Proverbes dramatiques/L’Écrivain des charniers

Explication du Proverbe :


L’ÉCRIVAIN
DES
CHARNIERS,


QUARANTE-HUITIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


Mad. DE L’AIGUILLE, Marchande Lingere. En robe rayée, relevée dans les poches, tablier à carreaux bleus, & grand bonnet.
Mlle  JANNETON, sa Fille. Robe d’Indienne, relevée dans les poches, tablier à carreaux rouges, petit bonnet.
M. DUBOIS, Débitant de Tabac. Habit brun, veste noire, jarretieres noires, vieille perruque à la Brigadiere, canne sous le bras.
M. DUBOIS, le Fils, Commis des Barrieres. Habit gris, veste rouge, avec un petit bord d’or, jarretieres rouges, chapeau bordé sur la tête, épée basse.
M. DISCRET, Ecrivain des Charniers. Habit gris, veste noire, perruque ronde, chapeau uni sur la tête.
NICOLAS, Commissionnaire. Mauvaise veste, sur un gillet sale ; bonnet rouge, cheveux plats, guêtres.


La Scène est sous les Charniers des Innocens.
La Scène représente les Charniers des Innocens. A droite, est la Boutique de Madame de l’Aiguille, Marchande Lingere ; & à gauche, un tonneau, qui sert de Bureau à M, Discret, Ecrivain.

Scène premiere.

Mlle  JANNETON, M. DUBOIS.
M. DUBOIS.

Mais, Mademoiselle, si vous me faites l’honneur de m’aimer véritablement comme vous le dites, pourquoi vous affligez-vous ?

Mlle  JANNETON.

Ah, M. Dubois, si vous saviez !…

M. DUBOIS.

Comment ! ne me trouvez-vous pas un assez bon parti ? Ma place de Commis de la Barriere me vaut, pourtant, six cents francs par an.

Mlle  JANNETON.

Je le sais bien ; mais ma chere mere ne vous connoît pas.

M. DUBOIS.

Ce n’est pas ma faute ; & si vous le vouliez, elle me connoîtroit bientôt.

Mlle  JANNETON.

Si j’étois sûre qu’elle pût penser comme moi, Monsieur, vous n’auriez rien à craindre.

M. DUBOIS.

Comment, rien à craindre ? Croyez-vous que je puisse avoir peur ? vous ne me connoissez pas. Vous me faites trembler, Mademoiselle Janneton.

Mlle  JANNETON.

Mais, par exemple, si elle vouloit me marier à un autre que vous.

M. DUBOIS.

Ah, cela devient différent ; mais je ne le crois pas.

Mlle  JANNETON.

Cela n’est pourtant que trop vrai.

M. DUBOIS.

Comment ?

Mlle  JANNETON.

Je ne sais si vous connoissez M. Discret, l’Écrivain, qui demeure là, vis-à-vis de chez nous ?

M. DUBOIS.

Je ne l’ai jamais vu.

Mlle  JANNETON.

Eh bien ! c’est à lui que ma chere mere veut me marier.

M. DUBOIS.

A lui ? & l’aimez-vous ?

Mlle  JANNETON.

Si je l’aimois, je ne vous aimerois pas.

M. DUBOIS.

Ah ! c’est vrai ; comment ferons-nous ?

Mlle  JANNETON.

Je n’en sais rien ; car ma chere mere lui a donné sa parole, & il y compte, & voilà pourquoi je vous ai prié de me venir voir, pendant qu’elle est sortie.

M. DUBOIS.

Et Monsieur Discret, est-il un homme d’esprit ?

Mlle  JANNETON.

Mais je crois que oui ; car c’est lui qui fait tous nos mémoires. Il écrit tout couramment des lettres pour tout le monde ; & il est très-malin.

M. DUBOIS, rêvant.

Il écrit des lettres ? Attendez, je serai aussi malin que lui ; laissez-moi faire ; dans peu vous entendrez parler de moi, & vous verrez ce qui en sera, puisqu’il écrit des lettres. Je suis un homme… Enfin, je ne vous en dis pas davantage.

Mlle  JANNETON.

Ah ! je vous en prie, mon cher Monsieur Dubois, dites-moi ce que vous ferez.

M. DUBOIS.

Je n’ai rien à vous refuser ; mais je n’ai pas le temps de vous l’expliquer. Songez seulement à dire à votre chere mere, que M. Discret vous a fait une infidélité ; & ne vous embarrassez pas du reste.

Mlle  JANNETON.

Si vous m’aimiez bien, vous n’auriez pas de secret pour moi ; & j’ai envie de me fâcher.

M. DUBOIS.

A quoi cela servira-t-il ! Écoutez plutôt ce que j’ai encore à vous dire.

Mlle  JANNETON.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?

M. DUBOIS.

J’ai dit à mon pere, qui a un débit de tabac, auprès des Quinze-vingts, que j’ai grande envie de me marier avec vous ; & comme c’est le meilleur homme du monde, il doit venir aujourd’hui ici marchander une paire de chaussons, pour voir si vous êtes aussi jolie que je lui ai dit. Il m’a dit qu’il avoit été à la nôce de Madame votre mere, & il a envie de renouveller la connoissance, selon ce qui en sera ; & ce seroit un bon acheminement à notre mariage.

Mlle  JANNETON.

C’est très-bien pensé ; mais qu’est-ce que vous ne voulez pas me dire ?

M. DUBOIS.

Ah ! vous en revenez toujours à vos moutons ; & il faut que je m’en aille.

Mlle  JANNETON.

Eh bien ! Monsieur, allez-vous-en & ne revenez jamais.

M. DUBOIS.

Quoi ! vous vous fâchez tout de bon ? Allons, embrassez-moi, pour faire la paix. (Il veut l’embrasser.)

Mlle  JANNETON, se débattant.

Non, Monsieur, non, je ne le veux pas ; finissez donc, vous allez faire tomber mon ouvrage. (Il tombe.) Bon, le voilà à terre. Il va être tout crotté.

M. DUBOIS.

Ah ! ne vous fâchez pas, cela se séchera. (Il lui rend son ouvrage.) Adieu, Mademoiselle, je suis votre très-humble serviteur.

Mlle  JANNETON.

Revenez bientôt.

M. DUBOIS.

Oui, oui, ne vous embarrassez pas.

Mlle  JANNETON.

Allez-vous-en vîte ; car je vois revenir ma chere mere.

M. DUBOIS.

Adieu donc.

Mlle  JANNETON.

Adieu, adieu.

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Scène II.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle JANNETON, pleure en travaillant.
Mad. DE L’AIGUILLE.

Eh bien ! qu’est-ce que tu as à pleurer ? Tenez, voyez à dix-sept ans, si on peut être comme cela.

Mlle  JANNETON.

Mais, ma chere mere, quand vous saurez à l’occasion de quoi je pleure, je crois que vous penserez comme moi.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Effectivement, je pleurerai aussi, moi : ah ! oui, tu vas voir. Allons, allons, laisse-moi passer à ma place, grande nigaude. (Mlle  Janneton se leve, sa mère passe, & elles s’asseyent toutes les deux.) Donne-moi un peu cette terrine, que j’épluche nos féves.

Mlle  JANNETON.

Tenez, la voilà.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et le sac aux féves ? (Mlle Janneton le lui donne, & elle épluche ses féves.) Ah ! ça ! finis de pleurnicher, ma chere, comme cela ; car tout cela m’ennuie.

Mlle  JANNETON.

Mais, ma chere mere, écoutez donc la raison de cela.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Allons, voyons qu’est-ce qu’elle va dire.

Mlle  JANNETON.

Si vous vous fâchez…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Que je me fâche, ou non, ce n’est pas ton affaire. Tais-toi & parle.

Mlle  JANNETON.

Vous savez bien que vous m’avez accordé en mariage à M. Discret.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, parce que c’est un honnête homme & qui me convient ; est-ce que tu n’en veux plus ? En voici bien d’une autre ! Bon gré, malgré, tu l’épouseras, premierement & d’un, voilà qui est fini, je n’écoute plus rien.

Mlle  JANNETON.

Mais je ne dis pas que je ne l’aime plus.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et qu’est-ce que tu dis donc ? Il faut parler, au lieu de pleurer.

Mlle  JANNETON.

Je dis que j’ai bien peur de ne pas être sa femme.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et pourquoi cela ?

Mlle  JANNETON.

Parce que… (Elle pleure.)

Mad. DE L’AIGUILLE.

Eh bien ?

Mlle  JANNETON.

Je n’oserois vous le dire.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Mais, s’il faut que je le sache, je ne peux pas le deviner.

Mlle  JANNETON.

Dame ! c’est qu’on m’a dit qu’il étoit devenu amoureux d’une autre, & qu’il vouloit me faire une infidélité.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! je ne crois pas celui-là ; il peut te faire toutes les infidélités qu’il voudra ; mais il faudra bien qu’il t’épouse. Je n’entendrai pas raillerie là-dessus : un honnête-homme n’a que sa parole.

Mlle  JANNETON.

Mais s’il est infidele ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

A présent, cela ne fait rien ; mais quand tu seras fa femme, je le ferai bien charier droit. Est-ce que ton pere ne vouloit pas faire comme cela, au bout d’un an de mariage ? Ah ! pardi ! il ne s’y est pas frotté deux fois ; il te le diroit bien, s’il n’étoit pas mort, le pauvre défunt !

Mlle  JANNETON.

Oui ; mais, si Monsieur Discret en aime une autre, il ne voudra plus de moi. Il n’a pas paru encore à sa place d’aujourd’hui.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oh ! mais c’est Lundi, il faut de la raison par-tout. Laisse-le venir, je lui parlerai, moi, il faudra bien qu’il réponde.

Mlle  JANNETON.

Ah ! ma chere mere, ne lui dites rien encore. Il faut attendre, & savoir si tout cela est bien vrai.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Voilà encore un joli sujet, pour être amoureux d’une autre que de ma fille.

Mlle  JANNETON.

Nous verrons comment il se conduira.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Je veux bien ne lui pas parler ; mais c’est que s’il me fait une fois monter la moutarde au nez…

Mlle  JANNETON.

Il ne faut pas vous emporter.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oh ! je ne m’emporte pas ; va, va, laisse-moi faire, je sais comme il faut s’y prendre avec les hommes ; tu n’as qu’à faire comme moi. Ne lui disons rien ni l’une ni l’autre, il sera bien embarrassé.

Mlle  JANNETON.

C’est très-bien dit. Mais voilà un Monsieur qui cherche quelque chose, il regarde bien notre enseigne. (À part.) Je crois que c’est le père de M. Dubois.

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Scène III.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON, M. DUBOIS, pere.
Mad. DE L’AIGUILLE.

Monsieur, y a-t-il quelque chose pour votre service, de la toile, des manchettes ? C’est ici.

M. DUBOIS, pere.

Madame, je vous demande bien pardon, j’ai oublié mes lunettes ; &…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Monsieur, nous ne vendons pas de lunettes.

M. DUBOIS, pere.

Je le sais bien, Madame ; mais c’est que je ne peux pas lire l’enseigne d’un quelqu’un que je cherche.

Mlle  JANNETON.

Qu’est-ce que c’est, Monsieur ?

M. DUBOIS, pere.

C’est celle de Madame de l’Aiguille.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Vous y êtes, Monsieur, c’est moi-même.

M. DUBOIS, pere.

Ah ! Madame, je suis bien votre serviteur.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Janneton, donne donc un tabouret à Monsieur.

M. DUBOIS, pere.

En voilà un, Mademoiselle, ne vous dérangez pas. Et puis je serois bien resté debout, sur-tout, autrefois ; parce que je suis accoutumé à tout. (Il s’assied.) Madame ; c’est que je voudrois bien acheter une ou deux paires de chaussons ; c’est selon le prix que vous me les ferez payer.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Monsieur, si vous voulez du bon, il ne faut pas épargner ; voulez-vous quelque chose de résistance ?

M. DUBOIS, pere.

Oui, je veux du meilleur.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Janneton, donne à Monsieur de ceux marqués N.

Mlle  JANNETON, donnant un paquet.

Les voilà justement.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tenez, Monsieur, voilà ce qu’il vous faut.

M. DUBOIS, pere.

Seront-ils assez grands ? car j’ai des cors à tous les doigts des pieds.

Mad. DE L’AIGUILLE.

C’est-là ce que nous vendons dans ces cas-là.

M. DUBOIS, pere.

Et cela vaut, en conscience ?…

Mad. DE L’AIGUILLE.
.

Dix sols la paire ; mais je ne veux pas gagner avec vous, je vous les donnerai à neuf sols.

M. DUBOIS, pere.

C’est le dernier mot ?

Mlle  JANNETON.

Ah, ma chere mere, ne pourriez-vous pas les donner à Monsieur à huit sols ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Je le veux bien ; mais je n’y gagnerai rien.

M. DUBOIS, pere.

Je m’en vais donc vous donner vingt-quatre sols, & vous me rendrez. (Il donne vingt-quatre sols.)

Mad. DE L’AIGUILLE.

Prenez-en encore une paire, cela fera un compte rond.

M. DUBOIS, pere.

Allons, je le veux bien, en faveur de l’ancienne connoissance. Vous ne me remettez pas, Madame de l’Aiguille ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Pardonnez-moi ; je me souviens…

M. DUBOIS, pere.

Vous souvenez-vous que c’est moi qui vous avois enlevée le jour de votre nôce ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Quoi ! c’est vous qui vous nommiez… J’oublie toujours les noms…

M. DUBOIS, pere.

La Fleur ; j’étois dans ce temps-là chez M. l’Argentier, Fermier-général.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Justement.

M. DUBOIS, pere.

Oui, c’est lui qui m’a fait avoir un débit de tabac, auprès des Quinze-vingts ; & je m’appelle Dubois à présent.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Je m’en souviens, oui, il y a long-temps, dont vous parlez-là.

M. DUBOIS, pere.

Ah ! cela ne fait rien ; vous êtes toujours tout de même. Est-ce là Mademoiselle votre fille ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui vraiment : mauvaise herbe croît toujours, comme vous savez.

M. DUBOIS, pere.

L’on voit bien que vous êtes sa mere. Et notre ami de l’Aiguille, comment se porte-t-il ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! le pauvre homme ! il y a six ans qu’il est mort.

M. DUBOIS, pere.

Quoi ! Monsieur l’Aiguille est mort ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, vraiment ; vous savez qu’il aimoit un peu à boire.

M. DUBOIS, pere.

C’est vrai.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! que trop ; un jour de la S. Martin, bonjour, bonne œuvre, est-ce que la rouë d’un fiacre ne lui a pas passé fur les deux jambes ; qu’il ne s’en est pas relevé. J’ai cru que je le garderois toujours comme cela ; enfin Dieu me l’a ôté ; il a bien fallu se faire une raison. Il ne m’a laissé que Janneton, que vous voyez là.

M. DUBOIS, pere.

Eh bien ! je suis sûr qu’elle fait votre consolation ; car elle a l’air bien raisonnable.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! comme cela. (M. Dubois se leve.)

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Scène IV.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle JANNETON, M. DUBOIS, pere, M. DISCRET, se mettant à son Bureau, M. Dubois fils, passant & montrant à Mlle Janneton, que c’est son pere qui est chez elle, & qu’il va aller trouver M. Discret.
M. DUBOIS, pere.

Ah ! ça ! il se fait tard, & il est temps d’aller manger la soupe.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Si vous vouliez accepter la fortune du pot ? c’est de bon cœur.

M. DUBOIS.

Une autre fois, je viendrai vous revoir. Adieu, Madame ; adieu, Mademoiselle, je suis bien votre serviteur.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Adieu, Monsieur, ne nous oubliez pas, sur-tout, quand il vous faudra quelque chose.

M. DUBOIS, pere.

Non, non, Madame, vous y pouvez compter ; je vous salue. (Il s’en va.)

Mlle  JANNETON.

Il est bien poli, ce Monsieur-là.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, oui, allons-nous-en dîner. Voilà M. Discret, ne le regardons pas. (Elles vont dîner.)

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Scène V.

M. DISCRET, taillant des plumes.

Madame de l’Aiguille ne me regarde pas, non plus que Mlle Janneton ; est-ce qu’elles seroient fâchées contre moi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est, peut-être, parce que je n’ai pas fait le mémoire qu’elle m’a demandé, pour tout ce qu’elle a vendu à ce Chaircutier de la Croix Rouge. Dame, si elle est fâchée, elle se défâchera ; elle n’aura que deux peines ; mais, Mademoiselle Janneton, qu’est-ce qu’elle peut avoir contre moi ? C’est, peut-être, à cause de sa mere.

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Scène VI.

M. DISCRET, M. DUBOIS, fils, la main droite en écharpe.
M. DUBOIS, fils.

Monsieur, je suis bien votre serviteur : auriez-vous le temps de m’écrire une lettre, tout-à-l’heure ?

M. DISCRET.

Oui, Monsieur, vous n’avez qu’à dire ; tout ce qui est pressé, avec moi, a toujours la préférence. Voulez-vous bien vous donner la peine de vous asseoir ?

M. DUBOIS, fils, s’asseyant.

Ce n’est pas que je ne sache écrire, au moins ; mais c’est qu’il m’est venu un mal d’aventure au pouce, qui me fait un mal de chien, de façon que je n’en peux rien faire, ni le jour ni la nuit ; j’ai la main grosse comme votre tête.

M. DISCRET.

Ah bien ! je vous donnerai un remede, qui vous emportera cela, comme avec un rasoir, & sans douleur.

M. DUBOIS, fils.

Après la lettre. Voici, Monsieur, dequoi il retourne. Je suis amoureux d’une Demoiselle, & je voulois l’épouser ; mais elle me fiche malheur, depuis quelques jours, ainsi que sa mere : cela me déplaît à moi ; parce que je suis un gaillard, qu’il ne faut pas me dire, en deux fois, une même chose. Voilà la lettre qu’elle m’a écrite ce matin, à quoi je veux faire une réponse un peu salée, là ; vous m’entendez bien.

M. DISCRET.

Laissez, laissez-moi faire, vous serez content. Mais voyons la lettre.

M. DUBOIS, fils.

La voilà, lisez tout haut.

M. DISCRET, lisant.

Monsieur & cher Amant.

« J’ai l’honneur de vous écrire ces lignes pour vous faire à savoir que j’ai bien du chagrin ; parce que je crains déjà que, quand je serai votre femme, vous ne m’aimiez pas : voilà pourquoi ma chere mere me défend de vous parler davantage : ce qui met mon cœur en combustion, & que je ne passe pas une nuit sans dormir, en rêvant de vous : ce n’est pourtant pas que je vous aime autant que je vous aimois ; voilà ce que je ne voulois pas vous dire, quoique je croie que vous ne m’aimez plus ; mais la plume me tombe des mains, pour dire que cela n’est pas vrai, & que je vous aime toujours de tout mon cœur. »

Votre très-humble &
très-obéissante servante,
Janneton

Janneton ? (Il est étonné.)

M. DUBOIS, fils.

Oui, Janneton.

M. DISCRET.

C’est plaisant ; mais ce n’est pas son écriture, ainsi ce n’est pas elle.

M. DUBOIS, fils.

Je vous dis que c’est son écriture. Oh ! elle écrit bien, ce n’est pas par-là que le pot s’enfuit.

M. DISCRET.

C’est que vous ne savez pas ce que je veux dire. Ah ! ça ! je m’en vais vous faire une réponse : quel style voulez-vous ?

M. DUBOIS, fils.

Comme vous voudrez ; je veux l’envoyer promener, ainsi que sa mere, sur-tout ; parce que c’est comme cela qu’il faut traiter les femmes, pour en venir à bout.

M. DISCRET.

C’est bien dit. Vous connoissez bien le beau sexe.

M. DUBOIS, fils.

Je veux faire semblant comme si je n’avois pas reçu sa lettre, & que cela vienne premierement de moi, ce que je lui dirai.

M. DISCRET.

Je vous entends bien. Vous allez voir. (Il écrit.)

M. DUBOIS, fils.

Parlez de la mere, sur-tout.

M. DISCRET.

Ne vous embarrassez pas. (Il écrit.)

M. DUBOIS, fils.

Nous verrons.

M. DISCRET.

Tenez, voilà le commencement.

M. DUBOIS, fils.

Voyons.

M. DISCRET, lit.

Mademoiselle,

Je mets la main à la plume, mais avec regret ; mon cœur saigne de tous les côtés, hors du vôtre, quand il pense à Madame votre mere, qui est, comme un dragon, toujours envers moi.

M. DUBOIS, fils.

C’est bien ; mais…

M. DISCRET.

Écoutez, écoutez, vous serez content. Il me vient une bonne idée dans la tête. (Écrivant.)

« Et qui ne peut vous donner que de mauvais conseils, quant à l’égard de mon amour. »

M. DUBOIS, fils.

C’est cela ; mais il faudrait que la mere pût se fâcher ; & lui dire que je ne veux plus de mariage.

M. DISCRET.

Oh, je sais bien, vous allez voir. (Il écrit.) Tenez, voyez si ce n’est pas-là ce que vous vouliez dire ? (Il lit.)

« Et comme le piedestal de sa vertu a souvent fait des faux pas… »

M. DUBOIS, fils.

Très-bien ! c’est fort bon !

M. DISCRET, lit.

« Je crains qu’il n’en arrive de même de vous. »

M. DUBOIS, fils.

On ne peut pas mieux !

M. DISCRET, écrivant.

« Si vous vouliez éprouver mon amour, sans mariage, je ne demanderois pas mieux, dans ce cas-là, que d’être de tout mon cœur, Mademoiselle.

« Votre très-humble & très-
respectueux Serviteur.
M. DUBOIS, fils.

C’est comme si je l’avois écrit moi-même, voilà tout ce que je voulois dire ; il n’en faut pas davantage.

M. DISCRET.

Je suis bien aise que vous soyez content ; dame ! nous autres, il nous passe tant de ces affaires-là par les mains, que j’y suis un peu grec.

M. DUBOIS, fils.

Je le vois bien.

M. DISCRET.

Avant de la cacheter, ne faut-il pas signer ?

M. DUBOIS, fils.

Oui, vraiment.

M. DISCRET.

Dites-moi votre nom.

M. DUBOIS, fils.

Je m’appelle Discret.

M. DISCRET.

Discret ? mais c’est aussi mon nom.

M. DUBOIS, fils.

Tout de bon ?

M. DISCRET.

Sûrement. C’est plaisant cela ! Est-ce que vous seriez le fils de M. Discret, Facteur de la petite Poste, qui a été tué à l’armée il y a bien long-temps ?

M. DUBOIS, fils.

C’est moi-même ; c’est que j’avois déserté ; & voilà pourquoi on m’avoit fait passer pour mort.

M. DISCRET.

Cela fait une différence ; mais, en ce cas-là, nous sommes cousins.

M. DUBOIS, fils.

Ah ! j’en suis charmé. Parbleu il faudra boire chopine ensemble.

M. DISCRET.

Je ne demande pas mieux ; je m’en vais cacheter cette lettre, & puis je vous menerai à un endroit, où il y a de bon vin. Je m’en vais mettre l’adresse à Mademoiselle, Mademoiselle Janneton ?

M. DUBOIS, fils.

Sans doute.

M. DISCRET, écrivant & cachetant.

Voilà votre affaire finie, cousin. (Il lui donne la lettre.) Si vous voulez venir à présent…

M. DUBOIS, fils, mettant la main à la poche.

Mais il faut que je vous paye.

M. DISCRET.

Bon, entre parens. Et puis vous allez payer chopine. Allons, je vous expliquerai ce qui m’a si fort étonné.

M. DUBOIS, fils.

Allons, venez.

M. DISCRET, rangeant ses papiers.

C’est qu’il faut arranger ses affaires. Je vous suis. (Ils s’en vont.)

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Scène VII.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON.
Mlle  JANNETON, appelant sa mere.

Ma chere mere, ma chere mere ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Eh bien ! qu’est-ce que tu veux ?

Mlle  JANNETON.

Il n’y est plus.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Apparemment qu’il est allé à ses affaires.

Mlle  JANNETON.

C’est que si ce qu’on m’a dit est vrai…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! si tu vas me tourmenter comme cela !… Ne veux-tu pas que je le garde dans ma poche ? Je crains que tu ne sois jalouse.

Mlle  JANNETON.

Jalouse ? non ; mais quand on aime bien…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tiens, ma fille, ce seroit tant pis pour toi : les hommes ne se menent pas comme cela.

Mlle  JANNETON.

On voit bien que vous n’avez jamais aimé.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Jamais ? Va, va, j’ai aimé plus que toi, & plus que tu n’aimeras de ta vie ; en tout bien & tout honneur, dà. D’abord, il ne faut pas se plaindre, sans raison. Tiens, écoute-moi. Un jour que…

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Scène VIII.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON, NICOLAS, une lettre à la main, les regardant.
Mad. DE L’AIGUILLE.

Qu’est-ce que celui-là cherche.

NICOLAS.

Madame, ne pourriez-vous pas m’enseigner où demeure Mlle Janneton ?

Mlle  JANNETON.

C’est moi ; qu’est-ce que c’est ? (Elle prend la lettre & lit l’adresse.) Ah ! ma chere mere, c’est l’écriture de M. Discret.

NICOLAS.

Oui, c’est de sa part.

Mad. DE L’AIGUILLE.

De sa part ? (Prenant la lettre.) Voyons un peu ce qu’il chante.

Mlle  JANNETON.

Je meurs de peur qu’on ne m’ait dit vrai.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Allons, tais-toi donc. (Elle lit la lettre.)

Hum… hum… hum… hum… Mon cœur saigne de tous les côtés…

Mlle  JANNETON.

Il lui est arrivé quelque malheur !

Mad. DE L’AIGUILLE, lisant.

Hum… quand je pense à Madame votre mere, hum… hum… hum… hum… Et comme le piedestal de sa vertu, a souvent fait des faux pas… Qu’est-ce que veut dire cet animal-là ? De qui parle-t-il ?

Mlle  JANNETON.

De vous, ma chere mere.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Voyons le reste. (Elle lit.) Je crains qu’il n’en arrive de même de vous.

Mlle  JANNETON.

Comment, de moi ?

Mad. DE L’AIGUILLE, lisant.

Si vous vouliez pourtant éprouver mon amour sans mariage, je ne demanderois pas mieux, dans ce cas-là, que d’être de tout mon cœur,

Mademoiselle,
Votre très-humble & très-
respectueux serviteur,
Discret.

Voilà un grand coquin ! un grand gueux !

Mlle  JANNETON.

Mais, ma chere mere, peut-être que…

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Non, tu n’as que faire de me parler de lui davantage.

NICOLAS.

Madame, m’allez-vous donner la réponse ?

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Oui, oui, donne-moi mon aulne, que j’étrille ce drôle-là.

NICOLAS.

Mais, il m’a dit que vous me payeriez.

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Eh bien ! tu n’as qu’à venir.

NICOLAS.

Je m’en vais lui dire que c’est comme cela que vous recevrez sa lettre.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! tu n’as qu’à lui dire qu’il n’approche pas d’ici de dix lieues.

NICOLAS.

Je n’y manquerai pas.

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Scène IX.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON.
Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Ma vertu a fait des faux pas ! ce ne sera pas avec lui, toujours ; s’il revient ici, je lui arracherai les yeux.

Mlle  JANNETON.

Mais, c’est, peut-être, un faux rapport qu’on lui aura fait.

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Quand cela seroit vrai, je ne veux pas qu’on me le dise ; enfin, je te défends de penser à lui davantage.

Mlle  JANNETON, pleurant.

Mais, ma chere mere, si je ne peux pas m’empêcher de l’aimer ?

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Quoi ! tu aurois ce cœur-là, d’aimer un vilain coquin, comme cela, qui t’insulte, qui insulte ta mere ? Je te torderois plutôt le col, que de souffrir que tu l’aimes encore après cela.

Mlle  JANNETON, pleurant.

Mais, ma chere mere, comment voulez-vous que je fasse ?

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Aimes-en un autre, n’importe lequel, cela m’est égal, pourvu que ce ne soit pas lui.

Mlle  JANNETON, pleurant.

Mais, si je ne le peux pas ?

Mad. DE L’AIGUILLE, en colere.

Je te dis que je le veux, je suis ta mere, en un mot comme en cent.

Mlle  JANNETON, pleurant.

Mais c’est que, moi, je ne sais si vous voudriez…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Quoi ? ne pleure plus, tais toi & parle.

Mlle  JANNETON, se mouche.

Vous savez bien, ma chere mere, ce Bal où j’ai été, dans la rue de la Mortellerie, avec ma cousine.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, que tu m’as fait relever, après t’avoir attendue toute la nuit, pour t’ouvrir la porte, ah ! ne me parle pas de cela. Eh bien ! qu’est-ce que tu veux dire ?

Mlle  JANNETON.

C’est qu’il y avait un ami de ma cousine, avec qui j’ai beaucoup dansé, je ne vois, après Monsieur Discret, que lui…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Quoi ! tu m’en parles encore ?

Mlle  JANNETON.

Ce n’est que pour vous dire, qu’après lui, il n’y a que ce Monsieur-là que je puisse aimer : ma cousine m’a dit que c’était un bon parti, & que si elle n’étoit pas accordée avec un autre, qu’elle auroit bien voulu de lui.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et de quel métier est-il ? Il faut savoir sa vacation.

Mlle  JANNETON.

Il n’a point de métier, il porte l’épée.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Il porte l’épée : qu’est-ce qu’il est donc ?

Mlle  JANNETON.

Il est Commis aux Barrieres.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et il se nomme ?

Mlle  JANNETON.

M. Dubois.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Comment, M. Dubois ? Eh, mais s’il était le fils de M. de la Fleur, qui s’appelle aussi M. Dubois, cela seroit trop heureux.

Mlle  JANNETON.

Qui, ce Monsieur qui nous a acheté des chaussons ce matin ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, pourquoi pas ? Il s’étoit marié trois ans avant moi, & il doit avoir un fils assez grand à présent.

Mlle  JANNETON.

Dame ! écoutez donc, cela pourroit bien être ; car il m’a dit que son pere avoit bien de la protection, qu’il étoit débitant de tabac, & que pour lui, il auroit bientôt un meilleur emploi.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Mais il faudroit savoir si tout cela est bien vrai, & s’il n’est pas amoureux d’une autre ; car ces chiens d’hommes, il ne faut pas trop s’y fier, après ce qui nous arrive.

Mlle  JANNETON.

Oh ! je suis bien sûre qu’il est amoureux de moi ; car il me l’a dit ; mais je ne lui ai rien répondu, parce que je comptais épouser M. Discret, cet ingrat-là.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Quoi ! tu y penses encore ?

Mlle  JANNETON.

Ah ! ma chere mere, c’est pour la derniere fois. Et tenez, le voilà M. Dubois.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Où cela ? celui qui vient de ce côté-ci ?

Mlle  JANNETON.

Oui, justement, le voilà qui me salue. Il vient à nous.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Eh bien ! laisse-le approcher.

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Scène X.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON, M. DUBOIS, fils.
M. DUBOIS, fils.

Mademoiselle, oserois-je prendre la liberté de m’informer de l’état de votre santé, avec la permission de Madame votre mere ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, oui, Monsieur, très-volontiers. Asseyez-vous donc, s’il vous plaît.

M. DUBOIS, fils.

Je viens de la Barriere S. Antoine, & je m’en vais à la Douane, & j’ai dit, comme cela, chemin faisant, il faut que j’aille savoir des nouvelles de Mlle Janneton.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Monsieur, vous faites bien de l’honneur à ma fille, & tenez, elle me parloit de vous.

M. DUBOIS, fils.

Ah ! Madame ! je suis donc plus heureux que je ne croyois, car je ne pensois pas qu’elle pût jamais se souvenir de moi.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Pourquoi cela, Monsieur ? quand on a des manieres honnêtes, c’est toujours bien fait ; les honnêtes gens sont si rares, sur-tout dans ce temps-ci.

M. DUBOIS, fils.

Cela est bien vrai. (Il offre du tabac à Madame de l’Aiguille.) Madame en use-t-elle ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui-dà, volontiers. Il est bien bon ce tabac-là, où le prenez-vous ?

M. DUBOIS, fils.

Chez mon pere, qui n’en vend que du bon ; parce qu’il y a des raisons pour cela.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Monsieur votre père ? seroit-ce M. de Lafleur, qui demeuroit autrefois chez M. l’Argentier ?

M. DUBOIS, fils.

Oui, Madame, & c’est M. l’Argentier, qui nous aime beaucoup, qui m’a fait avoir la place que j’ai.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Mais, vraiment, c’est cela tout juste ; Monsieur votre pere est de nos plus anciens amis. Et tenez, comme il le disoit tantôt, il n’y a que cela ; car, à présent, on ne sait sur qui compter.

M. DUBOIS, fils.

C’est que l’on ne connoît pas tout le monde ; mais je sais un quelqu’un qui seroit bienheureux, si vous & Mademoiselle Janneton… &, elle sait bien ce que je veux dire.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Écoutez donc, il n’y a qu’un mot qui serve, comme dit l’autre, & puisque nous avons renouvellé connaissance avec Monsieur votre père… Je suis bien fâchée qu’il n’ait pas voulu manger la soupe avec nous ; cela seroit, peut-être, fini à présent.

M. DUBOIS, fils.

Comment ! quoi, Madame ! qu’est-ce que vous voulez donc dire ? Serois-je assez heureux pour avoir le bonheur que de !… mais ; Mademoiselle, dites donc ?…

Mlle  JANNETON.

C’est à ma chere mere à parler.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Eh bien ! parlez, vous, je parlerai après.

Mlle  JANNETON.

C’est que je disois, comme cela, à ma chere mere, que vous aviez envie de vous marier.

M. DUBOIS, fils.

Il est bien vrai que je n’y avois jamais pensé avant de vous avoir vu ; mais du depuis ce temps-là, je ne pense pas à autre chose.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tenez, écoutez-moi, mes enfans ; je ne suis qu’une femme, & je ne vais point par quatre chemins ; ce qu’on tient il ne faut pas le lâcher ; allez chercher Monsieur votre pere ; s’il est vrai que vous êtes son fils, cela sera bientôt fini ; voilà comme je suis, moi, voyez-vous.

M. DUBOIS, fils.

Ah, Madame ! ah, Mademoiselle Janneton ! Mais seroit-il bien vrai ? (Il se leve.) Dans ces occasions-là, il ne faut pas épargner, je m’en vais prendre un fiacre, & je reviens tout de suite. (Il va pour s’en aller.) Mais, Madame, un bonheur ne vient point sans l’autre, voilà mon père qui passe par là-bas, & qui vient de ce côté-ci.

Mlle  JANNETON.

Tout de bon ?

M. DUBOIS, fils.

Oui, voyez.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Il va être bien étonné de voir que nous vous connoissons. Allons, allons, c’est bon.

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Scène XI.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON, M. DUBOIS, pere, M. DUBOIS, fils.
M. DUBOIS, fils.

Mon pere, mon pere ? par ici.

M. DUBOIS, pere.

Ah ! ah ! qu’est-ce que tu fais-là ? Est-ce que vous connoissez ce garçon-là, Madame de l’Aiguille ?

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, vraiment, nous le connoissons, & nous le connoîtrons bientôt mieux, si vous voulez.

M. DUBOIS, pere.

Ah ! Dame ! écoutez donc, ce n’est pas parce que c’est mon fils ; mais c’est un grivois qui ne mange pas son pain dans sa poche, tel que vous le voyez, & si vous étiez d’humeur enfin… devinez ce que je veux dire.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ah ! voyez le gros fin ! bien attaqué, bien répondu ; pour moi je crois que Monsieur vaut bien Madame, & tenez, sans barguigner davantage, je dis qu’il faut les marier ensemble.

M. DUBOIS, pere.

Eh mais ! écoutez donc, si vous y consentez, je ne demande pas mieux.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tout de bon ?

M. DUBOIS, pere.

Assurément, quand on se connoît de longue main, c’est tout ce qu’il faut. Il a un bon emploi, il en aura un meilleur encore. Quand je serai mort, je donnerai à ma belle-fille, mon débit de tabac ; je crois qu’avec cela, mon fils est un bon parti.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Moi, je n’ai que Janneton d’enfans, ainsi tout ce que j’ai sera pour elle.

M. DUBOIS, pere.

C’est bien dit, je vous donne ma parole.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et moi, la mienne. Allons, embrassez-vous, mes enfans, voilà qui est fini. (M. Dubois, fils, embrasse tout le monde.) Allons, entrons chez nous, nous boirons un coup en causant de tout cela.

Mlle  JANNETON.

Ah ! ma mere, voilà Monsieur Discret.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Laissez-moi faire. Je m’en vais lui laver la tête.

Mlle  JANNETON.

Bon, bon, ne lui dites rien, plutôt.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Non, je veux en avoir le cœur net.

Mlle  JANNETON.

Ah ! Monsieur Dubois !

M. DUBOIS, fils.

Ne craignez rien, je lui parlerai, moi, s’il dit quelque chose.

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Scène XII.

Mad. DE L’AIGUILLE, Mlle  JANNETON, M. DUBOIS, pere, M. DUBOIS, fils, M. DISCRET.
Mad. DE L’AIGUILLE.

Parlez un peu, Monsieur l’Écrivain, je vous conseille de ne plus venir vous étaler auprès de chez nous, car je vous frotterois les oreilles.

M. DISCRET.

Mais, mais qu’est-ce que vous avez donc, Madame de l’Aiguille ?

Mlle  JANNETON.

Fi, c’est bien vilain à vous, M. Discret.

M. DISCRET.

Mais, je ne sais pas ce que vous voulez dire.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Comment, coquin ! après la lettre que tu as écrite à ma fille.

M. DISCRET.

Comment ! mais je croyois que vous saviez que je lui écrivois, & quand on doit se marier ensemble…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Oui, & le piedestal de ma vertu, qui a fait un faux pas. Attends, attends-moi.

M. DISCRET regarde M. Dubois, fils.

Quoi…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Si je prends mon aulne, je te la casserai sur le corps, vilain coquin.

M. DISCRET.

Comment ! mais, cousin…

M. DUBOIS, fils.

Cousin ? je ne vous connois pas, Monsieur, passez votre chemin, ou…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tu ne veux pas de ma fille, en mariage, tu ne l’auras pas non plus ; car Monsieur l’épouse.

M. DISCRET.

Mais, c’est traître cela !

Mad. DE L’AIGUILLE.

Et tu n’as que faire de revenir jamais griffonner devant chez moi.

M. DISCRET.

Mais, écoutez-moi donc, Madame de l’Aiguille, Mademoiselle Janneton…

Mlle  JANNETON.

Allons, allons, laissez-le là, ma chere mere.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Non, je veux qu’il s’en aille.

M. DISCRET.

Je ne demande à dire qu’un mot.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Tu en as écrit plus qu’il n’en falloit.

M. DISCRET.

Mais ce n’est pas moi, qui…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Ce n’est pas ton écriture, chien de menteur ?

M. DISCRET.

Je ne dis pas cela ; mais…

Mad. DE L’AIGUILLE.

Allons, va-t-en tout-à-l’heure.

M. DISCRET.

Je veux auparavant…

M. DUBOIS, fils.

Monsieur Discret, si vous raisonnez…

M. DISCRET.

Mais vous savez bien que c’est vous, & je ne sais à quoi il tient…

M. DUBOIS, fils.

À quoi il tient ? (Il met la main sur son épée.)

Mlle  JANNETON.

Allons, Monsieur Discret, allez-vous-en.

M. DISCRET.

Allez, Mademoiselle, vous êtes une ingrate.

M. DUBOIS, fils.

Monsieur, je vous prie de ménager un peu le sexe, ou bien…

M. DISCRET.

Monsieur, je ne dis rien… Mais c’est affreux à vous…

M. DUBOIS, fils.

Je crois que vous m’attaquez. Vous en irez-vous ?

M. DISCRET.

C’est que je prends toutes mes affaires. (Il ramasse tous ses papiers.) Non, je ne reviendrai plus ici. Je les donne toutes au diable, ainsi que vous.

M. DUBOIS, fils.

Comment, vous raisonnez ?

M. DISCRET.

Non, Monsieur, je m’en vais ; mais quelque jour… (Il s’en va.)

M. DUBOIS, fils.

Nous en voilà débarrassés.

Mlle  JANNETON.

Ah ! Monsieur Dubois ! que je suis heureuse de vous avoir connu !

M. DUBOIS, pere.

Venez donc, vous autres.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Est-il parti ?

M. DUBOIS, fils.

Oh ! je vous réponds qu’il n’aura pas envie de revenir.

Mad. DE L’AIGUILLE.

Allons, mes enfans, mon gendre, venez, venez. (Ils entrent tous chez Mad. de l’Aiguille.)


Fin du quarante-huitieme Proverbe.
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48. Il se sert de la patte du Chat, pour tirer les marons du feu.