici.

La COMTESSE.

Commandeur, vous êtes bien pressant.

Le COMMANDEUR.

Voyez-le ; vous en serez débarrassée.

La COMTESSE.

Et puis il viendra tous les jours.

Le COMMANDEUR.

Je vous réponds que non.

La COMTESSE.

S’il me parle de son affaire, il ne finira pas ; & rien de si fatiguant.

Le COMMANDEUR.

Il ne vous dira qu’un mot.

La COMTESSE.

Vous le voulez ; si je lui trouve la moindre disposition à me tourmenter, je ne me mêle plus de lui.

Le COMMANDEUR.

J’y consens.

La COMTESSE.

A cette condition, faites-le entrer. Je vais passer un moment là-dedans ; & je reviens tout de suite. Elle entre dans une garde-robe ; & le Commandeur fait entrer M. de la Poterniére.

Séparateur

Scène III.

M. DE LA POTERNIÉRE, Le COMMANDEUR.
Le COMMANDEUR.

Monsieur de la Poterniére ?

M. DE LA POTERNIÉRE, avec une jambe de bois. Entrant.

Me voilà, me voilà. Où est-elle donc, Madame la Comtesse ?

Le COMMANDEUR.

Elle va revenir.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je serai bien aise de voir si elle me reconnoîtra ; il y a bien trente ans que je l’ai vue pour la premiere fois.

Le COMMANDEUR.

Elle n’a pas trente ans.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Elle doit les avoir, au moins ; parce que c’est dans le temps où je suis entré au Régiment, & qu’on me fit gratte-paille.

Le COMMANDEUR.

N’allez pas lui parler de ces trente ans là.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Comme vous voudrez ; j’ai assez d’autres choses à lui dire ; si vous saviez comme j’ai été amoureux de sa mere…

Le COMMANDEUR.

Lui direz-vous cela ?

M. DE LA POTERNIÉRE.

Si vous ne voulez pas… & tenez, c’est son oncle l’Abbé…

Le COMMANDEUR.

Mais écoutez-moi.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Ah, cela est trop juste ; vous voulez bien vous mêler de ce qui me regarde ; il seroit ingrat à moi de me taire, & de ne pas vous en marquer ma reconnoissance ; mais…

Le COMMANDEUR.

Mais laissez-moi vous instruire à quelle femme vous avez affaire.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Mais, Monsieur le Commandeur, j’ai l’honneur de vous dire que je la connois ; je l’ai vû naître.

Le COMMANDEUR.

Mais, savez-vous quel est son caractère ?

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je m’en doute ; sa mère étoit une femme vigoureuse.

Le COMMANDEUR.

Hé bien, celle-ci est de la plus mauvaise santé du monde.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Justement, elle tient de son pere ; ce n’étoit qu’un souffle ; je me souviens qu’un jour ; c’étoit à l’armée ; non en garnison…

Le COMMANDEUR.

Allez vous être comme cela, vis-à-vis de la Comtesse ?

M. DE LA POTERNIÉRE.

Non, non, non.

Le COMMANDEUR.

Je vous dis que la moindre chose lui fait mal à la tête.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Il y a des femmes comme cela ; qui…

Le COMMANDEUR.

Et qu’elle ne peut pas souffrir d’entendre parler.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je l’écouterai, je l’écouterai.

Le COMMANDEUR.

Vous lui donnerez votre mémoire, & voilà tout

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je ne lui parlerai pas d’autre chose.

Le COMMANDEUR.

Pas même de cela.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Mais il faut bien que je lui explique…

Le COMMANDEUR.

J’ai tout dit. Ainsi promettez-moi de vous taire ; c’est le seul moyen de réussir.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Cependant…

Le COMMANDEUR.

C’est une femme d’esprit, qui entend à demi mot.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oui ; mais il faut bien…

Le COMMANDEUR.

Si vous ne voulez pas vous laisser conduire, je ne me mêle pas de votre affaire.

M. DE LA POTERNIÉRE.

J’en passerai par où vous voudrez.

Le COMMANDEUR.

La voici, ne parlez pas.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Laissez-moi faire.

Séparateur

Scène IV[1].

La COMTESSE, Le COMMANDEUR, M. DE LA POTERNIÉRE.
Le COMMANDEUR.

Madame la Comtesse, voilà Monsieur de la Poterniére, dont je vous ai parlé, que j’ai l’honneur de vous présenter.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oui, Madame ; c’est moi qui…

Le COMMANDEUR, à M. de la Poterniére.

Paix donc.

La COMTESSE.

Monsieur le Commandeur, Monsieur, m’a dit de quoi il s’agissoit ; si vous voulez me donner votre mémoire, je l’enverrai à quelqu’un qui obtiendra sûrement ce que vous demandez.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Le voilà, Madame.

La COMTESSE, prenant le mémoire.

C’est bon.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Pour vous éviter la peine de le lire, je vais, si vous me le permettez, avoir l’honneur de vous dire en deux mots…

La COMTESSE.

Je sais tout, Monsieur…

M. DE LA POTERNIÉRE.

Madame, j’aurai fait dans l’instant. Il y a trente ans que je sers ; j’ai fait toute la guerre de Flandre ; & tenez, pendant le siége de Namur, je me souviens que nous avons berné Monsieur votre pere ; je tenois un coin de la couverture ; c’est moi-même qui l’ai été chercher ; il ne me l’a jamais pardonné ; ayant eu l’épaule démise en tombant, parce que je lâchai mon coin, sans le faire exprès pourtant…

Le COMMANDEUR.

Taisez-vous donc.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oui, j’ai eu tort, j’en conviens ; pour en revenir au siège de Namur, j’y fus blessé à cette main-ci d’un éclat de bombe ; mais je ne parle pas de cela dans mon mémoire ; mais une autre chose bien plus essentielle, que je n’y ai pas oublié, c’est que j’ai épousé une femme qui est fille d’un Major qui a été tué à Linstat ; c’est une occasion de grace ; car il n’y a point de veuve à récompenser ; sa mere étoit morte plus d’un an avant. Je suis fâché qu’elle ne soit pas venue avec moi, Madame la Comtesse auroit été bien aise de la voir…

La COMTESSE.

Monsieur, je ne vois personne ordinairement.

M. DE LA POTERNIÉRE.

C’est une femme vraiment militaire ; ses enfans sont élevés… il faut que je vous conte cela ; cela ne sera pas long.

La COMTESSE.

Monsieur, je n’ai pas le tems ; & je vous prie…

M. DE LA POTERNIÉRE.

L’aîné, qui a déjà cinq ans ; non, six ans ; oui, je disois bien, c’est cinq ans ; fait déjà mieux l’Exercice, que les Miliciens que nous avons à Bouchain. Si vous le voyiez ; c’est…

Le COMMANDEUR.

Morbleu, taisez-vous donc.

M. DE LA POTERNIÉRE.

C’est pour faire voir comme l’éducation militaire est préférable à tout ; moi, par exemple, qui dormois souvent à l’air chez mon pere, non pas comme Monsieur de Turenne sur un canon ; mais dans la basse-cour sur une botte de paille, ou sur un sac de grain ; hé bien, je n’ai jamais été malade. Il y a de l’habitude à tout ; parce que…

La COMTESSE, au Commandeur.

Monsieur, est-ce là ce que vous m’aviez dit ?

M. DE LA POTERNIÉRE.

Non, Madame, Monsieur le Commandeur ne peut pas vous avoir dit cela, parce que je ne lui en ai jamais parlé ; il n’aime pas que l’on cause…

Le COMMANDEUR.

Puisque vous le savez…

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oh, je le sais très-bien ; mais comme il faut que Madame connoisse celui pour qui elle veut bien s’intéresser ; je crois que je ne fais pas mal… & tenez, autrefois est-ce que je disois rien ? aussi par timidité, parce que l’on n’aime pas à se vanter, j’ai eu la croix de Saint-Louis, deux ans plus tard que je ne devois l’avoir ; Monsieur le Commandeur le sait bien.

Le COMMANDEUR.

C’est pour avoir trop parlé, au contraire. Bas. Comme vous faites à présent.

M. DE LA POTERNIÉRE.

C’est que les mémoires, on ne les lit pas ; & quand quelqu’un veut bien parler pour vous, il faut du moins qu’il sache ce qu’il a à dire. J’avois manqué ma Compagnie comme cela ; je croyois qu’elle m’alloit de droit ; j’attendois tranquillement ; c’est-à-dire, j’allois tous les jours ; parce qu’il faut bien… j’ai dit ma Compagnie, je crois ; c’est ma Majorité, celle que j’ai à présent ; enfin…

Le COMMANDEUR.

En voilà assez.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je ne dis plus rien. On l’avoit accordé à celui qui avoit enlevé un magasin en avant de Gottingen ; & c’étoit moi ; hé bien, je me taisois ; si je n’avois pas parlé pourtant, je ne l’aurois pas eue ; voilà pourquoi j’ai l’honneur de vous le dire.

La COMTESSE.

C’est très-bien fait d’être modeste, Monsieur.

M. DE LA POTERNIÉRE.

C’est que dans les bureaux, tout le monde sait cela ; parce que j’ai eu une gratification de cent écus dans le temps.

Le COMMANDEUR.

Hé mais, taisez-vous donc.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Je ne veux dire qu’un mot.

La COMTESSE.

Monsieur, je ne me porte pas bien, &…

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oui, Madame, je sais que vous avez des maux de tête ; j’ai passé par là ; c’est un mal cruel ; mais il y a un reméde sûr, que j’ai éprouvé moi-même, après une contusion que j’eus au siège de Mastrick ; j’étois assis, comme qui diroit là ; il y avoit des pierriers qui nous fouailloient…

Le COMMANDEUR.

Madame n’a que faire de cela.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Madame ne sait peut-être pas ce que c’est que des pierriers ; je m’en vais lui expliquer…

La COMTESSE.

Je vous suis bien obligée ; mais mon mal redouble…

Le COMMANDEUR.

Allons nous-en.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Tout-à-l’heure. Madame verra dans mon mémoire, que c’est à Cassel que j’eus la jambe emportée ; les pierriers me font souvenir de cela ; c’étoit pourtant un bon boulet de canon ; & parbleu je suis un grand nigaud ; je l’ai ce boulet ; j’ai oublié de l’apporter ; je l’aurois fait voir à Madame ; mais je reviendrai pour avoir l’honneur de lui faire ma cour, & la premiere fois…

La COMTESSE.

Vous ne me trouverez pas, Monsieur ; parce que je vais…

M. DE LA POTERNIÉRE.

Si c’est à Versailles, je demande à Madame la Comtesse, la permission de l’y suivre.

La COMTESSE.

Non, Monsieur, ce n’est pas-là.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Oh ; mais par-tout où vous voudrez, Madame ; je serai charmé de vous faire ma cour ; parce que moi, il n’y a qu’à me commander, je vas & je viens avec ma jambe tout comme si…

Le COMMANDEUR.

Vous êtes insupportable.

La COMTESSE.

Je suis excédée, je n’en puis plus.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Si Madame faisoit bien, elle se coucheroit ; le lit repose & délasse ; & puis nous lui tiendrions compagnie ; nous causerions avec elle ; cela distrait la douleur ; pendant toutes mes blessures, je faisois venir le Conteur du Régiment, quand je ne pouvois pas dormir ; c’est une chose qui réussit très-bien ; parce que quand on est occupé d’un côté, il arrive que de l’autre on oublie…

Le COMMANDEUR.

Monsieur, finissez donc. La Comtesse se leve.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Madame la Comtesse a-t-elle besoin de quelque chose ? je m’en vais sonner.

La COMTESSE.

Commandeur, vous savez ce que je vous ai dit ; c’est une affaire finie. Elle s’en va.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Madame, je viendrai vous remercier.

Séparateur

Scène V.

M. DE LA POTERNIÉRE, Le COMMANDEUR.
M. DE LA POTERNIÉRE.

Hé bien, vous voyez que j’ai bien fait de parler moi-même.

Le COMMANDEUR.

Vous avez bien réussi.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Sûrement ; puisqu’elle vous a dit que c’étoit une affaire finie.

Le COMMANDEUR.

Oui ; elle est si bien finie, qu’elle ne se mêlera de rien du tout de ce qui vous regarde.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Comment ! pourquoi cela ? Qu’est-ce que j’ai donc fait ?

Le COMMANDEUR.

Vous avez parlé sans cesse, malgré ce que vous m’aviez promis, & malgré tout ce que j’ai pû dire & faire pour vous arrêter.

M. DE LA POTERNIÉRE.

A peine ai-je pû trouver le moment de dire un mot.

Le COMMANDEUR.

Enfin, vous lui avez paru un homme insupportable, un bavard éternel, un importun ; tout ce qu’elle craignoit.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Mais voilà ce qu’on ne m’a jamais reproché, par exemple ; car Monsieur l’intendant, quand j’arrive à Valenciennes…

Le COMMANDEUR.

Laissez-moi donc achever. Elle ne vouloit pas vous voir, à cause de tout cela ; j’ai cru vous faire plaisir de l’engager à vous recevoir ; & elle ne l’a fait qu’à condition qu’elle ne s’emploiroit pas pour vous, si vous étiez un homme tourmentant.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Mais c’est inconcevable !

Le COMMANDEUR.

Voilà pourquoi, en s’en allant, elle m’a rappellé ce qu’elle m’avoit dit ; & que c’étoit une affaire finie ; voilà comme elle est faite votre affaire.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Mais ce n’est pas ma faute, si vous m’aviez dit…

Le COMMANDEUR.

Non, il vous est impossible de vous taire. Je vous souhaite bien le bon jour ; mais ne comptez plus sur moi. Adieu.

M. DE LA POTERNIÉRE.

Un moment donc. Il s’en va. Je ne connois personne à Paris ; voilà un beau voyage que j’ai fait là ! Je ne comprends pas comment on fait ses affaires sans en parler. Ces gens-là n’ont pas l’air de vous entendre, si on ne leur répéte pas cent fois… Ils seront bien étonnés à Bouchain, quand ils sauront tout cela, eux à qui j’ai dit… Il s’en va en parlant.


Fin du trentieme Proverbe.
Séparateur


30. Trop parler nuit.



  1. Pendant cette Scène, le Commandeur n’est occupé que d’empêcher Monsieur de la Poterniére de parler.