Proverbes dramatiques/La Marchande de cerises

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquesLejaytome VI (p. 69-100).


LA MARCHANDE
DE
CERISES.

SOIXANTE-TREZIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


Mad. MIGNONETTE, Limonadiere. Robe de tafetas, un tablier blanc, boucles d’oreilles en boutons.
Mlle . MARIANNE, fille de Madame Mignonette. Robe rose, rayée de blanc, tablier vert.
M. D’ESCABIOUS. Officiers d’Infanterie, en uniformes.
M. DE SAINT-DAMASE.
La Mere ROGOME, Marchande de cerises. Casaquin d’indienne, jupon de calmande rayée, relevé par derriere avec une épingle ; tablier de grosse toile, grosse cornette, mouchoir de col à careaux rouges, souliers d’homme.
JEAN, Garçon de Caffé. Veste canelle, cheveux en long poudrés, tablier blanc.


La Scène est dans un Caffé.

Scène premiere.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE.
Mad. MIGNONETTE, apportant son ouvrage, & voulant entrer dans son comptoir.

Tenez Marianne, rangez cette boëte, ils ont toujours la fureur de mettre quelque chose sur ce banc.

Mlle . MARIANNE.

Il n’y a plus rien, ma chere mere.

Mad. MIGNONETTE.

C’est bon. Allons passez, vous.

Mlle . MARIANNE.

Ah, ma chere mere, j’ai oublié mes ciseaux.

Mad. MIGNONETTE.

Vous vous servirez des miens. Qu’est-ce que vous allez faire là ?

Mlle . MARIANNE.

J’acheve d’ourler mes mouchoirs.

Mad. MIGNONETTE.

Comment, ils ne sont pas encore faits ?

Mlle . MARIANNE.

Mais c’est que…

Mad. MIGNONETTE.

Oui, c’est que, au lieu de travailler, vous avez toujours le nez en l’air, à regarder qui va & qui vient.

Mlle . MARIANNE.

Il est bien difficile…

Mad. MIGNONETTE.

Difficile, ou non, je ne veux pas que vous regardiez les hommes, entendez-vous ?

Mlle . MARIANNE.

Mais quand on me parle ?

Mad. MIGNONETTE.

Vous n’avez qu’à ne pas répondre.

Mlle . MARIANNE.

Mais je passerai pour une sotte, ou pour une impertinente.

Mad. MIGNONETTE.

Point du tout. Est-ce que je ne réponds pas pour vous ?

Mlle . MARIANNE.

Mais si lorsqu’on vous parle, je faisois de même, que diriez-vous ?

Mad. MIGNONETTE.

Que vous auriez tort ; puisque je réponds, moi.

Mlle . MARIANNE.

Vous voulez donc que je passe pour être sourde ?

Mad. MIGNONETTE.

Oui, précisément ; voilà ce que je veux.

Mlle . MARIANNE.

Ce seroit une belle réputation que j’aurois là.

Mad. MIGNONETTE.

Elle vaudroit mieux que celle d’écouter tous les propos qu’on vous tiendroit.

Mlle . MARIANNE.

Mais quand j’étois pente, vous me faisiez parler à tout le monde.

Mad. MIGNONETTE.

Dans ce tems-là, c’étoit différent.

Mlle . MARIANNE.

Ce n’est pas la peine d’être grande pour être plus mal traitée qu’un enfant.

Mad. MIGNONETTE.

Quand on est grande, il faut être raisonnable ; ce que je vous dis là, c’est pour votre bien.

Mlle . MARIANNE.

Mais, quel mal puis-je faire en répondant à ceux qui me parlent ? Faites-vous du mal, vous, ma chere mere, quand on vous dit que vous êtes bien aimable, & que vous répondez, en souriant : Monsieur, vous avez bien de la bonté ?

Mad. MIGNONETTE.

Je sais bien que c’est pour rire ; voilà pourquoi je ris aussi.

Mlle . MARIANNE.

Oh ! je suis bien sûre que cela vous fait plaisir.

Mad. MIGNONETTE.

Et sur quoi le jugez-vous ?

Mlle . MARIANNE, souriant.

Sur quelque chose.

Mad. MIGNONETTE.

Mais encore ?

Mlle . MARIANNE.

Je ne peux pas le dire.

Mad. MIGNONETTE.

Pourquoi cela ? Apparemment que vous êtes bien-aise vous, quand on vous dit que vous êtes jolie.

Mlle . MARIANNE.

Oh, moi, vous m’avez défendu d’écouter quand on me parle, je n’entends rien.

Mad. MIGNONETTE.

En un mot, comme en cent, que je ne vous voie pas regarder… Les Officiers sur-tout.

Mlle . MARIANNE.

Oh, ma chere mere, pourquoi plutôt ceux-là que les autres ?

Mad. MIGNONETTE.

Parce qu’ils cherchent plus à tromper les filles.

Mlle . MARIANNE.

C’est bien dommage ; car ils sont bien honnêtes, j’ai bien de la peine à croire cela.

Mad. MIGNONETTE.

Cela est pourtant bien vrai.

Mlle . MARIANNE.

Comment se peut-il faire que des gens qui se battent pour nous, soient des trompeurs ?

Mad. MIGNONETTE.

Oh, parce que cela arrive tous les jours.

Mlle . MARIANNE.

Il y en a, je suis sûre, qui ne sont pas comme vous dites.

Mad. MIGNONETTE.

Voilà Monsieur D’escabious : allons, taisez-vous, & songez à ce que je vous ai recommandé, entendez-vous ?

Mlle . MARIANNE.

Oui, ma chere mere.

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Scène II.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE, M. D’ESCABIOUS.
M. D’ESCABIOUS.

Madame Mignonette, je vous souhaite bien le bon jour.

Mad. MIGNONETTE.

Monsieur, je suis votre servante.

M. D’ESCABIOUS.

Toujours à travailler ?

Mad. MIGNONETTE.

Il faut bien.

M. D’ESCABIOUS.

Et cette belle enfant-là aussi ?

Mad. MIGNONETTE.

Sans doute, il ne faut pas que la jeunesse soit paresseuse.

M. D’ESCABIOUS.

En vous imitant cela n’arrivera pas. Est-ce de la broderie qu’elle fait là, Mademoiselle Marianne ?

Mad. MIGNONETTE.

Non, c’est un mouchoir qu’elle ourle.

M. D’ESCABIOUS.

Vous brodez bien, vous, Madame Mignonette.

Mad. MIGNONETTE.

Ah, comme cela.

M. D’ESCABIOUS.

Savez-vous que c’est mal fait de travailler toujours comme vous faites.

Mad. MIGNONETTE.

Pourquoi donc ?

M. D’ESCABIOUS.

C’est que vous avez les yeux baissés & qu’on ne les voit pas.

Mad. MIGNONETTE.

Il n’y a pas grande perte.

M. D’ESCABIOUS.

Sandis, Madame, si Argus avoit eu des yeux comme les vôtres, il n’auroit pas eu besoin d’en avoir cent.

Mad. MIGNONETTE.

Ah, Monsieur, c’est bien honnête ; mais cent valent mieux que deux.

M. D’ESCABIOUS.

Allons, allons, regardez-moi.

Mad. MIGNONETTE.

Non, je ne le veux pas.

M. D’ESCABIOUS.

Bon ! Il met la main sur l’ouvrage de Madame Mignonette pour l’empêcher de travailler ; elle baisse encore plus la tête ; il regarde Mademoiselle Marianne qui lui sourit, & il lui montre une lettre.

Mad. MIGNONETTE.

Allons, finissez donc Monsieur, & laissez-moi travailler.

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Scène III.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE, M. D’ESCABIOUS, M. DE SAINT-DAMASE.
M. DE SAINT-DAMASE.

Ah, te voilà ici D’escabious, je ce cherche par-tout.

M. D’ESCABIOUS.

Ah, Saint-Damase, j’ai été chez toi ce matin.

M. DE SAINT-DAMASE.

Veux-tu venir à la Comédie Italienne ?

M. D’ESCABIOUS.

Non, je ne peux pas, j’ai affaire.

M. DE SAINT-DAMASE.

Qu’est-ce que c’est ?

M. D’ESCABIOUS.

Je ne peux pas le dire.

M. DE SAINT-DAMASE.

Je parie que je devine ton affaire.

M. D’ESCABIOUS.

Je parie que non.

M. DE SAINT-DAMASE.

Je te dis que je sai ce que c’est. Tiens, viens ici. Ils vont s’asseoir auprès d’une table.

M. D’ESCABIOUS.

Eh bien, qu’est-ce que tu crois ?

M. DE SAINT-DAMASE.

Que tu es amoureux.

M. D’ESCABIOUS.

De qui ?

M. DE SAINT-DAMASE.

De Madame Mignonette.

M. D’ESCABIOUS.

Si c’est là ce que tu as deviné…

M. DE SAINT-DAMASE.

Eh bien, c’est donc de la fille, car tu passes toutes tes journées ici.

M. D’ESCABIOUS.

Paix donc.

M. DE SAINT-DAMASE.

Ah, je savois bien.

M. D’ESCABIOUS.

Oui, Marianne me tourne la tête, cela est vrai.

M. DE SAINT-DAMASE.

Et le sait-elle ?

M. D’ESCABIOUS.

Je crois qu’elle s’en doute ; car elle me regarde à la dérobée, lorsque sa mere a la tête baissée, & lorsque tu es arrivé…

M. DE SAINT-DAMASE.

Eh bien ?

M. D’ESCABIOUS.

Elle me regardoit d’une façon…

M. DE SAINT-DAMASE.

Est-ce que tu ne lui as jamais parlé ?

M. D’ESCABIOUS.

Sa mere ne la quitte pas.

M. DE SAINT-DAMASE.

Tu es bien avancé !

M. D’ESCABIOUS.

Je la vois, & je n’ai jamais eu de ma vie un plus grand plaisir.

M. DE SAINT-DAMASE.

Mais, que comptes-tu faire ?

M. D’ESCABIOUS.

J’ai écrit une lettre ne pouvant pas lui parler, & je cherche depuis plusieurs jours le moyen de la lui donner.

M. DE SAINT-DAMASE.

Mais il faut qu’elle veuille la prendre.

M. D’ESCABIOUS.

Je la lui ai montrée, & loin d’avoir eu l’air fâché, elle a souri.

M. DE SAINT-DAMASE.

C’est bon cela.

M. D’ESCABIOUS.

Il ne faut plus qu’un moyen te dis-je.

M. DE SAINT-DAMASE.

Oh que diable, tu le trouveras. Allons, viens à la Comédie, voir le Déserteur.

M. D’ESCABIOUS.

Non, je voudrois tâcher aujourd’hui…

M. DE SAINT-DAMASE.

Aujourd’hui ou demain, cela est égal.

M. D’ESCABIOUS.

Non pas.

M. DE SAINT-DAMASE.

Il faut flatter la mere.

M. D’ESCABIOUS.

C’est ce que je fais toute la journée.

M. DE SAINT-DAMASE.

Et par derriere elle… Parbleu, je ne t’ai jamais vû si nigaud.

M. D’ESCABIOUS.

J’en conviens. Je rêve si je ne pourrois pas… Écoutes-moi un peu. Ils parlent bas.

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Scène IV.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE, M. D’ESCABIOUS, M. DE SAINT-DAMASE, La Mere ROGOME, JEAN.
La Mere ROGOME.

Achetés de mes belles cerises, mes gros gobets.

JEAN.

Allons, allons, allez-vous-en ailleurs.

La Mere ROGOME.

Eh mais, Monsieur, il ne faut pas rebuter comme cela le pauvre monde ; laissez-moi parler à Madame & à Mademoiselle.

JEAN.

Elles vous diront la même chose que moi ; entrez si vous voulez.

La Mere ROGOME.

Ah, voilà ce qui s’appelle parler. Il est gentil cet enfant ! allons, allons, je le mènerai avec moi quand je n’irons nulle part.

Mad. MIGNONETTE.

Jean, pourquoi laissez-vous entrer cette vilaine femme-là.

La Mere ROGOME.

Ma Princesse, achetez mon panier de cerises ; c’est mon dernier, je vous en ferai bon marché.

Mad. MIGNONETTE.

Je n’en veux point.

La Mere ROGOME.

Cadet, dites donc à votre maîtresse de les regarder tant seulement ?

Mad. MIGNONETTE.

Allons, éloignez-vous, vous puez l’eau-de-vie, que c’est affreux.

La Mere ROGOME.

Et en vérité de Dieu, vous me croirez si vous voulez, mais c’est vrai comme il faut mourir un jour, je n’ai encore bû d’aujourd’hui qu’un demi-septier de rogome, encore étoit-ce parce que j’étois prête de me trouver mal. Et cette belle Demoiselle-là ne veut pas de mes cerises non plus ?

Mad. MIGNONETTE.

Non, non, allez-vous-en plus loin.

La Mere ROGOME.

Eh, mais, écoutez mon petit cœur, je vous apporte ce panier-là, à vous, parce qu’elles sont douces & sucrées comme du miel.

Mad. MIGNONETTE.

Je vous dis que je n’en veux point.

La Mere ROGOME.

Vous ne savez pas ce que vous refusez. Elle chante.

Ceux de Pantin, de Saint Oüen, de Saint-Cloud,
Dansent mieux que ceux de la Villette.
Ceux de Pantin, de Saint-Oüen, de Saint-Cloud,
Dansent bien mieux que chez nous.

Elle Danse & Chante.

Taleralalalala, &c.

Mlle . MARIANNE.

Ah, ma chere mere, la drôle de femme !

Mad. MIGNONETTE.

Ne voyez-vous pas qu’elle est ivre.

La Mere ROGOME.

Je m’en vas voir par là-bas, si je trouverons à vendre ma marchandise.

Mad. MIGNONETTE.

Allez, allez.

La Mere ROGOME.

Je vous demande pardon, au moins, ma chere Dame : c’est pour vous faire rire, car moi je n’en ai point d’envie.

Mad. MIGNONETTE.

C’est bon, c’est bon.

La Mere ROGOME, pleurant.

Est-ce que mon mari n’est pas à l’Hôtel-Dieu, qui se meurt le pauvre cher homme !

JEAN.

Et vous chantez ?

La Mere ROGOME.

Eh mais écoutez, vous qui entendez la raison, est-ce que je puis empêcher cela ? si Dieu le veut, il est bien le maître de le prendre. Si vous voulez vous serez mon second, cadet, je vous trouve bien gentil.

Mad. MIGNONETTE.

Allons, laissez-nous donc.

La Mere ROGOME.

Madame, je vous demande bien pardon, je n’ai offensé personne je crois, ce que je dis là est en tout bien & tout honneur du moins.

JEAN.

Tenez voilà deux Messieurs là-bas, qui vous acheteront peut-être vos cerises.

La Mere ROGOME.

N’est-ce pas des Officiers ?

JEAN.

Oui, vraiment.

La Mere ROGOME.

Ah tant mieux, j’aime bien avoir affaire à Messieurs les militaires, cela ne vous barguigne pas avec les femmes.

Mad. MIGNONETTE.

Allez vous-en donc.

La Mere ROGOME.

Oui, oui, ma Princesse. (Elle va à Messieurs Descabious & de Saint-Damase.) Allons mes Officiers, achetez-moi ce panier de cerises.

M. D’ESCABIOUS.

Allons, Allons, laissez-nous en repos.

La Mere ROGOME.

Eh, mon Dieu, comme vous vela fâché ! Ah, c’est pour badiner je crois.

M. DE SAINT-DAMASE.

Veux-tu bien t’en aller.

La Mere ROGOME, chantant.

Ah maman que je l’ai échapé belle !
Ce matin
Colin
Comme un lutin.
Dans ma ruelle,
Ah maman, que je l’ai échapé belle !
J’ai cru de mon cœur,
Qu’il seroit le vainqueur.

Ah, Monsieur le Chevalier, écoutez-moi donc. Vous n’avez jamais vu de si belles cerises.

M. DE SAINT-DAMASE.

Nous n’en voulons point.

La Mere ROGOME, chante.

Un Officier, deux Officiers, trois Officiers
Ensemble,
Ont enlevé ma mie,
Ont enlevé ma mie Margot,
Ont enlevé ma mie.

M. D’ESCABIOUS.

Cette femme-là est bien insupportable !

La Mere ROGOME.

Là, là, ne vous fâchez pas, la paix de Dieu.

Elle Chante.

Eh, gai, gai, gai mes Officiers,
Venez chez moi le Dimanche ;
Car le Lundi,
Le Mardi,
Le Mercredi,
Le Jeudi,
Le Vendredi,
Le Samedi,
C’est une aut’e paire de manches.

M. DE SAINT-DAMASE.

Veux-tu bien te taire.

M. D’ESCABIOUS.

Attends-là, & tiens-toi tranquille.

La Mere ROGOME.

Allons, allons, la paix de Dieu. Elle s’assied sur ses talons.

M. D’ESCABIOUS.

Il me vient une idée au sujet de ces cerises, pour donner ma lettre.

M. DE SAINT-DAMASE.

Eh bien, dis ?

M. D’ESCABIOUS.

C’est qu’il ne faut pas que Madame Mignonette nous entende.

M. D’ESCABIOUS.

Parle bas. Ils parlent bas.

M. D’ESCABIOUS, haut.

Tu comprends cela ?

M. DE SAINT-DAMASE.

A merveille. Laisses-moi faire.

M. D’ESCABIOUS.

Où sont-elles donc ces cerises ?

La Mere ROGOME.

Les voilà, les voilà, mon Officier.

M. DE SAINT-DAMASE.

Voyons-les.

M. D’ESCABIOUS.

Elles ne sont pas trop belles.

La Mere ROGOME.

Elles sont belles comme vous, mes bijoux.

M. DE SAINT-DAMASE.

Ah, elles ne sont pas laides.

La Mere ROGOME.

Elles sont grosses comme des prunes.

M. D’ESCABIOUS.

Oui, je t’en réponds.

M. DE SAINT-DAMASE.

Ma foi, écoutes donc, je les trouve belles moi.

La Mere ROGOME.

Achetez-les donc, mon Roi.

M. D’ESCABIOUS.

Je parie que les yeux de Madame Mignonette, sont plus grands, que ces cerises ne sont grosses.

M. DE SAINT-DAMASE.

Je parie que non.

M. D’ESCABIOUS.

Nous verrons.

M. DE SAINT-DAMASE.

Qu’est-ce que nous parions ?

M. D’ESCABIOUS.

Eh bien, le panier de cerises.

M. DE SAINT-DAMASE.

Voilà qui est fait.

M. D’ESCABIOUS.

Mais il faut les mesurer.

M. DE SAINT-DAMASE.

C’est ton affaire.

M. D’ESCABIOUS, s’approchant.

Madame Mignonette, nous venons de faire un pari.

Mad. MIGNONETTE.

Qu’est-ce que c’est, Messieurs ?

M. D’ESCABIOUS.

Vous me ferez gagner, car cela vous regarde.

Mad. MIGNONETTE.

Moi, comment donc ?

Mlle . MARIANNE.

Ah, ma chere mere, vous l’avez surement entendu ; car je l’ai entendu, moi.

Mad. MIGNONETTE.

Voulez-vous bien vous taire.

M. D’ESCABIOUS.

Tenez, Madame Mignonette, Saint-Damase trouve ces cerises fort belles, & moi j’ai parié que vos yeux sont plus grands qu’elles ne sont grosses.

Mlle . MARIANNE.

Voilà ce que j’ai entendu.

Mad. MIGNONETTE.

Encore. (A Monsieur Descabious.) Monsieur mes yeux sont comme ils sont ; mais ils ne pas si grands que vous le dites.

M. D’ESCABIOUS.

Et moi je soutiens que je gagnerai mon pari.

M. DE SAINT-DAMASE.

Et comment saurons-nous cela ?

M. D’ESCABIOUS.

En les mesurant.

M. DE SAINT-DAMASE.

Et comment feras-tu ?

M. D’ESCABIOUS.

Si Madame Mignonette le veut bien, cela sera fait tout de suite. (Il prend deux cerises qui tiennent ensemble, & il dit à Madame Mignonette,) Permettez.

Mad. MIGNONETTE.

Que voulez-vous faire ?

M. D’ESCABIOUS.

Mesurer.

Mad. MIGNONETTE.

Comment ?

M. D’ESCABIOUS.

Fermez les yeux, je mettrai ces cerises dessus, & Saint-Damase jugera.

Mad. MIGNONETTE.

Non, non, on se moqueroit de moi.

Mlle . MARIANNE.

Ah, ma chere mere !

La Mere ROGOME.

Allons, mon cher cœur, ne faites pas la petite bouche, afin que je vende mon panier de cerises.

Mad. MIGNONETTE.

En vérité…

M. D’ESCABIOUS.

Allons, allons. (Il met les cerises d’une main sur les yeux de Madame Mignonette, & de l’autre il donne la lettre à Mademoiselle Marianne.) Tu vois, je t’en fais juge.

La Mere ROGOME, chante.

Voilà mon Cousin
L’allure
Mon Cousin,
Voilà mon Cousin
L’allure.

M. D’ESCABIOUS.

Te tairas-tu ?

M. DE SAINT-DAMASE.

Je conviens que j’ai perdu.

Mad. MIGNONETTE.

Mais cela n’est pas possible.

M. D’ESCABIOUS.

Je connoissois vos yeux, j’étois bien sûr de gagner. (A Saint-Damase.) Toi, paye le panier de cerises.

M. DE SAINT-DAMASE.

Je ne demande pas mieux. Il donne vingt-quatre sols à la Mere Rogome.

La Mere ROGOME.

En vous remerciant mon Capitaine.

M. D’ESCABIOUS.

Elles sont à vous, Madame Mignonette.

Mad. MIGNONETTE.

Ah, Monsieur…

M. D’ESCABIOUS.

Sans vous, je ne les aurais pas gagnées.

Mad. MIGNONETTE.

Vous êtes bien honnête ; mais j’ai bien de la peine à le croire.

La Mere ROGOME.

Mon officier, si vous voulez des oranges, je vous en apporterons aussi.

M. DE SAINT-DAMASE.

Oui, oui, une autrefois.

La Mere ROGOME.

Vous mesurerez de même encore.

M. D’ESCABIOUS.

C’est bon, c’est bon.

La Mere ROGOME, chante.

Lorsque l’on a bien du mérite
On ne manque pas de galand ;
Eh, mais Monsieur, qu’est-ce que vous dites ?
Je ne suis t’encor qu’un enfant :
L’amour non plus n’est pas t’aut chose
Quoiqu’on en glose,
Il faut zun amant,
Et reli relan,
Et relan tanplan,
D’abord il cause.
Puis il vous mène tambour battant.

(A Jean.) Adieu, Cadet. Elle s’en va.

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Scène V.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE, M. D’ESCABIOUS, M. DE SAINT-DAMASE.
M. DE SAINT-DAMASE.

Allons, viens-tu aux Italiens ?

M. D’ESCABIOUS.

Je le veux bien.

M. DE SAINT-DAMASE.

Madame, Mademoiselle, je suis bien votre serviteur.

Mad. MIGNONETTE.

Messieurs, je suis bien votre Servante.

M. D’ESCABIOUS.

Mademoiselle, je souhaite que vous trouviez les cerises bonnes.

Mad. MIGNONETTE.

Monsieur, vous avez bien de la bonté.

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Scène VI.

Mad. MIGNONETTE, Mlle . MARIANNE.
Mlle . MARIANNE.

Ils sont bien polis ces Messieurs-là, ma chere mere.

Mad. MIGNONETTE.

Oui, oui. Allons, pliez votre ouvrage.

Mlle . MARIANNE.

Cela sera bien-tôt fait.

Mad. MIGNONETTE.

Parce que nous allons aller chez votre tante.

Mlle . MARIANNE.

Ah, j’en serai bien-aise ; parce que j’ai quelque chose à dire à ma cousine. Elles sortent.


Fin du soixante-trezieme Proverbe.
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73. Il sait amadouer la Poule pour avoir les Poussins.