Proverbes dramatiques/La Robe de chambre

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquesLejaytome V (p. 125-154).


LA ROBE
DE CHAMBRE.

SOIXANTE-CINQUIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. LE ROND, veuf. Habit & veste brune boutons d’or, perruque en bonnet.
M. DE SAINT-MAUR. Habit & veste à boutons d’or, couteau de chasse, perruque blonde à la brigadiere, canne & chapeau.
Mlle. DE L’ÉPINE, niece de M. de Saint-Maur. En robe rayée, manteau de gaze noire, bonnet en papillon.
DAME FRANÇOISE, Gouvernante de M. le Rond. Robe d’Indienne brune, grand bonnet & tablier de cuisine.


La Scène est à Vitri, près Paris, chez M. le Rond.

Scène premiere.

M. Le ROND, M. De SAINT-MAUR.
M. De SAINT-MAUR, en entrant.

Voilà le sallon, apparemment ?

M. Le ROND.

Oui ; n’est-il pas bien ?

M. De SAINT-MAUR.

Fort bien, fort bien.

M. Le ROND.

J’ai là ma chambre à coucher de plein pied au jardin, un cabinet, & tout ce qu’il me faut. Cela est un peu petit ; mais je me tiens ici toute la journée, & à la campagne…

M. De SAINT-MAUR.

Votre maison est fort jolie, je vous assure.

M. Le ROND.

Nous avons dans ce village une assez bonne compagnie, & j’y passe six mois de l’année. J’ai sept petits appartemens à donner qui ne sont pas mal ; voulez-vous les voir ?

M. De SAINT-MAUR.

Non, je n’ai pas le tems.

M. Le ROND.

Pour un homme veuf il n’en faut pas davantage, n’est-ce pas ?

M. De SAINT-MAUR.

Il y a bien des gens qui voudroient en avoir la moitié.

M. Le ROND.

Vous devriez venir passer comme cela quelque tems avec moi, & amener Mademoiselle votre nièce.

M. De SAINT-MAUR.

C’est ce que je viens vous proposer.

M. Le ROND.

Tout de bon ? Voilà qui est agir en ami. Et quand viendrez-vous ?

M. De SAINT-MAUR.

Aujourd’hui.

M. Le ROND.

Vous badinez ?

M. De SAINT-MAUR.

Non vraiment ; nous sommes venus dîner chez Madame de la Rue ; j’y ai laissé ma nièce pour venir vous faire cette proposition.

M. Le ROND.

Il falloit venir dîner ici tout de suite.

M. De SAINT-MAUR.

Je ne voulois pas venir m’établir comme cela de but en blanc tout d’un coup, sans vous prévenir.

M. Le ROND.

Voilà une jolie maniere, pour un ami de vingt-cinq ans, car il y a vingt-cinq ans que nous étions ensemble chez le Procureur.

M. De SAINT-MAUR.

Il y en a vingt-huit, mon ami.

M. Le ROND.

Tant que cela ?

M. De SAINT-MAUR.

Oui, vraiment.

M. Le ROND.

Ecoutez donc, je crois que vous avez raison ; car je me suis marié neuf ans après, j’ai gardé ma femme onze ans, & il y a huit ans qu’elle est morte ; ceci est vrai. Comme le tems passe !

M. De SAINT-MAUR.

Qu’est-ce que cela fait, pourvu qu’on se porte bien.

M. Le ROND.

Comme vous dites ; voilà le principal. Ah ça, je m’en vais prendre ma canne & mon chapeau, pour aller chercher Mademoiselle de l’Epine.

M. De SAINT-MAUR.

Voilà une belle cérémonie ! Elle joue au Wisth, je vous l’amenerai : faites vos affaires.

M. Le ROND.

Vous ne voulez pas ?

M. De SAINT-MAUR.

Non, non.

M. Le ROND.

Mais c’est que cela seroit plus honnête.

M. De SAINT-MAUR.

Voulez-vous faire des façons avec nous ?

M. Le ROND.

Vous savez bien que je n’en fais jamais.

M. De SAINT-MAUR.

Tenez-vous donc tranquille.

M. Le ROND.

Allons, puisque vous le voulez, je resterai pour donner des ordres à Dame Françoise, afin que votre nièce soit bien.

M. De SAINT-MAUR.

Elle le sera toujours, dès qu’elle sera chez vous. Je vais la chercher.

M. Le ROND.

Allez, allez, je vous attends.

M. De SAINT-MAUR.

Bon jour, mon ami.

M. Le ROND.

Vous me faites réellement plaisir. Adieu. (Il appelle.) Dame Françoise, Dame Françoise ?

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Scène II.

M. Le ROND, Dame FRANÇOISE.
Dame FRANÇOISE, apportant une robe-de-chambre.

Eh bien, me voilà, me voilà ; il ne faut pas crier si fort.

M. Le ROND.

Je ne vous savois pas si près.

Dame FRANÇOISE.

Oh ! vous croyez toujours qu’on ne pense pas à vous. Allons, voulez-vous mettre votre robe-de-chambre à présent ?

M. Le ROND.

Non, pas encore : mettez-la sur cette chaise.

Dame FRANÇOISE.

Pourquoi cela donc ?

M. Le ROND.

Parce que… Où est Saint-Louis ?

Dame FRANÇOISE.

Vous savez bien que vous l’avez envoyé à Paris.

M. Le ROND.

Ah ! c’est vrai.

Dame FRANÇOISE.

Pourquoi ne mettez-vous pas votre robe-de-chambre aujourd’hui ? vous qui aimez tant à être à votre aise.

M. Le ROND.

Parce qu’il va me venir du monde.

Dame FRANÇOISE.

Du monde, du monde : Cela ne vous coûte rien à vous de prier les gens. C’est donc pour souper ? Je n’ai rien.

M. Le ROND.

Il faudra bien que vous trouviez quelque chose, car ce n’est pas pour un jour. Cette vitre est-elle raccommodée dans la chambre jaune ?

Dame FRANÇOISE.

Eh ! mon Dieu, non.

M. Le ROND.

Il faut aller chercher le Vitrier.

Dame FRANÇOISE.

Saint-Louis ira quand il sera revenu. Qu’est-ce qui vient donc loger ici ?

M. Le ROND.

Monsieur de Saint-Maur, & …

Dame FRANÇOISE.

Ah ! Monsieur de Saint-Maur, à la bonne heure.

M. Le ROND.

Et sa nièce.

Dame FRANÇOISE.

Mademoiselle de l’Epine ?

M. Le ROND.

Oui.

Dame FRANÇOISE.

Qu’est-ce que vous voulez faire de cela ? C’est une piegrieche plus droite, plus dédaigneuse, plus glorieuse, plus seche !

M. Le ROND.

Voilà comme vous êtes ; vous dites toujours du mal des gens que vous n’aimez pas. Qu’est ce qu’elle vous a fait ?

Dame FRANÇOISE.

A moi ? oh rien ; je ne lui ai jamais parlé, & je ne lui parlerai jamais.

M. Le ROND.

Vous voilà toujours avec vos préventions.

Dame FRANÇOISE.

Mes préventions ? Et si c’étoit une Demoiselle comme une autre, est-ce qu’elle seroit venue à trente ans sans être mariée ? Moi, j’ai été mariée à dix-neuf ; mais aussi, c’est que je ne faisois pas la sucrée comme elle.

M. Le ROND.

Allons, ne dites pas de ces choses-là.

Dame FRANÇOISE.

Oh, je n’aurai que faire de le dire, vous le verrez bien. Il semble qu’elle ne veuille pas des hommes, & elle croit qu’ils sont tous amoureux d’elle ; mais je n’en dis rien, ce n’est pas-là mon affaire.

M. Le ROND.

Et qu’est-ce qui vous a fait ces contes-là ?

Dame FRANÇOISE.

Des contes ? Ah pardi ! demandez à Saint-Louis, il vous dira si ce sont des contes.

M. Le ROND.

Saint-Louis ?

Dame FRANÇOISE.

Oui ; il a servi Monsieur de Saint-Maur.

M. Le ROND.

Je le sai bien.

Dame FRANÇOISE.

Il n’est sorti de chez lui qu’à cause de cette belle Demoiselle-là.

M. Le ROND.

Vous le croyez ?

Dame FRANÇOISE.

Eh pardi, demandez-le à lui-même, il vous dira qu’un jour elle s’est plainte à Monsieur de Saint-Maur que Saint-Louis étoit amoureux d’elle, parce qu’il la regardoit quand elle lui parloit. Monsieur de Saint-Maur a eu beau lui dire qu’elle se trompoit, parce que le pauvre garçon est louche, comme vous savez ; elle n’en a voulu rien croire.

M. Le ROND.

Allons, allons.

Dame FRANÇOISE.

Et elle l’a fait sortir.

M. Le ROND.

Arrangez toujours la chambre jaune & la chambre rouge pour eux.

Dame FRANÇOISE.

Oh, Saint-Louis les arrangera quand il sera revenu : il faut que je songe à mon souper, moi.

M. Le ROND.

Allez-vous-en donc ; car je crois que je les entends.

Dame FRANÇOISE.

Ah ! je ne veux pas la voir tant seulement. (Elle sort.)

M. Le ROND.

Les domestiques sont de drôles de gens ! tout ce qu’ils croient savoir ! ils voient tout le monde avec envie, les pauvres malheureux !

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Scène III.

Mlle. De L’ÉPINE, M. De SAINT-MAUR, M. Le ROND.
M. De SAINT-MAUR.

Est-il là, Monsieur le Rond ?

M. Le ROND, allant à la porte.

Oui, oui ; entrez ici.

M. De SAINT-MAUR.

Tenez, mon ami, voilà Mademoiselle de l’Epine, ma nièce, qui est charmée que vous vouliez bien la recevoir.

Mlle. De L’ÉPINE, faisant une grande révérence.

Monsieur, c’est bien de l’honneur pour moi…

M. Le ROND.

Vous vous moquez, Mademoiselle, vous êtes la nièce de mon ami ; & quand vous ne la seriez pas, une personne de votre mérite est toujours sûre de faire grand plaisir. Je vous ai vu bien petite, Mademoiselle. (Il veut l’embrasser.) Permettez-vous ?

Mlle. De L’ÉPINE, reculant.

Quoi, Monsieur ?…

M. De SAINT-MAUR.

Elle est un peu scrupuleuse. Allons, allons, embrassez mon ami le Rond.

Mlle De L’ÉPINE.

Mais…

M. Le ROND.

Il faut bien faire connoissance. (Il l’embrasse.)

Mlle. De L’ÉPINE, s’essuyant le visage.

Mais en vérité, Monsieur…

M. De SAINT-MAUR.

Qu’est-ce que vous avez donc ma nièce ?

Mlle De L’ÉPINE.

C’est que Monsieur m’a jette du tabac dans l’œil.

M. Le ROND.

Bon ! je n’ai baisé que son oreille.

M. De SAINT-MAUR.

Cela ne fera rien.

M. Le ROND.

Il faut bien se faire à tout. Quand nous nous connoîtrons davantage, vous verrez que moi, je suis sans façons.

Mlle. De L’ÉPINE.

Monsieur, il y a des choses que la pudeur ne permet pas.

M. Le ROND.

Quand on y entend pas de mal, je crois qu’on ne doit pas se formaliser.

M. De SAINT-MAUR.

Non, non, c’est qu’elle ne sait pas comme vous êtes.

M. Le ROND.

Mademoiselle verra que je ne vais point par quatre chemins moi : à quoi cela sert-il ? J’aime la franchise.

M. De SAINT-MAUR.

Il a raison.

M. Le ROND.

Je ne vous montre pas encore votre chambre, parce qu’elle n’est pas arrangée ; mais j’espère que vous en serez contente.

Mlle. De L’ÉPINE.

Monsieur, tout ceci me paroît très-propre ; c’est la premiere chose que l’on doit désirer ; & quand on la trouve, on est toujours bien.

M. Le ROND.

Ecoutez donc, il y a encore une chose ; c’est que les lits soient bons & pour en être sûr, j’ai commencé par coucher dans tous mes lits pour les essayer.

Mlle. De L’ÉPINE.

Quoi, dans celui où je coucherai ?

M. Le ROND.

Oui, Mademoiselle ; & c’est le meilleur de la maison.

Mlle. De L’ÉPINE.

Mais, Monsieur, quand on destine un logement à des femmes, il ne faudroit pas que des hommes y logeassent jamais.

M. Le ROND.

Bon ! Et qu’est-ce que cela fait ?

M. De SAINT-MAUR.

Laissez-la dire. Je m’en vais retourner chez Madame de la Rue, à qui j’ai oublié de parler de quelque chose.

M. Le ROND.

Allez, allez ; nous nous promènerons après dans mon jardin : je vous ferai voir tous les fruits que j’aurai cette année.

M. De SAINT-MAUR.

Je reviens tout de suite.

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Scène IV.

Mlle. De L’EPINE, M. Le ROND.
M. Le ROND.

Eh bien, Mademoiselle, vous ne vous assoyez pas ?

Mlle De L’ÉPINE.

Pardonnez-moi.

M. Le ROND.

Où voulez-vous donc vous asseoir ? mettez-vous sur le canapé.

Mlle De L’ÉPINE.

Effectivement, vis-à-vis d’un homme, cela seroit décent !

M. Le ROND.

Pourquoi pas ? (Il veut la faire asseoir sur le canapé.)

Mlle De L’ÉPINE.

Mais finissez donc, Monsieur ; en vérité ces manieres là ne me conviennent point du tout.

M. Le ROND.

Allons, allons ; que de façons ! (Il la fait asseoir.) N’êtes-vous pas mieux là que sur un fauteuil ? Je veux chez moi que l’on soit à son aise.

Mlle De L’ÉPINE.

Mais c’est que s’il venoit quelqu’un, en vérité…

M. Le ROND.

Eh bien, voyez le grand malheur ! mais il ne viendra personne. Oh ! quand j’ai des femmes chez moi, il faut qu’elles fassent tout ce que je veux déjà.

Mlle De L’ÉPINE.

Tout ce que vous voulez ?

M. Le ROND.

Oui, je veux qu’elles y soient bien, qu’elles ne se gênent pas.

Mlle De L’ÉPINE.

Cependant il y a des choses qui ne sont pas honnêtes.

M. Le ROND.

Bon, pas honnêtes, je ne me gêne pas non plus moi.

Mlle De L’ÉPINE.

J’espère pourtant… (M. Le Rond veut s’asseoir sur le canapé.) Que voulez-vous donc faire ?

M. Le ROND.

M’asseoir à côté de vous.

Mlle De L’ÉPINE.

Non pas, s’il vous plaît, ou je vais m’en aller.

M. Le ROND.

Allons donc, vous faites l’enfant. (Il lui prend la main.) Ecoutez-moi, j’ai une grâce à vous demander.

Mlle De L’ÉPINE.

Lâchez ma main.

M. Le ROND.

Quand vous m’aurez promis…

Mlle De L’ÉPINE.

Je ne vous promets rien. (Elle retire sa main.)

M. Le ROND.

Mais un petit moment.

Mlle De L’ÉPINE.

Otez-vous de-là ; je vous écouterai après.

M. Le ROND.

Bon ! tenez, voilà ce que je veux vous dire. Du vivant de la défunte, elle s’assoyoit toujours où vous êtes, toutes les après-dînés ; je l’aimois beaucoup ; je ne me suis jamais gêné avec elle ; je vous demande la même chose.

Mlle De L’ÉPINE.

Quoi donc ?

M. Le ROND.

Que vous m’accordiez les libertés du mariage.

Mlle De L’ÉPINE.

Mais, Monsieur, y pensez-vous ? Où mon oncle m’a-t-il amenée ! (Elle veut se lever.)

M. Le ROND.

Un moment donc ; quand vous me connoîtrez, vous ne vous fâcherez plus comme cela.

Mlle De L’ÉPINE.

Je me fâcherai toujours.

M. Le ROND.

En vérité, je vous croyois plus raisonnable.

Mlle De L’ÉPINE.

Monsieur, vous ne savez pas à qui vous avez affaire.

M. Le ROND.

Mais écoutez-moi ; votre vertu s’effarouche là de rien.

Mlle De L’ÉPINE.

Comment de rien ?

M. Le ROND.

Oui, j’ai eu bien des femmes ici, & elles ne m’ont jamais refusé ce que je vous demande.

Mlle De L’ÉPINE.

Il faut savoir quelles femmes c’étoient.

M. Le ROND.

De fort honnêtes femmes, très-gaies, & qui n’y regardoient pas de si près.

Mlle De L’ÉPINE.

C’étoient des femmes qui aimoient les hommes apparemment.

M. Le ROND.

Sûrement, pourquoi pas ? A propos, on dit que vous vous piquez de les haïr ?

Mlle De L’ÉPINE.

Mais quand ils seront faits comme vous, je crois que j’aurai raison.

M. Le ROND.

Ah ! Mademoiselle, cela n’est pas honnête ce que vous dites là ; mais je veux que vous m’aimiez.

Mlle De L’ÉPINE.

Cela sera bien difficile.

M. Le ROND.

Nous allons passer un peu de tems ensemble ; si ce n’étoit que pour deux ou trois jours, je ne vous presserois pas de m’accorder ce que je vous demande, & je me contraindrois ; mais j’espere que nous ferons une connoissance si intime, qu’à la fin vous ne me refuserez pas toujours.

Mlle De L’ÉPINE.

Je vous réponds, Monsieur, que je ne resterai pas ici davantage, ou du moins seule avec vous.

M. Le ROND.

Où irez-vous ? dans votre chambre ? Quand on est chez ses amis, il faut bien vivre avec eux.

Mlle De L’ÉPINE.

Oui, avec ses amis ; mais décemment du moins.

M. Le ROND.

Mais c’est-il plus décent avec un oncle qu’avec un autre ?

Mlle De L’ÉPINE.

Comment ! avec un oncle ?

M. Le ROND.

Sans doute, & je parie que Saint-Maur ne se gêne pas.

Mlle De L’ÉPINE.

Vous avez là une jolie idée de lui & de moi ?

M. Le ROND.

Mais tous les oncles sont de même avec leurs nièces, je crois.

Mlle De L’ÉPINE.

Monsieur, quand on respecte les femmes, on n’a seulement pas cette pensée.

M. Le ROND.

C’est parce que je vous respecte, que je vous ai demandé cette permission-là sérieusement : car avec les autres, quand je leur disois, Mesdames, vous permettez les libertés du mariage ? Elles rioient comme des folles, & il n’y avoit pas plus de difficultés que cela. Je vous dis, si vous vouliez, cela sera bientôt fait.

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Scène V.

Mlle. De L’ÉPINE, M. Le ROND, Dame FRANÇOISE.
M. Le ROND.

Qu’est-ce qu’il y a, Dame Françoise ?

Dame FRANÇOISE.

Monsieur, c’est le Vitrier qui a passé par ici ; je l’ai appellé, & il a fini.

M. Le ROND.

C’est bon ; on lui payera cela avec le reste.

Dame FRANÇOISE.

Mais, Monsieur, est-ce que vous restez comme cela aujourd’hui ?

M. Le ROND.

Oui, j’ai demandé la permission à Mademoiselle, & elle ne veut pas.

Dame FRANÇOISE.

Je vous l’avois bien dit.

Mlle De L’ÉPINE.

Qu’est-ce que vous voulez dire, ma bonne ?

Dame FRANÇOISE.

Je dis, Mademoiselle, que si j’étois de Monsieur, je me moquerois de votre permission, & j’irois mon train.

Mlle De L’ÉPINE.

Vous lui donnez là de jolis conseils.

Dame FRANÇOISE.

Mon Dieu, Mademoiselle, il ne faut pas faire tant la renchérie ; j’aime mon maître, & je sai bien ce qu’il lui faut ; mais il l’a voulu ; je l’ai averti de tout ce qui arriveroit.

Mlle De L’ÉPINE.

Je suis bien aise du moins que vous me connoissiez.

Dame FRANÇOISE.

Pour moi, je ne m’en soucie point du tout.

Mlle De L’ÉPINE, en colere.

Vous êtes une impertinente. (Elle se leve.)

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Scène VI.

M. De SAINT-MAUR, Mlle. De L’ÉPINE, M. Le ROND, Dame FRANÇOISE.
M. De SAINT-MAUR.

Eh bien, ma nièce, qu’est-ce que c’est que cette colere, qu’avez-vous donc ?

Mlle De L’ÉPINE.

Mon oncle, je veux sortir tout-à-l’heure de cette maison-ci.

M. De SAINT-MAUR.

Mon ami, qu’est-ce cela veut dire ?

M. Le ROND.

Moi, je n’y comprends rien.

Dame FRANÇOISE.

Allons, vous êtes trop bon, vous. Je vais vous expliquer cela, Monsieur de Sainte Maur.

Mlle De L’ÉPINE.

Monsieur prétend que vous prenez avec moi des libertés…

M. De SAINT-MAUR.

Moi ?

Dame FRANÇOISE.

Oui ; eh bien, où seroit le mal avec sa nièce ? Il auroit raison ; & si j’avois un oncle, je ne voudrois pas qu’il se gênât avec moi.

M. De SAINT-MAUR.

Expliquez-moi donc…

Dame FRANÇOISE.

Tenez, Monsieur de Saint-Maur, Monsieur se met toujours en robe-de-chambre quand il est chez lui, voilà la sienne que j’ai apporté tantôt, il n’a pas voulu la mettre, parce qu’il m’a dit qu’il lui venoit du monde ; moi je sai que cela le gêne.

M. De SAINT-MAUR.

Eh bien ?

M. Le ROND.

Eh bien, voilà tout, elle dit vrai.

Mlle De L’ÉPINE.

Non, ce n’est pas cela.

M. Le ROND.

Pardonnez-moi, Mademoiselle, je vous ai demandé les libertés du mariage.

M. De SAINT-MAUR, riant.

Les libertés du mariage ?

M. Le ROND.

Oui.

Mlle De L’ÉPINE.

Vous voyez bien qu’il en convient.

M. Le ROND.

Parbleu, sans doute.

M. De SAINT-MAUR.

Qu’est-ce que vous vouliez dire ?

M. Le ROND.

Eh ! qu’elle me permît de me mettre à mon aise, en robe-de-chambre ; il me semble que cela se dit comme cela.

M. De SAINT-MAUR.

Pas toujours.

M. Le ROND.

Pour moi, c’est ma maniere.

Mlle De L’ÉPINE.

Quoi, c’étoit-là ce que vouliez dire ?

M. Le ROND.

Oui, Mademoiselle, qu’est-ce que vous aviez donc entendu ?

Mlle De L’ÉPINE.

Rien, Monsieur.

Dame FRANÇOISE.

On ne se fâche pas pour rien.

M. Le ROND.

Dites-donc ce que vous aviez entendu ?

M. De SAINT-MAUR.

Allons, allons voir votre jardin.

M. Le ROND.

Je le veux bien, si cela convient à Mademoiselle.

Dame FRANÇOISE.

Oui ; mais mettez toujours votre robe-de-chambre, & moquez-vous du qu’en dira-t-on.

M. Le ROND.

Non, je ne veux pas.

M. De SAINT-MAUR.

Allons, ne faites point de façons. (Il sort avec Mlle. de l’Épine.)

M. Le ROND.

Puisque vous le voulez…

Dame FRANÇOISE, lui donnant sa robe-de-chambre.

Vous voyez bien que j’avois raison de vous dire que c’étoit une piegrieche : nous avions bien affaire de l’avoir ici ; mais vous n’en faites jamais qu’à votre tête, malgré ce que je vous dis.

M. De SAINT-MAUR, dehors.

Eh bien, venez-vous ?

M. Le ROND.

Oui, oui ; me voilà. (Ils sortent.)


Fin du soixante-cinquieme Proverbe.
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65. Elle est comme l’Anguille de Melun, &c.