Prose et Vers/Jean Moréas

Prose et VersAlbert Messein (p. 177-178).

JEAN MORÉAS

« Je n’ai jamais rien fait qui fût indigne d’un poète ! »

Cette phrase que Jean Moréas prononça un jour devant moi éclaire toute sa vie et la rend intelligible à ceux qui auraient pu le mal juger d’après la tenue extérieure et les propos quotidiens du poète. Moréas était par sa race et ses goûts un aristocrate. C’était, comme l’a fort bien dit Barrès, un gentilhomme du Péloponèse. Et ses origines expliquent chez lui un certain débraillé de manières, une jactance narquoise, et cet air conquérant avec lequel il retroussait ses moustaches ou ajustait son monocle. Ne dit-on pas en Angleterre qu’un homme…

Trop de gens se sont arrêtés on même rebutés aux apparences que Moréas se plaisait à offrir à un public tour à tour trop facile ou trop sévère. C’était, au fond, la nature la plus noble, la plus spontanée, la plus délicate du monde. Par excès de sensibilité, il s’imposait un masque qui empêchât le vulgaire de trop vite connaître ses véritables traits. C’est miracle qu’il consentît jamais à publier ses Stances où éclatent en strophes immortelles la mélancolie et la douleur d’une grande âme désabusée. Et même je me plais à croire que, s’il s’affranchit de toute étiquette, ce fut pour n’admettre en sa compagnie que ceux qui étaient dignes de le comprendre malgré les apparences.

Cet homme s’était dédié complètement aux lettres. Les misères et les déboires de la vie lui importaient peu pourvu qu’il eût le loisir de composer de belles strophes ou de réciter celles de Gace Brulé, du Châtelain de Coucy, de Ronsard, de Malherbe ou de Racine. Je ne cite pas au hasard ces noms. Morẻas en a fait assez retentir tous les cafés du Quartier Latin, alors qu’il achevait le Pèlerin Passionné